Dans mon précédent billet, me demandant quel en serait le contenu alors que j’en avais déjà tapé les premières lettres et assemblé les premiers mots, je suis très vite arrivé à la conclusion que mon embarras provenait des incertitudes dans lesquelles nous sommes tous plongés en ces temps de pandémie, situation étrange qui fait surgir mille questions sur ce que sera demain, allant du plus concret au plus spéculatif et du plus court terme au plus prospectif.

Toutefois, il me semble que si nous avons des incertitudes sur le futur aussi bien proche que lointain, ce que met en pleine lumière l’attaque du Covid c’est en revanche la certitude que nous ne devrons plus, comme nous l’étions hier, rester spectateurs du monde qui se construit ou se détruit devant nous, mais devenir au contraire des acteurs de notre futur. Nous ne pouvons plus accepter que les orientations relatives à la manière de produire nos aliments, nos médicaments et notre énergie, à la protection de notre environnement ou à l’aménagement de nos territoires soient prises à huis clos, nous tenant systématiquement à l’écart de décisions aussi essentielles pour notre bien-être, voire notre survie. Se résigner à une telle situation me paraît totalement incompatible avec des institutions qui se veulent démocratiques.

Ainsi est-il proprement scandaleux que les négociations d’accords de libre-échange soient conduites dans la plus grande opacité alors que ceux-ci mènent, comme répété cent fois, à une division internationale du travail absurde qui n’a d’autre objectif que de permettre à quelques-uns d’accumuler des profits astronomiques au détriment des peuples et de la nature ; et si nous mesurons aujourd’hui dans la douleur les conséquences directes sur notre santé et notre vie de l’abandon de certaines productions de médicaments et d’équipements indispensables à la lutte contre le coronavirus, nous subissons aussi depuis des décennies les conséquences d’une désindustrialisation de notre pays, et pas seulement le nôtre, génératrice de chômage massif, de pertes de savoir-faire, de réduction des ressources de l’État, justifiant des politiques d’austérité qui détricotent peu à peu le contrat social et font au bout du compte régresser la société dans toutes ses composantes.

De même, le recours à l’énergie nucléaire pour satisfaire notre confort au prix d’un risque inacceptable pour nos vies et nos territoires n’a jamais fait le moindre semblant de concertation avec la population, le bien-fondé de cette politique énergétique mortifère n’ayant même pas été questionné par nos dirigeants malgré les catastrophes majeures survenues en Ukraine et au Japon.

Sur le laisser-faire quasi total en matière d’aménagement de nos territoires, le Covid nous fait à nouveau toucher du doigt cette impéritie de nos gouvernants depuis plus d’un demi-siècle. Il y avait déjà eu le problème des coûts du carburant pour les trajets domicile-travail comme élément déclencheur du mouvement des Gilets jaunes. Avec les perspectives de déconfinement, la nécessité pour des millions de travailleurs d’emprunter à nouveau les transports en commun avec les risques sanitaires que cela présente montre à quel point l’absence totale de planification visant à mieux intégrer zones d’activités et zones de résidence conduit à des transhumances quotidiennes chronophages, coûteuses et fatigantes, ainsi qu’à d’autres conséquences néfastes que je ne peux pas toutes citer ici (je vous renvoie aux développements du livre).

Nous avons donc à envisager notre contribution au futur de notre société de manière beaucoup plus active, ne se limitant plus à quelques minutes passées dans un bureau de vote tous les cinq ans, même si ces quelques minutes sont importantes et devraient permettre à l’avenir d’éviter de confier la maîtrise de l’incendie planétaire à ceux qui n’ont cessé d’attiser le feu depuis quarante ans. S’informer, discuter, échanger et militer ne devrait plus être le fait d’une minorité de citoyens engagés dans la transformation de la société ; il faut que cet éveil des consciences et cette contribution du plus grand nombre à un processus démocratique authentique se manifestent au lendemain de la sortie de la tragédie du Covid. Les citoyens doivent s’emparer des grandes questions que j’ai évoquées dans ce billet et ne plus laisser une oligarchie décider pour nous tous.

Au-delà des incertitudes, cela doit devenir une promesse qu’il nous faut tenir avec certitude, et ouvrir ainsi la voie vers un monde nouveau porteur de progrès humain.   

 Court extrait du chapitre 5, partie consacrée à « D’abord la démocratie », p. 263 :

« Posons-nous une question simple : les citoyens français peuvent-ils se sentir bien associés aux choix politiques des gouvernements qu’ils ont portés au pouvoir depuis des décennies ? »

Bertrand