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Si petits et si grands à la fois!

Si petits et si grands à la fois!

Ce billet sera très différent de tous ceux qui l’ont précédé car bien que directement lié au livre, il s’écarte résolument des préoccupations concrètes du moment. Le lien, car il existe néanmoins, entre le texte qui va suivre et le monde dans lequel nous vivons est de nature plus existentielle ; oserais-je dire philosophique sans susciter la condescendance de ceux qui enseignent cette discipline ou ont pour objectif de la faire progresser, moi qui ne suis qu’un amateur en l’espèce, incapable d’enrichir ma réflexion en convoquant des références que je n’ai pas.

Mais il se peut qu’avoir conscience de ses faiblesses soit aussi une force.

Quoi qu’il en soit, je ressentais depuis longtemps le besoin d’écrire un billet qui soit en rapport avec le premier chapitre du livre afin de vous faire part d’une expérience qui a eu une influence prépondérante sur la forme que j’allais lui donner, celle d’un conte cosmique.

En préambule, je vous livre cet échange entre une professeure de physique et un de ses élèves de terminale. Elle introduit ainsi le sujet de son cours :

  • Nous allons aborder aujourd’hui le thème de la relativité dont la théorie sera pour toujours associée au nom d’Albert Einstein. Comme vous le savez sans doute, cette théorie s’appuie sur une loi physique fondamentale qui stipule que la lumière, et les ondes électromagnétiques en général, se propagent à une vitesse proche de 300 000 km/s et que cette vitesse est indépassable…

A ce moment, un élève l’interrompt :

  • Madame, il est possible d’aller beaucoup plus vite et d’atteindre en moins d’une minute les étoiles les plus lointaines.
  • Très intéressant ! Et peux-tu m’expliquer par quel prodige tu arrives à te transporter si loin et si vite ?
  • Par la pensée, Madame.

Nous allons donc faire un peu comme cet élève et pour cela partir d’un endroit approprié : la Cité de l’Espace située dans la ville de Toulouse. Mettez vos scaphandres et accrochez vos ceintures, nous partons vers les confins de l’Univers.

Août 2004, ma petite fille vient d’avoir six ans et je l’emmène avec moi visiter cette Cité de l’Espace inaugurée en 1997, espérant qu’elle y trouvera quelques activités ludiques en rapport avec son âge ou tout au moins qu’elle pourra rêver devant de belles images de galaxies, de planètes, de vaisseaux spatiaux et de cosmonautes…

Avant même de pénétrer dans le bâtiment principal, je remarque à l’extérieur un alignement de grands panneaux rectangulaires. Nous nous postons devant le premier d’entre eux, entièrement noir à l’exception de petites traînées claires ici et là qui me font penser à ces manteaux de cheminée en marbre noir veiné de blanc. Un bandeau placé au bas de cette image peu spectaculaire indique qu’elle représente l’espace vu de très loin avec des tâches claires qui correspondent à des amas de matière stellaire.

Sur le coup, je ne réagis pas, mais quelque temps après, me rappelant cette explication, je réaliserai qu’il serait tout à fait impossible d’obtenir une telle image de l’Univers, quel que soit le point d’observation choisi. A vrai dire, on ne peut pas voir l’Univers de loin puisque nous sommes toujours à l’intérieur, qu’il est impossible d’en sortir et donc de s’en éloigner. Si nous l’observons par exemple depuis la Terre, le jour nous voyons d’abord notre étoile, le soleil, la nuit la Lune et quelque fois, la lune et le soleil en plein jour. Au-delà de ces deux astres, tous les autres apparaissent comme des points lumineux de notre galaxie, isolés, mais nombreux, à savoir les étoiles et quelques planètes du système solaire. Avec un télescope, nous pourrions percevoir d’autres galaxies. Par conséquent, nous observons en tout temps des objets célestes proches, d’autres plus éloignés et d’autres enfin très éloignés, leur taille nous apparaissant en conséquence de plus en plus petite. Or l’image qui est devant nous n’a pas de profondeur, tout semble sur un même plan et ces taches lumineuses sont toutes à peu près de même dimension. Pour obtenir une photo qui ressemble à cette image, il faudrait couper l’Univers en deux par un plan infini et créer un espace rigoureusement vide entre les deux moitiés en les éloignant l’une de l’autre de quelques milliards d’années -lumières. Un observateur situé dos à l’une de ces moitiés verrait sans doute l’autre moitié comme représentée sur ce panneau !

A la station suivante, nous nous sommes rapprochés de cette autre moitié de l’Univers et pouvons maintenant percevoir que les zones blanches sont en fait des amas de galaxies dont la forme devient perceptible, la plupart d’entre elles ressemblant à de petites galettes en forme de spirale.

Puis se rapprochant encore pour s’intéresser à l’un de ces amas qui sont eux-mêmes constitués d’un réseau d’amas secondaires, nous entrons dans celui de la Vierge : c’est dans ce groupe de galaxies que nous habitons. A ce stade, les deux « moitiés » de l’Univers sont à nouveau rassemblées.

Nous voilà maintenant au-dessus de la voie Lactée, image qu’aucun humain ne pourra jamais contempler sous cet angle et à cette distance, mais la représentation qui en est donnée est d’une beauté fascinante avec ses longues chevelures d’étoiles disposées en spirales autour d’un centre éblouissant de lumière.

Nouvelle station qui nous emmène sur l’une de ces avenues d’étoiles pour y rencontrer la nôtre, le Soleil. Un peu plus près encore et ses satellites nous apparaissent. Dès lors, les images qui nous seront présentées correspondent vraiment à celles de la réalité que perçoivent nos appareils photographiques emportés à bord d’engins spatiaux. Au tout-début du voyage, notre vitesse atteignait des milliers de fois celle de la lumière, mais à l’approche de notre destination finale, nous commençons à décélérer.

Nous voilà dans la banlieue proche de la Planète bleue vers laquelle nous commençons notre descente. Les continents se dessinent clairement sous les volutes et les moutonnements nuageux. Celui que l’on appelle le Vieux Continent grossit sous nos pieds. A la verticale de l’Hexagone, nous commençons à percevoir des détails qui indiquent que la surface de cette planète a été modelée en de nombreux endroits sous l’effet de facteurs qui ne peuvent être ceux de mouvements telluriques, ou de la seule érosion naturelle provoquée par les phénomènes atmosphériques ; non, ce sont des interventions d’une tout autre nature qui sont à l’origine de ces dessins géométriques, de ces lignes innombrables qui relient entre elles des taches de couleur plus ou moins grandes qui contrastent avec les terres alentours, un réseau complexe qui rappelle celui du cerveau avec ses neurones et leurs synapses. Seule l’activité incessante des habitants de la planète a pu parvenir à ce résultat, comme cette vaste métropole qui s’étend à nos pieds et vers laquelle nous poursuivons notre descente pour nous retrouver enfin à la verticale d’un endroit où nous apercevons une grande fusée blanche indiquant que nous sommes arrivés au-dessus de la Cité de l’Espace !

L’instant d’après, nous touchons le sol en douceur, juste devant le dernier panneau qui est constitué d’un grand miroir dans lequel se reflètent deux humains, un homme aux cheveux grisonnants et une petite fille qu’il tient par la main…

Bertrand

Un monde nouveau

Un monde nouveau

Dans mon précédent billet, me demandant quel en serait le contenu alors que j’en avais déjà tapé les premières lettres et assemblé les premiers mots, je suis très vite arrivé à la conclusion que mon embarras provenait des incertitudes dans lesquelles nous sommes tous plongés en ces temps de pandémie, situation étrange qui fait surgir mille questions sur ce que sera demain, allant du plus concret au plus spéculatif et du plus court terme au plus prospectif.

Toutefois, il me semble que si nous avons des incertitudes sur le futur aussi bien proche que lointain, ce que met en pleine lumière l’attaque du Covid c’est en revanche la certitude que nous ne devrons plus, comme nous l’étions hier, rester spectateurs du monde qui se construit ou se détruit devant nous, mais devenir au contraire des acteurs de notre futur. Nous ne pouvons plus accepter que les orientations relatives à la manière de produire nos aliments, nos médicaments et notre énergie, à la protection de notre environnement ou à l’aménagement de nos territoires soient prises à huis clos, nous tenant systématiquement à l’écart de décisions aussi essentielles pour notre bien-être, voire notre survie. Se résigner à une telle situation me paraît totalement incompatible avec des institutions qui se veulent démocratiques.

Ainsi est-il proprement scandaleux que les négociations d’accords de libre-échange soient conduites dans la plus grande opacité alors que ceux-ci mènent, comme répété cent fois, à une division internationale du travail absurde qui n’a d’autre objectif que de permettre à quelques-uns d’accumuler des profits astronomiques au détriment des peuples et de la nature ; et si nous mesurons aujourd’hui dans la douleur les conséquences directes sur notre santé et notre vie de l’abandon de certaines productions de médicaments et d’équipements indispensables à la lutte contre le coronavirus, nous subissons aussi depuis des décennies les conséquences d’une désindustrialisation de notre pays, et pas seulement le nôtre, génératrice de chômage massif, de pertes de savoir-faire, de réduction des ressources de l’État, justifiant des politiques d’austérité qui détricotent peu à peu le contrat social et font au bout du compte régresser la société dans toutes ses composantes.

De même, le recours à l’énergie nucléaire pour satisfaire notre confort au prix d’un risque inacceptable pour nos vies et nos territoires n’a jamais fait le moindre semblant de concertation avec la population, le bien-fondé de cette politique énergétique mortifère n’ayant même pas été questionné par nos dirigeants malgré les catastrophes majeures survenues en Ukraine et au Japon.

Sur le laisser-faire quasi total en matière d’aménagement de nos territoires, le Covid nous fait à nouveau toucher du doigt cette impéritie de nos gouvernants depuis plus d’un demi-siècle. Il y avait déjà eu le problème des coûts du carburant pour les trajets domicile-travail comme élément déclencheur du mouvement des Gilets jaunes. Avec les perspectives de déconfinement, la nécessité pour des millions de travailleurs d’emprunter à nouveau les transports en commun avec les risques sanitaires que cela présente montre à quel point l’absence totale de planification visant à mieux intégrer zones d’activités et zones de résidence conduit à des transhumances quotidiennes chronophages, coûteuses et fatigantes, ainsi qu’à d’autres conséquences néfastes que je ne peux pas toutes citer ici (je vous renvoie aux développements du livre).

Nous avons donc à envisager notre contribution au futur de notre société de manière beaucoup plus active, ne se limitant plus à quelques minutes passées dans un bureau de vote tous les cinq ans, même si ces quelques minutes sont importantes et devraient permettre à l’avenir d’éviter de confier la maîtrise de l’incendie planétaire à ceux qui n’ont cessé d’attiser le feu depuis quarante ans. S’informer, discuter, échanger et militer ne devrait plus être le fait d’une minorité de citoyens engagés dans la transformation de la société ; il faut que cet éveil des consciences et cette contribution du plus grand nombre à un processus démocratique authentique se manifestent au lendemain de la sortie de la tragédie du Covid. Les citoyens doivent s’emparer des grandes questions que j’ai évoquées dans ce billet et ne plus laisser une oligarchie décider pour nous tous.

Au-delà des incertitudes, cela doit devenir une promesse qu’il nous faut tenir avec certitude, et ouvrir ainsi la voie vers un monde nouveau porteur de progrès humain.   

 Court extrait du chapitre 5, partie consacrée à « D’abord la démocratie », p. 263 :

« Posons-nous une question simple : les citoyens français peuvent-ils se sentir bien associés aux choix politiques des gouvernements qu’ils ont portés au pouvoir depuis des décennies ? »

Bertrand

Où allons-nous ?

Où allons-nous ?

Je commence moi-même ce billet sans trop savoir où je vais, sans avoir en tête un semblant de plan, sans entrevoir le message qu’il pourra transmettre, avec pour seul espoir que ces quelques lignes auront peut-être un brin d’utilité. Je vais donc réfléchir en écrivant avec pour seule boussole mon souhait de ne pas chercher absolument à établir un lien au travers de ce billet entre l’actualité et mon livre, ce que je faisais systématiquement jusqu’à ce jour. Il est donc probable que je ne vous en proposerai pas non plus un extrait, comme à l’accoutumée.

Mais alors, me direz-vous, pourquoi vouloir écrire à tout prix quand on n’a rien à dire ? Sachez chères lectrices et chers lecteurs, d’abord qu’une telle situation ne s’est jamais présentée, quelles qu’aient été les circonstances ; ensuite, que ce que j’ai à dire est sans doute encore trop confus, mais je ne m’attends pas pour autant à ce que ce soit totalement insignifiant. Alors, un peu de patience, s’il-vous-plaît ! Il se pourrait par exemple que mon embarras vienne des inquiétudes que je ressens devant l’abîme d’incertitudes dans lequel nous précipite la pandémie du Covid. Et tout en y réfléchissant, je crois bien que c’est cela avant tout qui me pousse à rédiger ce billet : un abîme d’incertitudes ! Tout comme la nature a horreur du vide, l’être humain a horreur de ne pas savoir vers quelle destination il est emmené, de ne pas avoir une idée assez claire de ce que sera demain et de ne plus pouvoir faire de projets, fussent-ils à relativement court terme. Et dans les circonstances dramatiques auxquelles nous sommes confrontés, de simplement se demander si dans une semaine ou dans un mois, nous serons encore en vie…

Il faut bien reconnaître en effet que les incertitudes ne manquent pas ! Le monde entier est à la recherche du virus meurtrier, mais à ce jour, son signalement et son comportement restent imprécis. Quels sont ses moyens de transport préférés en dehors de nos exhalations nasales et buccales ? Aime-t-il voyager avec les poires et les tomates achetées au marché ou préfère-t-il se mettre à l’affût sur une rampe d’escalier, attendant de s’accrocher à la main imprudente qui se posera sur lui et le conduira peut-être vers ce milieu humide et vivant de nos bronches qu’il affectionne tant et où il pourra en toute impunité accomplir son œuvre macabre ? Quels seraient les pièges les plus efficaces pour le capturer et l’anéantir, comment lui tendre les embuscades d’où il ne pourrait pas s’échapper ? Et comment faire pour lui interdire toute intrusion dans notre précieux appareil respiratoire ?

Las, les réponses à ces questions restent souvent vagues et indécises, que ce soit de la part de nos fins limiers du corps médical ou des stratèges hésitants qui ont annoncé à tout le monde qu’il fallait se mettre aux abris – pour ajouter à l’angoisse, le stratège en chef a dit que nous étions en guerre – et d’atomiser ainsi les foules en priant chacun de ne plus quitter son abri, autant que faire se peut. Mais alors, une nouvelle rafale de questions et d’incertitudes surgit : est-ce qu’il sera dangereux de sortir des abris quand les stratèges le permettront, la chasse au Covid aura-t-elle permis de tous les éliminer ou bien restera-t-il encore de nombreux snipers qui feront ici et là des victimes innocentes ? Obligera-t-on la plus grande part de la population à s’exposer au risque d’être touchés par ces snipers, exposition nécessaire à la relance de notre économie et de nos productions d’avant Covid, ou bien ce risque sera-t-il humainement acceptable grâce à des moyens et des stratégies de protection efficaces contre ces attaques isolées ?

Puis vient LA question de l’après Covid : dans quel monde souhaiterions-nous vivre et dans quel monde nous ferons réellement vivre les stratèges aux commandes, selon qu’ils seront ceux qui gèrent aujourd’hui de manière brouillonne la lutte contre le virus, ou que d’autres les auront remplacés ? Vous vous en doutez, j’ai ma petite idée sur la question, mais comme je l’avais annoncé dans mon précédent billet, j’y reviendrai à la prochaine livraison dans le format habituel en donnant un extrait du livre.

Alors, oui, toutes ces incertitudes sont anxiogènes et me laissent dans un état mental que je n’avais jamais ressenti jusqu’alors, comme la plupart d’entre vous je suppose. Je voulais vous le dire sans trop savoir comment, mais tout comme l’appétit vient en mangeant, l’inspiration vient en écrivant !

Bertrand   

32ème Salon du Livre de Cosne-sur-Loire

32ème Salon du Livre de Cosne-sur-Loire

Les organisateurs de ce salon me font savoir que la période initialement prévue du 28 au 30 mai est reportée aux 18, 19 et 20 septembre, ce qui a l’avantage de coïncider avec la période de la rentrée littéraire. J’espère donc que cette fois sera la bonne et que le Covid nous aura laissé en paix d’ici là.

J’espère aussi que ce sera l’occasion de nouvelles rencontres autour de mon livre qui est plus que jamais dans l’air du temps et ouvre de nouvelles perspectives pour envisager un monde nouveau porteur de progrès.

Bertrand

Le Covid m’a rassuré

Le Covid m’a rassuré

            Au moment d’adresser mon manuscrit à une sélection d’éditeurs fin 2016, j’ai été pris de quelques doutes, voire de quelques vertiges, sur la manière dont j’avais abordé la question depuis longtemps débattue sur les supposés bienfaits et les tout à fait avérés méfaits de la mondialisation (ou plutôt de la mondialisation globalisante !).

En effet, comment le béotien que je suis en « science » économique pouvait-il porter un jugement aussi définitif et aussi négatif sur le développement du commerce sans entraves entre les pays des cinq continents ? Moi qui n’avais pas étudié les incontournables auteurs de référence, les Britanniques Adam Smith, Thomas Malthus, David Ricardo, John Stuart Mill et John Maynard Keynes sans oublier l’Allemand Karl Marx et l’Étatsunien Milton Friedman, tous ces grands accoucheurs de théories économiques aussi nombreuses que différentes, comment pouvais-je me lancer dans des analyses aventureuses sur les conséquences des accords de commerce conclus sous les auspices du GATT, puis de l’OMC, et maintenant dans le cadre d’accords bilatéraux de libre-échange ?

J’aurais pu consacrer du temps, beaucoup de temps, à m’imprégner de ces théories, mais je n’aurais sans doute pas écrit ce livre ; et à supposer que j’aie quand même réussi à le faire dans des journées qui n’ont que vingt-quatre heures comme chacun sait, alors aurais-je été capable de réfléchir avec le degré d’indépendance qui a été le mien ? Je ne cherche pas à trouver des excuses à ma relative paresse de lecteur, mais je ne peux m’empêcher de penser que la créativité est amoindrie par trop d’influences venues de l’extérieur. Tous ces peintres qui sont allés chercher leur inspiration, mais aussi des techniques, je l’admets, auprès de grands maîtres en Italie, Espagne, Hollande ou ailleurs, auraient-ils été plus créatifs s’ils ne l’avaient pas fait ? Qui peut répondre à une telle question ?

Alors, me direz-vous, sur quels fondements mes analyses reposent-elles ?

Pour faire court, je dirai sur l’observation et surtout l’information, celle que les médias de tout bord nous envoient sur l’état du monde. De ce point de vue, malgré toutes les précautions qu’il convient de prendre avant de donner crédit à une information quand les infox se répandent à la vitesse de la lumière, il faut bien reconnaître que nous disposons de données autrement plus nombreuses, précises et diversifiées que celles dont pouvaient disposer nos économico-socio-philosophes des 18ème et 19ème siècles. D’ailleurs, il est possible d’envisager que ceux-ci n’auraient peut-être pas écrit exactement la même chose s’ils avaient pu bénéficier de ce luxe de statistiques, de recensements et d’enquêtes de toutes sortes qui sont à notre portée. Et ils auraient sûrement révisé encore plus leurs théories s’ils avaient eu à observer eux-mêmes un monde qui ressemble au nôtre, avec une humanité qui aura bientôt atteint huit milliards d’habitants, qui consomme plus que ce la nature peut produire, qui détruit son environnement et provoque une sixième extinction des espèces vivantes ; et j’ajoute, qui voit la richesse la plus insolente et la plus extrême coexister avec la pauvreté la plus insupportable.

Alors pourquoi proposer des analyses économiques, sociales ou sociétales en ce début de 21ème siècle qui s’inspireraient de théories fondées sur des réalités bien différentes qui étaient celles d’il y deux ou trois siècles, sachant par ailleurs que les auteurs de ces théories ne disposaient que d’une connaissance assez partielle et imprécise des réalités de leur temps, notamment en termes quantitatifs ?

Mais à l’arrivée, et il me semble que nous touchons maintenant un point d’aboutissement avec la tragédie du Covid-19, il faut vérifier que les analyses faites sur les fondements de l’observation et des informations que j’ai collectées au fil du temps ont bien permis de mieux comprendre les mécanismes qui sont à l’œuvre dans la mondialisation et d’en expliquer toutes les conséquences, observées ou vécues. Eh ! bien, il se trouve qu’avec ou sans cette pandémie, NEMESIS avait identifié (le jugement et la sentence arriveront plus tard) les vrais coupables et mis au jour les moyens qu’ils utilisent pour commettre leurs forfaits. A vrai dire, il n’y a pas là de grandes trouvailles, mais les liens sont clairement établis entre une idéologie, les procédures et moyens pour sa mise en œuvre et l’éventail des conséquences que nous connaissons tous. L’irruption du Covid ne fait qu’exacerber ces conséquences à un degré qui dépasse les hypothèses les plus sombres. Oui, la globalisation imposée aux populations de la planète est dans ses effets ultimes encore pire que tout ce que l’on pouvait imaginer ! Il est piquant de se rappeler simultanément, d’un côté l’affirmation de Montesquieu selon laquelle le commerce adoucirait les mœurs et de l’autre, les mots de M. Macron qui évoque avec insistance une « guerre » menée contre un virus dont la diffusion à grande échelle et à grande vitesse résulte précisément de la liberté extrême du commerce, cette liberté réservée aux marchands et qui nous prive en plus des moyens de nous défendre correctement.  

Me voilà donc un peu rassuré : malgré ma méconnaissance des sommités qui ont élaboré la « science » de l’économie au cours des trois derniers siècles, je crois avoir compris pourquoi ce monde marche sur la tête.

Comment trouver les moyens de le remettre à l’endroit ? C’est une autre question que j’aborderai avec précaution dans un prochain envoi.

Extrait chapitre 5 p. 336 (note sous schéma)

« La perspective de profits élevés permet à des affairistes ou des multinationales d’accéder à des financements, lesquels associés à des technologies performantes offrent l’opportunité, grâce aux accords de libre-échange très avantageux de l’OMC, de développer des activités lucratives, mais qui provoquent des dommages humains et environnementaux ; ceux-ci vont créer de l’instabilité sociale et des tensions régionales, lesquelles peuvent déboucher sur des conflits armés et des régimes autoritaires qui sont autant de foyers potentiels du terrorisme ou de sources de flux migratoires. »

Bertrand

En marche arrière

En marche arrière

Dans la conclusion de l’essai, j’ai osé écrire ce qui suit :

« … la protection de la santé revêt une telle importance que tout chef de gouvernement devrait être en même temps responsable du ministère de la santé ; à défaut, aucun projet de loi, aucune décision, de quelque nature qu’elle soit, ne saurait être prise sans l’accord de ce ministère. »

Et j’ajoutais que les règlements européens « ne pourraient être adoptés si leur innocuité en matière de santé n’a pas été démontrée. »

            Ces préconisations sont la conséquence logique du principe mis en avant dans le chapitre consacré au bien-être, principe selon lequel celui-ci ne saurait être atteint sans le bénéfice d’un état de santé satisfaisant. Par conséquent, si le bien-être d’une population est l’objectif fondamental que devrait poursuivre un gouvernement qui place l’humain au centre de son action, toutes les décisions qu’il prend devraient concourir au maintien et à l’amélioration de l’état de santé général de cette population. Tout autre objectif ne pourrait être que superflu, voire contrarier éventuellement l’objectif primordial. J’avais un temps envisagé de placer dans mon essai une sorte de puzzle dont la partie centrale aurait été constituée d’une pièce représentant la santé avec de multiples ramifications qui se seraient emboîtées avec les autres pièces relatives aux activités humaines afin de montrer visuellement qu’aucune d’entre elles ne peut se développer sans avoir un lien plus ou moins important avec notre état de santé, un peu comme notre cerveau qui réagit au moindre signal provenant des organes et autres parties du corps auxquels il est relié par notre système nerveux. Mais après quelques tentatives peu convaincantes, j’ai finalement renoncé à dessiner ce puzzle !

            Il n’aura échappé à personne qu’aucun pays au monde n’a à ce jour mis en œuvre un projet de société qui répondrait à ce que je propose, alors que je ne suis sans doute pas le premier à accorder à la santé une telle importance et à le faire savoir en l’écrivant ; encore faudrait-il être lu en ce qui me concerne ! Mais il y a bien pire que la considération toute relative que les responsables politiques accordent aux conséquences de leurs décisions sur la santé de la population dont ils sont en théorie responsables, puisqu’en effet, nombre d’entre eux n’hésitent pas au contraire à sacrifier la santé, et au bout du compte, la vie de leurs concitoyens, à des objectifs tels que la croissance du PIB, la recherche obsessionnelle d’économies budgétaires en rognant sur les dépenses publiques tout en accordant avec cynisme des réductions d’impôts aux plus riches, la poursuite d’un modèle économique fondé sur la surconsommation, le profit et l’épuisement des ressources naturelles, tout cela pouvant aller jusqu’à la négation chez certains des effets de l’activité humaine sur le réchauffement climatique et sur l’extinction rapide de milliers d’espèces vivantes.

            Le Covid-19 révèle de manière très concrète que la réduction des capacités hospitalières et l’absence de moyens de protection élémentaires au nom des objectifs que je viens d’énumérer se traduira par des centaines de milliers de morts supplémentaires à travers la planète. Le monde est donc aux antipodes de projets de société centrés sur la santé et le bien-être des populations. Pour la France, l’inimaginable est accompli quand, dans la situation dramatique qu’il nous faut affronter, le directeur de l’Agence Régionale de Santé du Grand-Est n’hésite pas à rappeler que doit être mis en œuvre le plan d’économies visant à licencier près de 600 personnes et à supprimer 174 lits dans le CHRU de Nancy ! On se pince ! Comment peut-on atteindre un tel degré d’irresponsabilité, à moins que ce ne soit de la pure provocation, quand les malades du Covid meurent dans cette région par milliers et qu’il faut mobiliser des transports par air et par le rail pour libérer des places dans des lits en nombre insuffisant ? Irresponsable, provocateur, inconscient ou simplement exécutant zélé de la politique d’austérité voulue par le pouvoir central depuis des années. On se pince encore quand le chef de l’État limoge ce directeur qui n’a fait, certes sans grand discernement, mais qui n’a quand même fait que rappeler un des éléments constants de la politique voulue par la majorité actuelle et les précédentes. À la décharge de ce directeur mal inspiré, il est très probable qu’il se serait abstenu d’une telle déclaration si M. Macron, dès sa première intervention télévisée à propos du Covid avait solennellement annoncé qu’il mettait un terme définitif à la politique de démantèlement de l’hôpital public et qu’il répondrait aux appels désespérés des personnels de santé autrement que par des gaz lacrymogènes ! On attend toujours qu’il le dise clairement et qu’il commence à le faire autrement qu’en désignant un bouc émissaire.

            Bertrand

Et ils continuent!

Et ils continuent!

Pendant que des êtres humains meurent en grand nombre dans les hôpitaux, les EHPAD ou chez eux, pendant que leurs familles les pleurent sans avoir pu leur apporter réconfort et affection avant le moment fatal, pendant qu’ils sont inhumés ou incinérés presque en catimini sans qu’un dernier hommage puisse leur être rendu par tous leurs proches, familles et amis, pendant que les vivants ressentent de plus en plus cette peur au ventre d’être parmi les prochaines victimes du virus, pendant que la violence éclate au sein de familles qui s’entassent dans des logements trop exigus, pendant que nous nous demandons tous dans quelle sorte de monde nous allons vivre à la sortie de ce cauchemar, pendant tout ce temps-là, que font les eurocrates de Bruxelles ? Ils continuent !

Ils continuent à bricoler le monde d’avant, le monde qui nous a conduits au désastre environnemental, au moins-disant social, à la propagation de ce coronavirus dans un temps record à travers la planète tout entière, à un drame sanitaire doublé d’une crise économique qui rendra les pauvres encore plus pauvres sans que les plus riches n’aient à en souffrir, à priver des populations entières des ressources vitales pour affronter cette pandémie par l’instauration d’une division planétaire du travail poussée jusqu’à l’absurde pour le seul motif d’augmenter encore et encore les profits de quelques-uns.

Ils continuent donc à négocier, signer et mettre en œuvre de nouveaux accords de libre-échange (ALE) plus favorables que jamais au monde marchand et au monde de la finance : après le Canada (CETA), le Japon (JEFTA), Singapour et le Vietnam, la Commission entrevoit de nouvelles perspectives enthousiasmantes avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, ne désespère pas de reprendre les négociations avec le MERCOSUR (Amérique du sud) et pourrait prochainement conclure une série d’accords avec les États-Unis, les négociations sur le TAFTA ayant été interrompues depuis l’arrivée de Trump au pouvoir. Mais elle a aussi comme objectif de poursuivre des discussions en vue d’inclure de nouveaux États à une Union européenne plus chancelante que jamais avec le Brexit qui confirme le peu de confiance qu’accordent les citoyens européens à cette construction néolibérale. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que d’envisager par exemple l’entrée dans l’Union de pays de l’ex-Yougoslavie comme la Macédoine du Nord ou l’Albanie, États rongés par la corruption dans lesquels la mémoire des conflits ethniques qui ont ravagé les Balkans est loin d’être effacée, et où les salaires minimums sont parfois inférieurs à 300 € ! De tels nouveaux entrants dans l’Union seraient une aubaine de plus pour les gargantuas du profit qui ne manqueraient pas de mettre en concurrence ces travailleurs très pauvres avec ceux des pays les plus riches et de tirer encore plus vers le bas le niveau de vie de leurs ressortissants.

Comment Ursula von der Leyen, nouvelle présidente de la Commission, peut-elle oser communiquer sur son « Pacte vert pour l’Europe » (European Green Deal) tout en demandant à ses fonctionnaires – avec bien sûr l’assentiment des dirigeants européens actuels – de poursuivre des négociations sur de nouveaux ALE qui vont encore augmenter la folle intensité des échanges, ce qui ne peut qu’aggraver le réchauffement climatique et notre dépendance à des pays étrangers, parfois situés à l’autre bout du monde, pour accéder à des productions essentielles et stratégiques ? Comment peut-elle envisager de nouvelles adhésions à l’Union quand celle-ci a suscité le rejet des citoyens britanniques devant son incapacité à proposer un projet mobilisateur visant par exemple à harmoniser les règles fiscales – on ne compte plus les paradis fiscaux dans l’Union -, la protection sociale, les codes du travail et les règles environnementales. Voilà une perspective qui relève sans doute de l’utopie, mais faut-il pour autant persister dans cette marche forcée de l’Europe vers une dystopie qui a commencé à prendre corps depuis plusieurs décennies ? Faut-il chercher à ajouter encore des cartes sur un château qui menace de s’écrouler complètement ou bien reconstruire cette Europe sur de nouveaux principes fondateurs tenant compte des besoins réels de ses populations, plutôt que de sacrifier à la doxa néolibérale ?

Extrait du chapitre 5, p. 319 :

 À terme, un Code général des Impôts européen devrait voir le jour, parallèlement à des lois sociales harmonisées dans les domaines de la santé, de l’indemnisation du chômage, des pensions de retraites ou du salaire minimum, toutes dispositions qui permettraient d’instaurer une concurrence loyale et de créer enfin les conditions d’une véritable intégration économique qui aurait dû prévaloir avant même l’introduction de la monnaie unique.

 Bertrand

Balade onirique

Balade onirique

Attestation dérogatoire en poche et dûment complétée, j’effectuais dimanche après-midi une marche devenue quotidienne dans ce quartier résidentiel de banlieue aux rues presque désertes sans avoir besoin de me mettre en apnée au passage de ces voitures dont je ne supporte pas l’odeur des émanations de leurs moteurs diesels, puisque de voitures il n’y en avait pour ainsi dire pas ! Tout en marchant d’un pas alerte, j’admirais le miracle sans cesse renouvelé de la nature qui transforme doucement chaque plante, chaque arbre et chaque arbrisseau, agrémentant les parterres et les arbres de mille fleurs délicates, tandis que de nouveaux feuillages naissants aux verts tendres commencent à égayer les ramures sombres et austères de l’hiver…

Puis j’ai soudain noté quelque chose d’inhabituel dont je n’avais pas vraiment pris conscience les jours précédents : tout ce que voyais, de près ou de loin, me paraissait plus net, plus lumineux, plus contrasté, comme si ma perception visuelle s’était miraculeusement améliorée, à tel point que je n’avais pas le souvenir d’avoir jamais fait une telle constatation depuis mon arrivée dans cette banlieue, au début des années soixante-dix !  

Pourtant, cette sensation de vision « augmentée » ne m’était pas inconnue ; très vite, mes souvenirs me firent remonter le temps et me ramenèrent d’un coup d’ailes sur une terre antipodaire où je m’étais posé en ce jour de septembre 1996 et où je passerais six années de ma vie. Dès les premiers jours, j’avais alors remarqué l’extraordinaire transparence de l’air et cette luminosité incomparable qui me faisait voir les choses avec tant d’acuité. Au cours de cette marche « déconfinée » dans ma banlieue, je me suis également souvenu de ma toute première escapade vers l’île des Pins avec mon ami Maurice, ébloui que j’étais par les couleurs éclatantes du lagon que nous survolions, par la blancheur des plages qui ceinturaient les îlots, contrastant avec le vert foncé des pins colonnaires qui les bordaient et dont on pouvait distinguer de loin la silhouette si particulière. Je fis également dès le premier week-end l’ascension de ce promontoire au nom étrange de Ouen Toro. De cet endroit, j’avais une vue imprenable sur la plage de l’Anse Vata avec sa promenade, ses quelques hôtels et un peu plus au large, sur l’île aux Canards et sur l’îlot Maître. La perception si limpide de ce paysage de rêve m’incita à prolonger ma pause avant de redescendre afin d’observer le soleil déclinant. A l’image de tout le reste, la ligne d’horizon était d’une grande finesse, surmontée de quelques nuages cumuliformes très épars, une situation idéale pour un pilote de voltige… Le disque solaire rougeoyant qui avait lui-même des contours très nets touchait maintenant la ligne d’horizon, et le voyant sombrer peu à peu dans l’océan Pacifique, je fis un petit calcul mental qui me fit prendre conscience qu’entraîné par la rotation de la terre, je reculais à une vitesse de quelque 1500 km/h, sans rien sentir pour autant, puisque tout ce qui m’entourait était entraîné à la même vitesse, y compris l’air si pur dans lequel je respirais. A l’instant où disparaissait l’ultime calotte solaire, j’avais espéré observer ce rayon vert magique, mais sans succès !

Revenant à la réalité de ma promenade dominicale, je compris que nous vivions en ce printemps 2020 un moment étrange qui, par l’invasion d’un virus meurtrier, nous donnait à voir ce que nous n’avions jamais vu de mémoire d’homme dans nos régions urbanisées, habituellement soumises à une vie trépidante, envahies par le trafic incessant de nos véhicules routiers, soumises à des milliers de mouvements d’avions et plongées dans une pollution permanente qui finit par provoquer, bon an, mal an, bien plus de morts prématurées que le redoutable virus.

Et constatant la situation inédite que nous vivions, qui avait depuis quelques semaines mit un coup d’arrêt à nos habitudes de consommation excessive pour laisser la place à un mode vie plus frugal et dans lequel les humains avaient retrouvé le temps de vivre, je me mis à rêver d’un monde nouveau qui nous offrirait un air purifié, qui nous ferait voir les arbres et les fleurs comme je les avais vus dans la passé sur ce Caillou lointain, qui nous ferait à nouveau entendre le chant des oiseaux et où nous aurions enfin retrouvé la maîtrise de notre destinée, devenus sourds aux injonctions de la publicité et renouant avec le progrès humain, celui qui donne la priorité à notre santé et bannit tout ce qui pourrait la compromettre. Pour l’heure, ce rêve a pris corps, le temps de la mise en sommeil de notre société marchande, mais paradoxalement, il s’accompagne aussi du cauchemar de cette pandémie mortelle.

Sacrifiant à la coutume maintenant bien établie de vous offrir un extrait de mon essai, j’ai choisi ce passage du préambule :

Les conditions qui ont permis à la vie telle que nous la connaissons de se développer sur Terre sont le fruit d’un extraordinaire hasard. Il est tout aussi extraordinaire que l’environnement dans lequel nous puisons toutes nos ressources pour vivre ait l’élégance de nous offrir en prime le spectacle sans cesse renouvelé de couchers de soleil somptueux, de montagnes à la blancheur éclatante, de vagues qui n’en finissent jamais de se fracasser sur des côtes rocheuses ou au contraire, de mourir paresseusement sur des plages de sable fin… Ne serait-il pas criminel d’abîmer tant de beauté et de gaspiller sans retenue des ressources que nous savons limitées ?

Bertrand

Cancres ou mystificateurs ?

Cancres ou mystificateurs ?

Les dirigeants de certains pays du monde révèlent depuis quelque temps leurs pires travers sous une forme exacerbée dans la situation sans précédent provoquée par la pandémie du Covid-19. Xi Jinping met la population chinoise sous surveillance étroite, Bolsonaro et Trump pensent d’abord à « sauver » l’économie du Brésil et des États-Unis, quitte à devoir assumer des centaines de milliers de morts, Orban prend les pleins pouvoirs en Hongrie, Duterte aux Philippines ordonne à sa police de tuer les contrevenants aux mesures de confinement… 

Quant au Président français il s’adresse à la population en tenant des propos qui laissent perplexes avec cet appel insistant au « sens des responsabilités » de ses compatriotes et les louanges adressées aux personnels soignants dont il flatte « l’abnégation patriote ». Voilà qui est bien naturel dans le contexte de la crise sanitaire que nous connaissons et pourtant, cela interroge : depuis plus d’un an, ces personnels manifestent leur désarroi et leur manque de moyens, réclament des effectifs, des lits et du matériel, des salaires à hauteur des services immenses qu’ils rendent à la nation ; au bout du compte ils demandent simplement de ne pas laisser mourir l’hôpital et reçoivent pour toute réponse l’envoi des CRS quand ils manifestent paisiblement. Mais quel sens des responsabilités les détenteurs du pouvoir, et l’actuel peut-être plus que tout autre auparavant, ont donc manifesté en supprimant méthodiquement dans les hôpitaux des dizaines de milliers de lits qui font cruellement défaut à l’heure où les services ne savent plus où mettre les malades et où se remplissent les morgues ?

Notre Président ajoute encore : « beaucoup de certitudes, de convictions sont balayées, seront remises en cause » et « le jour d’après quand nous aurons gagné (ce qu’il appelle la guerre !), ce ne sera pas un retour au jour d’avant ». A ce stade, on pourrait se poser encore plus de questions préoccupantes sur la lucidité du chef de l’État : il aura donc fallu une crise d’une ampleur inouïe comme celle du coronavirus pour que lui-même et son gouvernement prennent conscience de l’importance d’un système de santé robuste pour garantir un accès rapide et efficace aux soins quand la maladie frappe, et que le maintien en santé d’une population relève des priorités absolues d’un État, et pas seulement en temps de pandémie ! C’est un peu comme le cancre sourd aux remontrances qui se mettra enfin à travailler sérieusement à l’école pour récupérer le téléphone portable confisqué par ses parents…

Mais le doute persiste néanmoins et cette comparaison ne reflète peut-être pas la réalité car si l’on trouve dans le même discours aux Français la nécessité de renforcer les « mesures pour réduire nos déplacements et nos contacts au strict nécessaire », mais aussi la nécessité d’une « union nationale » et de faire preuve de « solidarité », on se demande alors pourquoi de nombreuses entreprises non « essentielles » sont autorisées à fonctionner et que les inspecteurs du travail seraient menacés de sanctions quand ils demandent à certains employeurs de mettre leurs employés en chômage partiel s’ils ne sont pas en mesure de prendre les mesures de protection adéquates ; et s’agissant de solidarité, comment ce détenteur du pouvoir peut-il oser mettre cette belle idée en avant quand il se refuse lui-même obstinément à simplement suspendre les cadeaux faits aux plus riches sous forme de suppression de l’ISF sur les patrimoines financiers, de très loin plus importants que les patrimoines immobiliers, et de l’instauration d’un prélèvement forfaitaire très favorable sur les revenus du capital, ou « flat tax ».

Alors, cancres ou mystificateurs ? Vous en penserez ce que vous voudrez, mais je penche personnellement pour la seconde option.

Et pour rester fidèle à l’habitude prise depuis de longues semaines de vous proposer un extrait du livre en rapport avec mon billet, je vous livre les premières lignes du chapitre 4 consacré au bien-être (p. 173) :

« Aux alentours du premier janvier de chaque année, nous sacrifions, de bonne ou mauvaise grâce, au rite des vœux que nous adressons par écrit ou verbalement à nos proches, famille et amis. Nous adaptons parfois nos souhaits selon la situation des personnes auxquelles nous nous adressons, mais quasi invariablement, il en est un que nous faisons passer avant tous les autres : celui d’une très bonne santé ! C’est un souhait que nous adressons aux autres tout en espérant dans notre for intérieur que nous ne connaîtrons pas nous-mêmes la maladie au cours des douze mois à venir, et bien au-delà évidemment… La santé est donc constamment plébiscitée comme bien le plus précieux que nous espérons ne jamais perdre. »

Bertrand

L’autre pandémie

L’autre pandémie

            L’INSEE, institution créée le 27 avril 1946, est une mine d’informations qui peuvent parfois nous faire mesurer les terribles inégalités qui existent au sein de la société. Prenons par exemple les chiffres de l’espérance de vie à 35 ans pour les femmes et les hommes selon leur niveau de diplômes. Sur la période 2009-2013, l’espérance de vie des personnes ayant un diplôme supérieur au baccalauréat était de 52,2 ans pour les femmes et 48,2 ans pour les hommes, contre 48 ans et 40,7 ans respectivement pour celles et ceux n’ayant aucun diplôme. Les femmes à « bac + » qui ont 35 ans peuvent donc espérer vivre en moyenne jusqu’à 35+52,2=87,7 ans, celles sans diplôme jusqu’à 35+48=83 ans, soit un écart de 4,7 ans ; pour les hommes, cet écart est de 7,5 ans. On pourrait aussi dire qu’une femme à « bac + » vivra 11,5 ans de plus qu’un homme sans diplôme.

            Pour écrire ce billet, je n’ai pas fait les recherches et les calculs nécessaires pour déterminer le nombre de décès prématurés annuels auxquels conduisent ces chiffres, mais en France ils s’élèvent sans doute à quelques centaines de milliers compte tenu d’un nombre total de décès de l’ordre de 600 000 par an (612 000 en 2019, soit une moyenne de 1676 par jour). Dans le monde entier, ils devraient se chiffrer par dizaines de millions.

            Il n’est pas difficile de percevoir que la corrélation établie par l’INSEE entre espérance de vie et niveau d’instruction n’est pas fortuite : statistiquement, plus ce niveau est élevé, meilleures sont les conditions de travail, meilleurs sont les revenus, meilleure est la qualité de vie et surtout meilleur sera l’état de santé, donc plus élevée sera l’espérance de vie. Rien de bien original dans ce constat. Pourtant, les médias ne font jamais aussi crûment le rapprochement entre niveau de vie et morbidité, et si je ne peux pas fournir dans cet article le nombre de décès prématurés dus à la pauvreté combinée avec la pénibilité des conditions de travail c’est bien parce que de telles données sont occultées compte tenu de leur caractère émotionnel. De fait, cette injustice presque escamotée dans le débat public, mais qui est pourtant la plus insupportable de toutes, est tacitement acceptée, y compris par ceux qui en sont les victimes, comme si c’était une donnée quasi naturelle que toutes les sociétés ont connue et connaîtront jusqu’à la fin des temps ! Il est probable que le désastre du Covid-19 est en train d’amplifier cette injustice puisque les conditions de vie des plus modestes, notamment en matière de logements, provoquent d’ores et déjà des niveaux de contamination plus élevés que dans les familles aisées. Nous aurons sans aucun doute des données précises lorsque le bilan de cette épidémie sera établi.

            Peut-on pour autant accepter cet avantage de longévité des catégories aisées sur les gens modestes comme une fatalité ? Dans une société « avancée » qui doit placer l’humain au centre de ses priorités, certainement pas ! Cette fatalité a d’ailleurs été récusée tout au long des luttes menées par le monde ouvrier, en France et dans bien d’autres pays, pour aboutir à des institutions telles que l’école gratuite et obligatoire, la sécurité sociale ou les caisses de retraites. Ces grandes avancées sociales ont largement contribué à augmenter l’espérance de vie en général, mais aussi à en diminuer les écarts entre catégories socioprofessionnelles. Pourtant, on a pu voir avec les chiffres de l’INSEE que nous sommes encore loin d’avoir éradiqué les différences d’espérance de vie entre ceux qui ont un diplôme supérieur au baccalauréat et ceux qui n’en ont pas.

            Cela nous amène à considérer qu’il faut non seulement renforcer encore ces institutions et les protections qu’elles apportent selon le principe de solidarité que « chacun participe à hauteur de ses moyens et reçoit en fonction de ses besoins », mais qu’il faut aussi lutter pour que les conditions de travail nuisibles à la santé soient prises en compte à plusieurs niveaux. D’abord par leur amélioration constante en termes d’hygiène et de sécurité au travail en éliminant ou minorant la pénibilité de certains emplois, quoi qu’il en coûte. Ensuite, en limitant le nombre d’années passées sur des emplois dont il est difficile de réduire suffisamment les effets délétères sur la santé pour affecter ensuite ces personnes à des tâches n’ayant pas un caractère de pénibilité ou de dangerosité notables. Leur accorder des rémunérations qui leur permettent d’élever très nettement leur niveau de vie et de compenser ainsi en partie la dureté de leurs conditions de travail, ce qui leur donnera accès à une alimentation et à des logements de meilleure qualité, et en fin de parcours, les fera bénéficier d’une meilleure retraite ; enfin que ces personnes puissent prendre cette retraite plus précocement pour profiter d’un nombre d’années en bonne santé comparable aux catégories « bac+ » ou bac ++ ».

            Ces mesures visant à l’amélioration du bien-être de tous sont toujours apparues en termes de charges salariales comme « ayant un coût » qui rendrait nos produits et services moins « compétitifs » dans le contexte actuel de la mondialisation. Cet argument n’aurait plus à être pris en considération si la nouvelle division du travail excluait de mettre en concurrence des systèmes aux règles économiques, sociales et environnementales aussi hétérogènes. La concurrence ne pourrait alors s’exercer qu’au sein de grands ensembles géographiques, démographiques et économiques dont les règles de fonctionnement auraient été harmonisées ou seraient, à tout le moins, très comparables. Ce pourrait être par exemple le cas de l’Europe des 27 sous réserve que des progrès significatifs soient accomplis pour faire converger ces règles au sein de l’Union. Hélas, l’Europe est malade et cette perspective semble s’éloigner un peu plus chaque jour qui passe. A moins que le coronavirus ne contribue à dessiller nos dirigeants qui, en pleine pandémie, laissent la Commission européenne poursuivre les négociations d’un nouvel accord de libre-échange avec deux pays situés aux antipodes de l’Europe, l’Australie et la Nouvelle-Zélande !

            Prendre soin de la santé des populations devrait être la priorité absolue d’un pouvoir politique proposant un projet de société qui vise le progrès humain. Trouver un remède aux maladies, contagieuses ou autres, est évidemment d’une extrême importance pour que chacun puisse parcourir toutes les étapes de sa vie sans que surgisse la faucheuse quand il n’est pas encore temps. Mais pourquoi devrions-nous ignorer, ou négliger ce qui a sans aucun doute l’impact le plus dramatique sur l’espérance de vie de millions d’êtres humains : leur santé abîmée précocement par des conditions de vie difficiles, au travail et chez eux, et qui auront subi « le plus souvent une quintuple peine :

  1. Conditions de travail difficiles ;
  2. Salaire de survie ;
  3. Qualité de vie médiocre ;
  4. État de santé conduisant à une longévité réduite de plusieurs années et à une retraite amputée d’autant d’années ;
  5. Pension de misère. »

(Extrait chapitre V, p. 387)

            Il faudrait encore évoquer bien d’autres catastrophes sanitaires comme celles dues par exemple au dérèglement climatique. Mais ce sera pour une autre fois !

            Bertrand