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Inconséquence

Inconséquence

Je l’avoue à ma grande honte, parce qu’on ne saurait se réjouir des milliers de décès prématurés provoqués par une épidémie, mais j’éprouve une certaine jubilation devant les conséquences économiques que commence à avoir l’épidémie du coronavirus. A mon sens, ces conséquences démontrent l’inconséquence de ceux qui ont tout fait pour généraliser à la planète entière une division du travail qui confine à l’absurdité. Comment peut-on par exemple avoir accepté de se rendre à ce point dépendants de la fourniture de médicaments essentiels au maintien de la santé de notre population en s’en remettant à des laboratoires chinois ou indiens ? Les médias et certains responsables politiques semblent découvrir maintenant ce qui est depuis longtemps une évidence : le commerce mondial sans entraves d’aucune sorte conduit à une somme de problèmes dont la solution demandera des années d’efforts pour certains d’entre eux, mais d’autres relatifs à l’environnement vont affecter durablement les générations à venir. Ainsi les militants du néolibéralisme ont-ils laissé les drogués du profit provoquer des pertes de savoir-faire en France et en Europe en délocalisant des pans entiers de notre industrie vers les pays-usines à bas coût. Il en va des laboratoires pharmaceutiques comme des ateliers de confection ou de la production de composants électroniques. Il serait peut-être temps que les maîtres du monde se préoccupent de la vie, celle des humains comme celle de toutes les espèces animales et végétales, et prennent la mesure des dommages parfois irréparables que provoque la primauté absolue du profit sur les principes humanistes de justice, de solidarité, de préservation de notre biotope et d’aspiration des peuples à la paix.

Ces commentaires nous renvoient à plusieurs parties de NEMESIS ; j’ai choisi un passage de la conclusion (p. 406) :

Nous percevons ainsi que nous ne pouvons résoudre tous nos problèmes sans aider à la résolution des problèmes des autres. Nous avons l’habitude de dire que nos sociétés sont constituées de rouages complexes, tous engrenés les uns aux autres. Nous avions vu au chapitre II que les échanges de richesse pouvaient se concevoir comme un système d’une complexité extrême, composé de milliards de tubes reliés entre eux par des robinets et des clapets. Ces représentations illustrent la totale interdépendance des activités humaines : un grain de sable dans les rouages ou une fuite dans les tuyaux peuvent perturber profondément l’ensemble du système.

Au niveau mondial, la seule cohérence de ce système est la liberté de commercer et d’engranger des profits. Pour le reste, chacun peut apporter des éléments supplémentaires au système sans qu’un concepteur ne soit là pour vérifier que ces nouveaux éléments se combineront pour former un ensemble harmonieux. Comme chacun a ses idées propres non seulement sur la manière de faire fonctionner le système, mais sur sa finalité même, construire un ensemble structuré et cohérent semble une mission impossible. A ces différences de conception s’ajoutent la diversité des cultures, les écarts de développement, la prise de conscience très inégale des enjeux environnementaux et bien d’autres facteurs qui touchent au poids des religions ou à la démocratie.

Bertrand

Furet du Nord (rappel)

Furet du Nord (rappel)

Pour ceux qui auraient un proche né le 29 février et qui seraient dans les environs, achetez-lui ce jour-là un cadeau « quadri-annuel » en entrant dans la librairie « Le Furet du Nord » de Carré-Sénart. J’aurai le plaisir de vous présenter NÉMÉSIS le samedi 29 février prochain à partir de 14H00, de vous dédicacer l’ouvrage et de vous encourager à œuvrer pour remettre le monde à l’endroit !

Adresse :

WESTFIELD CARRE-SENART

3 Allée du Préambule BP 77566 Lieusaint Cedex

Bertrand

A l’envers plus que jamais ?

A l’envers plus que jamais ?

Visiteuses et visiteurs de salons littéraires ou clients de librairies où j’étais invité pour une dédicace de mon essai, combien d’entre vous venus bavarder avec moi se sont gentiment moqués de ce sous-titre « Remettons le monde à l’endroit » en me faisant remarquer qu’il y avait du travail pour parvenir à ce résultat ! Je dois reconnaître que cette remarque de bon sens se trouve malheureusement validée par les décisions prises au cours des deux dernières années par la Commission européenne dont la politique n’est rien d’autre que le reflet du consensus des chefs de gouvernement européens en faveur d’une économie d’orientation néolibérale qui donne la prééminence à la liberté de commercer ou d’investir ici et là sans contreparties en termes de droits humains, de conditions de travail, de protection sociale, de normes sanitaires proscrivant la présence de résidus toxiques dans nos aliments, ou soupçonnés de l’être par application du principe de précaution, et enfin de protection de l’environnement dans toutes ses composantes. Inutile d’examiner tous ces accords de libre-échange (ALE) qui ont été passés entre l’Union européenne et le Canada (CETA), le Japon (JEFTA) et Singapour.  

Je vais me contenter d’évoquer un peu plus longuement le nouvel ALE passé tout récemment entre l’Union européenne et le Vietnam. Signé le 30 juin 2019 à Hanoï, cet accord a été soumis le 12 février 2020 au vote du Parlement européen (PE) sans que ces évènements ne fassent les titres des journaux ou d’annonces dans les radios et les télévisions. Pourtant, faut-il répéter que l’accumulation de tels accords, rédigés de manière encore plus permissive que dans le cadre de l’OMC, supprimant par exemple la quasi-totalité des droits de douane, ont un impact considérable sur notre emploi (délocalisations, licenciements, précarité, stagnation des salaires), notre consommation, y compris notre alimentation, et plus largement sur l’environnement puisque ces accords vont générer encore plus de trafics maritime, routier et aérien, donc plus de pollution et plus d’émission de GES (Gaz à effet de serre). Il faut encore dire que le Vietnam n’est pas une démocratie, les droits de l’homme y sont bafoués, les conditions d’emploi très dures et les salaires indigents. Nombre d’organisations de la société civile ont tenté d’attirer l’attention de la Commission puis des députés du PE sur les conséquences de ce nouvel ALE. En vain !

Par 401 voix pour, 192 voix contre et 40 abstentions, les députés européens ont donné massivement leur aval à cet accord ! Notons également que le même jour, le PE a voté en faveur du financement de 55 projets gaziers en Europe. Est-ce ainsi que les dirigeants européens et le PE ont l’intention de concrétiser la profonde mutation écologique annoncée avec le « Green Deal » ?

Je voudrais tout de même terminer par une information qui laisse quelque espoir et m’incite à penser qu’il ne faut pas renoncer à remettre le monde à l’endroit. Dans le vote précité, les députés français se sont prononcés sur l’accord avec le Vietnam par 27 voix contre, 25 pour et 2 abstentions (je pourrai donner à ceux qui le souhaitent la répartition des votes par famille politique). Donc, si tous les pays européens avaient voté comme la France, ce nouvel accord avec le Vietnam aurait été rejeté ! Pour ce long billet, j’ai donc choisi un extrait de mon essai qui se veut résolument optimiste (p256) :

Toutefois, il n’est pas déraisonnable de penser qu’un projet de transformation de la société qui tourne résolument le dos au capitalisme financier et promeut un mode de développement soucieux de solidarité, de redistribution équitable des richesses et de protection de l’environnement, corresponde mieux à la culture gréco-latine qu’à la culture anglo-saxonne dans laquelle on peut englober l’Allemagne. Il n’est pas à cet égard inintéressant de noter que l’année 2015 avait commencé avec une belle victoire de la gauche en Grèce, pays méditerranéen entre tous. Il est donc plus probable qu’un tel tournant soit pris par la France ou l’Italie plutôt que par l’Allemagne. Si l’un de ces deux pays latins avait en plus le soutien de deux ou trois autres pays du pourtour méditerranéen comme la Grèce, l’Espagne et le Portugal, un effet de contagion pourrait naître parmi les autres peuples européens où l’on commencerait à percevoir qu’un modèle de développement radicalement différent est possible, bref, qu’un monde nouveau est non seulement accessible, mais que son avènement est indispensable à la reprise du développement humain.

 Bertrand

Accords de libre-échange

Accords de libre-échange

Les médias dominants en parlent peu et pourtant une activité fébrile se poursuit sans relâche et en toute opacité dans les services de la Commission européenne pour négocier et conclure de nouveaux accords de libre-échange (ALE). Ainsi l’accord commercial signé avec le Vietnam en juin 2019 va être soumis au Parlement européen au cours de ce mois de février 2020. Tout comme ceux entrés en vigueur début 2019 avec le Japon et Singapour, ce nouvel ALE est encore plus permissif que les accords conclus dans le cadre de l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Ainsi les droits de douane avec le Japon disparaîtront progressivement sur 97% des produits importés de l’empire du Soleil Levant ! Cette liberté totale de commercer n’est assortie d’aucun engagement contraignant sur les droits humains, les conditions de travail, la protection sociale ou celle de l’environnement, ce qui est particulièrement regrettable avec le Vietnam quand on sait que ce pays n’a pas encore ratifié plus de 57 conventions et protocoles de l’Organisation internationale du Travail (OIT). L’extrait ci-dessous (p 325 de NEMESIS) nous rappelle que les conditions de la concurrence dans le cadre de l’OMC étaient déjà particulièrement déloyales.

L’OMC a ainsi laissé se transformer la planète en un vaste terrain de jeu avec des règles établissant un régime de libre-échange, et ce en dehors de toute intervention et de tout consentement des peuples concernés, et sans qu’aient été établies par ailleurs des règles visant à garantir une concurrence plus loyale au travers de normes sociales, fiscales et environnementales plus proches de celles des pays développés. C’est comme si deux équipes de football devaient s’affronter sous l’autorité d’un arbitre qui ne tolérerait pas le moindre écart par rapport aux règles du jeu pour une équipe pendant qu’il fermerait les yeux sur les fautes commises par l’équipe adverse ; on imagine facilement laquelle des deux prendrait rapidement l’avantage.

Bertrand THEBAULT