Pour une large part, la survie du capitalisme se nourrit des ressources infinies de la technologie. Non pas de la science qui nécessite des investissements à moyen et long termes et coûte sans ne rien rapporter à court terme, mais de la technologie ! Celle-ci s’appuie évidemment sur des avancées de la science, parfois assez récentes, mais qui peuvent aussi remonter à plusieurs siècles. Des recherches fondamentales sur la thermodynamique, l’électricité, les ondes électromagnétiques, l’atome, les physiques relativistes et quantiques, les propriétés chimiques de la matière ou encore les semi-conducteurs ont permis de développer des machines à vapeur, des génératrices électriques, des communications par ondes hertziennes, des centrales nucléaires et leurs sinistres avatars que sont les armes atomiques, des horloges tout aussi atomiques, mais moins dangereuses, et dont la précision a permis de développer des systèmes de navigation ultra performants, des rayons lasers, toutes sortes de matériaux, ou encore les transistors et autres diodes sans lesquelles nous n’aurions pas de téléphones portables et les milliers de gadgets électroniques à l’utilité parfois contestable.

Dès lors, les marchands et les financiers ayant une imagination qui ne connaît pas de limites, placés devant des étagères qui se remplissent constamment de nouvelles technologies, vont les utiliser pour offrir une multitude de nouveaux produits dont la vente continuera à alimenter la machine à cash, ou pour jouer au Monopoly à la vitesse de la lumière avec le « trading haute fréquence » …

L’ennui est que toute cette activité de production épuise les ressources de la planète, la pollue durablement et provoque, ou à tout le moins, accélère le réchauffement climatique, sans parler des encombrements générés par la civilisation de l’automobile et du transport routier qui font perdre chaque jour des millions d’heures aux humains dans des transhumances entre domiciles et lieux de travail.

Mais qu’à cela ne tienne, les capitalistes ont réponse à tout : les problèmes liés à l’usage immodéré de la technologie vont être résolus par un usage « intelligent » de… la technologie. Les pyromanes se présentent alors avec une tenue et des accessoires de soldats du feu. Proposer des solutions technologiques pour affronter les problèmes qu’ils ont créés de toutes pièces est donc particulièrement malin puisque cette stratégie va leur permettre de s’installer sur de nouveaux et prometteurs marchés.

Voilà qui m’amène – enfin – aux JO 2024 de Paris. En novembre dernier, j’ai retrouvé au cours d’un salon du livre Jean-Pierre Rey qui présentait son catastrophiste Ouragan sur les Jeux, qu’il appelle lui-même OLNI, Objet Littéraire Non Identifié. Mais dans son ouvrage tout autant impertinent que burlesque, l’auteur n’avait pas encore imaginé cet improbable fruit de l’imagination des maîtres de cérémonie de ces Jeux XXL que je vais vous présenter !   

Et en effet, comme on pourra le constater ci-après, les problèmes de circulation dans et autour de la capitale qu’anticipent les brillants organisateurs de cette méga manifestation sportive, représentent un tel défi à relever, qu’ils ont trouvé un moyen que le monde entier va nous envier, même les Étatsuniens, pour éviter la congestion, la thrombose et l’asphyxie, que dis-je, l’effondrement !

Après les 100% d’augmentation des tickets de métro, les restrictions de circulation automobile pour les uns, piétonnière pour les autres, voilà que seront proposés les taxis aériens, ce qui démontre une audace hors du commun.

Cette nouvelle mobilité en est à ses balbutiements, mais qu’importe, la DGAC (Direction générale de l’Aviation civile), Aéroports de Paris, la Région Ile-de-France, la RATP, l’AESA (Agence européenne de la Sécurité aérienne) et le constructeur allemand VOLOCOPTER se sont engagés à mettre en service des taxis aériens pour les JO 2024 et espèrent être alors les premiers à avoir effectué la mise en service commerciale de ces engins volants.

On les nomme eVTOL, pour electric Vertical Take-Off and Landing , c’est-à-dire des appareils à décollage et atterrissage vertical électriques (ADAV), plus communément connus sous le nom de drones lorsqu’ils ne transportent pas de passagers. Ils utilisent des moteurs électriques disposant d’une forte puissance massique, donc légers et puissants à la fois, certains modèles pouvant soulever des masses supérieures à une tonne. Évidemment présentés comme écologiques car n’émettant pas de CO2, ils n’en consomment pas moins pour leur fabrication tout un éventail de matières premières et bien sûr de l’énergie, fossile ou non. Quant à l’électricité nécessaire à la recharge des batteries, elle n’a pas toujours été produite sans émettre de CO2, surtout quand elle provient de centrales au charbon. De plus, nous verrons que la quantité d’énergie que consomment ces engins est en fait une aberration dans le contexte actuel. Bien qu’il s’agisse de nouveaux gadgets destinés à transporter une infime minorité de privilégiés argentés, de plus en plus d’entreprises dans le monde, allant des grands constructeurs aéronautiques comme Airbus et Boeing aux jeunes pousses, se sont lancées dans la conception et la certification des eVTOL supposés offrir une alternative aux taxis terrestres et aux transports en commun, rien de moins ! Ainsi, l’entreprise étatsunienne Archer envisage-t-elle d’établir un véritable pont aérien avec son eVTOL Midnight entre aéroports et centres-villes, annonçant le projet, mené conjointement avec la compagnie aérienne United, d’une telle liaison entre l’aéroport de Newark et le centre-ville de New-York.

C’est à peu près ce qui est visé pour nos JO, à savoir relier les aéroports du Bourget et de Paris-CDG, l’aérodrome de Saint-Cyr-l’École (près de Versailles) et l’héliport d’Issy-les-Moulineaux avec le centre de Paris au moyen du VoloCity de VOLOCOPTER, un eVTOL de fabrication allemande munis de 18 moteurs électriques. D’une masse maximum de 900kg, il ne peut transporter qu’un pilote et un passager avec ses bagages, soit 200kg de charge utile. Ne pouvant parcourir que 35 km, ses neuf batteries devront être remplacées ou rechargées après chaque vol ! Mais il faudra aussi trouver au moins un vertiport dans le centre de Paris, c’est-à-dire une surface adéquate pour poser ces machines. Il a donc été envisagé d’utiliser une barge sur la Seine amarrée près du pont d’Austerlitz, projet qui semble avoir du plomb dans les hélices.

En effet, deux avis défavorables ont été donnés pour ces taxis aériens, à commencer pour le vertiport du quai Austerlitz en l’absence duquel le projet perdrait beaucoup d’intérêt, d’autant que de l’intérêt, il en a déjà très peu comme on peut s’en douter en tant que transport urbain !

C’est en premier l’Autorité environnementale (AE) qui, en septembre dernier, a déploré la faiblesse de l’étude d’impact faite par ADP : ainsi, le niveau sonore, considéré comme accessoire dans cette étude, ne le serait pas du tout puisque les VoloCity auraient un niveau de bruit de 65 db, comparable à celui d’une voiture thermique ; par ailleurs, quid des risques de chute de l’un de ces appareils, que ce soit par défaillance technique ou par acte de malveillance ? Si l’interdiction de survol de la capitale devait être levée pour ces engins, pourquoi ne le serait-elle pas pour d’autres aéronefs légers ? Par ailleurs, il est remarqué à juste titre que la consommation d’énergie de ce mode de transport est désastreuse. Avec 190 kWh aux 100 km-passager, il est 30 fois supérieur à celui du métro, dépasse largement celui d’une voiture thermique (50 kWh aux 100 km-passager) et plus encore celui d’une voiture électrique (15 kWh aux 100 km-passager) : la consommation électrique du VoloCity serait au moins 6 fois supérieure à celle d’une voiture électrique transportant 2 à 3 passagers. Ce projet va donc totalement à l’encontre des objectifs de réduction de consommation d’énergie dans les transports urbains. Enfin, le prix du billet aller simple Le Bourget-Paris est annoncé à 110 €, plus cher qu’un taxi terrestre, avec le gros inconvénient que l’eVTOL ne vous déposerait pas à l’adresse où vous devez vous rendre, mais sur une barge ; de là, il faudrait donc reprendre un taxi terrestre ! Ajoutons qu’avec la rémunération d’un pilote pour chaque vol, plus la consommation électrique et les dépenses de toutes sortes qui auront été nécessaires pour organiser cette opération (études d’impact sur l’environnement, analyses de sécurité, établissement de procédures de contrôle d’un espace aérien très contraint, équipement et mise en place d’une barge, création de vertiports sur les sites aéroportuaires, etc.), on ne voit pas comment de tels coûts pourraient être couverts, même avec le prix de 110 € acquitté par l’unique passager !

Le coup de grâce aurait pu être donné le 15 novembre dernier par la Commission Environnement du Conseil de Paris : toutes tendances confondues, celle-ci a tout simplement émis un avis défavorable à la construction du vertiport quai d’Austerlitz. Il est certain que monsieur Edward Arkwright, Directeur général exécutif d’ADP qui porte ce projet, n’a pas dû être content du tout !

Voilà un sujet qui ne manque pas d’intérêt comme illustration des « solutions » prétendument décarbonées qu’offre le système capitaliste pour affronter le changement climatique et réparer tous les désordres engendrés par la merveilleuse économie de marché. Voilà aussi la preuve que les JO sont plus que jamais une affaire de marketing et de business, loin, très loin de ce que pourrait être l’objectif d’une telle rencontre : le temps des compétitions, réunir, sous le signe de l’amitié entre les peuples, des hommes et des femmes du monde entier en imposant une pose dans tous les conflits, ce qui pourrait permettre à certains belligérants de négocier une paix durable, comme l’avaient souhaité les Grecs de l’Antiquité qui avaient instauré une trêve entre les cités grecques pendant les Jeux d’Olympie.

Aux dernières nouvelles, le constructeur allemand ne serait pas en mesure de se conformer à toutes les conditions de sécurité requises et ces merveilleux engins pleins de promesses – mais lesquelles ? – ne seraient donc pas autorisés à transporter de passager (« s » omis volontairement).

Bertrand