La Commission européenne se félicite des résultats des accords de libre-échange (ALE)

Il serait surprenant que les experts en tout genre qui œuvrent à la Commission européenne n’aient pas été recrutés sur la base de critères rigoureux afin de s’assurer qu’ils possèdent bien toutes les compétences requises pour faire des propositions ou prendre des décisions parfaitement cohérentes et en toute chose, frappées au coin du bon sens ! 

Si tel est le cas, alors il faudrait que quelques-uns d’entre eux se portent volontaires pour éclairer les citoyens ordinaires que nous sommes. Pour ma part, la lecture du dernier rapport de la Commission sur les ALE en date du 11 octobre 2022 me plonge dans la plus grande confusion.

La Commission se félicite en effet de la croissance des échanges que les ALE ont permise, notamment au niveau des exportations de l’Union qui ont atteint en 2021 un record historique de 1000 milliards d’€ sans préciser l’évolution de nos importations. Accroître les échanges, cela signifie en toute logique augmenter le niveau d’interdépendance entre les États parties des ALE. Or, si des sources d’approvisionnement diversifiées et résilientes sont en effet indispensables pour des matières premières telles que minerais et énergies fossiles, l’accroissement général des échanges ne peut qu’augmenter la quantité de produits finis, semi-finis ou de simples composants provenant de pays hors UE qui nous sont également indispensables, notamment en situation de crise sanitaire comme on l’a vu avec le Covid, mais comme on le voit tout autant aujourd’hui dans de nombreux secteurs d’activité. Chercher à accroître les échanges va donc à l’encontre de la nécessité de faire revenir en Europe des productions qui renforceraient justement notre résilience en cas de ruptures ou de dysfonctionnements des chaînes d’approvisionnement actuelles. D’ailleurs, nous trouvons par exemple dans les derniers documents de la Commission une initiative louable pour lancer un programme de travail visant à constituer une alliance européenne de l’industrie du photovoltaïque solaire (Commission kicks off work on a European Solar Photovoltaic Industry Alliance). Mais ce qui est bon pour l’exploitation de l’énergie solaire ne l’est-il pas pour bien d’autres secteurs de l’industrie ?

Quelle est donc exactement la stratégie commerciale dont parle ce dernier rapport ? On comprend qu’il s’agit d’amplifier les interdépendances en multipliant et en élargissant les accords de libre-échange plutôt que de limiter sur le long terme ces accords à l’échange de produits complémentaires et non concurrents. Tout ce que les uns savent faire et bien faire, pourquoi donc aller le chercher chez les autres si ce n’est pour accroître les profits en utilisant une main-d’œuvre bon marché, fût-elle située à l’autre bout du monde.

La Commission prétend également mener une politique environnementale exemplaire avec son European Green Deal. Cette prétention est pourtant incompatible avec l’intensification des échanges, et plus généralement avec l’idée de croissance, puisqu’elle s’accompagne inévitablement d’un supplément de consommation d’énergie pour le transport des marchandises, donc d’une augmentation des émissions de GES, mais aussi de bien d’autres effets délétères pour l’environnement et la santé ! Dans sa note d’auto satisfaction la Commission se garde bien évidemment d’évoquer ces aspects-là du problème.

Mais au fond, négocier des accords commerciaux et déterminer ce qui est bon ou mauvais pour les Européens, d’un point de vue néolibéral bien sûr, c’est-à-dire pour les entreprises et le commerce, ce sont-là des affaires affreusement compliquées ; alors pourquoi consacrer du temps en pure perte à essayer de les expliquer aux citoyens ordinaires, ou pire encore, à solliciter leur avis, et ne parlons pas de leur accord ! D’ailleurs, je suis la preuve vivante de cette incapacité à entrevoir la complexité des mécanismes qui sont à l’œuvre pour celles et ceux qui ne font pas partie du cercle des initiés en charge de ces très importantes questions… 

À moins qu’ils ne comprennent pas eux-mêmes ce qu’ils font. Ou bien encore que tout en étant conscients de l’inanité de cette politique, ils s’y tiennent envers et contre toute raison pour assurer aussi longtemps que possible la survie de l’ordre économique néolibéral.

Bertrand

https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/MEX_22_6106