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32ème Salon du Livre de Cosne-sur-Loire

32ème Salon du Livre de Cosne-sur-Loire

Les organisateurs de ce salon me font savoir que la période initialement prévue du 28 au 30 mai est reportée aux 18, 19 et 20 septembre, ce qui a l’avantage de coïncider avec la période de la rentrée littéraire. J’espère donc que cette fois sera la bonne et que le Covid nous aura laissé en paix d’ici là.

J’espère aussi que ce sera l’occasion de nouvelles rencontres autour de mon livre qui est plus que jamais dans l’air du temps et ouvre de nouvelles perspectives pour envisager un monde nouveau porteur de progrès.

Bertrand

Le Covid m’a rassuré

Le Covid m’a rassuré

            Au moment d’adresser mon manuscrit à une sélection d’éditeurs fin 2016, j’ai été pris de quelques doutes, voire de quelques vertiges, sur la manière dont j’avais abordé la question depuis longtemps débattue sur les supposés bienfaits et les tout à fait avérés méfaits de la mondialisation (ou plutôt de la mondialisation globalisante !).

En effet, comment le béotien que je suis en « science » économique pouvait-il porter un jugement aussi définitif et aussi négatif sur le développement du commerce sans entraves entre les pays des cinq continents ? Moi qui n’avais pas étudié les incontournables auteurs de référence, les Britanniques Adam Smith, Thomas Malthus, David Ricardo, John Stuart Mill et John Maynard Keynes sans oublier l’Allemand Karl Marx et l’Étatsunien Milton Friedman, tous ces grands accoucheurs de théories économiques aussi nombreuses que différentes, comment pouvais-je me lancer dans des analyses aventureuses sur les conséquences des accords de commerce conclus sous les auspices du GATT, puis de l’OMC, et maintenant dans le cadre d’accords bilatéraux de libre-échange ?

J’aurais pu consacrer du temps, beaucoup de temps, à m’imprégner de ces théories, mais je n’aurais sans doute pas écrit ce livre ; et à supposer que j’aie quand même réussi à le faire dans des journées qui n’ont que vingt-quatre heures comme chacun sait, alors aurais-je été capable de réfléchir avec le degré d’indépendance qui a été le mien ? Je ne cherche pas à trouver des excuses à ma relative paresse de lecteur, mais je ne peux m’empêcher de penser que la créativité est amoindrie par trop d’influences venues de l’extérieur. Tous ces peintres qui sont allés chercher leur inspiration, mais aussi des techniques, je l’admets, auprès de grands maîtres en Italie, Espagne, Hollande ou ailleurs, auraient-ils été plus créatifs s’ils ne l’avaient pas fait ? Qui peut répondre à une telle question ?

Alors, me direz-vous, sur quels fondements mes analyses reposent-elles ?

Pour faire court, je dirai sur l’observation et surtout l’information, celle que les médias de tout bord nous envoient sur l’état du monde. De ce point de vue, malgré toutes les précautions qu’il convient de prendre avant de donner crédit à une information quand les infox se répandent à la vitesse de la lumière, il faut bien reconnaître que nous disposons de données autrement plus nombreuses, précises et diversifiées que celles dont pouvaient disposer nos économico-socio-philosophes des 18ème et 19ème siècles. D’ailleurs, il est possible d’envisager que ceux-ci n’auraient peut-être pas écrit exactement la même chose s’ils avaient pu bénéficier de ce luxe de statistiques, de recensements et d’enquêtes de toutes sortes qui sont à notre portée. Et ils auraient sûrement révisé encore plus leurs théories s’ils avaient eu à observer eux-mêmes un monde qui ressemble au nôtre, avec une humanité qui aura bientôt atteint huit milliards d’habitants, qui consomme plus que ce la nature peut produire, qui détruit son environnement et provoque une sixième extinction des espèces vivantes ; et j’ajoute, qui voit la richesse la plus insolente et la plus extrême coexister avec la pauvreté la plus insupportable.

Alors pourquoi proposer des analyses économiques, sociales ou sociétales en ce début de 21ème siècle qui s’inspireraient de théories fondées sur des réalités bien différentes qui étaient celles d’il y deux ou trois siècles, sachant par ailleurs que les auteurs de ces théories ne disposaient que d’une connaissance assez partielle et imprécise des réalités de leur temps, notamment en termes quantitatifs ?

Mais à l’arrivée, et il me semble que nous touchons maintenant un point d’aboutissement avec la tragédie du Covid-19, il faut vérifier que les analyses faites sur les fondements de l’observation et des informations que j’ai collectées au fil du temps ont bien permis de mieux comprendre les mécanismes qui sont à l’œuvre dans la mondialisation et d’en expliquer toutes les conséquences, observées ou vécues. Eh ! bien, il se trouve qu’avec ou sans cette pandémie, NEMESIS avait identifié (le jugement et la sentence arriveront plus tard) les vrais coupables et mis au jour les moyens qu’ils utilisent pour commettre leurs forfaits. A vrai dire, il n’y a pas là de grandes trouvailles, mais les liens sont clairement établis entre une idéologie, les procédures et moyens pour sa mise en œuvre et l’éventail des conséquences que nous connaissons tous. L’irruption du Covid ne fait qu’exacerber ces conséquences à un degré qui dépasse les hypothèses les plus sombres. Oui, la globalisation imposée aux populations de la planète est dans ses effets ultimes encore pire que tout ce que l’on pouvait imaginer ! Il est piquant de se rappeler simultanément, d’un côté l’affirmation de Montesquieu selon laquelle le commerce adoucirait les mœurs et de l’autre, les mots de M. Macron qui évoque avec insistance une « guerre » menée contre un virus dont la diffusion à grande échelle et à grande vitesse résulte précisément de la liberté extrême du commerce, cette liberté réservée aux marchands et qui nous prive en plus des moyens de nous défendre correctement.  

Me voilà donc un peu rassuré : malgré ma méconnaissance des sommités qui ont élaboré la « science » de l’économie au cours des trois derniers siècles, je crois avoir compris pourquoi ce monde marche sur la tête.

Comment trouver les moyens de le remettre à l’endroit ? C’est une autre question que j’aborderai avec précaution dans un prochain envoi.

Extrait chapitre 5 p. 336 (note sous schéma)

« La perspective de profits élevés permet à des affairistes ou des multinationales d’accéder à des financements, lesquels associés à des technologies performantes offrent l’opportunité, grâce aux accords de libre-échange très avantageux de l’OMC, de développer des activités lucratives, mais qui provoquent des dommages humains et environnementaux ; ceux-ci vont créer de l’instabilité sociale et des tensions régionales, lesquelles peuvent déboucher sur des conflits armés et des régimes autoritaires qui sont autant de foyers potentiels du terrorisme ou de sources de flux migratoires. »

Bertrand

En marche arrière

En marche arrière

Dans la conclusion de l’essai, j’ai osé écrire ce qui suit :

« … la protection de la santé revêt une telle importance que tout chef de gouvernement devrait être en même temps responsable du ministère de la santé ; à défaut, aucun projet de loi, aucune décision, de quelque nature qu’elle soit, ne saurait être prise sans l’accord de ce ministère. »

Et j’ajoutais que les règlements européens « ne pourraient être adoptés si leur innocuité en matière de santé n’a pas été démontrée. »

            Ces préconisations sont la conséquence logique du principe mis en avant dans le chapitre consacré au bien-être, principe selon lequel celui-ci ne saurait être atteint sans le bénéfice d’un état de santé satisfaisant. Par conséquent, si le bien-être d’une population est l’objectif fondamental que devrait poursuivre un gouvernement qui place l’humain au centre de son action, toutes les décisions qu’il prend devraient concourir au maintien et à l’amélioration de l’état de santé général de cette population. Tout autre objectif ne pourrait être que superflu, voire contrarier éventuellement l’objectif primordial. J’avais un temps envisagé de placer dans mon essai une sorte de puzzle dont la partie centrale aurait été constituée d’une pièce représentant la santé avec de multiples ramifications qui se seraient emboîtées avec les autres pièces relatives aux activités humaines afin de montrer visuellement qu’aucune d’entre elles ne peut se développer sans avoir un lien plus ou moins important avec notre état de santé, un peu comme notre cerveau qui réagit au moindre signal provenant des organes et autres parties du corps auxquels il est relié par notre système nerveux. Mais après quelques tentatives peu convaincantes, j’ai finalement renoncé à dessiner ce puzzle !

            Il n’aura échappé à personne qu’aucun pays au monde n’a à ce jour mis en œuvre un projet de société qui répondrait à ce que je propose, alors que je ne suis sans doute pas le premier à accorder à la santé une telle importance et à le faire savoir en l’écrivant ; encore faudrait-il être lu en ce qui me concerne ! Mais il y a bien pire que la considération toute relative que les responsables politiques accordent aux conséquences de leurs décisions sur la santé de la population dont ils sont en théorie responsables, puisqu’en effet, nombre d’entre eux n’hésitent pas au contraire à sacrifier la santé, et au bout du compte, la vie de leurs concitoyens, à des objectifs tels que la croissance du PIB, la recherche obsessionnelle d’économies budgétaires en rognant sur les dépenses publiques tout en accordant avec cynisme des réductions d’impôts aux plus riches, la poursuite d’un modèle économique fondé sur la surconsommation, le profit et l’épuisement des ressources naturelles, tout cela pouvant aller jusqu’à la négation chez certains des effets de l’activité humaine sur le réchauffement climatique et sur l’extinction rapide de milliers d’espèces vivantes.

            Le Covid-19 révèle de manière très concrète que la réduction des capacités hospitalières et l’absence de moyens de protection élémentaires au nom des objectifs que je viens d’énumérer se traduira par des centaines de milliers de morts supplémentaires à travers la planète. Le monde est donc aux antipodes de projets de société centrés sur la santé et le bien-être des populations. Pour la France, l’inimaginable est accompli quand, dans la situation dramatique qu’il nous faut affronter, le directeur de l’Agence Régionale de Santé du Grand-Est n’hésite pas à rappeler que doit être mis en œuvre le plan d’économies visant à licencier près de 600 personnes et à supprimer 174 lits dans le CHRU de Nancy ! On se pince ! Comment peut-on atteindre un tel degré d’irresponsabilité, à moins que ce ne soit de la pure provocation, quand les malades du Covid meurent dans cette région par milliers et qu’il faut mobiliser des transports par air et par le rail pour libérer des places dans des lits en nombre insuffisant ? Irresponsable, provocateur, inconscient ou simplement exécutant zélé de la politique d’austérité voulue par le pouvoir central depuis des années. On se pince encore quand le chef de l’État limoge ce directeur qui n’a fait, certes sans grand discernement, mais qui n’a quand même fait que rappeler un des éléments constants de la politique voulue par la majorité actuelle et les précédentes. À la décharge de ce directeur mal inspiré, il est très probable qu’il se serait abstenu d’une telle déclaration si M. Macron, dès sa première intervention télévisée à propos du Covid avait solennellement annoncé qu’il mettait un terme définitif à la politique de démantèlement de l’hôpital public et qu’il répondrait aux appels désespérés des personnels de santé autrement que par des gaz lacrymogènes ! On attend toujours qu’il le dise clairement et qu’il commence à le faire autrement qu’en désignant un bouc émissaire.

            Bertrand

Et ils continuent!

Et ils continuent!

Pendant que des êtres humains meurent en grand nombre dans les hôpitaux, les EHPAD ou chez eux, pendant que leurs familles les pleurent sans avoir pu leur apporter réconfort et affection avant le moment fatal, pendant qu’ils sont inhumés ou incinérés presque en catimini sans qu’un dernier hommage puisse leur être rendu par tous leurs proches, familles et amis, pendant que les vivants ressentent de plus en plus cette peur au ventre d’être parmi les prochaines victimes du virus, pendant que la violence éclate au sein de familles qui s’entassent dans des logements trop exigus, pendant que nous nous demandons tous dans quelle sorte de monde nous allons vivre à la sortie de ce cauchemar, pendant tout ce temps-là, que font les eurocrates de Bruxelles ? Ils continuent !

Ils continuent à bricoler le monde d’avant, le monde qui nous a conduits au désastre environnemental, au moins-disant social, à la propagation de ce coronavirus dans un temps record à travers la planète tout entière, à un drame sanitaire doublé d’une crise économique qui rendra les pauvres encore plus pauvres sans que les plus riches n’aient à en souffrir, à priver des populations entières des ressources vitales pour affronter cette pandémie par l’instauration d’une division planétaire du travail poussée jusqu’à l’absurde pour le seul motif d’augmenter encore et encore les profits de quelques-uns.

Ils continuent donc à négocier, signer et mettre en œuvre de nouveaux accords de libre-échange (ALE) plus favorables que jamais au monde marchand et au monde de la finance : après le Canada (CETA), le Japon (JEFTA), Singapour et le Vietnam, la Commission entrevoit de nouvelles perspectives enthousiasmantes avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, ne désespère pas de reprendre les négociations avec le MERCOSUR (Amérique du sud) et pourrait prochainement conclure une série d’accords avec les États-Unis, les négociations sur le TAFTA ayant été interrompues depuis l’arrivée de Trump au pouvoir. Mais elle a aussi comme objectif de poursuivre des discussions en vue d’inclure de nouveaux États à une Union européenne plus chancelante que jamais avec le Brexit qui confirme le peu de confiance qu’accordent les citoyens européens à cette construction néolibérale. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que d’envisager par exemple l’entrée dans l’Union de pays de l’ex-Yougoslavie comme la Macédoine du Nord ou l’Albanie, États rongés par la corruption dans lesquels la mémoire des conflits ethniques qui ont ravagé les Balkans est loin d’être effacée, et où les salaires minimums sont parfois inférieurs à 300 € ! De tels nouveaux entrants dans l’Union seraient une aubaine de plus pour les gargantuas du profit qui ne manqueraient pas de mettre en concurrence ces travailleurs très pauvres avec ceux des pays les plus riches et de tirer encore plus vers le bas le niveau de vie de leurs ressortissants.

Comment Ursula von der Leyen, nouvelle présidente de la Commission, peut-elle oser communiquer sur son « Pacte vert pour l’Europe » (European Green Deal) tout en demandant à ses fonctionnaires – avec bien sûr l’assentiment des dirigeants européens actuels – de poursuivre des négociations sur de nouveaux ALE qui vont encore augmenter la folle intensité des échanges, ce qui ne peut qu’aggraver le réchauffement climatique et notre dépendance à des pays étrangers, parfois situés à l’autre bout du monde, pour accéder à des productions essentielles et stratégiques ? Comment peut-elle envisager de nouvelles adhésions à l’Union quand celle-ci a suscité le rejet des citoyens britanniques devant son incapacité à proposer un projet mobilisateur visant par exemple à harmoniser les règles fiscales – on ne compte plus les paradis fiscaux dans l’Union -, la protection sociale, les codes du travail et les règles environnementales. Voilà une perspective qui relève sans doute de l’utopie, mais faut-il pour autant persister dans cette marche forcée de l’Europe vers une dystopie qui a commencé à prendre corps depuis plusieurs décennies ? Faut-il chercher à ajouter encore des cartes sur un château qui menace de s’écrouler complètement ou bien reconstruire cette Europe sur de nouveaux principes fondateurs tenant compte des besoins réels de ses populations, plutôt que de sacrifier à la doxa néolibérale ?

Extrait du chapitre 5, p. 319 :

 À terme, un Code général des Impôts européen devrait voir le jour, parallèlement à des lois sociales harmonisées dans les domaines de la santé, de l’indemnisation du chômage, des pensions de retraites ou du salaire minimum, toutes dispositions qui permettraient d’instaurer une concurrence loyale et de créer enfin les conditions d’une véritable intégration économique qui aurait dû prévaloir avant même l’introduction de la monnaie unique.

 Bertrand

Balade onirique

Balade onirique

Attestation dérogatoire en poche et dûment complétée, j’effectuais dimanche après-midi une marche devenue quotidienne dans ce quartier résidentiel de banlieue aux rues presque désertes sans avoir besoin de me mettre en apnée au passage de ces voitures dont je ne supporte pas l’odeur des émanations de leurs moteurs diesels, puisque de voitures il n’y en avait pour ainsi dire pas ! Tout en marchant d’un pas alerte, j’admirais le miracle sans cesse renouvelé de la nature qui transforme doucement chaque plante, chaque arbre et chaque arbrisseau, agrémentant les parterres et les arbres de mille fleurs délicates, tandis que de nouveaux feuillages naissants aux verts tendres commencent à égayer les ramures sombres et austères de l’hiver…

Puis j’ai soudain noté quelque chose d’inhabituel dont je n’avais pas vraiment pris conscience les jours précédents : tout ce que voyais, de près ou de loin, me paraissait plus net, plus lumineux, plus contrasté, comme si ma perception visuelle s’était miraculeusement améliorée, à tel point que je n’avais pas le souvenir d’avoir jamais fait une telle constatation depuis mon arrivée dans cette banlieue, au début des années soixante-dix !  

Pourtant, cette sensation de vision « augmentée » ne m’était pas inconnue ; très vite, mes souvenirs me firent remonter le temps et me ramenèrent d’un coup d’ailes sur une terre antipodaire où je m’étais posé en ce jour de septembre 1996 et où je passerais six années de ma vie. Dès les premiers jours, j’avais alors remarqué l’extraordinaire transparence de l’air et cette luminosité incomparable qui me faisait voir les choses avec tant d’acuité. Au cours de cette marche « déconfinée » dans ma banlieue, je me suis également souvenu de ma toute première escapade vers l’île des Pins avec mon ami Maurice, ébloui que j’étais par les couleurs éclatantes du lagon que nous survolions, par la blancheur des plages qui ceinturaient les îlots, contrastant avec le vert foncé des pins colonnaires qui les bordaient et dont on pouvait distinguer de loin la silhouette si particulière. Je fis également dès le premier week-end l’ascension de ce promontoire au nom étrange de Ouen Toro. De cet endroit, j’avais une vue imprenable sur la plage de l’Anse Vata avec sa promenade, ses quelques hôtels et un peu plus au large, sur l’île aux Canards et sur l’îlot Maître. La perception si limpide de ce paysage de rêve m’incita à prolonger ma pause avant de redescendre afin d’observer le soleil déclinant. A l’image de tout le reste, la ligne d’horizon était d’une grande finesse, surmontée de quelques nuages cumuliformes très épars, une situation idéale pour un pilote de voltige… Le disque solaire rougeoyant qui avait lui-même des contours très nets touchait maintenant la ligne d’horizon, et le voyant sombrer peu à peu dans l’océan Pacifique, je fis un petit calcul mental qui me fit prendre conscience qu’entraîné par la rotation de la terre, je reculais à une vitesse de quelque 1500 km/h, sans rien sentir pour autant, puisque tout ce qui m’entourait était entraîné à la même vitesse, y compris l’air si pur dans lequel je respirais. A l’instant où disparaissait l’ultime calotte solaire, j’avais espéré observer ce rayon vert magique, mais sans succès !

Revenant à la réalité de ma promenade dominicale, je compris que nous vivions en ce printemps 2020 un moment étrange qui, par l’invasion d’un virus meurtrier, nous donnait à voir ce que nous n’avions jamais vu de mémoire d’homme dans nos régions urbanisées, habituellement soumises à une vie trépidante, envahies par le trafic incessant de nos véhicules routiers, soumises à des milliers de mouvements d’avions et plongées dans une pollution permanente qui finit par provoquer, bon an, mal an, bien plus de morts prématurées que le redoutable virus.

Et constatant la situation inédite que nous vivions, qui avait depuis quelques semaines mit un coup d’arrêt à nos habitudes de consommation excessive pour laisser la place à un mode vie plus frugal et dans lequel les humains avaient retrouvé le temps de vivre, je me mis à rêver d’un monde nouveau qui nous offrirait un air purifié, qui nous ferait voir les arbres et les fleurs comme je les avais vus dans la passé sur ce Caillou lointain, qui nous ferait à nouveau entendre le chant des oiseaux et où nous aurions enfin retrouvé la maîtrise de notre destinée, devenus sourds aux injonctions de la publicité et renouant avec le progrès humain, celui qui donne la priorité à notre santé et bannit tout ce qui pourrait la compromettre. Pour l’heure, ce rêve a pris corps, le temps de la mise en sommeil de notre société marchande, mais paradoxalement, il s’accompagne aussi du cauchemar de cette pandémie mortelle.

Sacrifiant à la coutume maintenant bien établie de vous offrir un extrait de mon essai, j’ai choisi ce passage du préambule :

Les conditions qui ont permis à la vie telle que nous la connaissons de se développer sur Terre sont le fruit d’un extraordinaire hasard. Il est tout aussi extraordinaire que l’environnement dans lequel nous puisons toutes nos ressources pour vivre ait l’élégance de nous offrir en prime le spectacle sans cesse renouvelé de couchers de soleil somptueux, de montagnes à la blancheur éclatante, de vagues qui n’en finissent jamais de se fracasser sur des côtes rocheuses ou au contraire, de mourir paresseusement sur des plages de sable fin… Ne serait-il pas criminel d’abîmer tant de beauté et de gaspiller sans retenue des ressources que nous savons limitées ?

Bertrand

Cancres ou mystificateurs ?

Cancres ou mystificateurs ?

Les dirigeants de certains pays du monde révèlent depuis quelque temps leurs pires travers sous une forme exacerbée dans la situation sans précédent provoquée par la pandémie du Covid-19. Xi Jinping met la population chinoise sous surveillance étroite, Bolsonaro et Trump pensent d’abord à « sauver » l’économie du Brésil et des États-Unis, quitte à devoir assumer des centaines de milliers de morts, Orban prend les pleins pouvoirs en Hongrie, Duterte aux Philippines ordonne à sa police de tuer les contrevenants aux mesures de confinement… 

Quant au Président français il s’adresse à la population en tenant des propos qui laissent perplexes avec cet appel insistant au « sens des responsabilités » de ses compatriotes et les louanges adressées aux personnels soignants dont il flatte « l’abnégation patriote ». Voilà qui est bien naturel dans le contexte de la crise sanitaire que nous connaissons et pourtant, cela interroge : depuis plus d’un an, ces personnels manifestent leur désarroi et leur manque de moyens, réclament des effectifs, des lits et du matériel, des salaires à hauteur des services immenses qu’ils rendent à la nation ; au bout du compte ils demandent simplement de ne pas laisser mourir l’hôpital et reçoivent pour toute réponse l’envoi des CRS quand ils manifestent paisiblement. Mais quel sens des responsabilités les détenteurs du pouvoir, et l’actuel peut-être plus que tout autre auparavant, ont donc manifesté en supprimant méthodiquement dans les hôpitaux des dizaines de milliers de lits qui font cruellement défaut à l’heure où les services ne savent plus où mettre les malades et où se remplissent les morgues ?

Notre Président ajoute encore : « beaucoup de certitudes, de convictions sont balayées, seront remises en cause » et « le jour d’après quand nous aurons gagné (ce qu’il appelle la guerre !), ce ne sera pas un retour au jour d’avant ». A ce stade, on pourrait se poser encore plus de questions préoccupantes sur la lucidité du chef de l’État : il aura donc fallu une crise d’une ampleur inouïe comme celle du coronavirus pour que lui-même et son gouvernement prennent conscience de l’importance d’un système de santé robuste pour garantir un accès rapide et efficace aux soins quand la maladie frappe, et que le maintien en santé d’une population relève des priorités absolues d’un État, et pas seulement en temps de pandémie ! C’est un peu comme le cancre sourd aux remontrances qui se mettra enfin à travailler sérieusement à l’école pour récupérer le téléphone portable confisqué par ses parents…

Mais le doute persiste néanmoins et cette comparaison ne reflète peut-être pas la réalité car si l’on trouve dans le même discours aux Français la nécessité de renforcer les « mesures pour réduire nos déplacements et nos contacts au strict nécessaire », mais aussi la nécessité d’une « union nationale » et de faire preuve de « solidarité », on se demande alors pourquoi de nombreuses entreprises non « essentielles » sont autorisées à fonctionner et que les inspecteurs du travail seraient menacés de sanctions quand ils demandent à certains employeurs de mettre leurs employés en chômage partiel s’ils ne sont pas en mesure de prendre les mesures de protection adéquates ; et s’agissant de solidarité, comment ce détenteur du pouvoir peut-il oser mettre cette belle idée en avant quand il se refuse lui-même obstinément à simplement suspendre les cadeaux faits aux plus riches sous forme de suppression de l’ISF sur les patrimoines financiers, de très loin plus importants que les patrimoines immobiliers, et de l’instauration d’un prélèvement forfaitaire très favorable sur les revenus du capital, ou « flat tax ».

Alors, cancres ou mystificateurs ? Vous en penserez ce que vous voudrez, mais je penche personnellement pour la seconde option.

Et pour rester fidèle à l’habitude prise depuis de longues semaines de vous proposer un extrait du livre en rapport avec mon billet, je vous livre les premières lignes du chapitre 4 consacré au bien-être (p. 173) :

« Aux alentours du premier janvier de chaque année, nous sacrifions, de bonne ou mauvaise grâce, au rite des vœux que nous adressons par écrit ou verbalement à nos proches, famille et amis. Nous adaptons parfois nos souhaits selon la situation des personnes auxquelles nous nous adressons, mais quasi invariablement, il en est un que nous faisons passer avant tous les autres : celui d’une très bonne santé ! C’est un souhait que nous adressons aux autres tout en espérant dans notre for intérieur que nous ne connaîtrons pas nous-mêmes la maladie au cours des douze mois à venir, et bien au-delà évidemment… La santé est donc constamment plébiscitée comme bien le plus précieux que nous espérons ne jamais perdre. »

Bertrand

L’autre pandémie

L’autre pandémie

            L’INSEE, institution créée le 27 avril 1946, est une mine d’informations qui peuvent parfois nous faire mesurer les terribles inégalités qui existent au sein de la société. Prenons par exemple les chiffres de l’espérance de vie à 35 ans pour les femmes et les hommes selon leur niveau de diplômes. Sur la période 2009-2013, l’espérance de vie des personnes ayant un diplôme supérieur au baccalauréat était de 52,2 ans pour les femmes et 48,2 ans pour les hommes, contre 48 ans et 40,7 ans respectivement pour celles et ceux n’ayant aucun diplôme. Les femmes à « bac + » qui ont 35 ans peuvent donc espérer vivre en moyenne jusqu’à 35+52,2=87,7 ans, celles sans diplôme jusqu’à 35+48=83 ans, soit un écart de 4,7 ans ; pour les hommes, cet écart est de 7,5 ans. On pourrait aussi dire qu’une femme à « bac + » vivra 11,5 ans de plus qu’un homme sans diplôme.

            Pour écrire ce billet, je n’ai pas fait les recherches et les calculs nécessaires pour déterminer le nombre de décès prématurés annuels auxquels conduisent ces chiffres, mais en France ils s’élèvent sans doute à quelques centaines de milliers compte tenu d’un nombre total de décès de l’ordre de 600 000 par an (612 000 en 2019, soit une moyenne de 1676 par jour). Dans le monde entier, ils devraient se chiffrer par dizaines de millions.

            Il n’est pas difficile de percevoir que la corrélation établie par l’INSEE entre espérance de vie et niveau d’instruction n’est pas fortuite : statistiquement, plus ce niveau est élevé, meilleures sont les conditions de travail, meilleurs sont les revenus, meilleure est la qualité de vie et surtout meilleur sera l’état de santé, donc plus élevée sera l’espérance de vie. Rien de bien original dans ce constat. Pourtant, les médias ne font jamais aussi crûment le rapprochement entre niveau de vie et morbidité, et si je ne peux pas fournir dans cet article le nombre de décès prématurés dus à la pauvreté combinée avec la pénibilité des conditions de travail c’est bien parce que de telles données sont occultées compte tenu de leur caractère émotionnel. De fait, cette injustice presque escamotée dans le débat public, mais qui est pourtant la plus insupportable de toutes, est tacitement acceptée, y compris par ceux qui en sont les victimes, comme si c’était une donnée quasi naturelle que toutes les sociétés ont connue et connaîtront jusqu’à la fin des temps ! Il est probable que le désastre du Covid-19 est en train d’amplifier cette injustice puisque les conditions de vie des plus modestes, notamment en matière de logements, provoquent d’ores et déjà des niveaux de contamination plus élevés que dans les familles aisées. Nous aurons sans aucun doute des données précises lorsque le bilan de cette épidémie sera établi.

            Peut-on pour autant accepter cet avantage de longévité des catégories aisées sur les gens modestes comme une fatalité ? Dans une société « avancée » qui doit placer l’humain au centre de ses priorités, certainement pas ! Cette fatalité a d’ailleurs été récusée tout au long des luttes menées par le monde ouvrier, en France et dans bien d’autres pays, pour aboutir à des institutions telles que l’école gratuite et obligatoire, la sécurité sociale ou les caisses de retraites. Ces grandes avancées sociales ont largement contribué à augmenter l’espérance de vie en général, mais aussi à en diminuer les écarts entre catégories socioprofessionnelles. Pourtant, on a pu voir avec les chiffres de l’INSEE que nous sommes encore loin d’avoir éradiqué les différences d’espérance de vie entre ceux qui ont un diplôme supérieur au baccalauréat et ceux qui n’en ont pas.

            Cela nous amène à considérer qu’il faut non seulement renforcer encore ces institutions et les protections qu’elles apportent selon le principe de solidarité que « chacun participe à hauteur de ses moyens et reçoit en fonction de ses besoins », mais qu’il faut aussi lutter pour que les conditions de travail nuisibles à la santé soient prises en compte à plusieurs niveaux. D’abord par leur amélioration constante en termes d’hygiène et de sécurité au travail en éliminant ou minorant la pénibilité de certains emplois, quoi qu’il en coûte. Ensuite, en limitant le nombre d’années passées sur des emplois dont il est difficile de réduire suffisamment les effets délétères sur la santé pour affecter ensuite ces personnes à des tâches n’ayant pas un caractère de pénibilité ou de dangerosité notables. Leur accorder des rémunérations qui leur permettent d’élever très nettement leur niveau de vie et de compenser ainsi en partie la dureté de leurs conditions de travail, ce qui leur donnera accès à une alimentation et à des logements de meilleure qualité, et en fin de parcours, les fera bénéficier d’une meilleure retraite ; enfin que ces personnes puissent prendre cette retraite plus précocement pour profiter d’un nombre d’années en bonne santé comparable aux catégories « bac+ » ou bac ++ ».

            Ces mesures visant à l’amélioration du bien-être de tous sont toujours apparues en termes de charges salariales comme « ayant un coût » qui rendrait nos produits et services moins « compétitifs » dans le contexte actuel de la mondialisation. Cet argument n’aurait plus à être pris en considération si la nouvelle division du travail excluait de mettre en concurrence des systèmes aux règles économiques, sociales et environnementales aussi hétérogènes. La concurrence ne pourrait alors s’exercer qu’au sein de grands ensembles géographiques, démographiques et économiques dont les règles de fonctionnement auraient été harmonisées ou seraient, à tout le moins, très comparables. Ce pourrait être par exemple le cas de l’Europe des 27 sous réserve que des progrès significatifs soient accomplis pour faire converger ces règles au sein de l’Union. Hélas, l’Europe est malade et cette perspective semble s’éloigner un peu plus chaque jour qui passe. A moins que le coronavirus ne contribue à dessiller nos dirigeants qui, en pleine pandémie, laissent la Commission européenne poursuivre les négociations d’un nouvel accord de libre-échange avec deux pays situés aux antipodes de l’Europe, l’Australie et la Nouvelle-Zélande !

            Prendre soin de la santé des populations devrait être la priorité absolue d’un pouvoir politique proposant un projet de société qui vise le progrès humain. Trouver un remède aux maladies, contagieuses ou autres, est évidemment d’une extrême importance pour que chacun puisse parcourir toutes les étapes de sa vie sans que surgisse la faucheuse quand il n’est pas encore temps. Mais pourquoi devrions-nous ignorer, ou négliger ce qui a sans aucun doute l’impact le plus dramatique sur l’espérance de vie de millions d’êtres humains : leur santé abîmée précocement par des conditions de vie difficiles, au travail et chez eux, et qui auront subi « le plus souvent une quintuple peine :

  1. Conditions de travail difficiles ;
  2. Salaire de survie ;
  3. Qualité de vie médiocre ;
  4. État de santé conduisant à une longévité réduite de plusieurs années et à une retraite amputée d’autant d’années ;
  5. Pension de misère. »

(Extrait chapitre V, p. 387)

            Il faudrait encore évoquer bien d’autres catastrophes sanitaires comme celles dues par exemple au dérèglement climatique. Mais ce sera pour une autre fois !

            Bertrand

La dernière facétie de Maître Hasard

La dernière facétie de Maître Hasard

« J’ai longtemps attendu et espéré l’émergence d’une conscience au sein du vaste Univers, je me suis souvent impatienté devant les activités brouillonnes de Maître Hasard, jusqu’à ce qu’apparaissent les prémices il y a quelques millions d’années d’une espèce qui a pu évoluer vers un être pensant, à la fois habile et perspicace, capable de se prémunir contre de nombreux dangers de l’existence et qui dispose des connaissances qui devraient lui permettre de préserver durablement son précieux cadre de vie. Bien sûr, cette espèce humaine pourra difficilement se mettre à l’abri d’une conjonction cosmique catastrophique comme celle qui mit fin au long règne des dinosaures, mais je n’imaginais pas que cette espèce puisse agir contre elle-même.

Je suis aujourd’hui non plus impatient, mais terriblement inquiet pour le futur proche de cette fragile humanité. Après l’avoir attendue pendant des milliards d’années avant qu’elle n’apparaisse enfin hier soir, j’ai peur de la voir disparaître dès demain matin ! Tout serait alors à recommencer.

Maître Hasard, est-il en votre pouvoir d’aider l’humanité à se sauver d’elle-même ou bien a-t-elle irrémédiablement pris son destin entre ses seules mains ? »

Ainsi s’exprime l’Architecte de tous les mondes en conclusion du premier chapitre de mon essai, « Un conte cosmique ».

Lorsque j’ai commencé à écrire ce livre en 2012, j’avais acquis la conviction que le rôle du hasard était devenu très marginal dans l’évolution de la vie sur notre planète, et tout particulièrement dans celle de l’être humain. Depuis, chaque jour qui passe me renforce dans cette idée d’ailleurs largement partagée.

En effet, ce n’est pas l’intervention inattendue d’extra-terrestres qui a créé les conditions ayant permis le développement sans précédent de la mondialisation et ce qui semble être son aboutissement ultime, la globalisation (je n’entrerai pas ici dans des développements que je ne maîtriserais pas sur l’acception qu’il convient de donner à ces deux termes qu’utilisent les francophones, sachant que les anglophones n’utilisent que le terme « globalization »). Ce ne sont pas non plus des Martiens qui ont apporté aux Terriens la technologie qui nous permet de modeler les paysages, de puiser les ressources naturelles dans les grandes profondeurs de la croûte terrestre, de polluer à grande échelle l’air, l’eau et les sols, et pour finir, de provoquer la sixième extinction d’espèces végétales et animales dans l’histoire de la vie sur cette planète.

Alors l’action des humains est-elle en train de produire des effets aussi catastrophiques que la météorite géante ou les éruptions volcaniques intenses qui auraient provoqué la cinquième extinction, notamment celle des dinosaures, au Crétacé-tertiaire ? On en prend hélas le chemin, et cette fois ce n’est pas le hasard ou la malchance qui nous frappe, c’est bien notre action délibérée qui détruit notre biotope.

Cela m’amène donc à jeter un pont entre la voie dangereuse dans laquelle s’est engagée l’humanité et l’apparition de ce virus qui provoque un arrêt brutal de nombreuses activités humaines, à commencer par celles qui produisent les effets les plus dommageables pour le climat et la santé avec la mise en sommeil de pans entiers de l’industrie, la réduction des circulations routière et aérienne à une fraction de ce qu’elles étaient avant la crise, et à une baisse de notre consommation de produits non essentiels qu’induisent les mesures de confinement (pour le moment, le trafic maritime semble peu impacté).

Je ne voudrais pas tomber dans des considérations irrationnelles sur l’apparition du Covid-19, mais il est tentant de penser qu’au fond, l’Architecte de tous les mondes aurait été cette fois entendu par Maître Hasard ! Puisqu’en effet, les humains se révèlent finalement incapables de maîtriser leur destin, alors leur envoyer ce virus infernal qui met un terme à leurs pires excès pour un certain temps, celui du confinement, les conduira peut-être à les modérer sur le plus long terme et à « remettre le monde à l’endroit » pour de bon. Mais il faudra aussi que Némésis s’en mêle car il ne faut pas culpabiliser la totalité des 7,8 milliards d’humains, mais d’abord la minorité qui dispose actuellement de tous les pouvoirs et qui nous entraîne vers le désastre ; cette minorité-là, il faudra bien d’une manière ou d’une autre la juger et la punir ou, a minima, l’empêcher de poursuivre son projet dévastateur porté par l’idéologie néolibérale…

            Bertrand

« Le temps retrouvé »

« Le temps retrouvé »

Celles et ceux qui ont eu le privilège de lire mon essai auront remarqué que la question du temps y est abordée à plusieurs reprises, aussi bien dans le « Conte cosmique » par lequel commence le livre, que dans le chapitre consacré au bien-être, et naturellement dans deux parties du dernier chapitre où il est précisément question du « temps retrouvé » et des retraites.

Les évènements que nous vivons, décidément très inspirants, m’amènent sans surprise à revenir sur ce sujet central de nos existences. Mais je voudrais auparavant, respectant en cela les habitudes prises depuis quelques semaines, vous donner à lire ou à relire un extrait du « temps retrouvé » :

Quoi de plus immatériel que cette notion ? Le temps n’a ni couleur, ni odeur, ni forme, il est totalement impalpable, mais il est omniprésent ; nul endroit où aller pour y échapper. Nous sommes immergés dans le temps tout comme nous le sommes dans l’espace, cette autre abstraction qui ne peut se concevoir que par rapport à la matière et aux objets qui y sont présents. Pour un astronaute en apesanteur qui fermerait les yeux au cours d’une sortie extra véhiculaire, la notion d’espace deviendrait une pure abstraction. Comme pour le temps, où que nous allions, l’espace de l’Univers tout entier reste autour de nous, sans limites, sans frontières. Ainsi, l’espace et le temps nous défient constamment parce qu’ils sont l’un et l’autre infinis, mais nous sommes condamnés à ne parcourir qu’une portion infime de l’un et l’autre au cours de nos vies. C’est pourquoi nous avons soif d’explorer des espaces de plus en plus grands et de bénéficier d’une part de temps la plus longue possible, mais nos vies resteront des éclairs de temps pendant lesquels nous ne ferons que des sauts de puce ! Pas étonnant alors que nous ayons une perception aussi aiguë de l’importance de ce temps abstrait et que nous ayons cherché depuis des millénaires à en donner des représentations concrètes et de le mesurer, représentations visuelles avec les calendriers, les cadrans solaires, les horloges et les montres, ou sonores avec les cloches de nos églises et autres carillons.     

Autant dire que notre temps, c’est-à-dire celui de notre vie, revêt une importance primordiale devant tout autre considération. Que serait notre vie si nous en disposions à volonté et si nous avions entière liberté de l’employer à notre guise ? Les conséquences sur nos vies induites par l’irruption du sinistre Covid-19 nous forcent à réfléchir sur la manière dont nous pourrions utiliser notre si précieux temps dans un autre monde, pas celui d’une société focalisée sur la productivité, l’efficacité, le profit et la consommation à outrance et qui nous impose de vivre constamment avec l’œil sur la montre, pas celui non plus du confinement forcé de millions de gens qui semblent désemparés devant cette situation inédite qui leur laisse soudainement plein de temps disponible et dont certains ne savent quoi faire ! Non, l’autre monde ne serait ni l’une, ni l’autre de ces deux situations ; d’ailleurs, n’est-il pas étrange que la plus grande part du bénéfice que l’on pourrait tirer de tout ce temps libre soit compromise par l’obligation de rester confiné chez soi, autrement dit que ce temps « libre » ressemble étrangement à celui dont « bénéficient » les pensionnaires de Fleury-Mérogis ?

Pourtant, malgré le confinement, cette manne de temps qui se comptera en semaines, voire en mois, va peut-être conduire nombre d’entre nous à s’interroger sur la manière dont nous « consommons » notre temps de vie. Quelles sont les proportions de temps que nous aimerions pouvoir accorder aux activités professionnelles, domestiques, sportives, associatives, mais aussi la part qui pourrait être consacrée au développement et au maintien de relations familiales harmonieuses ? Sans aucun doute, il y aura autant de réponses différentes que de situations individuelles. Mais il est également hautement probable que les personnes qui ont trouvé un équilibre satisfaisant entre ces activités soient très peu nombreuses. Prenons un seul exemple : des centaines de millions de personnes par le monde peuvent passer chaque jour deux heures ou plus dans leurs trajets domicile-travail ; combien d’entre elles apprécient ce temps perdu dans des transports en commun inconfortables ou dans les embouteillages ? J’ai personnellement connu cette situation pendant de longues années, mais j’ai également eu la chance de pouvoir expérimenter le confort extrême d’un trajet domicile-travail que je pouvais parcourir à pied en moins de quinze minutes et de vivre ainsi pendant plus de cinq ans sans voiture ! Tout ce temps retrouvé s’est traduit par une amélioration sensible de ma qualité de vie, avec moins de fatigue et de stress, et la liberté incomparable de n’avoir à compter sur rien, ni personne d’autre que moi-même pour aller et venir au quotidien.

L’un des facteurs les plus emblématiques du progrès humain a résidé en effet dans l’augmentation constante du temps libre au cours du siècle dernier. Toutefois, il ne suffit pas de libérer du temps, il faut aussi avoir réfléchi à ce que l’on peut en faire. Les situations dans lesquelles cette impréparation se manifeste sont nombreuses.

Il y a bien sûr cette vague de temps libre très insolite qu’expérimentent les confinés du Codiv-19 et qui leur impose de trouver en urgence de nouveaux emplois du temps ; paradoxalement, ces circonstances montrent que les plus défavorisés aux conditions de logement exiguës et inconfortables ne peuvent même pas bénéficier de ce qui est pour les autres une opportunité de réinventer une vie privée plus intense ; bien au contraire, ce « cadeau » de temps est vécu par les gens les plus modestes comme une nouvelle source de tensions pouvant conduire à des violences au sein de leur famille. Le progrès associé à l’augmentation du temps libre ne peut donc se réaliser pleinement que s’il s’accompagne d’une élévation du niveau de vie pour tous.

Dans un contexte très différent, on se rappellera que les congés payés accordés par le Front populaire en 1936 ont représenté pour leurs bénéficiaires une situation sans précédent à laquelle ils n’étaient pas préparés. L’utilisation de ces deux semaines de liberté se fera dans l’improvisation la première année, mais dès 1937, les nouveaux vacanciers commenceront à s’organiser, certains prévoyant un petit budget pour aller par exemple à la mer ou à la montagne. Espérons que le Covid-19 et ses avatars ne s’installeront pas aussi durablement que les congés payés !

Enfin, un dernier exemple illustrant le manque de préparation de certaines personnes qui se retrouvent soudain avec une disponibilité totale de leur temps du jour où elles entament leur retraite professionnelle. Là encore, le progrès humain rendu possible par ce temps libre ne peut porter tous ses fruits que s’il est associé à un projet qui donne un sens particulier à cette nouvelle étape de la vie.

Pour conclure ce long billet, réaffirmons que notre séjour sur la maison Terre est court ; nous devons donc veiller constamment à ce que l’on fait de notre temps et à ce qu’en font certains qui cherchent parfois à nous le voler ou nous incitent à le gaspiller…

Bertrand

De la mondialisation

De la mondialisation

Léo Charles, maître de conférence en économie à l’université de Rennes 2, ayant diffusé pour les membres d’ATTAC une note rédigée pour les Économistes atterrés sur la mondialisation néolibérale, cela m’a incité à reprendre certaines analyses déjà présentées dans mon essai. Je précise que je partage les points de vue exprimés dans cette note que je ne peux malheureusement pas inclure dans ce blog sans accord de son auteur.

Je rappelle que mon essai aborde sous des angles parfois insolites un ensemble de questions qui ont une importance majeure pour nos sociétés, mais qui ne sont pas des angles que pourraient envisager des spécialistes, car je ne suis ni économiste, ni sociologue, ni écologue, ni philosophe, ni …, ni… autant dire presque rien… De ce fait, mon discours est construit sur un vocabulaire accessible au plus grand nombre dans le but d’apporter ma modeste pierre à une forme d’éducation populaire. Pour prendre un exemple, je ne considère pas comme acquis que mes lecteurs aient une idée précise ou même une idée tout court de ce que sont le GATT et son avatar, l’OMC. Il m’a donc d’abord fallu en parler avant de montrer comment cet instrument juridique, qui donne la primauté quasi absolue au droit commercial sur tous les autres, a pu ouvrir un boulevard royal aux affairistes de tout bord pour engager massivement l’exploitation des ressources naturelles et du potentiel humain à partir des années 1980.

Je ne vais pas reprendre ici toutes les réflexions de mon livre qui concernent plus spécifiquement la mondialisation. Je voudrais simplement souligner trois points qui me paraissent fondamentaux :

  1. Tout d’abord, rappelons, n’en déplaise à Montesquieu, que le commerce n’adoucit pas les mœurs : si les riches Européens ont changé leurs habitudes détestables et n’ont pas déclenché de guerre mondiale depuis 75 ans, en revanche des guerres régionales auront fait des millions de victimes dans les pays pauvres, entraînant des déplacements massifs de populations civiles, sans parler des génocides qui ont eu lieu en Afrique (Biafra, Rwanda) et de toutes les violences qui accompagnent la misère de centaines de millions d’êtres humains. Notons au passage que notre baron de la Brède et de Montesquieu faisait preuve d’une certaine cécité sur les vertus pacificatrices du commerce quand on sait que le XVIIIème siècle a vu la mise en place du commerce triangulaire des noirs achetés à vil prix en Afrique pour les échanger dans les colonies d’outre-Atlantique contre des produits qui seront ensuite commercialisés en Europe pour le plus grand profit des marchands d’esclaves.
  • Ensuite, comme on vient de le voir, il s’est trouvé de tout temps parmi les humains un certain nombre d’individus, minoritaires, mais déterminés à tout faire pour conquérir le pouvoir et/ou amasser des fortunes. On aurait pu imaginer que ces personnages possèdent le sens de la compétition loyale, acceptant sportivement que le meilleur gagne et qu’ils respectent un certain nombre de principes qu’aurait pu leur inspirer la règle d’or des religions monothéistes : « ne fait pas à ton prochain ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse ». Bien sûr, ce beau principe est le plus souvent resté lettre morte et non seulement les Alliés vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale n’en n’ont pas tenu compte, mais ils ont imaginé ce que nous connaissons aujourd’hui en organisant le commerce mondial autour des principes du GATT qui ne faisaient aucun cas des droits humains, sociaux et du travail ; quant aux préoccupations sur l’environnement et sur la finitude des ressources naturelles, elles étaient alors totalement inexistantes. La mondialisation fondée sur l’exploitation des ressources coloniales s’étant rapidement éteinte dans les années soixante avec la reconnaissance du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, les accords du GATT sont arrivés à point nommé pour entreprendre une autre mondialisation fondée sur le libre commerce, entreprise devenue d’autant plus aisée que les performances des moyens de communication maritime, aérien et routier ne cessaient de s’améliorer, rendant le transport des marchandises de plus en plus fluide, rapide, sûr et bon marché. Puis, lorsqu’à l’aube des années 80 la Chine a proposé ses capacités de production excédentaires aux entreprises des pays occidentaux et que les TIC se sont étendues au monde entier, tout était en place pour que la division internationale du travail se développe à un degré extravagant et que les profits s’envolent, tandis que les inégalités de revenus se creusaient comme jamais.
  • Comment « remettre le monde à l’endroit » si le cadre institutionnel dans lequel s’est développée cette mondialisation ne change pas ? Réformer l’OMC ne suffira pas puisque le multilatéralisme qu’il a mis en place est peu à peu supplanté par des accords bilatéraux, les ALE, qui se développent tous azimuts, notamment entre l’UE et des pays tiers. Et ce ne sont pas les quelques dispositions peu ou pas contraignantes de ces accords sur le droit du travail, les questions sanitaires ou la protection de l’environnement qui vont modérer la folle intensité des échanges. Au tournant de la crise du Covid-19, ne faudrait-il pas qu’un moratoire sur ces nouveaux accords soit décidé de manière à négocier l’extension des MNT (Mesures Non Tarifaires) à de nouveaux domaines comme l’obligation de respecter les droits humains, de ratifier et mettre en œuvre les conventions de l’OIT, d’offrir une couverture santé aux employés, de verser des salaires permettant de vivre dignement et enfin de respecter des normes environnementales strictes ? Cela aurait évidemment pour effet de réduire considérablement l’écart qui existe actuellement entre les coûts de production des pays-usines d’Asie et ceux des pays de l’OCDE, ce qui favoriserait le rapatriement de nombre d’industries et conduirait à terme à ce que la division du travail ne soit plus fondée sur le seul avantage comparatif, credo de l’OMC, mais sur une plus grande autonomie des grandes régions du monde qui n’échangeraient entre elles que des productions complémentaires, sachant que la libre concurrence pourrait s’exercer de façon loyale au sein de ces régions grâce à des dispositions fiscales, sociales et environnementales qui auraient été harmonisées au mieux. Seule la libre circulation des savoirs et des savoir-faire serait encouragée et protégée, notamment dans des domaines aussi critiques pour le bien-être des humains que la recherche médicale et la production de médicaments. 

Pour conclure, je reprendrai cet extrait de la conclusion de mon essai :

Pour tendre vers l’harmonie, le développement humain doit intégrer un grand nombre de distinctions culturelles et sociétales qui colorent les pays et les régions de la planète, ce que ne fait pas la société globale que les pouvoirs en place et le monde marchand essaient de promouvoir et d’installer.

Bertrand THEBAULT