Il y presque un mois, début avril, j’avais écrit un billet dont le titre était « Balade onirique ».  Je m’émerveillais alors de la nouvelle transparence de l’air et de la luminosité du ciel bleu azuré de ma banlieue parisienne. Si ce ciel pur était sans nuages depuis des semaines à cause d’un puissant anticyclone situé sur la Scandinavie, il présentait aussi un autre aspect tout à fait improbable en ce que nulle traînée de condensation ne le traversait, indication évidente que le transport aérien était en sommeil, ce qui veut dire que le principal, sinon l’unique vecteur de transmission du virus de la pandémie commencée en Chine continentale avait été neutralisé, au moins pour un temps dont on ne peut encore savoir s’il se comptera en semaines ou en mois.

Rapides, sûrs et confortables, les avions de ligne ont pu transporter d’un jour à l’autre et d’un continent à un autre des passagers porteurs du virus, permettant à l’épidémie du Covid-19 de se propager comme une traînée de poudre (elle aussi inventée en Chine !) alors qu’au temps de la marine à voile, il aurait fallu des mois avant de voir le premier voyageur infecté débarquer dans l’un de nos ports. Mais l’avion est aussi devenu un transport de masse avec plus de 4 milliards de passagers embarqués dans le monde en 2019, faisant exploser en période d’épidémie le nombre d’arrivées dans les aéroports internationaux de passagers potentiellement infectés après avoir été « confinés » les uns à côté des autres pendant plusieurs heures dans des avions d’une capacité de 300 à 600 sièges.

Rapidité et capacité élevée du transport aérien en font donc le vecteur privilégié de l’évolution d’une épidémie locale en une pandémie.

Mais quels sont les motifs de voyages de ces milliards de passagers ? Dans le contexte spécifique que nous connaissons, regardons quelle est la nature et l’importance du trafic aérien entre la France et la Chine, ce qui nous donnera une image assez représentative de ce qu’est le transport aérien au niveau mondial.

Ces hordes de passagers ont deux raisons bien distinctes de prendre l’avion : la première, de très loin et qui n’a pas grand-chose à voir avec la division internationale du travail, c’est le tourisme. La France est le premier pays d’Europe pour le nombre de touristes chinois avec 2,4 millions en 2019, en hausse de 9% par rapport à 2018. Cette croissance n’est pas surprenante compte tenu des nouveaux droits de trafic négociés à la demande de la Chine en 2017, lesquels prévoient le passage de 50 à 126 vols hebdomadaires par pavillon à partir de 2020, soit une augmentation de 100 à 252 vols pour les compagnies françaises et chinoises réunies, avec la volonté partagée de mieux desservir les aéroports de province en France et plus de villes « secondaires » en Chine.  

En comparaison du nombre de visiteurs chinois en France, celui des visiteurs français en Chine est beaucoup plus faible mais atteignait quand même le chiffre de 500 000 en 2018. A cela, il faut ajouter les Français expatriés vivant en Chine, évalués à quelques dizaines de milliers (20000 à 30000), mais ils sont amenés à effectuer plusieurs aller-retours durant leur séjour dans l’Empire du Milieu, contrairement aux touristes qui ne s’y rendront le plus souvent qu’une seule fois. Malgré ce chiffre somme toute assez faible, la France et l’Allemagne sont, à égalité, les deux membres de l’UE ayant le plus grand nombre d’expatriés en Chine avec 3% du total mondial, très loin derrière la Corée du Sud (21%) et les États-Unis (12%).

Il est intéressant de noter que la ville qui attire la plus forte proportion de résidents français est précisément celle de Wuhan d’où est partie l’épidémie avec 16,7% du total, devant Canton 15,8% et Shanghai 9,1% (source Sénat, données au 31 décembre 2018). Au niveau mondial, on notera également que le nombre d’expatriés français dans le monde a augmenté de 81% entre 2008 et 2018 pour atteindre 1,8 millions, ce qui constitue un indicateur cohérent avec la croissance de la mondialisation des échanges sur cette période. Cependant, en ce qui concerne la Chine, on constate depuis quelques années une décroissance du nombre d’étrangers expatriés due à l’amélioration constante des qualifications de la main-d’œuvre chinoise qui peut maintenant effectuer de plus en plus de tâches hautement qualifiées confiées précédemment à des étrangers.

Ce qui vient d’être dit suffit à montrer comment la propagation du Covid 19 a pu connaître une telle rapidité. Cependant, il paraît évident que la fréquentation touristique chinoise en Europe aura eu un impact sensiblement plus élevé que celui des quelques centaines de Français rentrés de Chine et isolés à leur arrivée en France. Dès lors, si la mondialisation des échanges est à bien des égards délétère pour l’environnement, la santé et le bien-être des humains, son ralentissement et sa transformation selon des principes de coopération mutuellement avantageuse pour le plus grand nombre, ne suffira pas à empêcher de futures pandémies si, la liberté actuelle de voyager étant préservée, ce qui semble souhaitable, voire impératif, nous ne mettons pas en œuvre des contrôles sanitaires rigoureux et si les États ne réagissent pas collectivement au niveau international pour fermer les frontières ou limiter drastiquement les voyages en cas d’alerte épidémique. Le pays concerné devrait, tout comme un patient infecté, être isolé des autres pays en fermant immédiatement ses frontières terrestres, maritimes et aériennes. Il aurait bien sûr à subir les conséquences économiques de cette mesure d’isolement, mais elle serait de loin préférable à celles que nous connaissons avec le Covid 19 à l’échelle de la planète.

C’est pourquoi un pays comme la France qui reçoit un grand nombre de visiteurs de Chine aurait dû fermer ses frontières aux ressortissants chinois à partir du moment où la virulence et la rapidité de propagation du Covid 19 étaient attestées. Or les autorités chinoises n’ont signalé les premiers cas suspects que le 31 décembre 2019 alors que les premiers symptômes étaient apparus trois semaines plus tôt, le 8 décembre. Malheureusement, les médecins ayant tenté d’alerter le public et les autorités chinoises sur ce qu’ils avaient constaté ont d’abord été bâillonnés. Quoi qu’il en soit des responsabilités des uns et des autres, les liaisons aériennes entre la Chine et de nombreux pays ont pu poursuivre leur rôle mortifère de vecteurs du virus, ce qui est démontré dans de nombreux pays par les cas « zéro » ayant séjourné à Wuhan, le même phénomène se produisant ensuite avec des personnes ayant séjourné en Italie, puis en Espagne, etc.    

Dans le cas de la France, le groupe Air France-KLM a interrompu ses services vers la Chine continentale le 30 janvier 2020, ne conservant que quelques vols le temps de rapatrier les clients et les personnels de la compagnie. En ce qui concerne Wuhan, l’arrêt des liaisons aériennes avait été décidé dès le 24 janvier. Mais la suspension totale des vols vers la Chine n’interviendra que le 20 février, date à laquelle le nombre de cas Covid 19 recensés en Chine atteignait près de 80 000 selon les statistiques officielles.

Avec cette pandémie, non seulement les prévisions de croissance du transport aérien sont largement compromises, mais le retour à son niveau d’avant la pandémie paraît tout aussi problématique. C’est un secteur, comme bien d’autres, dont il faudra sans doute repenser la finalité, le fonctionnement et le modèle économique.  

Extrait du chapitre 2 sur les « vases communicants », p.56  

« Avec l’apparition des moyen- et long-courriers, l’avion va se positionner comme unique moyen de communication rapide à longue distance pour les passagers et le fret à forte valeur unitaire. À cet égard, il est également devenu un élément clé de la mondialisation des échanges, complémentaire de la marine marchande. »   

 Bertrand