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Violences

Violences

Je vous avais parlé il y a peu de temps de liberté, ou plutôt des libertés, en soulignant que nous pouvions parfois renoncer à certaines d’entre elles pour préserver notre santé et notre sécurité.

L’actualité de ces derniers jours m’amène à vous parler maintenant de violence, ou plutôt des violences.

Le terme violence s’oppose à différents antonymes tels que douceur, calme ou paix. L’existence d’innombrables concepts antagonistes dans notre langage a pour origine cette caractéristique de la nature humaine, une nature duale faite de sentiments, de pensées et de comportements qui se contrarient sans cesse. Le réalisme nous conduit à reconnaître l’existence de cette confrontation permanente au sein de l’humanité entre forces du Bien et forces du Mal. Mais reconnaître ne veut pas dire se résigner à laisser le Mal submerger le Bien. Chacun d’entre nous doit faire un choix : de quel côté ai-je envie de me situer ?

S’agit-il d’un choix seulement moral ? Non, c’est aussi un choix pragmatique. Se mettre du côté du Mal peut parfois apporter quelques satisfactions à court terme, mais il faut toujours en payer le prix fort à plus long terme. Voilà qui peut nous faire penser à l’histoire du peuple des Troglodytes que Montesquieu évoque avec tout le talent qu’on lui connaît dans les Lettres persanes. Chaque individu de ce petit peuple se distinguait par une absence totale d’empathie à l’égard des autres membres de sa communauté, n’ayant pas d’autre idée que de chercher son avantage en toute chose, prêt à violenter ou tuer son voisin pour satisfaire ses besoins ou ses envies. A chaque épisode de l’histoire que raconte le Persan Usbek, auteur supposé de la lettre évoquant les mœurs épouvantables de ce peuple, il apparaît que telle mauvaise action, tel acte criminel ou telle absence de compassion finit par se retourner non seulement contre ses auteurs, mais aussi contre le peuple tout entier.

Quand une « maladie cruelle » vint à ravager leur contrée, un médecin d’un pays voisin se trouvant là réussit à éradiquer l’épidémie et à les sauver tous. Or, les Troglodytes refusèrent de lui donner une quelconque récompense pour son action salvatrice et il s’en retourna chez lui « accablé des fatigues d’un si long voyage ». Mais une seconde vague de la maladie apparut. Les Troglodytes n’eurent alors aucun scrupule à le solliciter pour qu’il les sauve à nouveau d’une mort certaine, ce que le médecin refusa catégoriquement, accusant ce peuple ingrat d’avoir « dans l’âme un poison plus mortel que celui dont (il voulait) guérir ».

Cette fable se poursuit dans la lettre suivante d’Usbek à son ami Mirza où l’on apprend que seules deux familles Troglodytes ont survécu à la catastrophe sanitaire. En tout différents des autres Troglodytes, ils furent à l’origine d’une nouvelle lignée qui donna naissance à une société où régnait la « vertu » ; entendons par là que leur comportement était pétri de valeurs d’entraide et de partage, de compassion et de respect, ce qui fut prodigieusement bénéfique à la prospérité et au bien-être de chacun dans cette communauté devenue exemplaire.

La morale de l’histoire est on ne peut plus claire : la violence sous toutes ses formes est une calamité pour les sociétés humaines. L’épisode de la « maladie cruelle » qu’eurent à subir les mauvais Troglodytes, et l’ingratitude dont ils firent preuve à l’égard de leur sauveur, nous ramènent aussi à ce que nous aurons vécu avec la pandémie du Covid-19 ! La violence institutionnelle des gouvernements néolibéraux successifs a fini par affaiblir les moyens des services de santé, dégrader année après année les conditions de prise en charge des patients et mettre hôpitaux et EHPAD dans une incapacité à faire face dans des conditions humainement acceptables à l’afflux de malades du Covid ; et si malgré tout, les soignants ont pu faire des miracles, ce n’est que grâce à leur dévouement et à leurs compétences, et non grâce aux moyens notoirement insuffisants dont ils disposaient. Verrons-nous maintenant les vilains Troglodytes qui nous gouvernent rester indifférents aux demandes de tous les « invisibles » qui ont permis au pays de ne pas sombrer face à la crise sanitaire ?

De toutes les violences dont est capable l’humanité, l’une d’elle mérite une attention particulière : il s’agit de cette violence institutionnelle qui vient d’être citée. Parmi les particularités de cette violence-là, notons qu’elle ne s’exerce pas contre un individu, mais contre la société tout entière, à l’exception bien sûr, au moins pour un temps, de ceux qui en sont les auteurs. Notons encore, qu’elle appelle à d’autres formes de violences, comme l’a si justement constaté Dom Hélder Câmara, ancien évêque de Recife ; il fut aussi un défenseur des pauvres et un opposant à la dictature des généraux (1964-1985). Voilà ce qu’il disait à propos de la violence :

« Il y a trois sortes de violence. La première, mère de toutes les autres, est la violence institutionnelle, celle qui légalise et perpétue les dominations, les oppressions et les exploitations, celle qui écrase et lamine des millions d’Hommes dans ses rouages silencieux et bien huilés.

La seconde est la violence révolutionnaire, qui naît de la volonté d’abolir la première.

La troisième est la violence répressive, qui a pour objet d’étouffer la seconde en se faisant l’auxiliaire et la complice de la première violence, celle qui engendre toutes les autres.

Il n’y a pas pire hypocrisie de n’appeler violence que la seconde, en feignant d’oublier la première, qui la fait naître, et la troisième qui la tue. »

Ajoutons que la violence institutionnelle a encore ceci de particulier qu’elle peut être à faible bruit, souvent presque imperceptible. Quel média dominant viendrait vous parler de la « « violence » de telle loi qui, dans un alinéa discrètement introduit, va par exemple durcir les conditions imposées aux plus démunis pour bénéficier d’une aide, ou au contraire offrir une nouvelle niche fiscale pour permettre aux nantis d’alléger leur impôt ? Il y a des mots dont l’usage paraîtrait inconvenant dans ce genre de contexte ! Tout au plus pourra-t-on signaler quelques escarmouches verbales au Parlement lors de la discussion de tel ou tel article de loi. Ainsi, insensiblement ces lois aboutiront à un corpus législatif et réglementaire qui contribuera à augmenter les inégalités, induisant plus de précarité et de pauvreté pour un grand nombre de citoyens, et encore plus d’aisance pour une minorité déjà bien servie.

Cette violence qui était quasi invisible dans ses moyens finit donc par le devenir au niveau de ses effets, se traduisant concrètement dans la vie réelle des citoyens, provoquant le mécontentement devant la dégradation des conditions de vie : chômage pour les uns, stagnation des salaires pour les autres, dégradation continue des services publics, environnement de plus en plus délétère pour la santé, etc. La combinaison de tous ces effets conduit à la conséquence ultime la plus cruelle : celle qui réduit l’espérance de vie moyenne des victimes de cette violence institutionnelle. Bien sûr, dans un monde globalement riche comme le nôtre, ce n’est pas la violence révolutionnaire évoquée par Dom Hélder Câmara qui va surgir du jour au lendemain. Néanmoins, le mécontentement va se faire entendre au niveau des syndicats, des partis politiques d’opposition, voire de mouvements spontanés comme celui des Gilets jaunes. Alors, des mots d’ordre appelant à manifester vont venir de divers côtés, les syndicats pouvant aussi appeler à la grève. Tant qu’ils se dérouleront dans le calme, ces mouvements sociaux n’auront malheureusement que peu d’impact sur l’attitude du pouvoir. Beaucoup d’entre nous peuvent se souvenir par exemple des millions de citoyens qui ont défilé calmement pour protester, sans succès, contre les coups de canif successifs portés à notre régime de retraite. De même, de grandes manifestations pour la défense du climat ont commencé à se dérouler en France et par le monde sans que les gouvernants n’en tiennent compte, la Commission européenne poursuivant même sans relâche ses négociations avec de nombreux pays pour libéraliser et développer encore plus le commerce mondial, pourtant préjudiciable non seulement au climat, mais à bien d’autres aspects de notre vie comme on a pu le constater avec la crise du Covid-19.

Pourtant, les effets de la violence institutionnelle deviennent parfois tellement insupportables que certains individus vont basculer dans la violence de rue à l’occasion de manifestations. Sans atteindre un niveau révolutionnaire ou insurrectionnel, cette violence est apparue en France dans le cadre du mouvement des Gilets jaunes et des manifestations contre le démantèlement de notre système de retraite, ou pour l’amélioration des conditions de travail et de la rémunération de nos personnels soignants. Dès lors, à la dégradation de certains lieux symboliques du pouvoir, va répondre une violence répressive inouïe contre les manifestants avec des atteintes à leur intégrité physique au moyen d’armes capables d’infliger des blessures de guerre : yeux crevés, visages défigurés, mains amputées, voire des blessures mortelles. Nous sommes alors dans la troisième forme de violence citée par l’évêque des pauvres. Elle a un but fondamental : permettre à la violence institutionnelle de se poursuivre « tranquillement » en dissuadant les opposants d’exercer leur droit constitutionnel de manifester.

Il y a des degrés dans toute forme de violence, et la violence policière qui se développe en France reste à des années-lumière de la violence militaire qu’a pu exercer un Augusto Pinochet contre son propre peuple afin de faire accepter par la terreur la stratégie du choc économique et social mise en œuvre sur les indications des « Chicago boys », individus tout imprégnés de la doxa ultra libérale théorisée par Milton Friedman. Mais l’idéologie est la même, celle qui confie au marché le rôle d’unique boussole pour orienter la société, ne laissant à l’État que ses fonctions régaliennes. Avec cette différence majeure toutefois : le pouvoir avait été pris par la force d’un coup d’État au Chili alors qu’il peut se prévaloir en France de sa légitimité, même si sa représentativité s’érode au fil du temps avec l’affaiblissement continu de la participation électorale.

Dom Hélder Câmara a-t-il pour autant raison de dire que la violence institutionnelle est « la mère de toutes les violences » ?  Que dire des violences familiales qui s’exercent contre les enfants ou les femmes, de la violence irresponsable qui tue sur les routes, de la violence raciste et de toutes les formes de violence exercées par des individus contre d’autres individus ? Parmi toutes ces violences, celles qui sont associées au statut social sont assurément nombreuses : au cours de la période de confinement instaurée pour lutter contre la pandémie du Coronavirus, les médias se sont faits l’écho de la recrudescence des violences familiales parmi les ménages les plus défavorisés disposant d’un logement trop exigu. Qui oserait contester que la violence qui dévaste certains quartiers trouve en grande partie sa source dans le niveau de chômage élevé qui y sévit et dans l’état d’abandon où se trouvent infrastructures, bâtiments et services publics ?

 Dans ces conditions, afin de tarir les principales sources de violences collectives et individuelles, n’est-il pas souhaitable de neutraliser démocratiquement toute forme de gouvernance qui prendrait des décisions et agirait contre l’intérêt et la volonté d’une majorité de citoyens ? Mais, me direz-vous, nous sommes dans une démocratie ; par conséquent rien ne devrait advenir qui ne rencontre le consentement des citoyens. Las, nous avons fait depuis longtemps l’amère constat des nombreuses imperfections de notre démocratie : promesses non tenues; orientations cruciales pour le bien-être de la population prises sans consulter les électeurs dans des domaines tels que le nucléaire, l’aménagement des territoires, les accords de libre-échange, le modèle agricole ou la politique de santé; constitution qui donne des pouvoirs démesurés au Président et à sa majorité; faiblesse des contre-pouvoirs et de la pluralité des médias concentrés entre les mains de quelques milliardaires…  

La route semble longue pour atteindre un régime authentiquement démocratique et parvenir à cet état de fraternité et de vertu du peuple des gentils Troglodytes, un peuple où toute forme de violence avait disparu.

Bertrand 

Transports

Transports

J’aurais aimé évoquer dans ce billet les transports amoureux, lesquels semblent d’ailleurs tout aussi compliqués que les transports en commun en ces temps de distanciation ! Peut-être auriez-vous aimé que je le fasse, lecteurs libertins, mais ce sera pour une autre fois ou dans une autre vie…

J’ai déjà longuement parlé des transports par air qui nous ont apporté l’affreux virus de Chine ; dans ce secteur, la crise économique est majeure et le retour des passagers dans les aéroports va se faire au compte-gouttes tellement le risque de nouvelles contaminations paraît élevé dans cet environnement, même si, toutes précautions prises, il ne le sera ni plus, ni moins que dans d’autres modes, comme par exemple dans les transports en commun par bus, tram, métro ou train.

Celles ou ceux qui ont lu le livre ne seront pas surpris que je consacre un billet à ces autres transports beaucoup moins glamour avec, pour beaucoup d’entre nous, leur caractère d’absolue nécessité, ce que n’a pas le transport aérien dont l’activité principale repose sur les voyages d’agrément. Inutile de prendre d’autres exemples que celui de la France. Tout le monde a pu voir ces trains bondés en Inde auxquels s’accrochent des grappes de voyageurs, ou peut imaginer sans peine les hordes d’usagers qui s’entassent dans le métro de Tokyo ou bien celui de Shanghai avec ses dix millions de passagers par jour. Ce phénomène, pourrait-on dire, est lié à la croissance de la population mondiale et à sa concentration dans des mégapoles ; sans doute, mais la question reste tout de même posée de savoir si une telle situation est inéluctable. N’aurait-on pu, et ne pourrait-on dans le futur, faire autrement ?  Chez nous, seule l’Île de France peut afficher des fréquentations dans les transports en commun urbains qui se chiffrent en millions d’usagers au quotidien.

Lesdits usagers, dont j’ai fait partie pendant de trop longues années, connaissent la fatigue, le stress et le temps perdu dans leurs transhumances quotidiennes de troupeaux humains. Gare Saint Lazare, les escaliers mécaniques montent et descendent du matin au soir une foule compacte de banlieusards ; Gare de Lyon, le quai du RER est noir de monde, une rame a été supprimée, la suivante arrive enfin, les voyageurs qui veulent en descendre se heurtent au mur de ceux qui veulent monter, les derniers à y parvenir sont au niveau des portes qui ne peuvent plus fermer, alors on pousse encore, on crie à ceux qui sont à l’intérieur d’avancer pour faire un peu de place, quelques minutes supplémentaires de perdues et après une dernière poussée, les portes se referment enfin ; à l’intérieur, claustrophobes s’abstenir, on a du mal à respirer, et pourquoi le train ne démarre-t-il pas tout de suite ? Enfin on roule, mais on rêve de sortir de là au premier arrêt, et puis non, ça ne servirait à rien, le train suivant sera aussi plein, et la journée a été déjà assez longue comme ça, fuir au plus vite cet univers inhumain, rentrer chez soi et respirer un peu. Lesquels d’entre nous, qui vivent année après année ces expériences au quotidien, n’ont jamais pensé à la profonde et à l’intolérable absurdité du système qui leur inflige un tel traitement ?

Sans surprise, le Covid 19, comme dans la plupart des domaines d’activités de notre monde contemporain, a amplifié cette prise de conscience, non pas parce qu’il nous aurait obligés à aggraver encore notre peu enviable condition ordinaire, mais parce qu’il a démontré brutalement que le système dans lequel vivent des millions de citadins des grandes villes ne pourrait fonctionner sans qu’ils consentent à de tels sacrifices. Et si la démonstration a été plutôt l’occasion pour les usagers des transports de la région parisienne d’échapper pendant quelques semaines à ces sacrifices, l’activité économique aura au contraire pâtit douloureusement des mesures « barrières », et notamment de la nécessité de maintenir une certaine distance entre individus, soit tout le contraire de ce qu’impose le fonctionnement « normal » des transports urbains pour assurer le fonctionnement « normal » de notre économie. Rêvons un instant d’un autre monde dont la « normalité » permettrait à chacun d’être confortablement installé pour se rendre à son travail, sans craindre d’arriver en retard, et assuré de pouvoir rentrer chez lui à l’heure qu’il aura choisie.

Je reviens au livre où je tente d’expliquer pourquoi nous en sommes arrivés à une situation aussi absurde et comment nous pourrions envisager d’en sortir à moyen terme. Il est étonnant que dans les propositions entendues de tous côtés pour permettre à l’économie de ne pas complètement se paralyser pendant la période de confinement, la principale solution mise en avant ait été le télétravail. Bien sûr, il va de soi que cette option a du sens et qu’elle aurait dû être développée depuis fort longtemps compte tenu de l’évolution des métiers, qui voit ceux du tertiaire prendre une place de plus en plus importante, et des technologies qui permettent le travail à distance dans de bonnes conditions sous réserve qu’il soit organisé en conséquence. Le développement intelligent et volontariste de ce mode de travail aura sans aucun doute pour effet de diminuer un peu dans le futur la saturation des transports en commun aux heures de pointe. 

Pourtant, le télétravail sera très loin de résoudre entièrement le problème. La mesure fondamentale qui y parviendra relève de l’aménagement de nos territoires. C’est une mesure à moyen et long terme qui a été complètement négligée depuis un demi-siècle dans le cadre des politiques publiques. Non seulement elle permettrait une amélioration sensible de la qualité de vie de millions de personnes en réduisant les temps de transport domicile-travail, aussi bien par les moyens individuels que collectifs, mais elle répondrait à l’urgence climatique et réduirait les risques sanitaires liés aux émissions dans le secteur des transports.

L’acuité du problème des trajets domicile-travail n’est pas la même dans les agglomérations de taille moyenne ; toutefois, l’expansion périurbaine et la fermeture de commerces de proximité dans les centres-villes contribuent à y développer la congestion du trafic routier.

Le chapitre 5 de l’essai propose donc « d’organiser nos territoires pour mieux s’affranchir des moyens de transport », projet porteur de nombreux bénéfices pour notre qualité de vie et pour l’environnement.

 Extrait p. 362 :

Dans le cas de la France, on ne saurait aller vers une réduction progressive des coûts astronomiques de ces transhumances quotidiennes domicile-travail sans mettre un coup d’arrêt au développement de la région Ile-de-France, véritable trou noir qui aspire entreprises et candidats à un emploi.

Le moyen de transport le plus détestable, c’est celui dont on ne peut pas se passer.

Bertrand

Liberté ou santé?

Liberté ou santé?

Parmi les innombrables réflexions qu’appelle la tragédie du Covid 19, il en est une qui nous aura touchés tout particulièrement : elle se rapporte à nos libertés.

Une liberté de première importance que nous avons perdue au cours de la période de confinement, et celle toute relative que nous avons retrouvée à l’issue de cette période, c’est de pouvoir aller et venir sans contrainte. Ne plus avoir le droit de sortir de chez soi sans une raison valable, et se voir infliger une sévère amende à défaut de disposer du document l’attestant, ne plus pouvoir rencontrer sa famille et ses amis proches, être interdit d’assister aux obsèques d’un parent décédé, que ce soit du Covid ou d’autre chose, ne pas pouvoir profiter des belles journées printanières pour aller prendre l’air dans les parcs, se promener en forêt, marcher dans la montagne ou courir sur une plage, activités toutes profondément naturelles et humaines, cela serait apparu comme totalement incongru, surréaliste et insupportable il y a seulement quelques mois.

Pourtant, bon gré, mal gré, nous l’avons accepté parce que la plupart d’entre nous ont dû considérer que préserver sa vie était encore plus important que de conserver la liberté de se déplacer. Une fois de plus, nous avons donné la priorité à notre santé, soulignant encore ce choix vital par les encouragements donnés jour après jour aux personnels soignants confrontés à la prise en charge des malades du virus. Cette situation hors normes est donc venue me rappeler ce que j’avais exprimé dans le chapitre consacré au bien-être : la santé doit être placée au cœur de tout projet de société avancée et doit par conséquent orienter l’ensemble des politiques publiques. Ce faisant, il apparaîtra très vite qu’il n’y a pas une seule décision, pas une seule action, individuelle ou collective, qui soit neutre par rapport à notre état de santé physique et mentale.

Je note au passage que notre degré de consentement à des restrictions de liberté varie selon les circonstances et selon les cultures. Ainsi, les Chinois semblent avoir accepté sans renâcler – mais ont-ils le choix ? –  des mesures de confinement très sévères ainsi que des contrôles très intrusifs dans leur vie privée par des systèmes de suivi de leurs déplacements et de surveillance électronique qui auraient laissé George Orwell incrédule. Quoi qu’il en soit, depuis 1789 la France est aussi fille aînée de la Révolution, loin, très loin du confucianisme et du taoïsme, et la première place que tient le mot « liberté » dans le triptyque affiché au fronton de nos écoles et de nos mairies traduit symboliquement l’attachement de notre peuple à cette valeur sacrée. Aussi peut-on espérer une extrême vigilance de nos concitoyens sur les séquelles de cette période liberticide lorsque la pandémie aura été vaincue, et veiller à ce que des limitations et interdictions préexistantes, ou instaurées durant la période de confinement, ne se renforcent pas en l’absence de justifications liées à la protection de notre santé et de notre sécurité. Ainsi, quand elles conduisent à des limitations d’expression sur des sujets d’ordre politique ou religieux, à la censure de productions artistiques, notamment les œuvres littéraires et cinématographiques, à des interdictions de réunions, à la répression de manifestations pacifiques, alors de telles restrictions de liberté, et il faut alors parler « d’atteintes à la liberté », ne sont ni justifiées, ni acceptables et doivent être combattues avec détermination.

Cependant, il faut prendre pleinement conscience que la vie en société a depuis longtemps justifié que bien d’autres libertés soient limitées vis à vis d’activités les plus diverses. Certes, la perte de liberté d’aller et venir provoquée par la pandémie peut paraître vertigineuse, mais la somme de toutes les autres limitations que nous subissons au quotidien sans même y penser est elle-même considérable, et pourtant globalement acceptée. Ainsi, les services compétents sont amenés à édicter des règles contraignantes pour assurer par exemple la sécurité des transports, comme celles qui sont rassemblées dans le code de la route, pour limiter le tabagisme ou préserver notre environnement, et bien d’autres injonctions sous forme de lois et règlements que nous devons respecter pour que la vie en société nous protège de toutes sortes de dangers, tout en restant aussi paisible et harmonieuse que possible, tant il est vrai que notre liberté s’arrête là où commence celle des autres.

Ces quelques réflexions sommaires indiquent la toute relativité de l’idée de liberté et plus encore, que la liberté absolue est inconcevable ; d’ailleurs, si une liberté comme celle de choisir nous est également si chère, alors nous devrions parfois regretter amèrement de ne pas avoir pu choisir de naître, ou de naître ici plutôt qu’ailleurs quand on mesure l’abîme qui sépare par exemple le sort réservé à un jeune Palestinien confiné à vie dans le ghetto de Gaza, de celui d’un jeune Français qui pouvait, et pourra très vite à nouveau, voyager à travers le monde entier. La Liberté est tout un ensemble de libertés élémentaires, et lorsqu’un certain nombre d’entre elles sont assurées, y compris celle consistant à accorder à chacun le pouvoir de participer aux prises de décisions qui engagent le présent et le devenir de la société, alors nous sommes dans cette sorte de régime institutionnel dont le nom est démocratie. Liberté et démocratie sont des concepts consubstantiels : l’un ne peut exister sans l’autre.

Ce n’est donc qu’au travers d’institutions démocratiques que serait obtenu le consentement à cette liberté toute relative corsetée dans une multitude de lois et règlements. Consentir est bien sûr tout le contraire d’une acceptation sous la contrainte, et dans l’exemple de la Chine que nous évoquions, donc d’une dictature, il serait intéressant de savoir quelle proportion de la population a « consenti » aux injonctions du pouvoir dans la lutte contre la pandémie, c’est-à-dire à les respecter spontanément et non par crainte de représailles en cas de désobéissance. Il me semble, après avoir entendu quelques témoignages dont on peut, il est vrai, toujours douter de la sincérité, que les citoyens chinois étaient disposés, avec ou sans dictature, à faire comme les populations d’autres pays réputés démocratiques, autrement dit à finalement consentir « librement » au respect de règles destinées à protéger leur santé et leur vie.

Renoncer à sa liberté ou mettre en danger sa santé et sa vie ?  In fine, que ce soit dans une dictature ou une démocratie, la réponse sera la même pour le commun des mortels : d’abord sauver sa peau !

Extrait du chapitre 4 Parlons du bien-être, p. 173

« La santé est constamment plébiscitée comme bien le plus précieux que nous espérons ne jamais perdre. Voilà qui est tout à fait naturel. »

Bertrand

L’avion en perte de vitesse ?

L’avion en perte de vitesse ?

« Comme une traînée de poudre » est un billet en date du 30 avril 2019 que j’avais réservé au rôle essentiel joué par le transport aérien dans la propagation rapide et massive du Covid-19 ; j’avais aussi indiqué que la libéralisation du commerce mondial avait sans doute eu peu d’impact sur cette propagation, car les passagers touristiques constituent l’essentiel du trafic passagers, loin devant les passagers d’affaires.

Depuis que j’ai écrit ce billet, diverses contributions sur la crise du transport aérien ont été portées à ma connaissance, notamment les documents suivants qui s’intéressent plus spécifiquement aux conséquences de cette crise sur la construction aéronautique civile, notamment à Toulouse et sa région.

La première de ces contributions « Toulouse, un futur Détroit ? », un texte de la Fondation Copernic, d’ATTAC, des Amis du Monde Diplomatique et de l’Université populaire de Toulouse, s’interroge sur la possibilité d’une crise économique majeure dans la capitale de l’industrie aéronautique européenne, crise qui pourrait être d’autant plus profonde que cette région a pris le risque de se développer essentiellement autour de cette industrie sans avoir trop cherché à se diversifier.

Une deuxième contribution émane de Gabriel Colletis et Xavier Petrachi, Membres de l’Association du Manifeste pour l’Industrie et répond à la contribution précédente. Son titre « L’industrie aéronautique, une activité du passé, vraiment ? » indique d’entrée une vision plutôt optimiste. Je note au passage que la crise à moyen terme du transport aérien du fait des enjeux climatiques était prévisible mais qu’elle a été précipitée par la pandémie du Covid-19, et c’est cette accélération brutale de l’Histoire qui complique la résolution de la crise annoncée par ceux qui avait la lucidité de comprendre qu’une croissance sans fin telle que la prévoyaient les « experts » de ce secteur était inconcevable.

Enfin, les auteurs de la première contribution ont réagi à leur tour à la deuxième avec un texte « Toulouse, pays de cocagne » qui apporte de nouveaux éléments au dossier. Mais globalement, les analyses se rejoignent sur le diagnostic, les différences se situant plutôt dans la manière de faire face à cette crise sans précédent.

Pour celles et ceux qui souhaitent prendre connaissance de ces documents, je donne les liens à la fin de mon billet.

Les trois importantes contributions consacrées à l’avenir de la construction aéronautique civile en France, notamment dans la région toulousaine, sont de très grande qualité et très bien documentées. Elles m’intéressent pour deux raisons :

  1. J’ai travaillé pendant 40 ans dans l’aviation civile en tant qu’ingénieur, notamment à la Direction des Programmes aéronautiques civils de la DGAC où j’étais en charge des affaires internationales, puis ai terminé ma carrière comme diplomate à la Commission de la Navigation aérienne de l’OACI à Montréal ;
  2. J’ai publié un essai de 412 pages en octobre 2017 sous le titre de NEMESIS et le sous-titre de Remettons le monde à l’endroit dans lequel j’analyse les processus qui sont à l’œuvre dans la mondialisation et souligne le rôle que joue le transport aérien dans cette mondialisation (et aujourd’hui dans la transformation rapide de l’épidémie du Covid en pandémie).

Je n’ai pas à formuler d’avis contraires à ceux qui sont exprimés dans ces articles : oui, la situation est préoccupante pour cette industrie, oui les conséquences économiques et sociales attachées à cette contraction brutale du transport aérien risquent d’être douloureuses, mais oui encore, il est possible d’envisager une transition supportable vers d’autres activités tout en conservant notre leadership dans la construction aéronautique civile grâce à des efforts importants en R&D. Sur ce plan, nous pouvons nous réjouir qu’il n’y ait plus, et sans doute pour encore longtemps, que deux acteurs mondiaux dans le secteur de la construction aéronautique civile et que le concurrent de Seattle soit en mauvaise posture.

Cependant, il y a d’autres aspects du problème à envisager, notamment dans la perspective d’une remise en ordre de la mondialisation, laquelle ne pourra se concrétiser que si les citoyens du monde et ceux qui le dirigent avancent vraiment dans la même direction. Le « monde nouveau » que j’imaginais en commençant à écrire mon essai en 2011 appelait à conditionner la liberté de commercer à des critères tels que le respect des droits humains, des règles de l’OIT, du droit à la protection de la santé de tous (sujet plus que jamais d’actualité), mais aussi des critères tels que des salaires permettant de vivre dignement, et enfin la tenue d’engagements contraignants en matière d’environnement.

Ces considérations peuvent avoir des conséquences sur le transport aérien lui-même, et donc sur la construction aéronautique civile. En effet, les règles de l’OMC et plus encore maintenant, celles qui sont inscrites dans les nouveaux accords de libre-échange signés tous azimuts par la Commission européenne, sont fondées sur l’idéologie néolibérale qui prône la mise en concurrence des acteurs économiques sans autre contrainte que de ne pas entraver le libre commerce ; autrement dit, le droit commercial l’emporte sur tous les autres droits que j’ai cités.

En Europe, les premières conséquences de cette politique néolibérale se sont fait sentir dans le transport aérien au début des années 1990 avec l’ouverture du ciel à la concurrence. A cette époque, la croissance du trafic aérien était progressivement absorbée par la mise sur le marché de modules de plus en plus gros, ce qui avait fait le succès des premiers biréacteurs à deux couloirs d’Airbus avec les A300, A310, puis A330. Ce dernier modèle avait eu Air Inter comme compagnie de lancement avec une commande de 15 unités afin d’absorber le trafic sur les principales lignes intérieures entre Paris et la province. Les avions, configurés en classe unique avec 417 sièges (si ma mémoire est bonne) allaient permettre de limiter la croissance des mouvements, notamment sur les plateformes les plus problématiques en matière de nuisances sonores comme Orly. L’important volume de la cabine donnait également une impression de plus grand confort aux passagers. Pour la compagnie aérienne, moins de mouvements et moins d’avions signifiait moins de créneaux horaires, moins de postes de stationnement aux aéroports, moins de personnel navigant technique, moins de maintenance (l’entretien de deux gros moteurs est plus économique que l’entretient de quatre ou six plus petits) et moins de carburant ; au total, la règle selon laquelle, à taux de remplissage égal, plus le nombre de sièges est élevé, plus le prix de revient du PKT (Passager-kilomètre transporté) est faible devait se vérifier avec la mise en service de ces A330. A Air Inter comme dans la plupart des compagnies ayant à transporter un volume important de passagers sur des lignes à haute densité, remplacer des petits modules par des plus gros était donc économiquement pertinent.

Las, la politique de l’UE allait contrarier complètement cette stratégie puisqu’elle allait au contraire provoquer l’arrivée sur le marché intérieur de nouveaux entrants comme Air Liberté et AOM. Ces compagnies allaient mettre en ligne des avions monocouloirs (MD80, B737) de 150 places en obtenant des créneaux aux heures de pointe du trafic, le matin et en fin d’après-midi, pratiquant par ailleurs une politique de prix agressive. Du jour au lendemain, malgré une réaction tarifaire d’Air Inter, les nouveaux gros-porteurs vont voir leur taux de remplissage s’effondrer. La compagnie finira par annuler le plus gros de sa commande, ne prenant livraison que de quatre unités ; puis ces A330 seront retirés de la flotte tandis qu’Air France absorbait la compagnie domestique. Les A320, avions à un seul couloir, vont alors entrer en service avec la Navette et la mise en place d’un système cadencé de vols sur Toulouse, Marseille, Nice et Bordeaux.

D’une manière générale, l’ouverture du ciel à la concurrence va augmenter considérablement le trafic en termes de mouvements, augmenter l’encombrement du ciel, la saturation des aéroports et les nuisances sonores, diminuer au niveau mondial la capacité moyenne des modules alors que celle-ci avait augmenté tendanciellement depuis trois décennies, suivant en cela la croissance du trafic, mais aussi diminuer la rentabilité déjà fragile des compagnies aériennes, ce qui entraînera des phénomènes de consolidation, les compagnies qui avaient par exemple forcé Air Inter à annuler ses commandes d’A330 finissant par disparaître. Pour les constructeurs, cette évolution n’était pas non plus une bonne affaire car la rentabilité obtenue sur les ventes de gros-porteurs est sensiblement plus élevée que pour les monocouloirs. C’est pourquoi il est devenu plus rentable pour Airbus de faire assembler une partie de ses A320 en Chine ou aux États-Unis.

Or, cette évolution a eu également un effet durable sur les attentes et le comportement des passagers. Ce qui avait été imposé par les règles de la concurrence, à savoir l’augmentation des fréquences provoquées par les nouveaux entrants, est devenu un argument commercial majeur : les passagers ne chercheront plus à planifier leurs déplacements en fonction des vols proposés, mais chercheront le vol qui est le plus « raccord » avec leur emploi du temps. Donc la compagnie qui offrira le plus grand nombre de fréquences sur une destination sera en situation concurrentielle favorable, ce qui amènera évidemment Air France à mettre en place sa Navette ou easyJet à proposer un service équivalent.

            Mais ce qui était devenu la règle sur les liaisons court- et moyen-courriers va le devenir peu à peu sur les liaisons long-courriers. Ainsi, le B747 qui avait été pendant 30 ans l’avion amiral dans les flottes de nombreuses compagnies aériennes intercontinentales va peu à peu laisser sa place à des biréacteurs long-courriers à deux couloirs comme le B777 et l’A330 qui permettront de doubler les fréquences là où un B747 n’en faisait qu’une seule. Les fréquences se sont alors multipliées sur les lignes intercontinentales par le triple effet du remplacement des B747 par des modules plus petits (B787, A350), de la croissance du trafic et de l’augmentation de la concurrence.

            Dans ces conditions, on peut comprendre que le programme A380 soit maintenant confronté au risque d’être abandonné avant même d’avoir atteint son seuil de rentabilité. Pourtant trois facteurs pourraient redistribuer les cartes.

            Le premier est bien sûr relatif à l’hypothèse du développement des lignes long-courriers dont un rapport de 2010 du groupe AF-KLM prévoyait une croissance mondiale de 192 à 544 milliards de SKOs entre 2009 et 2029. Une telle augmentation des sièges-kilomètres offerts, si elle devait se concrétiser, conduirait à une augmentation de capacité soit par l’introduction d’un grand nombre de nouveaux long-courriers de moyenne capacité, soit par l’introduction d’un nombre plus restreint de très gros-porteurs comme l’A380 sans augmentation notable des fréquences.

            C’est à ce stade que devrait intervenir le facteur environnemental, à la fois du point de vue du climat et du point de vue des nuisances sonores. On l’a dit, un très gros consommera moins que deux plus petits, générant deux fois moins de mouvements et deux fois moins de gêne sonore. Les engagements que devront prendre les compagnies en matière d’environnement devraient donc les amener à privilégier sur certaines lignes les très gros modules de 600 places et plus au lieu d’accroître sans fin les fréquences de vols avec des modules de 300 à 400 places, voire à réduire les fréquences sur les lignes où la croissance du trafic sera plus faible, par exemple entre l’Europe et l’Amérique du nord, la forte croissance concernant surtout les lignes de et vers l’Asie.

            Mais comment réagiraient les passagers à des baisses éventuelles de fréquences sur certaines lignes à très fort trafic ? C’est là que pourraient intervenir les effets de la catastrophe du Covid 19 : que ce soit pendant le confinement ou dans les longs mois qui vont suivre, les clients potentiels du transport aérien auront peut-être pris le temps de réfléchir à la manière de voyager et aux motifs de déplacements par avion. Côté tourisme, il apparaîtra plus raisonnable d’envisager des séjours plus longs dans des destinations lointaines, rendant de ce fait la question de l’offre de fréquences moins critique : quand on part pour trois ou quatre semaines dans une région située à dix heures de vol, le fait de retarder le départ de quelques heures à moins d’importance que si l’on part pour une semaine seulement. De même, les entreprises qui auront expérimenté les téléconférences avec l’étranger pendant la longue période de fermeture des frontières seront-elles tentées de ne faire voyager leurs collaborateurs à l’autre bout du monde que pour des missions supérieures à une semaine ; là aussi, la question du choix des horaires de vols deviendra alors moins critique.

            Difficile à ce stade de faire des projections sur le moyen ou le long terme, mais il est probable que nous devrons voyager autrement, que les riverains des aéroports qui viennent de passer des semaines dans une tranquillité inattendue risquent d’être plus actifs à la reprise du trafic au travers de leurs associations, et que les compagnies aériennes vont devoir trouver des solutions pour diminuer leur empreinte environnementale. Transporter autant ou plus de passagers avec moins de mouvements pourrait faire partie des solutions sur les lignes à « haut débit », auquel cas l’avenir de l’A380 avec une motorisation encore améliorée reste peut-être à écrire. Et là, Airbus a une sacrée longueur d’avance sur son concurrent Boeing.

Restons lucides, imaginatifs, combatifs et optimistes !

Bertrand

http://www.fondation-copernic.org/index.php/2020/04/29/vers-une-crise-economique-majeure-danstoulouse-et-sa-region-toulouse-le-syndrome-detroit/

https://www.mediacites.fr/forum/toulouse/2020/05/04/lindustrie-aeronautique-une-activite-du-passevraiment/?

Croissance et bien-être

Croissance et bien-être

Prononcez ou entendez le mot « croissance », et toutes sortes de phénomènes peuvent vous venir à l’esprit tels que la croissance de l’enfant, la croissance de la population, la croissance du tourisme ou encore la croissance de l’économie qui se résume dans ce contexte à la croissance du produit intérieur brut (PIB). D’une manière générale ce mot « croissance » est utilisé pour évoquer un phénomène dont l’évolution est généralement positive. En revanche, s’il s’agit de la pauvreté, de la délinquance ou des déficits, alors il sera plutôt question d’augmentation ou d’aggravation.

Ce billet va d’abord s’intéresser à « la croissance », sous-entendu « économique », en regardant d’un peu plus près si cette croissance-là ne s’accompagne pas trop souvent « d’augmentation » ou « d’aggravation », par exemple des inégalités, de la précarité, de la pollution, etc. Puis nous envisagerons bien sûr une forme de croissance qui, tout en étant économique, se mesurera surtout par des indicateurs de développement humain, autrement dit de bien-être.

La croissance économique mesure les variations du PIB, un indicateur qui additionne toutes les valeurs ajoutées constatées dans un pays sur 12 mois et fut inventé par l’Étatsunien Simon Kuznets dans les années qui ont suivi la Grande Dépression de 1929. Le taux de croissance du PIB corrigé de l’inflation représente donc cette croissance économique. Dès lors, ce taux va être utilisé largement dans le monde pour mesurer la santé d’une économie et le PIB pour mesurer la richesse globale d’un pays.

Il est donc possible de classer les pays du monde en fonction de leur PIB ou du dynamisme de leur économie avec le taux de croissance de cet indicateur. Cela dit, le PIB doit être relié au nombre d’habitants du pays. Ainsi, le PIB de la Chine en parité de pouvoir d’achat (PPA) s’élevait en 2018 à 25 270 milliards de dollars, ce qui la plaçait en tête des pays les plus « riches » de la planète devant les États-Unis avec 20 494 milliards de dollars. Mais la Chine comptait alors 1 427 647 789 habitants contre 327 096 263 pour les États-Unis, soit 4,36 fois moins.

C’est pourquoi il faut ramener le PIB à chaque habitant pour avoir une idée du niveau de vie d’une population, auquel cas la Chine passe de la première à la 72ème place, tandis que les États-Unis restent dans le top 10 à la neuvième place avec un PIB par habitant de 62606 dollars contre 9608 pour la Chine. Donc un Étatsunien serait 6,5 fois plus riche qu’un Chinois, en moyenne.

Préciser « en moyenne » est évidemment très important car s’il y a des millions de Chinois plus pauvres que des millions d’Étatsuniens, il est évident qu’il y a aussi des millions d’Étatsuniens moins riches que des millions de Chinois, situation qui traduit les inégalités de revenus à l’intérieur même de ces pays, comme pour tous les pays du monde. Par conséquent, le PIB par habitant ne dit rien de la répartition de la richesse au sein d’une population.

Mais donne-t-il malgré tout une indication objective du niveau de développement d’un pays ? Oui et non.

Oui, lorsque l’on constate des différences très importantes d’un pays à l’autre. Il ne fait aucun doute que le niveau de développement du Burkina-Faso avec un PIB par habitant de 710 dollars reflète une grande pauvreté et l’on peut s’attendre non seulement à ce que le revenu annuel par habitant soit très faible (environ 1600 dollars en Parité de Pouvoir d’Achat, PPA), mais que les infrastructures soient insuffisantes et en mauvais état, ou que les services de santé et l’éducation manquent cruellement de ressources.

Non, lorsque la comparaison concerne uniquement des pays développés. Par exemple, le fait que le PIB par habitant des États-Unis soit de quelque 20 000 dollars supérieur à celui de la France (62 606 contre 43 551 en 2018) traduit-il que les infrastructures, la santé et l’éducation sont plus développés chez l’Oncle Sam que dans l’Hexagone ? Tout indique le contraire : aux États-Unis, réseaux routiers et ferroviaires sont dans un état de délabrement avancé, il faut être riche pour accéder aux meilleurs soins de santé et s’endetter lourdement pour suivre des études supérieures ; quant aux salaires, ils présentent un tel niveau d’inégalité qu’à côté des 0,1% les plus riches, le pays compte plus de 40 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, et ces personnes reçoivent très peu d’aides des pouvoirs publics.

Il s’ensuit que s’agissant de croissance du PIB, il faut discerner ce qui est utile de ce qui est superflu, ce qui est bon de ce qui est délétère pour la santé, ce qui préserve notre environnement de ce qui le détruit, tout en évaluant ces différents critères à l’aune des conditions socio-économiques du pays concerné. Il est évident qu’il est indispensable que de nombreux domaines d’activité se développent au Burkina-Faso, à commencer par la production alimentaire, tout en respectant les critères précédents ; la croissance du PIB sera alors le signe que le pays est en train de sortir de la pauvreté. Nous serons donc devant une croissance utile et souhaitable. En revanche, si le PIB augmente aux États-Unis grâce à des productions en hausse de pétrole, de gaz ou d’automobiles, cette croissance-là sera éminemment toxique dans tous les sens du terme.

Est-ce à dire que les pays développés sont condamnés à la décroissance ?

Encore une fois, la réponse est oui et non.

Oui, pour les activités qui provoquent le réchauffement climatique, la dégradation de l’environnement ou des menaces pour la santé des populations. La consommation excessive d’énergie, le gaspillage sous toutes ses formes, les achats superflus de biens non durables ou encore les trajets évitables, sans que cette liste soit complète, sont autant d’activités qui génèrent de la mauvaise croissance.

Non, pour les activités qui participent à l’amélioration du bien-être des populations, mais sans prélever plus de ressources à la nature qu’elle ne peut en régénérer. Ces activités sont nombreuses et échappent souvent aux circuits mercantiles lorsqu’elle concernent par exemple les conditions de travail, la prévention en matière de santé ou l’encouragement à ne pas jeter ce qui est encore utilisable ou réparable, toutes choses qui vont entraîner des économies, et donc provoquer une baisse tendancielle du PIB ; mais ne pas le faire nécessite de soigner et conduit à jeter plutôt que de prévenir et de conserver, auquel cas la croissance du PIB se poursuit mais génère plus de mal-être que de bien-être.

Arrivés à ce stade de la réflexion, nous constatons qu’une révision sémantique s’impose : dorénavant, nous devrons donner une nouvelle acception au terme de croissance et cesser de le relier seulement à l’économie et au PIB, mais aussi au développement humain d’une population, d’un pays ou d’une région tout entière de la planète. Cette croissance revisitée sera celle du monde nouveau évoqué dans l’essai, un monde remis à l’endroit, un monde où l’état de santé et le bien-être des populations seront devenus les deux grands indicateurs de développement.

Extrait, chapitre 4, Parlons du bien-être p.177 et 178

« Quelle conclusion tirer par exemple du fait qu’un Étatsunien consomme en moyenne 14000kWh d’électricité par an contre 7000kWh pour un Européen ? Cet écart participe évidemment à l’écart entre les PIB des deux régions. Doit-on alors considérer que les Européens devraient envier le mode de vie des Étatsuniens ? »  

    Bertrand

Un monde nouveau (bis)

Un monde nouveau (bis)

J’avais signalé dans un précédent billet que je reviendrais sur la question du « monde nouveau » que nous avons à construire. Rappelons que l’ambition de mon livre est seulement de poser quelques jalons pour indiquer une nouvelle direction à prendre : faire revivre la démocratie, installer une fiscalité juste et redistributive qui sera porteuse de progrès, remettre en question la globalisation inspirée par l’idéologie néolibérale, envisager un nouveau système de financement de la protection sociale, définir des règles d’aménagement de nos territoires qui permettront sur le long terme de réduire nos besoins quotidiens de déplacements, etc.

Du jour au lendemain, la pandémie qui frappe aura confirmé avec éclat ce qui est essentiel à notre « survie » : assurer les soins de santé, l’approvisionnement alimentaire, la fourniture d’énergie et le maintien de la propreté de nos villes et villages, ce qui n’est pas rien, mais reste très en-deçà de ce qui nous produisons habituellement sous forme de biens et services. Ce constat doit être mis en relation avec le chapitre sur le bien-être qui pose que l’on ne peut pas y accéder sans la santé, et que pouvoir s’alimenter est évidemment une question de vie ou de mort. Plus généralement, la question posée dans ce chapitre était la suivante : quelles sont les conditions que tout un chacun poserait pour parvenir au bien-être ? Autrement dit, si l’on considère que le bien-être est une situation qu’il est légitime pour tous de chercher à atteindre, quels sont les besoins qu’il faut satisfaire pour y parvenir ? La réponse à cette question générale n’est pas une mince affaire lorsqu’il faut la traduire en un véritable projet de société, sachant que la situation de départ est elle-même d’une grande complexité puisque c’est le monde tel qu’il est qu’il nous faut prendre en compte, avec toutes les forces contraires qui le traversent et toute la diversité des situations qui se présentent entre les pays de la planète, que ce soit au niveau de leur état de développement, de leurs ressources naturelles, de leur géographie, de leur démographie, de leurs institutions ou de leur  culture.

Le problème serait beaucoup plus simple s’il pouvait se résoudre à l’intérieur des frontières d’un même pays. Mais sur une planète dont les dimensions se sont réduites au fur et à mesure que les moyens de transport gagnaient en vitesse, en capacité, en sécurité et en régularité, bref, en performances, il n’est plus possible pour un pays d’envisager un projet de société qui ne prendrait pas en compte les intérêts ou les simples besoins des pays alentours et bien au-delà ! Après tout, les frontières sont rarement « naturelles » ; elles sont le fruit de l’histoire, et les humains d’aujourd’hui n’ont aucune responsabilité dans une partition des territoires de la planète qui est consécutive à d’innombrables conflits armés au cours des siècles passés ou de la colonisation de continents entiers par les Européens.

Il est facile de montrer que la vie d’une population donnée ne peut s’organiser et se suffire à elle-même comme si elle se trouvait dans une bulle étanche. Les pays européens sont par exemple incapables de couvrir la totalité de leurs besoins en énergie sans importer du pétrole d’Arabie Saoudite, du gaz de Russie ou de l’uranium du Niger et du Mali. Consommer de l’huile d’arachide, boire du café ou manger du chocolat ne serait pas possible si nous n’importions pas ces aliments d’Afrique ou d’Amérique du sud. Il ne faut donc pas considérer que le commerce mondial pourrait être réduit à néant ; de fait, il a toujours existé, sauf que notre dépendance aux produits venant de l’étranger n’a jamais été aussi forte.

Cette forte dépendance de l’Europe aux importations n’est pas seulement « subie » à cause de produits essentiels en énergies fossiles et autres matières premières, mais elle est aussi en grande partie « voulue » à cause d’un recours excessif à de la main-d’œuvre étrangère employée dans des pays souvent très éloignés, avec comme principale justification de dégager d’importants profits. Je ne vais pas développer plus cet aspect dont mon essai parle abondamment. J’invite évidemment tous les lecteurs de ce blog à découvrir les analyses présentées dans le livre ; elles ont pour but d’aider à une compréhension « globale » d’un monde « globalisé ».

De nombreuses observations semblent indiquer que l’irruption du Covid 19, mais aussi du H1N1, d’Ébola ou du SIDA, aurait été favorisée par l’expansion continue de l’occupation humaine sur des espaces qui étaient réservés à l’habitat de la faune sauvage, ce qui aurait pour effet de réduire toujours un peu plus la « distanciation » entre les humains et cette faune porteuse naturellement de virus qui ne sont pas nécessairement pathogènes pour elle, mais peuvent l’être pour les humains qui la rencontrent involontairement, ou volontairement comme on l’a vu sur ce marché de Wuhan ainsi que dans des pratiques de braconnage: en Afrique de l’Ouest, des pertes considérables dans la population des gorilles ont été provoquées par les actions combinées du virus Ébola et du braconnage. C’est une question très importante sur laquelle se penchent sans doute beaucoup de chercheurs, surtout dans les circonstances actuelles, mais alors que doit-on penser des pandémies qui ont fait des millions de victimes dans un passé parfois lointain alors que les humains occupaient un espace naturel encore très réduit ?

Il serait en tout cas difficile à ce stade d’affirmer que le libre-échange aurait favorisé d’une manière ou d’une autre l’infection du patient « zéro » de Wuhan. En revanche, l’intensité du commerce mondial n’est sans doute pas totalement étrangère à la propagation du virus, même si celle-ci a surtout été répandue massivement par les touristes, et très rapidement par les avions de transport de passagers comme on l’a vu dans le précédent billet.

La construction d’un monde nouveau sera donc un nécessaire compromis entre l’isolement forcé que nous subissons actuellement, à l’intérieur de nos habitations comme à l’intérieur de nos frontières, et la mondialisation débridée qui nous entraîne vers des lendemains très douloureux.  

Extrait du chapitre 5, Quelques jalons pour montrer le chemin – Donner naissance à un monde nouveau, p.250 :

« Pour construire le monde tel qu’il devrait être, impossible d’échapper à cette donnée incontournable : il faut partir du monde tel qu’il est ! Ou plutôt, du monde tel que les hommes ont voulu qu’il soit ! Ou plutôt encore, du monde tel que certains hommes l’ont façonné. Il n’y a aucune sorte de fatalité dans ce que nous sommes et dans ce que nous deviendrons : l’humanité est entièrement responsable de son destin. »

Bertrand

Comme une traînée de poudre

Comme une traînée de poudre

Il y presque un mois, début avril, j’avais écrit un billet dont le titre était « Balade onirique ».  Je m’émerveillais alors de la nouvelle transparence de l’air et de la luminosité du ciel bleu azuré de ma banlieue parisienne. Si ce ciel pur était sans nuages depuis des semaines à cause d’un puissant anticyclone situé sur la Scandinavie, il présentait aussi un autre aspect tout à fait improbable en ce que nulle traînée de condensation ne le traversait, indication évidente que le transport aérien était en sommeil, ce qui veut dire que le principal, sinon l’unique vecteur de transmission du virus de la pandémie commencée en Chine continentale avait été neutralisé, au moins pour un temps dont on ne peut encore savoir s’il se comptera en semaines ou en mois.

Rapides, sûrs et confortables, les avions de ligne ont pu transporter d’un jour à l’autre et d’un continent à un autre des passagers porteurs du virus, permettant à l’épidémie du Covid-19 de se propager comme une traînée de poudre (elle aussi inventée en Chine !) alors qu’au temps de la marine à voile, il aurait fallu des mois avant de voir le premier voyageur infecté débarquer dans l’un de nos ports. Mais l’avion est aussi devenu un transport de masse avec plus de 4 milliards de passagers embarqués dans le monde en 2019, faisant exploser en période d’épidémie le nombre d’arrivées dans les aéroports internationaux de passagers potentiellement infectés après avoir été « confinés » les uns à côté des autres pendant plusieurs heures dans des avions d’une capacité de 300 à 600 sièges.

Rapidité et capacité élevée du transport aérien en font donc le vecteur privilégié de l’évolution d’une épidémie locale en une pandémie.

Mais quels sont les motifs de voyages de ces milliards de passagers ? Dans le contexte spécifique que nous connaissons, regardons quelle est la nature et l’importance du trafic aérien entre la France et la Chine, ce qui nous donnera une image assez représentative de ce qu’est le transport aérien au niveau mondial.

Ces hordes de passagers ont deux raisons bien distinctes de prendre l’avion : la première, de très loin et qui n’a pas grand-chose à voir avec la division internationale du travail, c’est le tourisme. La France est le premier pays d’Europe pour le nombre de touristes chinois avec 2,4 millions en 2019, en hausse de 9% par rapport à 2018. Cette croissance n’est pas surprenante compte tenu des nouveaux droits de trafic négociés à la demande de la Chine en 2017, lesquels prévoient le passage de 50 à 126 vols hebdomadaires par pavillon à partir de 2020, soit une augmentation de 100 à 252 vols pour les compagnies françaises et chinoises réunies, avec la volonté partagée de mieux desservir les aéroports de province en France et plus de villes « secondaires » en Chine.  

En comparaison du nombre de visiteurs chinois en France, celui des visiteurs français en Chine est beaucoup plus faible mais atteignait quand même le chiffre de 500 000 en 2018. A cela, il faut ajouter les Français expatriés vivant en Chine, évalués à quelques dizaines de milliers (20000 à 30000), mais ils sont amenés à effectuer plusieurs aller-retours durant leur séjour dans l’Empire du Milieu, contrairement aux touristes qui ne s’y rendront le plus souvent qu’une seule fois. Malgré ce chiffre somme toute assez faible, la France et l’Allemagne sont, à égalité, les deux membres de l’UE ayant le plus grand nombre d’expatriés en Chine avec 3% du total mondial, très loin derrière la Corée du Sud (21%) et les États-Unis (12%).

Il est intéressant de noter que la ville qui attire la plus forte proportion de résidents français est précisément celle de Wuhan d’où est partie l’épidémie avec 16,7% du total, devant Canton 15,8% et Shanghai 9,1% (source Sénat, données au 31 décembre 2018). Au niveau mondial, on notera également que le nombre d’expatriés français dans le monde a augmenté de 81% entre 2008 et 2018 pour atteindre 1,8 millions, ce qui constitue un indicateur cohérent avec la croissance de la mondialisation des échanges sur cette période. Cependant, en ce qui concerne la Chine, on constate depuis quelques années une décroissance du nombre d’étrangers expatriés due à l’amélioration constante des qualifications de la main-d’œuvre chinoise qui peut maintenant effectuer de plus en plus de tâches hautement qualifiées confiées précédemment à des étrangers.

Ce qui vient d’être dit suffit à montrer comment la propagation du Covid 19 a pu connaître une telle rapidité. Cependant, il paraît évident que la fréquentation touristique chinoise en Europe aura eu un impact sensiblement plus élevé que celui des quelques centaines de Français rentrés de Chine et isolés à leur arrivée en France. Dès lors, si la mondialisation des échanges est à bien des égards délétère pour l’environnement, la santé et le bien-être des humains, son ralentissement et sa transformation selon des principes de coopération mutuellement avantageuse pour le plus grand nombre, ne suffira pas à empêcher de futures pandémies si, la liberté actuelle de voyager étant préservée, ce qui semble souhaitable, voire impératif, nous ne mettons pas en œuvre des contrôles sanitaires rigoureux et si les États ne réagissent pas collectivement au niveau international pour fermer les frontières ou limiter drastiquement les voyages en cas d’alerte épidémique. Le pays concerné devrait, tout comme un patient infecté, être isolé des autres pays en fermant immédiatement ses frontières terrestres, maritimes et aériennes. Il aurait bien sûr à subir les conséquences économiques de cette mesure d’isolement, mais elle serait de loin préférable à celles que nous connaissons avec le Covid 19 à l’échelle de la planète.

C’est pourquoi un pays comme la France qui reçoit un grand nombre de visiteurs de Chine aurait dû fermer ses frontières aux ressortissants chinois à partir du moment où la virulence et la rapidité de propagation du Covid 19 étaient attestées. Or les autorités chinoises n’ont signalé les premiers cas suspects que le 31 décembre 2019 alors que les premiers symptômes étaient apparus trois semaines plus tôt, le 8 décembre. Malheureusement, les médecins ayant tenté d’alerter le public et les autorités chinoises sur ce qu’ils avaient constaté ont d’abord été bâillonnés. Quoi qu’il en soit des responsabilités des uns et des autres, les liaisons aériennes entre la Chine et de nombreux pays ont pu poursuivre leur rôle mortifère de vecteurs du virus, ce qui est démontré dans de nombreux pays par les cas « zéro » ayant séjourné à Wuhan, le même phénomène se produisant ensuite avec des personnes ayant séjourné en Italie, puis en Espagne, etc.    

Dans le cas de la France, le groupe Air France-KLM a interrompu ses services vers la Chine continentale le 30 janvier 2020, ne conservant que quelques vols le temps de rapatrier les clients et les personnels de la compagnie. En ce qui concerne Wuhan, l’arrêt des liaisons aériennes avait été décidé dès le 24 janvier. Mais la suspension totale des vols vers la Chine n’interviendra que le 20 février, date à laquelle le nombre de cas Covid 19 recensés en Chine atteignait près de 80 000 selon les statistiques officielles.

Avec cette pandémie, non seulement les prévisions de croissance du transport aérien sont largement compromises, mais le retour à son niveau d’avant la pandémie paraît tout aussi problématique. C’est un secteur, comme bien d’autres, dont il faudra sans doute repenser la finalité, le fonctionnement et le modèle économique.  

Extrait du chapitre 2 sur les « vases communicants », p.56  

« Avec l’apparition des moyen- et long-courriers, l’avion va se positionner comme unique moyen de communication rapide à longue distance pour les passagers et le fret à forte valeur unitaire. À cet égard, il est également devenu un élément clé de la mondialisation des échanges, complémentaire de la marine marchande. »   

 Bertrand

Si petits et si grands à la fois!

Si petits et si grands à la fois!

Ce billet sera très différent de tous ceux qui l’ont précédé car bien que directement lié au livre, il s’écarte résolument des préoccupations concrètes du moment. Le lien, car il existe néanmoins, entre le texte qui va suivre et le monde dans lequel nous vivons est de nature plus existentielle ; oserais-je dire philosophique sans susciter la condescendance de ceux qui enseignent cette discipline ou ont pour objectif de la faire progresser, moi qui ne suis qu’un amateur en l’espèce, incapable d’enrichir ma réflexion en convoquant des références que je n’ai pas.

Mais il se peut qu’avoir conscience de ses faiblesses soit aussi une force.

Quoi qu’il en soit, je ressentais depuis longtemps le besoin d’écrire un billet qui soit en rapport avec le premier chapitre du livre afin de vous faire part d’une expérience qui a eu une influence prépondérante sur la forme que j’allais lui donner, celle d’un conte cosmique.

En préambule, je vous livre cet échange entre une professeure de physique et un de ses élèves de terminale. Elle introduit ainsi le sujet de son cours :

  • Nous allons aborder aujourd’hui le thème de la relativité dont la théorie sera pour toujours associée au nom d’Albert Einstein. Comme vous le savez sans doute, cette théorie s’appuie sur une loi physique fondamentale qui stipule que la lumière, et les ondes électromagnétiques en général, se propagent à une vitesse proche de 300 000 km/s et que cette vitesse est indépassable…

A ce moment, un élève l’interrompt :

  • Madame, il est possible d’aller beaucoup plus vite et d’atteindre en moins d’une minute les étoiles les plus lointaines.
  • Très intéressant ! Et peux-tu m’expliquer par quel prodige tu arrives à te transporter si loin et si vite ?
  • Par la pensée, Madame.

Nous allons donc faire un peu comme cet élève et pour cela partir d’un endroit approprié : la Cité de l’Espace située dans la ville de Toulouse. Mettez vos scaphandres et accrochez vos ceintures, nous partons vers les confins de l’Univers.

Août 2004, ma petite fille vient d’avoir six ans et je l’emmène avec moi visiter cette Cité de l’Espace inaugurée en 1997, espérant qu’elle y trouvera quelques activités ludiques en rapport avec son âge ou tout au moins qu’elle pourra rêver devant de belles images de galaxies, de planètes, de vaisseaux spatiaux et de cosmonautes…

Avant même de pénétrer dans le bâtiment principal, je remarque à l’extérieur un alignement de grands panneaux rectangulaires. Nous nous postons devant le premier d’entre eux, entièrement noir à l’exception de petites traînées claires ici et là qui me font penser à ces manteaux de cheminée en marbre noir veiné de blanc. Un bandeau placé au bas de cette image peu spectaculaire indique qu’elle représente l’espace vu de très loin avec des tâches claires qui correspondent à des amas de matière stellaire.

Sur le coup, je ne réagis pas, mais quelque temps après, me rappelant cette explication, je réaliserai qu’il serait tout à fait impossible d’obtenir une telle image de l’Univers, quel que soit le point d’observation choisi. A vrai dire, on ne peut pas voir l’Univers de loin puisque nous sommes toujours à l’intérieur, qu’il est impossible d’en sortir et donc de s’en éloigner. Si nous l’observons par exemple depuis la Terre, le jour nous voyons d’abord notre étoile, le soleil, la nuit la Lune et quelque fois, la lune et le soleil en plein jour. Au-delà de ces deux astres, tous les autres apparaissent comme des points lumineux de notre galaxie, isolés, mais nombreux, à savoir les étoiles et quelques planètes du système solaire. Avec un télescope, nous pourrions percevoir d’autres galaxies. Par conséquent, nous observons en tout temps des objets célestes proches, d’autres plus éloignés et d’autres enfin très éloignés, leur taille nous apparaissant en conséquence de plus en plus petite. Or l’image qui est devant nous n’a pas de profondeur, tout semble sur un même plan et ces taches lumineuses sont toutes à peu près de même dimension. Pour obtenir une photo qui ressemble à cette image, il faudrait couper l’Univers en deux par un plan infini et créer un espace rigoureusement vide entre les deux moitiés en les éloignant l’une de l’autre de quelques milliards d’années -lumières. Un observateur situé dos à l’une de ces moitiés verrait sans doute l’autre moitié comme représentée sur ce panneau !

A la station suivante, nous nous sommes rapprochés de cette autre moitié de l’Univers et pouvons maintenant percevoir que les zones blanches sont en fait des amas de galaxies dont la forme devient perceptible, la plupart d’entre elles ressemblant à de petites galettes en forme de spirale.

Puis se rapprochant encore pour s’intéresser à l’un de ces amas qui sont eux-mêmes constitués d’un réseau d’amas secondaires, nous entrons dans celui de la Vierge : c’est dans ce groupe de galaxies que nous habitons. A ce stade, les deux « moitiés » de l’Univers sont à nouveau rassemblées.

Nous voilà maintenant au-dessus de la voie Lactée, image qu’aucun humain ne pourra jamais contempler sous cet angle et à cette distance, mais la représentation qui en est donnée est d’une beauté fascinante avec ses longues chevelures d’étoiles disposées en spirales autour d’un centre éblouissant de lumière.

Nouvelle station qui nous emmène sur l’une de ces avenues d’étoiles pour y rencontrer la nôtre, le Soleil. Un peu plus près encore et ses satellites nous apparaissent. Dès lors, les images qui nous seront présentées correspondent vraiment à celles de la réalité que perçoivent nos appareils photographiques emportés à bord d’engins spatiaux. Au tout-début du voyage, notre vitesse atteignait des milliers de fois celle de la lumière, mais à l’approche de notre destination finale, nous commençons à décélérer.

Nous voilà dans la banlieue proche de la Planète bleue vers laquelle nous commençons notre descente. Les continents se dessinent clairement sous les volutes et les moutonnements nuageux. Celui que l’on appelle le Vieux Continent grossit sous nos pieds. A la verticale de l’Hexagone, nous commençons à percevoir des détails qui indiquent que la surface de cette planète a été modelée en de nombreux endroits sous l’effet de facteurs qui ne peuvent être ceux de mouvements telluriques, ou de la seule érosion naturelle provoquée par les phénomènes atmosphériques ; non, ce sont des interventions d’une tout autre nature qui sont à l’origine de ces dessins géométriques, de ces lignes innombrables qui relient entre elles des taches de couleur plus ou moins grandes qui contrastent avec les terres alentours, un réseau complexe qui rappelle celui du cerveau avec ses neurones et leurs synapses. Seule l’activité incessante des habitants de la planète a pu parvenir à ce résultat, comme cette vaste métropole qui s’étend à nos pieds et vers laquelle nous poursuivons notre descente pour nous retrouver enfin à la verticale d’un endroit où nous apercevons une grande fusée blanche indiquant que nous sommes arrivés au-dessus de la Cité de l’Espace !

L’instant d’après, nous touchons le sol en douceur, juste devant le dernier panneau qui est constitué d’un grand miroir dans lequel se reflètent deux humains, un homme aux cheveux grisonnants et une petite fille qu’il tient par la main…

Bertrand

Un monde nouveau

Un monde nouveau

Dans mon précédent billet, me demandant quel en serait le contenu alors que j’en avais déjà tapé les premières lettres et assemblé les premiers mots, je suis très vite arrivé à la conclusion que mon embarras provenait des incertitudes dans lesquelles nous sommes tous plongés en ces temps de pandémie, situation étrange qui fait surgir mille questions sur ce que sera demain, allant du plus concret au plus spéculatif et du plus court terme au plus prospectif.

Toutefois, il me semble que si nous avons des incertitudes sur le futur aussi bien proche que lointain, ce que met en pleine lumière l’attaque du Covid c’est en revanche la certitude que nous ne devrons plus, comme nous l’étions hier, rester spectateurs du monde qui se construit ou se détruit devant nous, mais devenir au contraire des acteurs de notre futur. Nous ne pouvons plus accepter que les orientations relatives à la manière de produire nos aliments, nos médicaments et notre énergie, à la protection de notre environnement ou à l’aménagement de nos territoires soient prises à huis clos, nous tenant systématiquement à l’écart de décisions aussi essentielles pour notre bien-être, voire notre survie. Se résigner à une telle situation me paraît totalement incompatible avec des institutions qui se veulent démocratiques.

Ainsi est-il proprement scandaleux que les négociations d’accords de libre-échange soient conduites dans la plus grande opacité alors que ceux-ci mènent, comme répété cent fois, à une division internationale du travail absurde qui n’a d’autre objectif que de permettre à quelques-uns d’accumuler des profits astronomiques au détriment des peuples et de la nature ; et si nous mesurons aujourd’hui dans la douleur les conséquences directes sur notre santé et notre vie de l’abandon de certaines productions de médicaments et d’équipements indispensables à la lutte contre le coronavirus, nous subissons aussi depuis des décennies les conséquences d’une désindustrialisation de notre pays, et pas seulement le nôtre, génératrice de chômage massif, de pertes de savoir-faire, de réduction des ressources de l’État, justifiant des politiques d’austérité qui détricotent peu à peu le contrat social et font au bout du compte régresser la société dans toutes ses composantes.

De même, le recours à l’énergie nucléaire pour satisfaire notre confort au prix d’un risque inacceptable pour nos vies et nos territoires n’a jamais fait le moindre semblant de concertation avec la population, le bien-fondé de cette politique énergétique mortifère n’ayant même pas été questionné par nos dirigeants malgré les catastrophes majeures survenues en Ukraine et au Japon.

Sur le laisser-faire quasi total en matière d’aménagement de nos territoires, le Covid nous fait à nouveau toucher du doigt cette impéritie de nos gouvernants depuis plus d’un demi-siècle. Il y avait déjà eu le problème des coûts du carburant pour les trajets domicile-travail comme élément déclencheur du mouvement des Gilets jaunes. Avec les perspectives de déconfinement, la nécessité pour des millions de travailleurs d’emprunter à nouveau les transports en commun avec les risques sanitaires que cela présente montre à quel point l’absence totale de planification visant à mieux intégrer zones d’activités et zones de résidence conduit à des transhumances quotidiennes chronophages, coûteuses et fatigantes, ainsi qu’à d’autres conséquences néfastes que je ne peux pas toutes citer ici (je vous renvoie aux développements du livre).

Nous avons donc à envisager notre contribution au futur de notre société de manière beaucoup plus active, ne se limitant plus à quelques minutes passées dans un bureau de vote tous les cinq ans, même si ces quelques minutes sont importantes et devraient permettre à l’avenir d’éviter de confier la maîtrise de l’incendie planétaire à ceux qui n’ont cessé d’attiser le feu depuis quarante ans. S’informer, discuter, échanger et militer ne devrait plus être le fait d’une minorité de citoyens engagés dans la transformation de la société ; il faut que cet éveil des consciences et cette contribution du plus grand nombre à un processus démocratique authentique se manifestent au lendemain de la sortie de la tragédie du Covid. Les citoyens doivent s’emparer des grandes questions que j’ai évoquées dans ce billet et ne plus laisser une oligarchie décider pour nous tous.

Au-delà des incertitudes, cela doit devenir une promesse qu’il nous faut tenir avec certitude, et ouvrir ainsi la voie vers un monde nouveau porteur de progrès humain.   

 Court extrait du chapitre 5, partie consacrée à « D’abord la démocratie », p. 263 :

« Posons-nous une question simple : les citoyens français peuvent-ils se sentir bien associés aux choix politiques des gouvernements qu’ils ont portés au pouvoir depuis des décennies ? »

Bertrand

Où allons-nous ?

Où allons-nous ?

Je commence moi-même ce billet sans trop savoir où je vais, sans avoir en tête un semblant de plan, sans entrevoir le message qu’il pourra transmettre, avec pour seul espoir que ces quelques lignes auront peut-être un brin d’utilité. Je vais donc réfléchir en écrivant avec pour seule boussole mon souhait de ne pas chercher absolument à établir un lien au travers de ce billet entre l’actualité et mon livre, ce que je faisais systématiquement jusqu’à ce jour. Il est donc probable que je ne vous en proposerai pas non plus un extrait, comme à l’accoutumée.

Mais alors, me direz-vous, pourquoi vouloir écrire à tout prix quand on n’a rien à dire ? Sachez chères lectrices et chers lecteurs, d’abord qu’une telle situation ne s’est jamais présentée, quelles qu’aient été les circonstances ; ensuite, que ce que j’ai à dire est sans doute encore trop confus, mais je ne m’attends pas pour autant à ce que ce soit totalement insignifiant. Alors, un peu de patience, s’il-vous-plaît ! Il se pourrait par exemple que mon embarras vienne des inquiétudes que je ressens devant l’abîme d’incertitudes dans lequel nous précipite la pandémie du Covid. Et tout en y réfléchissant, je crois bien que c’est cela avant tout qui me pousse à rédiger ce billet : un abîme d’incertitudes ! Tout comme la nature a horreur du vide, l’être humain a horreur de ne pas savoir vers quelle destination il est emmené, de ne pas avoir une idée assez claire de ce que sera demain et de ne plus pouvoir faire de projets, fussent-ils à relativement court terme. Et dans les circonstances dramatiques auxquelles nous sommes confrontés, de simplement se demander si dans une semaine ou dans un mois, nous serons encore en vie…

Il faut bien reconnaître en effet que les incertitudes ne manquent pas ! Le monde entier est à la recherche du virus meurtrier, mais à ce jour, son signalement et son comportement restent imprécis. Quels sont ses moyens de transport préférés en dehors de nos exhalations nasales et buccales ? Aime-t-il voyager avec les poires et les tomates achetées au marché ou préfère-t-il se mettre à l’affût sur une rampe d’escalier, attendant de s’accrocher à la main imprudente qui se posera sur lui et le conduira peut-être vers ce milieu humide et vivant de nos bronches qu’il affectionne tant et où il pourra en toute impunité accomplir son œuvre macabre ? Quels seraient les pièges les plus efficaces pour le capturer et l’anéantir, comment lui tendre les embuscades d’où il ne pourrait pas s’échapper ? Et comment faire pour lui interdire toute intrusion dans notre précieux appareil respiratoire ?

Las, les réponses à ces questions restent souvent vagues et indécises, que ce soit de la part de nos fins limiers du corps médical ou des stratèges hésitants qui ont annoncé à tout le monde qu’il fallait se mettre aux abris – pour ajouter à l’angoisse, le stratège en chef a dit que nous étions en guerre – et d’atomiser ainsi les foules en priant chacun de ne plus quitter son abri, autant que faire se peut. Mais alors, une nouvelle rafale de questions et d’incertitudes surgit : est-ce qu’il sera dangereux de sortir des abris quand les stratèges le permettront, la chasse au Covid aura-t-elle permis de tous les éliminer ou bien restera-t-il encore de nombreux snipers qui feront ici et là des victimes innocentes ? Obligera-t-on la plus grande part de la population à s’exposer au risque d’être touchés par ces snipers, exposition nécessaire à la relance de notre économie et de nos productions d’avant Covid, ou bien ce risque sera-t-il humainement acceptable grâce à des moyens et des stratégies de protection efficaces contre ces attaques isolées ?

Puis vient LA question de l’après Covid : dans quel monde souhaiterions-nous vivre et dans quel monde nous ferons réellement vivre les stratèges aux commandes, selon qu’ils seront ceux qui gèrent aujourd’hui de manière brouillonne la lutte contre le virus, ou que d’autres les auront remplacés ? Vous vous en doutez, j’ai ma petite idée sur la question, mais comme je l’avais annoncé dans mon précédent billet, j’y reviendrai à la prochaine livraison dans le format habituel en donnant un extrait du livre.

Alors, oui, toutes ces incertitudes sont anxiogènes et me laissent dans un état mental que je n’avais jamais ressenti jusqu’alors, comme la plupart d’entre vous je suppose. Je voulais vous le dire sans trop savoir comment, mais tout comme l’appétit vient en mangeant, l’inspiration vient en écrivant !

Bertrand