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Rien ne les arrête

Rien ne les arrête

Pour une large part, la survie du capitalisme se nourrit des ressources infinies de la technologie. Non pas de la science qui nécessite des investissements à moyen et long termes et coûte sans ne rien rapporter à court terme, mais de la technologie ! Celle-ci s’appuie évidemment sur des avancées de la science, parfois assez récentes, mais qui peuvent aussi remonter à plusieurs siècles. Des recherches fondamentales sur la thermodynamique, l’électricité, les ondes électromagnétiques, l’atome, les physiques relativistes et quantiques, les propriétés chimiques de la matière ou encore les semi-conducteurs ont permis de développer des machines à vapeur, des génératrices électriques, des communications par ondes hertziennes, des centrales nucléaires et leurs sinistres avatars que sont les armes atomiques, des horloges tout aussi atomiques, mais moins dangereuses, et dont la précision a permis de développer des systèmes de navigation ultra performants, des rayons lasers, toutes sortes de matériaux, ou encore les transistors et autres diodes sans lesquelles nous n’aurions pas de téléphones portables et les milliers de gadgets électroniques à l’utilité parfois contestable.

Dès lors, les marchands et les financiers ayant une imagination qui ne connaît pas de limites, placés devant des étagères qui se remplissent constamment de nouvelles technologies, vont les utiliser pour offrir une multitude de nouveaux produits dont la vente continuera à alimenter la machine à cash, ou pour jouer au Monopoly à la vitesse de la lumière avec le « trading haute fréquence » …

L’ennui est que toute cette activité de production épuise les ressources de la planète, la pollue durablement et provoque, ou à tout le moins, accélère le réchauffement climatique, sans parler des encombrements générés par la civilisation de l’automobile et du transport routier qui font perdre chaque jour des millions d’heures aux humains dans des transhumances entre domiciles et lieux de travail.

Mais qu’à cela ne tienne, les capitalistes ont réponse à tout : les problèmes liés à l’usage immodéré de la technologie vont être résolus par un usage « intelligent » de… la technologie. Les pyromanes se présentent alors avec une tenue et des accessoires de soldats du feu. Proposer des solutions technologiques pour affronter les problèmes qu’ils ont créés de toutes pièces est donc particulièrement malin puisque cette stratégie va leur permettre de s’installer sur de nouveaux et prometteurs marchés.

Voilà qui m’amène – enfin – aux JO 2024 de Paris. En novembre dernier, j’ai retrouvé au cours d’un salon du livre Jean-Pierre Rey qui présentait son catastrophiste Ouragan sur les Jeux, qu’il appelle lui-même OLNI, Objet Littéraire Non Identifié. Mais dans son ouvrage tout autant impertinent que burlesque, l’auteur n’avait pas encore imaginé cet improbable fruit de l’imagination des maîtres de cérémonie de ces Jeux XXL que je vais vous présenter !   

Et en effet, comme on pourra le constater ci-après, les problèmes de circulation dans et autour de la capitale qu’anticipent les brillants organisateurs de cette méga manifestation sportive, représentent un tel défi à relever, qu’ils ont trouvé un moyen que le monde entier va nous envier, même les Étatsuniens, pour éviter la congestion, la thrombose et l’asphyxie, que dis-je, l’effondrement !

Après les 100% d’augmentation des tickets de métro, les restrictions de circulation automobile pour les uns, piétonnière pour les autres, voilà que seront proposés les taxis aériens, ce qui démontre une audace hors du commun.

Cette nouvelle mobilité en est à ses balbutiements, mais qu’importe, la DGAC (Direction générale de l’Aviation civile), Aéroports de Paris, la Région Ile-de-France, la RATP, l’AESA (Agence européenne de la Sécurité aérienne) et le constructeur allemand VOLOCOPTER se sont engagés à mettre en service des taxis aériens pour les JO 2024 et espèrent être alors les premiers à avoir effectué la mise en service commerciale de ces engins volants.

On les nomme eVTOL, pour electric Vertical Take-Off and Landing , c’est-à-dire des appareils à décollage et atterrissage vertical électriques (ADAV), plus communément connus sous le nom de drones lorsqu’ils ne transportent pas de passagers. Ils utilisent des moteurs électriques disposant d’une forte puissance massique, donc légers et puissants à la fois, certains modèles pouvant soulever des masses supérieures à une tonne. Évidemment présentés comme écologiques car n’émettant pas de CO2, ils n’en consomment pas moins pour leur fabrication tout un éventail de matières premières et bien sûr de l’énergie, fossile ou non. Quant à l’électricité nécessaire à la recharge des batteries, elle n’a pas toujours été produite sans émettre de CO2, surtout quand elle provient de centrales au charbon. De plus, nous verrons que la quantité d’énergie que consomment ces engins est en fait une aberration dans le contexte actuel. Bien qu’il s’agisse de nouveaux gadgets destinés à transporter une infime minorité de privilégiés argentés, de plus en plus d’entreprises dans le monde, allant des grands constructeurs aéronautiques comme Airbus et Boeing aux jeunes pousses, se sont lancées dans la conception et la certification des eVTOL supposés offrir une alternative aux taxis terrestres et aux transports en commun, rien de moins ! Ainsi, l’entreprise étatsunienne Archer envisage-t-elle d’établir un véritable pont aérien avec son eVTOL Midnight entre aéroports et centres-villes, annonçant le projet, mené conjointement avec la compagnie aérienne United, d’une telle liaison entre l’aéroport de Newark et le centre-ville de New-York.

C’est à peu près ce qui est visé pour nos JO, à savoir relier les aéroports du Bourget et de Paris-CDG, l’aérodrome de Saint-Cyr-l’École (près de Versailles) et l’héliport d’Issy-les-Moulineaux avec le centre de Paris au moyen du VoloCity de VOLOCOPTER, un eVTOL de fabrication allemande munis de 18 moteurs électriques. D’une masse maximum de 900kg, il ne peut transporter qu’un pilote et un passager avec ses bagages, soit 200kg de charge utile. Ne pouvant parcourir que 35 km, ses neuf batteries devront être remplacées ou rechargées après chaque vol ! Mais il faudra aussi trouver au moins un vertiport dans le centre de Paris, c’est-à-dire une surface adéquate pour poser ces machines. Il a donc été envisagé d’utiliser une barge sur la Seine amarrée près du pont d’Austerlitz, projet qui semble avoir du plomb dans les hélices.

En effet, deux avis défavorables ont été donnés pour ces taxis aériens, à commencer pour le vertiport du quai Austerlitz en l’absence duquel le projet perdrait beaucoup d’intérêt, d’autant que de l’intérêt, il en a déjà très peu comme on peut s’en douter en tant que transport urbain !

C’est en premier l’Autorité environnementale (AE) qui, en septembre dernier, a déploré la faiblesse de l’étude d’impact faite par ADP : ainsi, le niveau sonore, considéré comme accessoire dans cette étude, ne le serait pas du tout puisque les VoloCity auraient un niveau de bruit de 65 db, comparable à celui d’une voiture thermique ; par ailleurs, quid des risques de chute de l’un de ces appareils, que ce soit par défaillance technique ou par acte de malveillance ? Si l’interdiction de survol de la capitale devait être levée pour ces engins, pourquoi ne le serait-elle pas pour d’autres aéronefs légers ? Par ailleurs, il est remarqué à juste titre que la consommation d’énergie de ce mode de transport est désastreuse. Avec 190 kWh aux 100 km-passager, il est 30 fois supérieur à celui du métro, dépasse largement celui d’une voiture thermique (50 kWh aux 100 km-passager) et plus encore celui d’une voiture électrique (15 kWh aux 100 km-passager) : la consommation électrique du VoloCity serait au moins 6 fois supérieure à celle d’une voiture électrique transportant 2 à 3 passagers. Ce projet va donc totalement à l’encontre des objectifs de réduction de consommation d’énergie dans les transports urbains. Enfin, le prix du billet aller simple Le Bourget-Paris est annoncé à 110 €, plus cher qu’un taxi terrestre, avec le gros inconvénient que l’eVTOL ne vous déposerait pas à l’adresse où vous devez vous rendre, mais sur une barge ; de là, il faudrait donc reprendre un taxi terrestre ! Ajoutons qu’avec la rémunération d’un pilote pour chaque vol, plus la consommation électrique et les dépenses de toutes sortes qui auront été nécessaires pour organiser cette opération (études d’impact sur l’environnement, analyses de sécurité, établissement de procédures de contrôle d’un espace aérien très contraint, équipement et mise en place d’une barge, création de vertiports sur les sites aéroportuaires, etc.), on ne voit pas comment de tels coûts pourraient être couverts, même avec le prix de 110 € acquitté par l’unique passager !

Le coup de grâce aurait pu être donné le 15 novembre dernier par la Commission Environnement du Conseil de Paris : toutes tendances confondues, celle-ci a tout simplement émis un avis défavorable à la construction du vertiport quai d’Austerlitz. Il est certain que monsieur Edward Arkwright, Directeur général exécutif d’ADP qui porte ce projet, n’a pas dû être content du tout !

Voilà un sujet qui ne manque pas d’intérêt comme illustration des « solutions » prétendument décarbonées qu’offre le système capitaliste pour affronter le changement climatique et réparer tous les désordres engendrés par la merveilleuse économie de marché. Voilà aussi la preuve que les JO sont plus que jamais une affaire de marketing et de business, loin, très loin de ce que pourrait être l’objectif d’une telle rencontre : le temps des compétitions, réunir, sous le signe de l’amitié entre les peuples, des hommes et des femmes du monde entier en imposant une pose dans tous les conflits, ce qui pourrait permettre à certains belligérants de négocier une paix durable, comme l’avaient souhaité les Grecs de l’Antiquité qui avaient instauré une trêve entre les cités grecques pendant les Jeux d’Olympie.

Aux dernières nouvelles, le constructeur allemand ne serait pas en mesure de se conformer à toutes les conditions de sécurité requises et ces merveilleux engins pleins de promesses – mais lesquelles ? – ne seraient donc pas autorisés à transporter de passager (« s » omis volontairement).

Bertrand

Quels mots pour le dire?

Quels mots pour le dire?

La nuit n’assombrit pas que tout l’espace dont elle s’empare, parfois elle assombrit aussi nos pensées, surtout quand le sommeil se fait attendre. Mais depuis bientôt cinq longs mois, ce sont très souvent les mêmes pensées qui reviennent, alimentées au jour le jour par des récits et des images sur lesquels il est difficile de mettre des mots. Comment en effet parler de l’indicible ? Après les évènements du 7 octobre 2023 nous avons compris comment le choix des mots peut constituer un exercice périlleux, à tel point que la polémique peut naître non seulement des mots qui ont été utilisés, mais aussi de ceux qui ne l’ont pas été ! Pourtant, dans l’obscurité silencieuse il faut absolument les trouver ces mots car vos neurones miroirs l’exigent, ces neurones de l’empathie pris d’une indigestion de compassion au point d’être envahis par la nausée. Et il est vrai que ces mots, choisis un à un, mettent un peu de baume sur nos pensées les plus sombres. Pour ne pas perdre ces mots, le projet de les consigner par écrit quand le jour reviendra semble alors s’imposer. Projet dont l’exécution est néanmoins sans cesse retardée car chaque jour qui passe ajoute son cortège de souffrances au drame qui se déroule sous les yeux du monde entier, lui donnant un caractère toujours plus atroce et plus insoutenable.  

Pourquoi donc avoir attendu aujourd’hui pour coucher noir sur blanc ces terribles pensées nocturnes ? Sans doute parce que l’horreur a désormais atteint un degré de barbarie que l’on peut aujourd’hui clairement percevoir : le peuple palestinien est confronté à la pire des tragédies, à savoir sa propre disparition.

Alors, venons-en à ces mots qu’il faut bien finir par prononcer et écrire.

Mais il y a d’abord les chiffres, ceux de la mort, des chiffres qui battent tous les records de ces dernières décennies : en ce début du mois de mars 2024, ils seraient plus de 30 000 à avoir péri sous les bombardements, soit 1,36% de la population de Gaza. Ce nombre de morts, répertoriés par le Hamas, enterrés à la va-vite, sans sépultures et parfois non identifiés, n’incluent pas les quelques milliers de Palestiniens qui ont succombé sous les décombres d’immeubles touchés par des missiles ou des bombes et qui se sont effondrés comme sous l’effet d’un violent tremblement de terre ; cette situation est d’ailleurs attestée par des témoignages qui font état de l’odeur de mort due à la décomposition des cadavres qui emplit l’air dans certains secteurs de Gaza. Mais il y a aussi les blessés : sont-ils 100 000, 200 000 ou plus encore ? Des éléments crédibles permettent de se faire une idée de l’importance des victimes, comme cette enquête qui indique que près des deux tiers des habitants de Gaza ont un proche, ami ou famille, qui a été tué ou blessé depuis le 7 octobre 2024, ce qui correspond à environ 1 400 000 personnes sur une population du ghetto qui était de 2 200 000.  

Pour rester encore un instant sur les chiffres, osons quelques comparaisons. 

Entre 1940 et 1945, la Seconde Guerre mondiale a fait 541 000 morts en France pour une population de 40 690 000 (chiffre de 1940), soit 1,33% de la population. Nous sommes actuellement à 1,36% pour Gaza et ce chiffre risque fort d’augmenter encore, mais il aura été atteint non pas sur une période de cinq ans, mais de cinq mois seulement. Il s’agit donc d’un massacre d’une violence inouïe. A ce rythme, la Seconde Guerre mondiale aurait tué 16,3% de la population française en cinq ans, soit 6,64 millions de personnes ! Ou encore, c’est comme si la France d’aujourd’hui – 67 millions d’âmes – était engagée dans un conflit majeur et avait à déplorer près d’un million de tués et plusieurs millions de blessés au bout de cinq mois de guerre ! 

Au cours de la Première Guerre mondiale, 1,7 millions de Français sont morts à cause de ce conflit pour une population qui était de 39,6 millions en 1914, soit un ratio de 4,3%, ce qui est en effet énorme. Mais sur une durée de 48 mois, cela donne 0,90/00 par mois et sur cinq mois, 0,45%, soit un rythme moyen trois fois inférieur à celui constaté à Gaza depuis le 7 octobre 2023. Les Israéliens commettent donc dans le ghetto une véritable boucherie qui touche de surcroît surtout des civils, pire encore une majorité de femmes et d’enfants. 

Le constat est atterrant : aucun conflit des XXe et XXIe siècles n’aura tué en si peu de temps une telle proportion d’une population. Il s’agit également de massacres qui auront provoqué en moyenne plus de morts au quotidien que tous les conflits du XXIe siècle, soit plus de 200 morts par jour pour une durée de 150 jours.

D’un autre côté, impossible dans le contexte actuel de ne pas établir une comparaison avec le conflit qui oppose la Russie à l’Ukraine. Le chiffre des victimes est difficile à établir, d’un côté comme de l’autre, ceux fournis par les autorités étant sujets à caution. Oxfam donnait cependant le chiffre moyen de 44 tués par jour en Ukraine à la date du 12 janvier 2024. A la lecture de ce chiffre, Poutine fait pâle figure à côté de Netanyahu, d’autant que ces 44 victimes quotidiennes concernent une majorité de combattants et se rapportent à une population de 43,2 millions d’habitants contre plus de 200 victimes en majorité des civils et pour une population de seulement 2,2 millions dans le ghetto de Gaza ! L’appétit de l’Ogre du Kremlin est encore très loin d’égaler celui du Monstre d’Israël. 

Devant de telles situations et de tels bilans, on peut s’étonner de l’incohérence des gouvernements occidentaux qui ont fait le choix d’une fourniture massive d’armements au plus faible dans la guerre Russie-Ukraine, mais au plus fort dans le conflit israélo-palestinien. Choix d’autant plus ignoble que le rapport des forces en présence est relativement équilibré dans le premier cas alors qu’il est totalement disproportionné entre les forces israéliennes et palestiniennes au point que l’on ne peut plus considérer qu’il s’agit d’une guerre, mais bien d’un processus de génocide froidement mis en œuvre par le Monstre qui a ordonné à ses militaires de massacrer des civils sans défense, de priver la population de Gaza des produits essentiels à leur survie – eau, nourriture, électricité, médicaments -, de détruire hôpitaux, écoles, mosquées, églises, bâtiments administratifs et habitations par milliers, toutes privations ou destructions qui induisent d’autres pertes de vies dues à l’impossibilité de soigner blessés et malades et visent à affamer la population.

Et en effet, de jeunes enfants commencent à mourir de faim à Gaza et les parents suivront si rien n’est imposé à Israël pour laisser pénétrer librement une aide humanitaire massive dans le ghetto et faire taire les armes. Bien sûr, de trop nombreux enfants meurent également de faim chaque jour dans certains pays, en Afrique notamment, pour des raisons diverses : mauvaises récoltes, instabilité politique et sociale, exactions de seigneurs de guerre qui confisquent à leur profit l’aide alimentaire, etc. Mais la situation de Gaza a cela de particulièrement atroce que c’est un gouvernement prétendument démocratique qui soumet délibérément toute une population à des privations destinées à provoquer la mort de dizaines de milliers d’êtres humains qui disposaient il y a quelques mois encore du minimum vital.    

Ce constat nous ramène aux réflexions présentées dans ma précédente chronique, à savoir que l’action du Monstre et de son armée répond aux critères de génocide définis dans la « Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide » datant de 1948 et ratifiée par 153 États dont Israël et les États-Unis. Examinons un à un les cinq alinéas de l’Article II de la Convention qui définissent le terme de génocide.

« Génocide signifie que l’une des actions suivantes est commise en vue de détruire partiellement ou totalement un groupe national, ethnique, racial ou religieux comme :

  1. Meurtres de membres du groupe ;
  2. Atteintes graves à l’intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
  3. Infliger délibérément des conditions de vie au groupe visant à entraîner sa destruction physique partielle ou totale. 
  4. Prendre des mesures destinées à entraver les naissances au sein du groupe ;
  5. Transférer de force des enfants du groupe à un autre groupe. » 

Seul le dernier critère n’est pas rempli, mais rappelons qu’il suffit d’un seul de ces critères pour qualifier une action de génocide. 

Les critères a), b) et c) sont en revanche clairement satisfaits. 

Quant au d), il l’est en ce sens qu’une forte proportion de femmes sont tuées ou ne peuvent accoucher en sécurité du fait que hôpitaux, ambulances et personnels soignants sont visés par les tirs de Tsahal et que matériel médical et médicaments ne parviennent plus dans le ghetto. 

Remarquons que les qualifications de crimes de guerre (comme s’attaquer à des populations civiles et des objectifs non militaires, mais aussi à des prisonniers de guerre et à des blessés) et de crimes contre l’humanité(attaque généralisée et systématique contre une population civile) correspondent également aux actions ordonnées par les dirigeants d’Israël à son armée. Ces qualifications pourraient également concerner les combattants palestiniens du Hamas engagés dans l’attaque du 7 octobre. 

Dans cette tragédie, plusieurs dirigeants politiques occidentaux devraient être poursuivis, avec les dirigeants israéliens, par la Cour pénale internationale en tant que complices pour avoir livré des armes à Israël qui ont été utilisées pour accomplir les massacres. 

Avant de conclure, j’aimerais réitérer un dernier commentaire sur l’une des conséquences de ce drame : comment celui que j’ai nommé le Monstre peut-il agir de la sorte sans percevoir qu’il a d’ores et déjà compromis le potentiel de compassion qu’avaient obtenu tous les juifs depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ? Il démontre stupidement que les dirigeants juifs d’Israël sont eux aussi capables de commettre les pires atrocités au point de commettre eux aussi un génocide ! Comment pourra-t-il continuer à s’insurger contre l’antisémitisme quand il en est le premier promoteur de par les réactions que ses actes vont provoquer sur un grand nombre d’individus ? Et que dire des chefs d’État qui lui apportent leur soutien ? Après l’Holocauste, n’avait-on pas dit « Plus jamais ça » ?

En conclusion, et après avoir choisi des mots pour qualifier les exactions et leurs auteurs, je voudrais redire à quel point nombre de dirigeants de ce monde portent au désespoir et sont une honte pour l’humanité. Certes les citoyens des démocraties ont, après tout, les dirigeants qu’ils méritent puisqu’ils les ont élus … enfin plus ou moins bien et plus ou moins librement. Mais il faut alors s’interroger sur l’apport de ces démocraties imparfaites à la civilisation humaine quand on peut constater que les démocraties occidentales peuvent être auteurs ou complices de crimes qui rivalisent de barbarie avec ceux commis par des régimes totalitaires. 

Merci d’avoir lu cette sombre chronique jusqu’au bout. Vous serez sans doute peu nombreux à l’avoir fait, mais peut-être que certains d’entre vous auront eux aussi envie d’exprimer leur compassion pour cette population qui n’a d’autre avenir que la perspective de mourir d’un instant à l’autre. 

Bertrand  

Retour vers la courbe en cloche

Retour vers la courbe en cloche

La citation qui suit a été rapportée par un commentateur inspiré et élogieux à propos d’une rencontre d’une hauteur exceptionnelle entre Edwy Plenel et Elias Sanbar sur le drame israélo-palestinien. L’invité du directeur de la publication de Médiapart est un Palestinien d’une grande culture. Né en 1947, il a été notamment ancien ambassadeur de la Palestine auprès de l’UNESCO et, plus récemment, commissaire d’une exposition à l’IMA (Institut du Monde Arabe) sur le thème « Ce que la Palestine apporte au monde ». Il nous démontre dans son intervention du 26 décembre 2023 une profondeur de réflexion et une humanité hors du commun. Je recommande l’écoute de cet interview qui nous éloigne des discours superficiels et tendancieux des médias dominants. La citation annoncée est de Germaine Tillion, ancienne résistante déportée à Ravensbrück et dont l’œuvre de sa longue vie (elle est morte à près de 101 ans) lui a valu d’entrer au Panthéon en 2015. Elle disait :

« L’Humanité se compose de deux minuscules minorités : celle des brutes féroces, des traîtres, des sadiques d’une part, et de l’autre, celle des hommes de grand courage et de grand désintéressement qui mettent leur pouvoir, s’ils en ont, au service du bien. Entre ces 2 extrêmes, l’immense majorité d’entre nous est composée de gens ordinaires qui se révèlent dangereux à la moindre crise. »

Voilà qui rejoint trois des textes publiés dans mon dernier recueil de chroniques sur la représentation mathématique qui pourrait être faite du comportement des humains par une courbe de Gauss désignée de façon imagée par « courbe en cloche » à cause de sa forme. Ce que Germaine Tillon appelait les « minuscules minorités » correspond aux « queues de distribution » à gauche et à droite de la courbe ; quant à « l’immense majorité », elle correspond à sa partie centrale.

Mais je renvoie aux pages 130 à 145 de mon recueil de chroniques AUTOUR D’UN LIVRE Bienvenue chez Némésis, Volume II (320 pages, éditions Amalthée, septembre 2023). 

Et je termine avec l’espoir que l’humanité prendra enfin en 2024 une tout autre direction qui puisse la conduire vers un avenir moins tragique…

Bertrand    

Pensée du jour

Pensée du jour

Certains enfants qui ont été battus par leurs parents feront de même avec leurs propres enfants.

Certains descendants des juifs assassinés par les nazis continuent de leur côté à assassiner des Palestiniens.

Certains réagiront devant ce parallèle, estimant que comparaison n’est pas raison, ce qui n’est pas entièrement faux.

Pourtant, assassiner c’est bien dans tous les cas donner délibérément la mort, qu’importe les moyens employés. 

Cette humanité, dont la barbarie hante et saccage mes nuits, me désespère !

Envie de fuir très loin !

Quelqu’un connaît-il un coin perdu du cosmos où se trouve une planète sur laquelle vivraient des créatures pensantes, vertueuses en toute chose, douées de raison, d’empathie et pour tout dire, qui vivent d’amour et ignorent la haine ?

Si ce coin de paradis existe, quelqu’un peut-il me donner l’adresse d’un magicien qui pourrait me téléporter tout là-haut à une vitesse mille fois plus grande que celle de la lumière ?

Fuir !

Bertrand, né le 15 décembre 1948

Tous « terroristes »?

Tous « terroristes »?

« Chroniques d’un temps d’incertitudes » est une formule qui aurait pu servir de titre à mon deuxième recueil de chroniques publié le 6 septembre 2023. Pour des raisons que je donne en introduction de ce nouveau recueil, j’ai adopté le même titre et le même sous-titre que pour le précédent, mais j’ai tout de même voulu que cette formule serve de chapeau aux 320 pages de réflexions que m’ont inspiré certains évènements survenus entre 2021 et 2023. 

            J’ai négligé pendant de longs mois d’alimenter régulièrement mon blog, non pas à cause d’une actualité qui serait devenue inintéressante, mais à cause de la charge de travail que représente la sortie puis la promotion d’un nouveau livre. C’est pourquoi j’ai dû prendre mon courage à deux mains quand l’actualité a soudainement atteint des sommets d’horreurs et de parti pris, me demandant comment remettre de l’ordre dans mes esprits alors que j’étais submergé d’indignation et de colère. 

            Sans surprise et comme toujours, j’ai senti que la construction de raisonnements écrits répondrait à ce besoin de structuration de la pensée, à distance de discours qui cherchent à susciter l’émotion par toutes sortes de moyens sans en appeler à la raison. 

            L’actualité dont je parle concerne évidemment la poussée de violence sans précédent qui s’est brusquement déchaînée entre Palestiniens et Israéliens à partir du 7 octobre 2023. Nous reviendrons ultérieurement sur ce qui a été dit du Hamas et du gouvernement de Benyamin Netanyahou dans les sphères médiatiques et gouvernementales françaises. Pour l’heure, il convient de se pencher sur le sens qu’il faut attribuer aux termes « terroriste » et « terrorisme », car l’utilisation de mots dont le sens n’est pas compris dans toute son étendue peut conduire à de l’incompréhension, voire à de la manipulation.       

Commençons par ce que dit le dictionnaire du mot « terroriste » (Petit Robert) : « 1° S’est dit après la chute de Robespierre de ceux qui avaient soutenu ou appliqué la politique de terreur. 2° Membre d’une organisation qui use du terrorisme comme moyen d’action, qui exécute des actes de terrorisme. »

Comme on peut le constater dans cette formulation, le mot n’est pas défini dans sa généralité. L’alinéa relatif à Robespierre avait déjà été utilisé pour définir le mot « terrorisme » et relève donc plus de l’étymologie de ces mots que d’une définition : l’un et l’autre concernent un individu, un groupe d’individus ou un pouvoir – les terroristes – qui, par leurs actions, installent un état de terreur – le terrorisme. Mais de quelle terreur s’agit-il ? C’est tout le problème d’une définition donnée par un dictionnaire : un mot se trouve défini par d’autres mots, lesquels demandent eux-mêmes à être définis, et ainsi de suite…

Notons d’abord que la terreur peut être provoquée de mille et une manières : celle par exemple qui résulte d’un tremblement de terre, de l’éruption soudaine d’un volcan, d’un tsunami, d’un cyclone dévastateur, ou encore de l’attaque par un animal féroce, autrement dit tout ce que la nature peut produire de menaces pour la vie des humains ; mais il y a aussi des circonstances imprévues liées à l’activité humaine elle-même qui peuvent provoquer des situations de terreur pour les passagers d’un navire qui va sombrer après avoir percuté un iceberg ou pour ceux d’un avion dont l’équipage a perdu le contrôle et qui réalisent pendant de longues et effroyables minutes qu’ils vont tous mourir. Cependant, toutes ces circonstances, aussi cauchemardesques soient-elles, n’ont rien à voir avec le terrorisme puisqu’elles ne sont pas le résultat d’actions délibérées d’humains qui visent à terroriser d’autres humains. 

Mais revenons au terme « terroriste » lui-même. Le dictionnaire ajoute un éclairage intéressant en citant Simone de Beauvoir : « Les activités « terroristes » se multiplièrent en dépit des répressions : les collaborateurs se déchaînèrent ».Mettant à dessein le mot « terroristes » entre guillemets, l’écrivaine veut nous indiquer la toute relativité du qualificatif, et en effet, cela mérite quelques développements !

La première évidence à souligner concerne les conséquences des actes de terroristes qui ont réussi dans leur entreprise : d’abord créer soudainement une terreur panique en infligeant des blessures mortelles ou très graves et en provoquant d’éventuels dégâts matériels importants, les terroristes ayant eux-même pris le risque assumé d’être arrêtés, blessés ou tués ; mais il s’agit aussi de créer un climat de terreur durable parmi les membres d’une population ou d’un groupe d’individus de manière, soit à décourager tout acte de résistance si le terrorisme est d’ordre institutionnel – la Terreur de 1793 ou la dictature de Pinochet à partir de 1973 -, soit à attirer l’attention sur des revendications parfois recevables, mais par l’utilisation de moyens totalement condamnables lorsqu’ils provoquent le versement du sang d’innocents.

Dès lors, se pose la question de la moralité de ces terroristes. 

Remarquons que celui qui tue en attaquant une banque est d’abord un gangster, un truand ou un brigand, avant même d’être un assassin, mais pas un terroriste. De même, celui qui commet un crime dans le cadre d’un « contrat » contre une somme d’argent est un tueur à gages, mais pas un terroriste. Les membres de Cosa Nostra sont des assassins qui, semant la terreur dans les clans adverses ou chez les juges qui les pourchassent, sont désignés comme mafiosi, mais pas comme terroristes. Citons encore les crimes passionnels ou commis sous l’emprise de produits tels que l’alcool et autres drogues : leurs auteurs, pas plus que les chauffards qui tuent au volant de leur véhicule, ne sont jamais qualifiés de terroristes. Tous les individus que je viens de citer ont soit une moralité pour le moins douteuse, voire abominable, ou sont incapables de se contrôler, avec ou sans consommation de produits addictifs, ou bien encore sont totalement irresponsables ; mais leur comportement n’a d’autre raison que la satisfaction de besoins personnels, que la réponse à des pulsions ou que leur stupidité, ce qui n’en fait pas des terroristes. 

Il faut donc, pour obtenir le statut de terroriste, n’être pas seulement un individu qui provoque délibérément des pertes de vies humaines assorties éventuellement de dommages matériels. Il lui faut aussi des motivations qui n’ont pas de lien avec ses intérêts personnels. Il n’agit pas pour de l’argent, mais pour une cause, fût-elle bonne ou mauvaise. 

Petit bémol : le policier ou le militaire qui accepte de se mettre au service d’une dictature sanglante n’adhère pas forcément à un tel projet de société, mais pourra faire taire ses scrupules afin de toucher le salaire qui lui permettra de faire vivre sa famille ; devient-il alors une sorte de tueur à gages ? Quel statut donner au bourreau qui libérait le couperet de la guillotine pendant la Terreur ? Le policier, le militaire et le bourreau qui se sont portés volontaires pour commettre des actes de barbarie sont-ils des terroristes ou les exécutants à la fois simples et indignes d’un pouvoir qui a décidé de semer la terreur pour des raisons politiques, pouvoir qui répond alors pleinement au qualificatif de « terroriste ». 

Mais revenons à celui qui a pris la décision de s’engager dans la violence pour des raisons supérieures à ses propres intérêts. Ainsi, Simone de Beauvoir évoquait-elle la période de la Résistance contre l’Allemagne nazie. Les hommes et les femmes qui « prenaient le maquis » s’exposaient à une mort brutale au combat lorsqu’ils engageaient une opération contre l’occupant, ou à des tortures atroces conduisant également à la mort lorsque la milice ou la Gestapo parvenaient à les arrêter. Chacun cherchait à semer la terreur chez l’autre dans un contexte de déséquilibre considérable entre les forces en présence. Déséquilibre des forces, mais aussi asymétrie des statuts : l’Allemagne avec la complicité honteuse du gouvernement de Vichy détenait le pouvoir institutionnel qui lui donnait une légitimité, toute usurpée qu’elle ait été ; dès lors, les Résistants qui faisaient dérailler des trains allemands ou tendaient des embuscades aux soldats de la Wehrmacht devenaient aux yeux de l’occupant des « terroristes » puisqu’ils s’opposaient par la violence aux institutions et au pouvoir en place. 

De même, les mouvements de guérilla qui se sont développés en Amérique latine dans la seconde partie du XXesiècle pour tenter de renverser des dictatures installées avec l’aide de la CIA ont également été considérés comme des mouvements « terroristes » par les dictateurs au pouvoir et leurs soutiens étatsuniens. D’une manière générale, tout individu ou toute organisation qui s’oppose à la violence institutionnelle par des actions elles-mêmes plus ou moins violentes est considéré par les pouvoirs en place comme « terroriste ». 

Des évènements récents chez nous, en France, ont même montré que ce qualificatif pouvait être attribué à des personnes et pour des actions qui sont très loin d’égaler la violence exercée par les dominants contre les citoyens par la répression policière ou contre la nature en soutenant un système économique écocide. Ainsi en va-t-il des manifestations conduites par les défenseurs du climat et de l’environnement qui se voient traiter par notre ministre de l’intérieur « d’écoterroristes » ! Voilà un exemple d’usage abusif de mots aux contours incertains, mais dont l’auteur doit estimer qu’ils ont une acception a priori tellement négative qu’il suffit de les prononcer pour discréditer et couvrir d’opprobre ceux qu’ils désignent. Fort heureusement, ces abus de langage ont aussi un effet boomerang sur celui qui les utilise…

Ainsi, puisque c’est le régime de la Terreur sous Robespierre qui serait à l’origine du mot « terroriste », il en résulte que le terme peut s’appliquer à tout pouvoir officiel qui exerce une violence extrême contre tout ou partie d’une population, donc aux États eux-mêmes. J’avais pu ainsi écrire dans une chronique d’août 2022 que les régimes soviétiques et nazis avaient fait jeu égal en matière de terrorisme d’État. La France, comme beaucoup d’autres pays colonisateurs, était un État terroriste lorsqu’elle menait ses « guerres » coloniales, celles menées en Algérie au moment de la colonisation, puis durant les longues années qui ont précédé l’indépendance de ce pays, ayant été particulièrement atroces. Mais évidemment, les combattants du FLN étaient « les » terroristes. De fait, dès que la violence s’installe au sein d’une population entre deux factions rivales ou entre un État et les populations qu’il maltraite, l’un sera toujours le terroriste de l’autre. 

Il découle de ce qui précède que les termes « terroriste » et « terrorisme » doivent être maniés avec des pincettes car l’usage à tort et à travers de ces mots introduit beaucoup de confusion et de malentendus. Le manque de discernement dans leur utilisation, mais plus encore la volonté délibérée de brouiller les pistes conduit, comme on l’a vu, à des discours pervers dans lesquels le véritable terroriste pourra tenter de faire porter l’infamie du qualificatif sur son adversaire. Alors ne vaudrait-il pas mieux recourir à un autre vocabulaire à la définition plus précise et qui éviterait ces abus de langage ?

Ainsi disposons-nous de termes compris de tous au niveau international car ils sont entrés dans des catégories parfaitement définies au sein de l’ONU et de la CPI (Cour pénale internationale). Il s’agit de « crimes de guerre », de « crimes contre l’humanité » et de « génocides ». 

Un crime de guerre concerne une violation des conventions de Genève dont la première remonte à 1864 : elle visait à l’amélioration de la condition des blessés des armées combattantes. Les quatre nouvelles conventions de 1949 et les trois protocoles additionnels consécutifs de 1977 et 2005 ont été ratifiés par l’ensemble des États du monde qui sont donc supposés les respecter. Celles-ci disposent notamment qu’en cas de conflit armé, les belligérants doivent se conformer au droit de la guerre, autrement dit s’abstenir de s’attaquer à des populations civiles et des objectifs non militaires, mais aussi à des prisonniers de guerre et à des blessés (« On ne tire pas sur une ambulance »).

Un crime contre l’humanité, qui concerne des mauvais traitements infligés à des populations, peut être accompli en dehors d’un conflit armé. Ce crime est une attaque généralisée et systématique contre une population civile. La Charte de Londres (1945) liste les massacres de populations civiles, les destructions de villes ou villages, les déportations, toutes actions violentes qui n’ont aucune justification à caractère militaire. L’article 8 des statuts de la CPI entrés en vigueur en 2002 a réactualisé la définition un peu fourre-tout de la Charte de Londres.   

Quant au génocide, il est défini dans la « Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide » datant de 1948 et comporte notamment dans son alinéa c) la décision de soumettre intentionnellement un groupe d’individus à des conditions d’existence devant entraîner sa destruction physique, totale ou partielle.

Le fait d’avoir adopté au plan international des définitions précises pour ces termes leur confère un statut juridique qui permet d’engager des poursuites contre les auteurs de crimes de guerre, de crime contre l’humanité ou de génocide, contrairement à la notion de terrorisme qui n’a pas un tel statut et peut donner libre cours à des interprétations discutables, voire fantaisistes.  

Cela m’amène bien sûr à évoquer le nouveau drame qui a éclaté le 7 octobre 2023 entre la Palestine et Israël, au récit qu’en donnent les médias et aux déclarations faites par des membres de notre gouvernement, notamment la Première ministre.

D’entrée de jeu, les combattants palestiniens du Hamas ont été désignés sans autre forme de procès comme « terroristes » par la sphère médiatico-politique dominante ; qu’importe si l’État religieux d’Israël persécute le peuple palestinien depuis 75 ans et pourrait tout aussi bien mériter ce qualificatif. Qu’importe si la liste des exactions commises par cet État depuis 1948, en commençant par la Nakba, est tellement longue qu’il faudrait un livre entier pour les consigner toutes. Cet interminable collier de souffrances infligées au peuple palestinien fait clairement d’Israël un État terroriste, mais encore une fois, il ne sert à rien d’employer ce qualificatif, y compris pour le Hamas, puisque ce « statut » n’a pas de valeur juridique. D’ailleurs, pour l’ensemble du clan occidental, déclarer urbi et orbi qu’Israël est un Etat terroriste constituerait une sorte de blasphème et révélerait évidemment chez les auteurs d’une telle déclaration leurs penchants antisémites ! Pire encore, l’opprobre est jeté sur toute partie de l’opinion ou de l’éventail politique qui ne prendrait pas fait et cause pour Israël, mais chercherait à faire « la part des choses », à tel point qu’un CP (communiqué de presse), équilibré dans sa formulation, rappelant brièvement pourquoi il existe un conflit aussi tragique entre ces deux peuples, appelant à l’obtention immédiate d’un cessez-le-feu pour épargner des vies innocentes, invitant les parties à revenir à la table des négociations, communiqué que le gouvernement français s’honorerait en le reprenant à son compte, a au lieu de cela, suscité des commentaires indignés et tout aussi invraisemblables de la Première ministre, jugeant « très choquante » la position du groupe de députés du premier parti de gauche qui a rédigé ce CP et reprochant par ailleurs à Jean-Luc Mélenchon de « renvoyer dos à dos » une « organisation terroriste » et un « État démocratique » ! Comment peut-on dévaloriser à ce point l’idée de démocratie s’agissant d’Israël ? 

La communauté internationale avait mis l’Afrique du Sud au ban des nations à cause du traitement infligé par le gouvernement blanc à une population noire largement majoritaire et soumise au régime de l’apartheid. Que ne l’a-t-on fait pour Israël qui poursuit une colonisation brutale des quelques lambeaux de terre qui restent aux populations palestiniennes en Cisjordanie et ne reconnaît pas les mêmes droits aux citoyens israéliens d’origine palestinienne qu’à ceux d’origine juive ? 

Aucune voix forte n’est plus entendue depuis longtemps chez les dirigeants occidentaux pour appeler à une solution pacifique du conflit. Il n’y aura pas de possibilité de sortir de cette spirale de violence tant que les dirigeants les plus influents de ce monde continueront à prendre systématiquement parti pour Israël au lieu de se poser en arbitres parfaitement impartiaux et désireux d’aider à l’instauration d’une paix durable.

Hélas, devant le parti pris des détenteurs actuel du pouvoir et du rouleau compresseur des médias dominants qui leur emboîtent le pas, nous sommes loin, très loin d’un retour à une prise de conscience générale qui suscite la compassion pour toutes les victimes de ce conflit et provoque un mouvement d’indignation des défenseurs des droits humains à travers le monde devant le choix de nos dirigeants d’apporter systématiquement leur soutien au plus puissant et au premier agresseur, certes un minuscule pays, mais soutenu et armé jusqu’aux dents par la première puissance militaire du monde.  

Ce monde qui me fait mal et me désespère !

Bertrand 

PS : j’ai pris le temps de longuement réfléchir avant de publier cette chronique ; depuis le 8 octobre, date à laquelle j’ai commencé à l’écrire, il faut saluer une certaine évolution dans les discours entendus, notamment avec celui de nombreux dirigeants, y compris notre Président de la République, qui soutiennent enfin la nécessité d’un cessez-le-feu de préférence à une trêve humanitaire à l’issue de laquelle le génocide de la population du ghetto de Gaza risque fort de reprendre. 

Quelques nouvelles

Quelques nouvelles

Bonjour à toutes et à tous,

Vous allez penser que j’ai quasiment abandonné l’écriture sur ce blog ! IL N’EN EST RIEN !

J’ai simplement été très occupé depuis juin dernier par la publication de mon deuxième recueil de chroniques, puis par cette activité chronophage et extrêmement laborieuse de lancement d’une campagne de promotion pour ce nouveau livre ; accordez-moi le droit d’avoir passé également du temps en compagnie de ma proche famille au cours de cette période estivale.

Il est probable que je ne vais pas avoir le temps de commenter à nouveau l’actualité à court et moyen terme sur le blog, car je vais essayer de conjuguer mes activités de promotion avec la poursuite de l’écriture d’un deuxième essai, soit d’un quatrième livre qui est en souffrance depuis de longs mois. À moins que nous soyons à nouveau confinés… 

Mais je prendrai dans tous les cas le temps de répondre aux commentaires, quelle qu’en soit la teneur, que vous pourriez me faire sur le nouveau livre, ce qui veut dire que c’est autant à vous qu’à moi de faire vivre ce blog !  

Pour l’heure, je vous donne ci-après le programme de mes prochaines rencontres :

Samedi 28 octobre 2023 : dédicace au rayon librairie du SuperU de Vierzon à partir de 14H30.

Adresse : 18 avenue du 19 mars 1962, 18100 VIERZON.

Samedi et dimanche 18 et 19 novembre 2023 : Salon des Livres et des Auteurs, Dourdan. Ouverture au public de 11H00 à 18H00 le samedi et de 10H00 à 18H00 le dimanche. 

Adresse : rue d’Orsonville, Salle des fêtes, 91410 DOURDAN. 

Samedi 25 novembre 2023 : dédicace librairie Clément (« Le Petit Poucet ») à partir de 15H00.

Adresse : 127 avenue de la République, 91230 MONTGERON.

Et plus loin dans le calendrier en attendant de nouveaux rendez-vous :

Samedi 2 mars 2024 : 5ème édition du Salon des Auteurs locaux

Ouverture au public de 11H00 à 18H00. Entrée gratuite. 

Adresse : Médiathèque du Carré d’Art, 2 rue des Bois 91230 MONTGERON.

Et surtout, n’oubliez pas de commander AUTOUR D’UN LIVRE Bienvenue chez Némésis Volume II (320 pages, 20 €), de le lire et enfin de me dire tout le mal que vous en pensez sur ce blog !

À bientôt, 

Bertrand THEBAULT

Annonce importante!

Annonce importante!

AUTOUR D’UN LIVRE Bienvenue chez Némésis Volume II, chroniques, 320 pages, éditions Amalthée, sort en librairie le 6 septembre 2023.   

De graves atteintes à l’intégrité de notre environnement naturel, une augmentation inquiétante de la température de la marmite terrestre, une population mondiale déjà trop nombreuse et qui poursuit sa croissance, des conflits de toutes sortes qui se développent ou s’annoncent à travers la planète, tout cela est visible, audible, et affecte de plus en plus notre vie au quotidien.

Mais constater, puis déplorer ad nauseam tous les obstacles qui contrarient notre aspiration au bien-être ne suffit pas. Avec obstination, nous devons résister puis renverser ces obstacles et pour cela, il nous faut d’abord comprendre l’origine des dérèglements que nous observons : qui ou quoi en est responsable, depuis quand, et comment tout cela est-il arrivé ? 

Portant un regard singulier sur l’actualité des deux dernières années, ce deuxième recueil de chroniques nous incite à préciser le diagnostic de certains dysfonctionnements des sociétés humaines, tout comme le faisait le précédent volume publié en décembre 2020 sous les mêmes titre et sous-titre, mais l’un et l’autre nous renvoient également à NÉMÉSIS Remettons le monde à l’endroit, un essai publié en octobre 2017 qui nous offre des analyses originales, voire radicales, des mécanismes qui sont à l’œuvre dans le monde d’incertitudes dans lequel nous sommes plongés, bien malgré nous,le temps d’une vie… 

Pour plus d’informations sur ce nouveau livre et les précédents, ou un premier contact, vous pouvez vous rendre sur le site de mon éditeur : http://www.editions-amalthee.com

ou me contacter sur ce blog!

A bientôt et bonnes lectures,

            Bertrand THÉBAULT

Offenses et offensive

Offenses et offensive

Notes: vous trouverez des renvois numérotés de (1) à (7) à des notes qui ont été regroupées en toute fin de ce texte

Quelques-uns d’entre vous se sont peut-être étonnés de mon inconstance dans la publication de chroniques sur ce blog au cours des six derniers mois. Cette inconstance ne signifie en aucun cas une perte soudaine d’intérêt pour une actualité qui est foisonnante, tant au plan national qu’international. D’une part un problème tendineux ayant nécessité une intervention chirurgicale qui m’a immobilisé le bras droit pendant de longues semaines, d’autre part j’ai osé aborder ici un sujet à la fois complexe et clivant qui m’aura pris beaucoup de temps : devant le choix qui s’offrait à moi, l’agression de la Russie envers l’Ukraine s’est naturellement imposée comme un sujet majeur, d’autant que les conséquences qu’elle entraîne servent aussi de révélateur à toute une série de problèmes qui étaient sous-jacents ou faisaient depuis longtemps déjà l’objet de nombreux débats dans la sphère médiatico-politique. J’ai donc pensé qu’il serait intéressant de vous proposer une mise en perspective des tenants et aboutissants de ce conflit, sans prétendre bien sûr faire ici un travail approfondi d’historien puisque historien je ne suis pas et ne serai jamais, me contentant d’être un observateur aussi attentif que possible !

La guerre en Ukraine confirme une nouvelle fois qu’il est extrêmement difficile d’empêcher une puissance dotée de l’arme nucléaire d’intervenir militairement contre des États ne disposant que d’armes conventionnelles. Les puissances nucléaires de la planète bénéficient de la sorte d’une relative impunité et d’une grande liberté d’action vis à vis des instances internationales, ce qui a pu être constaté à maintes reprises, aussi bien du côté des États-Unis que du côté de l’ex–URSS et aujourd’hui de la Russie : citons pêle-mêle le Vietnam, l’Afghanistan, l’Irak, la Serbie, la Libye, avec l’implication de la France pour ces deux derniers pays, la Syrie et bien sûr l’Ukraine, sans parler d’interventions plus limitées en Amérique du Sud, au Moyen-Orient, et en Afrique où là encore, la France est profondément impliquée. La dissuasion nucléaire offre donc une certaine protection à ceux qui en sont les détenteurs tout en leur laissant la liberté de faire la guerre aux autres, sauf si des accords de défense existent entre une puissance nucléaire et un pays tiers ou à l’intérieur d’une organisation comme celle de l’OTAN. Dans ce cas précis, en vertu de l’article 5 du traité, si la Russie décidait par exemple d’attaquer la Pologne ou les États baltes, cela reviendrait à une déclaration de guerre visant tous les États membres de l’OTAN, à commencer bien sûr par les États-Unis, situation potentiellement apocalyptique puisqu’elle mettrait face à face les États du monde disposant du plus large stock d’armement nucléaire. Notons à cet égard qu’en faisant comprendre qu’il ne s’interdirait pas de faire un usage limité du feu nucléaire contre l’Ukraine, Vladimir Poutine remet en question le principe de dissuasion puisqu’il envisagerait de l’utiliser désormais comme un armement conventionnel comme le firent d’ailleurs les États-Unis à deux reprises en 1945 lors des bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki. Mais les conséquences terrifiantes de ces bombardements conduisirent à ce principe de dissuasion qui est de décourager toute agression contre tout ou partie du territoire national du détenteur de l’arme absolue ou contre les territoires de ses alliés. La dissuasion a donc pour rôle primordial, au moins théorique, d’éviter la guerre entre ceux qui possèdent l’arme ultime, sans pour autant exclure toute probabilité qu’elle puisse être utilisée dans une situation désespérée, une fois épuisées toutes les tentatives de conciliation, avec pour résultat final la disparition probable de notre civilisation. 

Voilà donc votre serviteur qui, une fois de plus, joue les intrus en se livrant à des réflexions et des analyses sur un sujet d’une très grande complexité, à caractère diplomatique et militaire, pour lequel il n’a reçu aucune formation sérieuse validée par un titre ou un diplôme ! Pourtant, dans ce domaine comme dans bien d’autres, tout citoyen est fondé à s’interroger et à tenter de comprendre les événements qui se déroulent autour de lui sur la planète et qui le concernent ou le concerneront, de près ou de loin. À défaut d’être des acteurs importants de la marche du monde, ayons au moins la satisfaction de ne pas être de simples spectateurs qui n’auraient pas vraiment compris l’enchaînement du film à épisodes auquel nous assistons.

Alors foin de ces scrupules de béotien et revenons à notre actualité dominée par des bruits de bottes et de bombes avec cette situation paradoxale que les humains peuvent engloutir des milliards dans la guerre tout en se demandant comment ils vont payer leurs factures de gaz et d’électricité pour se chauffer au cours de l’hiver ou en se montrant incapables d’imposer et de financer des constructions anti sismiques là où elles seraient pourtant indispensables…

Évidemment le paradoxe n’est qu’apparent dès lors que l’on a compris que l’humanité reste très divisée, friande de concurrence et de compétition, plutôt que de coordination et de coopération dans de nombreux domaines, en particulier dans un secteur aussi vital que l’énergie. Vital plus que partout ailleurs dans les pays industrialisés dont tous les systèmes de production et les modes de consommation sont particulièrement énergivores et restent largement dépendants des énergies fossiles. Or celles-ci ont le fâcheux inconvénient d’être très inégalement réparties à la surface du globe. Ceux qui sont privés de ces ressources vont donc mettre en œuvre toutes sortes de stratégies pour être approvisionnés à hauteur de leurs besoins. Mais ceux qui les possèdent, comme la Russie, vont pouvoir utiliser l’exportation de ces énergies fossiles pour financer leur effort de guerre et comme moyen de chantage vis-à-vis de ceux dont l’économie repose sur la possibilité d’importer ces énergies. De ce point de vue, il n’est pas superflu de dérouler rapidement la toile de fond mondiale sur laquelle a surgi le fracas des bombes en Ukraine.   

Les besoins énergétiques n’ont cessé de s’accroître avec le temps, notamment à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale quand l’Europe et le Japon ont dû reconstruire leur économie avec l’aide massive des États-Unis en suivant grosso modo le modèle de développement de ce pays : économie de marché organisée autour de la civilisation de l’automobile et de l’idée que la consommation des biens innombrables que propose le système productiviste capitaliste est un élément important du bien-être, voire du bonheur des individus. Bien sûr, nul ne contestera que nombre de produits de l’industrie ont considérablement amélioré les conditions de vie de chacun, que ce soit dans le cadre professionnel ou familial. Mais le consumérisme, dynamisé par les milliards de la publicité, a conduit à tous les excès. Au sommet de la pyramide de la consommation, les ultra-riches donnent l’exemple, installant cette « compétition ostentatoire » dénoncée par Noam Chomsky : ainsi, l’année 2022 a vu les avions d’affaires atteindre des records de ventes et d’heures de vol tandis que le marché du luxe restait des plus florissants et que les perspectives du tourisme spatial sont des plus prometteuses, certains ultra-riches allant même décidé de s’offrir un voyage autour de la lune ! Situation qui risque d’aggraver encore ce résultat hallucinant : les 10% les plus riches émettent 50% du CO2 mondial. 

Or il se pourrait que la fête touche à sa fin : l’accumulation inouïe de richesses entre les mains de quelques milliardaires et leur train de vie de tous les excès font penser au bouquet final d’un feu d’artifices. Le système capitaliste qui n’a jamais tenu compte de la finitude des ressources de la planète et peine encore à croire en la réalité du changement climatique[1] voit sa viabilité sérieusement compromise par ces deux facteurs. Si le premier est une donnée incontournable, il est en revanche très clair que le modèle de développement promu par le capitalisme aura été un contributeur majeur à la catastrophe climatique qui se déroule sous nos yeux, mais aussi à toutes sortes de conflits régionaux et de violences contre des populations civiles victimes de prédateurs dans les pays en développement. 

Comment expliquer l’aveuglement des dirigeants de la planète et de tous ceux qui ont été ou sont encore les fervents promoteurs de ce modèle de développement ? 

Que les détenteurs du pouvoir, les acteurs de la vie économique et les intellectuels n’aient pas perçu les limites des ressources naturelles lorsque la population mondiale augmentait très lentement, comptant moins d’un milliard d’habitants à la fin du XVIIIe siècle, cela peut se comprendre. D’ailleurs la nature n’était-elle pas considérée comme une source inépuisable de richesse à la disposition de l’espèce humaine ? Bien sûr, elle était parfois capricieuse et pouvait donner de mauvaises récoltes provoquant disettes et jacqueries, mais les dominants d’alors n’étaient évidemment pas les premiers affectés. Rappelons que les Européens, quant à eux, s’étaient donné les moyens d’accéder aux fabuleuses richesses des autres continents en y colonisant d’immenses territoires, un peu comme si la planète terre était aujourd’hui entourée d’autres planètes assez facilement accessibles et offrant quantité de matières premières pour alimenter notre système de production. Mais il n’en est rien et il n’en sera jamais rien : l’humanité continuera longtemps encore à transformer les produits de la nature, mais ceux-ci ne viendront jamais de l’espace extraterrestre en dehors de quelques cailloux ! 

Dans ces conditions, l’élémentaire bon sens aurait dû conduire à la conclusion évidente, compte tenu de la croissance de type exponentiel de la population mondiale et de ses besoins, qu’un changement de paradigme s’imposait pour remplacer progressivement le modèle économique capitaliste qui prospère sur le consumérisme et le gaspillage. En effet, au tournant des années 1950, où la population mondiale était estimée à 2,6 milliards d’habitants, la courbe de croissance s’était déjà incurvée vers le haut pour atteindre plus de 2% dans les années 1960. Si un tel rythme avait été maintenu au niveau mondial, en 2023 nous aurions été près de 11 milliards d’habitants, soit 3 milliards de plus qu’actuellement. Par ailleurs, les croissances économique et démographique vont connaître des évolutions contraires dans les pays développés et dans les pays en développement : dans les premiers, la croissance économique soutenue de l’après-guerre va provoquer une forte élévation du niveau de vie, mais va aussi bientôt s’accompagner d’un ralentissement de la croissance démographique ; dans les seconds, la croissance économique sera généralement très lente, maintenant les populations dans la pauvreté, mais la croissance démographique ne ralentira pas, bien au contraire, notamment en Afrique où nous pouvions constater sur l’année 2015 une croissance moyenne de la population de 2,7%. À titre de comparaison, certains pays européens affichent des croissances naturelles très négatives comme l’Italie et l’Espagne avec des taux de fécondité qui étaient en 2019 de 1,23 et 1,27 respectivement, contre 1,84 pour la France qui reste championne d’Europe dans cette catégorie[2].

Tout cela démontre l’absurdité de la situation dans laquelle l’humanité a été conduite depuis plus de 50 ans par ceux qui ont exercé des responsabilités à des niveaux élevés.

D’un côté, les pays développés, assimilés ici aux pays de l’OCDE, qui totalisent environ 1,37 milliard d’habitants, soit 17% de la population mondiale, mais ont accumulé plus de 75% de sa richesse, laquelle continue à s’accroître pour une population qui n’augmente plus, quand elle n’est pas en déclin dans certains États, et là où elle arrive à se maintenir c’est très souvent grâce à l’immigration de ressortissants des pays les plus pauvres de la planète.

De l’autre côté, les pays en développement qui recèlent assez souvent et paradoxalement d’importantes ressources minières ou en énergies fossiles dans leur sous-sol, mais n’en tirent que peu d’avantages car ce sont essentiellement les pays développés qui exploitent et consomment ces ressources.

Selon l’OCDE, « le fait que les bénéfices de la croissance économique n’aient pas été équitablement distribués et que la crise économique n’ait fait que creuser le fossé entre riches et pauvres est une vision largement partagée ». Cette phrase est un simple constat fondé sur des données et observations qui crèvent les yeux. Faut-il rappeler que de telles évolutions ne sont pas le fruit du hasard, ce qui est d’ailleurs vrai dans tous les domaines de l’activité humaine ? À l’exception des jeux de hasard bien sûr, mais leur existence reste néanmoins une invention tout à fait humaine ! Guerre ou paix, pauvreté ou abondance, dictature ou démocratie, régressions ou progrès sont autant de situations opposées qui résultent de comportements des dominants ayant entraîné les dominés dans des processus désastreux ou au contraire bénéfiques pour l’humanité. À cet égard, nous devons nous interroger sur les raisons essentielles qui ont conduit aux désordres du monde d’aujourd’hui, et plus spécifiquement à l’état de guerre qui s’est installé sur les marches orientales de l’Europe et pourrait être l’étincelle provoquant un nouveau conflit mondial dantesque.

J’ai osé dire dans une précédente chronique datant du 1er février 2022 que les grandes inégalités de richesse que souligne l’OCDE, tant à l’intérieur des nations qu’entre les nations, ont été et restent à l’origine de la plupart des maux de l’humanité. Il faudrait donc encore compléter le constat de l’OCDE en évoquant les conséquences terribles de ces inégalités. À l’intérieur des nations, inutiles de toutes les rappeler : la confiscation par une minorité dominante d’une large partie de la richesse produite conduit à une insuffisance des moyens indispensables à la fourniture de services publics de qualité et à des salaires qui plongent une proportion importante des populations dans la pauvreté. Mais il faut aussi souligner cette autre conséquence qui nous est moins visible du fait de son éloignement, à savoir le fossé qui sépare les pays développés des pays en voie de développement ; pour faire court, ceux du Nord de ceux du Sud. Au Nord, la survie du système consumériste dépend de la capacité des États à trouver des sources d’approvisionnement en énergies fossiles et en matières premières ; au Sud, c’est la survie même des populations qui est en jeu et dépend de leur capacité à s’alimenter en produisant pour elles-mêmes ou en important de la nourriture, quand elles ne doivent pas compter sur les programmes d’aide alimentaire comme le PAM (Programme Alimentaire Mondial des Nations-Unies). Au Nord, les compromissions résultant d’une politique qui se veut « pragmatique » sont la règle quand il s’agit d’obtenir pétrole, gaz ou uranium auprès de pays dont les gouvernements sont peu respectueux des droits humains, que ce soit au Moyen-Orient, en Russie ou en Afrique ; au Sud, la corruption et le détournement par les dirigeants politiques locaux des aides ou des revenus dégagés par l’exportation de ces ressources naturelles privent les populations des moyens nécessaires à leur développement. Cette situation de pillage et de corruption s’est poursuivie au-delà de la fin de la période coloniale jusqu’à nos jours, de nombreux auteurs l’ayant largement documentée comme l’Étatsunien Raymond W. Baker dans Le talon d’Achille du capitalisme : l’argent sale et comment renouveler le système d’économie de marché (al TERRE, 2007). 

            En ce qui concerne « l’opération spéciale » de l’armée russe en Ukraine, nous pouvons constater sans surprise qu’aux effets dramatiques de la guerre sur la population de ce pays et sur ses infrastructures, viennent se greffer de lourdes conséquences sur l’approvisionnement énergétique de l’Europe mais aussi alimentaire de certains pays du Sud. Au bout du compte, ce conflit qui reste pourtant localisé, fait sentir ses effets sur presque toutes les régions de la planète, d’abord les pays riches à cause de leur boulimie énergétique ainsi que les pays asiatiques en forte croissance (Chine, Inde, Bengladesh, sud-est asiatique, etc.), ensuite les pays pauvres importateurs de céréales d’Ukraine. Dans la seconde partie de cette chronique nous allons tenter de montrer qu’il y a eu des causes multiples à l’irruption de cette guerre que le président de la Russie se refuse à nommer ainsi. Mais si la personnalité de Vladimir Poutine est sans aucun doute le facteur déclenchant de ce conflit, en est-elle pour autant la cause fondamentale ? La question fait débat au sein du monde politique, intellectuel et médiatique ; notons toutefois qu’une majorité de responsables ou de commentateurs du clan occidental tend à rejeter toute la responsabilité du conflit sur le président russe.

            L’analyse que je livre ci-après, une fois de plus, n’est pas celle d’un pair de la phratrie des universitaires, chercheurs ou spécialistes dûment patentés. Il leur serait sans doute facile d’en contester les éléments présentés si d’aventure certains d’entre eux tombaient sur cette longue chronique ! Ou de confirmer au contraire la pertinence de certaines réflexions, sait-on jamais ? J’aimerais d’entrée de jeu indiquer que je puise mon raisonnement dans un secteur que je connais bien : celui de l’aéronautique, et plus spécifiquement des enquêtes qui sont menées sur les accidents d’avions civils. Ces enquêtes sont parfois très longues du fait d’éléments factuels insuffisants, mais aussi du fait des interactions subtiles ou complexes entre différents acteurs et facteurs qui peuvent conduire à l’accident. Le Britannique James Reason a proposé un diagramme qui porte son nom et dans lequel les protections mises en place pour parer aux erreurs humaines se schématisent selon une succession de boucliers présentant des trous qui sont autant de points faibles dans un système de gestion de la sécurité et au travers desquels pourront se propager certains types d’erreurs. Si d’aventure les erreurs commises se propagent de bouclier en bouclier sans être détectées et corrigées, cela veut dire que nous avons une série de trous dans ces boucliers qui sont alignés ; l’accident pourra alors se produire. Dans le cas d’un accident d’avion, il sera par exemple établi que tout a commencé par le défaut de conception d’un équipement essentiel pour la sécurité et qui n’a pas été pris en compte de manière satisfaisante par les responsables de la sécurité des vols, ce qui inclut la formation des pilotes qui, par exemple, n’auront pas été entraînés correctement à un incident tel que le givrage du tube de Pitot[3] qui indique la vitesse de l’avion par rapport à l’air ; la réaction inappropriée de l’équipage, ultime bouclier dans le dispositif de Reason, aura alors conduit à une catastrophe aérienne.   

            Cette digression relative à la sécurité aérienne peut s’appliquer à d’autres secteurs d’activité ; l’étude de James Reason avait d’ailleurs comme but initial de formaliser les processus de sécurité visant à prévenir les erreurs humaines en milieu hospitalier. Le point fondamental de cette approche est de conduire des analyses de risques ou des enquêtes sur des incidents ou accidents qui ne se focalisent pas uniquement sur l’action qui a produit l’évènement en temps réel, mais plutôt sur la compréhension du processus particulier qui a conduit en amont à cet alignement fatal de trous dans la série des boucliers du diagramme de Reason. De ce point de vue, Vladimir Poutine serait-il le commandant qui n’a pas su gérer correctement les dysfonctionnements intérieurs et les conditions extérieures adverses qui ont affecté le vaisseau Russie au fil du temps, ses réactions inappropriées ayant conduit à la catastrophe en cours ? 

Comme on peut maintenant s’y attendre compte tenu de cette longue digression et des éléments déjà présentés, la suite de cette chronique va tenter de percevoir quels sont les éléments qui ont pu au cours des dernières décennies créer un contexte ayant conduit Vladimir Poutine à estimer qu’il était dans l’intérêt de la Russie de lancer une agression contre l’Ukraine. Et comme les inégalités de richesse sont à l’origine de la plupart des problèmes actuels de ce monde, force est de constater que la volonté d’étendre le système qui permet à ces inégalités de prospérer plus que jamais a constitué jusqu’à nos jours le fondement de la diplomatie du « monde libre » héritée de l’époque de la Guerre froide. Que l’Occident ait saisi l’opportunité de la dislocation du bloc soviétique pour étendre l’emprise géographique du modèle capitaliste néolibéral, cela ne fait donc aucun doute, mais ne l’a-t-il pas fait d’une manière trop arrogante vis-à-vis de ceux qui ont dominé et incarné le pouvoir central de l’ex-URSS, à savoir les Russes ? Incidemment, on pourrait s’interroger sur l’impact qu’ont pu avoir sur le déclenchement de la Première Guerre mondiale les inégalités sans précédent qui avaient été atteintes au sein des populations européennes au tout début du XXe siècle (voir notamment Thomas Piketty Le capital au XXIe siècle, Seuil, 2013), l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche à Sarajevo n’ayant été que l’étincelle qui aurait mis le feu aux poudres. Quant à la Seconde Guerre mondiale, il est stupéfiant qu’il ait fallu attendre l’invasion de la Pologne en 1939 pour que la France et le Royaume-Uni réagissent à l’expansionnisme des pays de l’Axe, et notamment de l’Allemagne nazie qui avait dès 1938 annexé l’Autriche et la région tchécoslovaque des Sudètes, sans parler du non-respect de certaines clauses du traité de Versailles par les Allemands dès 1920. Il faut dire aussi que ce traité a été dès le départ considéré par les vaincus comme une humiliation, les conséquences des exigences exorbitantes des vainqueurs se trouvant par ailleurs aggravées par la crise de 1929 ; Hitler et le fascisme ont pu alors prospérer sur ce terreau de chômage, d’hyperinflation et de privations pour la population allemande. Assez paradoxalement, la rigueur des vainqueurs à Versailles le 28 juin 1919 s’est transformée en coupable mansuétude à l’égard de l’Allemagne nazie à Münich le 30 septembre 1938, le Britannique Chamberlain et le Français Daladier ayant ce jour-là cosigné aux côtés de Hitler et Mussolini un accord que Churchill avait ainsi résumé :« Ils ont accepté le déshonneur pour avoir la paix. Ils auront le déshonneur et la guerre ».

Comment ne pas voir dans la crise russo-ukrainienne et les rapports qu’entretiennent les États-Unis et l’Europe avec la Russie de Poutine quelques similitudes avec ce qui a conduit à la Seconde Guerre mondiale ? 

Les similitudes, elles sont d’abord dans les transformations profondes relatives aux frontières : le dépeçage de la Prusse et de l’ancien empire austro-hongrois inscrit en 1919 dans le Traité de Versailles évoque aujourd’hui le démantèlement de l’empire soviétique en décembre 1991 qui a conduit avec un minimum de violence à l’indépendance des républiques socialistes soviétiques situées à la périphérie de la Russie. Ce furent plus de 5 millions de km2 – près de dix fois la superficie de l’Hexagone – qui se séparèrent de la Fédération de Russie sur un total initial de 22,4 millions, mais aussi et surtout, celle-ci ne conserva que la moitié des 293 millions d’habitants de l’ex-URSS !  L’amputation de territoire la plus douloureuse sera sans aucun doute celle de l’Ukraine dont la capitale Kiev a été au Xe siècle le berceau des identités russe et ukrainienne, ce qui fera dire à Vladimir Poutine que « Russes et Ukrainiens ne forment qu’un peuple, un tout uni ». Mais l’Ukraine constituait aussi le « sujet » le plus peuplé, le plus riche et le plus développé des autres républiques ayant accédé à leur indépendance. Ajoutons encore la dissolution du pacte de Varsovie le 1er juillet 1991 et la fin de la subordination des pays d’Europe centrale et orientale à l’URSS, la RDA (Allemagne de l’Est) ayant été rattachée dès le 3 octobre 1990 à la RFA. 

Plutôt que d’évoquer ici le concept littéraire de « l’âme russe » qu’il est difficile de définir et qui est peut-être autant la conséquence que la cause des évènements tragiques qui ont jalonné l’histoire tourmentée de ce peuple depuis un siècle, il vaudrait mieux, dans le contexte des quarante dernières années, évoquer le ressenti, ou plutôt le ressentiment du peuple russe et de ses dirigeants devant la terrible déconvenue qu’a pu constituer l’effondrement du régime soviétique et de l’empire qui avait été construit pour devenir, face aux États-Unis, l’autre grande puissance capable notamment de devancer sa rivale dans la conquête de l’espace et de faire jeu égal en matière d’armement nucléaire. C’est pourquoi, alors que l’Occident encensait Mikhaïl Gorbatchev en lui décernant le prix Nobel de la Paix le 17 octobre 1990 – date anniversaire de la Révolution soviétique ! – de nombreux citoyens russes ne l’ont pas entendu ainsi, voyant en l’homme de la Glasnost et de la Pérestroïka le fossoyeur du vaste ensemble auquel ils avaient appartenu. Cette population éduquée et consciente d’appartenir à un territoire gigantesque aux ressources naturelles tellement abondantes qu’elles pouvaient paraître inépuisables, a sans doute éprouvé une profonde frustration au terme d’un processus de 70 ans qui, non seulement ne leur a pas apporté le niveau de bien-être annoncé, mais s’est conclu par un véritable effondrement de cette union hors normes de territoires et de peuples, ainsi que du système politique qui l’avait engendrée. Naturellement, la frustration est surtout du côté du peuple ayant dominé ce territoire immense, donc le peuple russe ; les citoyens des autres républiques qui ont accédé du jour au lendemain à leur indépendance ont pu au contraire savourer ce moment-là, même si c’était pour retomber, pour certains d’entre eux, dans une nouvelle tyrannie et si les minorités russes de ces nouveaux États indépendants ont pu vivre très mal de se voir soudain séparées de leur pays d’origine, problème qui a bien sûr contribué à alimenter notamment le différend russo-ukrainien. 

Ceux qui ont eu l’occasion d’entretenir quelques relations avec des Russes ont pu souvent noter la haute idée qu’ils ont d’eux-mêmes et de la place que tient encore leur immense pays dans le concert des nations. C’est pourquoi cette fierté, qui n’a en soi rien de condamnable, peut les amener à soutenir leurs dirigeants lorsque ceux-ci réagissent, même de manière contestable vis-à-vis du droit international, à des décisions hostiles, ou considérées comme telles, de la part d’autres pays. Ainsi les dirigeants soviétiques, puis russes, de Mikhaïl Gorbatchev à Vladimir Poutine en passant par Boris Eltsine ont-ils pu nourrir une animosité partagée par le peuple russe à l’égard de l’OTAN et des États qui composent cette organisation, principalement les États-Unis et la plupart des États de l’Union Européenne. Les points de vue divergent en ce qui concerne les « engagements » qu’auraient pris certains membres de l’OTAN à partir de 1991, les États-Unis en premier lieu, sur le devenir de cette organisation créée le 4 avril 1949 à Washington dans le but de protéger l’Europe de l’Ouest d’une agression éventuelle de l’Union soviétique. Suite à l’intégration de la République fédérale allemande à l’OTAN en 1954, les Soviétiques réagiront le 14 mai 1955 par la création du Pacte de Varsovie auquel participeront les pays de l’Europe de l’Est aux côtés de l’URSS. Pour la Russie, la dissolution de ce Pacte en 1991 aurait dû être suivie de celle de l’OTAN, puisque la fin de la Guerre froide ne justifiait plus le maintien de ces deux organisations de défense. Or les pays membres de l’OTAN, non seulement ne mirent pas fin à son existence, mais n’eurent de cesse d’encourager, et en tout cas d’accueillir favorablement, de nouvelles adhésions parmi les pays de l’Europe de l’Est !

Pourtant, de nombreux mémorandums relatant les discussions qui se déroulèrent de 1989 à 1991 entre dirigeants occidentaux et soviétiques semblent indiquer que les États-Unis étaient disposés à dissoudre l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, ou à tout le moins, à ne pas envisager son expansion, comme l’indiquent les extraits qui suivent provenant de copies de documents originaux trouvés notamment sur le site « Les Crises » qui se présente comme un « espace d’autodéfense intellectuelle »… Ainsi peut-on lire dans un mémorandum d’entretien daté du 9 février 1990 ce que le Secrétaire d’État James Baker déclare à son homologue soviétique Edouard Chevardnadze : « Il devrait évidemment y avoir des garanties blindées (iron-clad guarantees) que les attributions ou les forces de l’OTAN ne progresseraient pas vers l’Est ». Le même jour, dans des extraits de sa conversation avec Mikhail Gorbatchev, James Baker confirme que « pas un pouce de présence militaire de l’OTAN ne s’étendra en direction de l’Est ». Gorbatchev avait répondu « Il va sans dire que l’élargissement de la zone de l’OTAN n’est pas acceptable ». Le lendemain, le Chancelier Helmut Kohl déclare à Gorbatchev : « Nous pensons que l’OTAN ne devrait pas étendre son champ d’action » (should not expand its scope). Notons que cette « garantie » ne concernait pas l’Allemagne réunifiée, l’URSS ayant accepté que les forces de l’OTAN se déploient dans l’ex-RDA dans le cadre d’un traité signé en septembre 1990. En juillet 1991, Manfred Wörner, Secrétaire général de l’OTAN déclarera à Boris Eltsine que le Conseil de l’organisation et lui-même sont opposés à l’élargissement de l’OTAN (13 des 16 États membres soutenaient ce point de vue). 

Mais ces promesses, qui pour être verbales n’en étaient pas moins des engagements moraux ayant laissé des traces écrites, vont bientôt se déliter avec l’arrivée au pouvoir de nouveaux dirigeants à l’Ouest, à commencer par celle de Bill Clinton. Les Russes auront-ils vent de plans du Département d’État envisageant l’expansion de l’OTAN à partir de 1993 ? Toujours est-il que le 15 septembre de la même année, Boris Eltsine adresse un télégramme à Bill Clinton pour lui rappeler que l’accord de 1990 signé à propos de l’Allemagne de l’Est excluait une expansion de l’OTAN vers les pays de l’Est qui n’inclurait pas la Russie (une possibilité d’intégration de la Russie à l’OTAN avait été envisagée !). Clinton rassurera complètement Eltsine en lui annonçant un « partenariat pour la paix » ; mais dans le même temps, l’élaboration de plans d’expansion de l’OTAN se poursuit. En novembre 1993, Eltsine écrit à Clinton que si les projets de l’OTAN se concrétisaient, cela conduirait la Russie à prendre des « mesures défensives »(countermeasures) et amplifierait les sentiments hostiles à l’Occident dans la population russe. Cette duplicité des États-Unis irritera au plus haut point le président Eltsine qui exprimera sa colère à Budapest en décembre 1994 au cours de la réunion au sommet de la CSCE (Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe). Boris Eltsine conclut son intervention en soulignant que « pour la première fois de son histoire, notre continent a une réelle chance de trouver l’unité. La manquer, c’est oublier les leçons du passé et remettre en question l’avenir lui-même. »  

C’est en vain, et pour cause, que Bill Clinton essaiera en 1995 de convaincre Boris Eltsine que l’expansion « graduelle, continue, à un rythme mesuré » de l’OTAN n’affaiblira pas la sécurité de la Russie ou ne divisera pas à nouveau l’Europe. En effet, ce discours est en totale contradiction avec les garanties occidentales du début des années 90 et est perçu par Boris Eltsine à la fois comme une trahison et une humiliation. Il note que la France, dont la parole est portée par François Mitterrand, s’oppose à cette politique d’expansion de l’OTAN, tandis que le Chancelier Helmut Kohl et le Premier ministre britannique John Major sont eux « sous l’influence » des États-Unis. 

C’est en 1995 que la vraie nature et les vrais objectifs de l’OTAN, autrement dit des États-Unis, vont éclater, c’est bien le cas de le dire, au grand jour avec l’opération Deliberate Force dirigée contre la République serbe de Bosnie, historiquement et politiquement proche de la Russie. L’organisation n’était donc pas purement défensive puisque les bombardements intenses menés par l’OTAN avec la participation d’avions français visaient un État qui n’avait agressé aucun des pays membres de l’Alliance.

L’intervention dans les Balkans marquera la soumission des Européens à la volonté des États-Unis et confirmera le poids considérable du lobby militaro-industriel étatsunien qui aura poussé Bill Clinton à élargir l’OTAN vers l’Est, trahissant ainsi les promesses qu’il avait faites à la Russie. En septembre 1995, Boris Eltsine déclarera que l’expansion de l’OTAN « signifiera une conflagration de guerre à travers toute l’Europe ». Un quart de siècle plus tard, les faits lui donneront raison et en effet, deux blocs militaires se sont reconstitués comme à l’époque de la guerre froide, reléguant les perspectives de paix qu’avait fait naître la CSCE, devenue OSCE, au rang d’utopie. Rappelons que la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe avait eu pour objet durant la période de la Guerre froide comprise entre 1973 et 1991 d’offrir un cadre de discussions entre l’Est et l’Ouest sur la sécurité en Europe, les droits de l’homme et la coopération entre les États membres. A compter de la signature de la « Charte de Paris pour une nouvelle Europe » en novembre 1990, la CSCE va se muer progressivement en une véritable institution permanente pour devenir l’OSCE en 1994 au sommet de Budapest (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe). On notera que la diplomatie soviétique était très favorable à cette institution vue comme un organe de coexistence pacifique qui pourrait conduire à un pacte de sécurité collective, rendant inutiles les deux systèmes de défense antagonistes de l’OTAN et du Pacte de Varsovie. Mais les Occidentaux ont toujours refusé un tel projet. 

Ainsi peut-on comprendre que la duplicité des dirigeants étatsuniens à l’égard de leurs homologues de l’URSS puis de la Russie résultait d’une pression considérable du complexe militaro-industriel qui voulait préserver des opportunités de ventes substantielles d’armements aux pays européens. Or non seulement les marchands d’armes des États-Unis se sont opposés à la dissolution de l’OTAN, mais leur appétit étant sans limite, ils ont usé de tout leur pouvoir pour que cette organisation étende ses frontières jusqu’à celles de la Russie. Du même coup, avec la persistance de l’OTAN, tout projet de défense européenne devenait en quelque sorte superflu. 

L’évolution récente des acquisitions d’avions de combat en Europe indique sans ambiguïté que les faucons de l’industrie de l’armement aux États-Unis ont remporté le gros lot en amenant la majorité des États européens à s’équiper avec du matériel développé et essentiellement produit outre-Atlantique, abandonnant la portion congrue du marché européen à trois industriels : le Français Dassault, le Suédois Gripen et Airbus. Ainsi voit-on se multiplier des acquisitions allant du F16 d’occasion au F35 flambant neuf de Lockheed Martin, appareil jugé le plus performant dans sa catégorie et capable de porter éventuellement une charge nucléaire qui serait évidemment fournie par les États-Unis. Les derniers à avoir pris la décision d’acquérir le F35 en Europe sont les Allemands pour un total de 35 unités. Ce choix est fondé sur des critères à la fois économiques et stratégiques, l’Allemagne tenant de son côté à protéger son lucratif marché d’automobiles de haut de gamme en Amérique du Nord. Mais pour l’ensemble des pays européens adeptes des armements produits par l’Oncle Sam, les questions de compatibilités techniques et opérationnelles requises par l’intégration de ces pays dans l’OTAN demeurent un critère de choix dont les stratèges de cette organisation ne manquent pas de souligner l’importance. D’ailleurs, de son côté, le Canada vient de passer début janvier 2023 une commande de 88 F35, ce qui porte à 17 le nombre de pays de l’Alliance atlantique à avoir choisi cet avion et le système d’armes qui va avec. Pour information, au prix unitaire de 150 millions de dollars, ce seul marché du F35 se monte à des dizaines de milliards de dollars pour les États-Unis. En comparaison, Dassault n’a vendu en Europe ses Rafale qu’à l’armée de l’air française, à la Grèce et à la Croatie… pas de quoi constituer une Europe de la défense. 

En définitive, l’industrie de l’armement des États-Unis continue à profiter des conflits sur le Vieux Continent (hier les Balkans, aujourd’hui l’Ukraine) et de l’absence d’une stratégie de défense européenne, ce qui permet à cette industrie d’assurer sa prospérité comme elle l’a fait au cours des deux conflits mondiaux du XXe siècle. Notons au passage que ces conflits ont constitué des opportunités déterminantes ayant permis aux États-Unis d’accéder au rang de première puissance mondiale. Cela montre que la production intensive de matériels militaires peut avoir un effet d’entraînement sur toute l’économie du fait des nombreux emplois ainsi créés, ce qui favorise la consommation de biens et services et donc la croissance du PIB. Notons par ailleurs que les améliorations et innovations dont bénéficient les matériels militaires concernent souvent des technologies dites « grises » ou « duales » pouvant avoir des retombées au bénéfice des produits à usage civil. Ce processus est tout à fait notoire dans la construction aéronautique, les aéronefs civils pouvant tirer profit de certaines technologies innovantes introduites sur les aéronefs militaires dans des domaines aussi variés que les matériaux, l’aérodynamique, la propulsion ou encore l’électronique et l’informatique embarquées. Pour illustrer le développement sans précédent du secteur militaro-industriel entre 1940 et 1945 aux États-Unis, voici quelques chiffres qui donnent le tournis : production de 3,6 millions de véhicules militaires dont un million de camions et plus de 600 000 des célèbres Jeep devenues le véhicule à tout faire des armées alliées, ces productions ayant d’ailleurs conduit à interrompre provisoirement la production de véhicules civils à compter de janvier 1942 ; il faut y ajouter encore la production de 300 000 avions et 85 000 chars d’assaut sans compter les unités navales pour l’US Navy et le volume ahurissant de munitions de toutes sortes, jusques et y compris les bombes nucléaires d’Hiroshima et Nagasaki! 

Soyons lucides : en s’assurant une solide présence militaire en Europe avec l’extension de l’OTAN, les États-Unis renforcent du même coup la supériorité absolue de leur industrie d’armement et maintiennent ainsi les États européens dans une situation de dépendance aux plans diplomatique et stratégique, mais aussi économique. Nous sommes en 2023 et l’Europe n’est pas capable de décider ce que firent les États-Unis en 1917 sous la présidence de Woodrow Wilson, à savoir se doter des moyens de production de tous les types d’armements sous la coordination du War Industries Board ; à l’époque en effet, les États-Unis devaient encore se fournir auprès de la France pour leur armement, artillerie notamment, et auprès du Royaume-Uni pour le transport maritime. 

Au plan économique, le nouveau développement de l’Alliance atlantique et de « l’économie de guerre » étasunienne poursuivie après la période de la Guerre froide devait aller de pair avec un autre projet d’envergure du monde occidental dont les dirigeants étaient acquis au capitalisme néolibéral et faisaient preuve d’une certaine complaisance à l’égard de sa manifestation la plus brutale, à savoir celle promue par les adeptes de la thérapie de choc chère à l’école de Chicago emmenée par l’économiste Milton Friedman (voir Naomi Klein : La Stratégie du choc – La montée d’un capitalisme du désastre, Actes Sud, 2013). Cette thérapie avait été expérimentée dans toute sa sauvagerie au Chili après le coup d’État militaire du général Pinochet contre le Président Allende le 11 septembre 1971. Fondée sur un État au rôle strictement cantonné à ses fonctions régaliennes, donnant la primauté à la main invisible du marché pour régler tous les problèmes, imposant la privatisation à marche forcée de tout ce qui pouvait être marchandisé et générer des profits, prescrivant un régime d’austérité insupportable à la population, une telle stratégie ne pouvait être mise en œuvre sans recourir à un régime de terreur, ce que connu le Chili où furent commis des crimes innombrables sous forme d’arrestations arbitraires, d’enlèvements, de tortures et d’exécutions sommaires d’opposants, ou supposés tels, à cette politique mortifère. Comme on le sait, l’Amérique du sud était depuis des décennies le terrain de jeu préféré des États-Unis et de la CIA engagés dans une lutte sans merci contre les mouvements progressistes soupçonnés d’être, au même titre que le régime cubain, des avant-gardes du communisme soviétique. Avec l’effondrement de l’URSS, une nouvelle région du monde se présentait pour expérimenter la thérapie de choc, à savoir les pays de l’ancien bloc de l’Est, y compris la Russie. En effet, la majorité des dirigeants occidentaux considéraient, et beaucoup le considèrent encore, qu’avec la chute de l’Union soviétique, le monde était parvenu à « la fin de l’Histoire ». Dès lors, seul allait subsister, à quelques exceptions près, le modèle capitaliste néolibéral. Ainsi que l’affirmaient les plus chauds partisans de ce système tels que Ronald Reagan et Margaret Thatcher, il n’y avait pas d’alternative à ce modèle et à son économie de marché, théorie intellectuellement stérilisante et connue sous l’acronyme anglais TINA pour There Is No Alternative

Ainsi, les gouvernements occidentaux, États-Unis en tête, envisageaient-ils d’amener les nouveaux dirigeants de la Russie et de l’Europe ex-communiste à adopter le modèle de société promu par les « Chicago Boys ». A cette fin, la stratégie du choc devait être mise en œuvre. Mais un certain Mikhaïl Gorbatchev, tout adulé qu’il était, même aux États-Unis où la presse lui avait donné le surnom amical de Gorby sans doute pour avoir contribué au démantèlement de l’URSS, posait un sérieux problème eu égard à sa vision du devenir de la Russie. Rendez-vous compte : il avait commencé à introduire plus de démocratie en libérant la presse, en accordant le droit de grève, en créant une Cour constitutionnelle indépendante et en organisant des élections libres pour élire les membres du Parlement et des conseils locaux ainsi que le Président de l’URSS. Gorbatchev sera ainsi largement élu pour un mandat de cinq ans par le Congrès des députés du Peuple de l’Union soviétique en 1990 (Parlement monocaméral de 2250 membres) avec 72,9% de voix. Cette élection se serait faite au suffrage universel direct à partir de 1995 si l’URSS n’avait pas disparu entre temps… 

Or, comme on l’a vu, la mise en œuvre d’une thérapie de choc ne peut se faire qu’avec un pouvoir fort, pour ne pas dire une dictature. Mais non content d’apporter enfin la démocratie, au plan économique et social, Gorby proposait un compromis entre l’économie libérale et l’économie administrée : tout en libéralisant graduellement le marché, l’État devait garder le contrôle sur certaines industries essentielles et mettre en place un système efficace de protection sociale. En d’autres termes se profilait clairement le développement d’une troisième voie, démocratique et à mi-chemin entre le communisme et le capitalisme néolibéral dans la sphère économique et sociale. Pour les ayatollahs du TINA, cela était inacceptable !  Invité par John Major au G7[4] de 1991 à Londres, Mikhaïl Gorbatchev sera averti par les dirigeants occidentaux qu’il devait sans attendre mettre en œuvre la thérapie de choc. Mais comment le prix Nobel de la paix pouvait-il se transformer en un autre Pinochet, lui qui défendait une évolution très progressive vers l’économie de marché dans le cadre d’institutions démocratiques. Par ailleurs, comment pouvait-il accepter de voir l’URSS traitée comme un État sud-américain ou n’importe quel PED par le FMI et la Banque mondiale, deux organismes qui défendaient depuis leur création les intérêts du gouvernement des États-Unis en s’ingérant dans la politique des États « bénéficiaires de leur aide » (voir Éric Toussaint : Banque mondiale – Une histoire critique, Syllepse, 2021) ? 

Il reviendra donc à Boris Eltsine, président de la Russie, de se soumettre au diktat occidental. Par ailleurs, c’est surtout lui, plus que Gorbatchev, qui va précipiter la dissolution de l’URSS en acceptant dès janvier 1991 la déclaration d’indépendance des États baltes, Estonie, Lettonie et Lituanie. En juin Eltsine est élu président de la fédération de Russie après une campagne durant laquelle la propagande n’aura sans doute pas beaucoup contribué à éclairer l’électorat russe sur la nature des réformes que ce candidat entendait entreprendre. Il se rend alors aux États-Unis où on lui rappellera, comme à Gorbatchev lors du G7 de Londres en juillet, qu’une aide de l’Occident à la Russie ne saurait être envisagée sans la thérapie de choc. 

Mais le 19 août 1991, des putschistes communistes conservateurs tentent de se débarrasser de Gorbatchev, soupçonné de vouloir supprimer le PCUS (Parti communiste de l’Union soviétique), et envahissent Moscou avec des blindés. En l’absence de Gorbatchev parti en vacances en Crimée, Eltsine s’oppose avec succès à cette tentative de coup d’État, debout sur un tank depuis lequel il demande à la foule de résister. Il parviendra à remplacer par ses partisans tous les ministres du gouvernement soviétique, communistes conservateurs et complices avérés de la tentative de ce coup d’État. Dans les jours qui suivent, il dissout le PCUS et le Soviet suprême de la Russie, tandis que s’auto-dissout le Congrès des députés du Peuple de l’URSS qui avait élu Gorbatchev Président de l’Union l’année d’avant ! Avec la déclaration d’indépendance de l’Ukraine en décembre, Eltsine acte la disparition de l’Union soviétique et propose de créer la Communauté des États indépendants (CEI) lors de la signature de l’accord de Minsk le 8 décembre 1991, accord qui annule par ailleurs le traité de 1922, texte fondateur de l’Union soviétique. Le 26 décembre, le Soviet suprême de l’Union soviétique et le Soviet des Républiques du Soviet suprême de l’Union soviétique signent le protocole d’Alma-Ata qui officialise la création de la CEI et le démantèlement de l’URSS. Devant ce qui était devenu inévitable, Mikhaïl Gorbatchev n’avait plus d’autre choix que de démissionner de ses fonctions devenues sans objet, ce qu’il fit dès le 25 décembre 1991.  

Ainsi la voie est libre pour engager sans attendre la désastreuse thérapie de choc. Fin 1991, Eltsine demande au Parlement russe de lui accorder des pouvoirs spéciaux pour redresser l’économie, ce qui fut fait en reconnaissance des citoyens russes de sa réaction contre la tentative de coup d’État du mois d’août. Il va d’abord libérer les prix, ce qui provoquera aussitôt une inflation à trois, puis à quatre chiffres[5] et, par ricochet, l’effondrement des cours du rouble et de l’épargne, mais aussi l’aggravation de la pauvreté, les salaires et les pensions ne suivant pas l’évolution exponentielle de l’inflation et ne permettant qu’à une minorité d’acheter les produits qui commençaient à arriver en quantité depuis l’Occident. Quant aux immenses ressources naturelles et aux actifs du pays, ils vont non pas être privatisés sous forme d’une répartition démocratique entre les citoyens de l’ex-URSS, mais littéralement confisqués par une minorité d’apparatchiks. Pour introduire les réformes de l’école de Chicago, le nouveau Pinochet compte sur le zèle de son Premier ministre, Egor Gaïdar et sur Iouri Skokov chargé des questions de défense et de répression. Cependant, les conséquences pour la population sont tellement désastreuses que le Parlement russe vote le limogeage d’Egor Gaïdar qui sera remplacé par Viktor Tchernomyrdine. De fait, Eltsine est en conflit larvé avec le Parlement russe qui s’oppose à la politique d’austérité exigée par le FMI, si bien que les députés vont lui refuser la prolongation de ses pouvoirs spéciaux en mars 1993 de même que la tenue d’un référendum visant à renforcer son statut de nouveau tsar ! Pire encore, le Parlement menace de le destituer mais y renonce finalement eu égard à la popularité du président confirmée par un référendum qui lui donne étonnamment 58% d’opinions favorables en avril 1993. Ce résultat va l’encourager à dissoudre le Parlement dans lequel siègent trop de députés communistes à son goût. 

C’est à ce moment-là que la violence nécessaire à la mise en œuvre de la thérapie de choc va se déchaîner. En effet, le Parlement vote finalement la destitution d’Eltsine, lequel en ordonne alors l’assaut avec la bénédiction de Bill Clinton. Les militaires et les forces spéciales tirent sur la foule. La presse estime le massacre à 1500 morts, soit dix fois le chiffre officiel de 150 morts. État d’urgence, presse jugulée, arrestations massives d’opposants et de migrants en situation illégale, toute la violence d’une dictature se déchaîne. Pourtant, l’image d’Eltsine en Occident restera celle d’un président progressiste, Bill Clinton allant même jusqu’à déclarer sans sourciller qu’il était « sincèrement engagé en faveur de la liberté et de la démocratie ». Mais ce qui comptait le plus pour le locataire de la Maison blanche, c’était cet ajout : « sincèrement engagé en faveur de la réforme », sous-entendu de la réforme libérale version thérapie de choc et à son cortège de souffrances pour la population russe : pauvreté, chômage, difficultés d’accès aux soins, augmentation de l’alcoolisme et de la mortalité. Dans ces conditions, la popularité d’Eltsine finira par décliner, ce qui rend particulièrement suspect le résultat de l’élection présidentielle d’avril 1996 où il obtient encore 53,8% des voix au second tour devant le candidat communiste arrivé en tête au premier tour… Il faut dire que Bill Clinton, toujours lui, aura usé de toute son influence, pour ne pas dire de son pouvoir, pour que la Banque mondiale accorde avant l’élection un prêt de 10,2 milliards de dollars à la Russie, sans compter l’assistance de conseillers étatsuniens auprès du gouvernement russe en techniques de communication et propagande électorale !

Cependant, les souffrances infligées par la thérapie de choc au peuple russe sont telles que la popularité de Boris Eltsine atteindra fin 1996 son étiage le plus bas, avec seulement 10% de satisfaits. « L’aide » de l’Occident à la Russie n’a donc rien fait de mieux que de tuer dans l‘œuf la démocratie qui avait fait ses premiers pas sous Gorbatchev, de brader les ressources et le patrimoine de l’ex-URSS pour les confier à quelques oligarques, de généraliser la corruption, de contracter le PIB de 50% entre 1992 et 1998, d’enfoncer dans la misère des millions de Russes et de diminuer leur espérance de vie de cinq années entre 1991 et 1994 (selon une étude de « The Lancet »). Ces résultats sont en parfaite cohérence avec ceux observés dans les pays où la Banque mondiale et le FMI interviennent en veillant à protéger les intérêts et les objectifs politiques des États-Unis. 

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Essayons maintenant de synthétiser les éléments évoqués dans cette note pour voir s’ils pourraient nous permettre de répondre à une double question : 1) toutes choses égales par ailleurs, la guerre en Ukraine aurait-elle pu être évitée si la Russie n’avait pas été dirigée par un Poutine, ou bien 2) l’aurait-elle été également, même avec Poutine, si l’Occident avait pris des décisions conformes aux attentes des dirigeants et de la population russes au moment de la dislocation de l’URSS en 1991 ? L’enchaînement des évènements entre 1985 et décembre 1999, date de l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine suite à la démission de Boris Eltsine, semble apporter quelques éléments de réponse.

Tout d’abord, il faut bien reconnaître que la chute de l’empire soviétique était inscrite dans ses propres textes fondateurs, qu’elle s’est par ailleurs produite dans la plus grande confusion et a infligé aux populations de l’ex-URSS des souffrances de toutes sortes, ce qui inclut sans doute la frustration de ne plus appartenir à ce qui était du temps de la Guerre froide l’autre grande puissance face aux États-Unis d’Amérique.

Chute annoncée en effet puisque la constitution soviétique dans ses évolutions successives de 1923, 1936 et 1977 disposait que les peuples des républiques de l’Union pouvaient de plein droit revendiquer leur indépendance. Dès le début de son existence, le ver était donc dans le fruit, de sorte que seul un régime totalitaire a pu durant 70 ans préserver un semblant d’unité de ce territoire aux dimensions extravagantes et dans lequel les populations avaient de longue-date développé des cultures d’une grande diversité, aux plans linguistiques, religieux, artistiques et sociétaux. Il apparaît donc que les premiers efforts de démocratisation décidés par Gorbatchev ont pu être perçus par les républiques constitutives de l’URSS comme autant de signaux encourageants pour actionner les mécanismes institutionnels d’accès à l’indépendance.   

Comme on a pu l’entrevoir dans ce document, la plus grande confusion a présidé au processus de décomposition et d’affaiblissement du pouvoir central, ce qui a pu également encourager les républiques périphériques de la Russie à affirmer leur volonté de sécession, d’autant que celle-ci n’était pas anticonstitutionnelle ! D’ailleurs à partir de 1985, à l’exception de la Tchétchénie en 1994 et 1999, le pouvoir moscovite n’a pas fait preuve d’une grande combativité pour entraver cette marche vers l’indépendance des anciennes républiques soviétiques, pas plus d’ailleurs que pour entraver le mouvement de libération des pays d’Europe centrale et orientale du joug de l’URSS.

Pour ce qui est des souffrances, la responsabilité semble partagée entre l’incapacité de l’économie dirigée de l’URSS à fournir les produits et services nécessaires au bien-être des populations, et la prétention des Occidentaux de vouloir régler les problèmes de l’ancienne Union soviétique et de ses anciens vassaux européens par un passage brutal à l’économie – et à l’idéologie pourrait-on dire – de marché au moyen de la sinistre thérapie de choc. Cette thérapie aura en particulier comme conséquence de faire tomber les richesses de l’ex-URSS, industrielles et naturelles, entre les mains des oligarques et de créer une économie mafieuse rongée par la corruption. 

Mais l’action des États-Unis et de ses alliés n’aura pas eu pour effet que d’enfoncer un peu plus l’économie de la Russie et de miner sa démocratie balbutiante, elle aura également contribué à modifier complètement l’équilibre des forces qui avait prévalu durant la période de la Guerre froide. En effet depuis 1991, année de dissolution du Pacte de Varsovie, les pays membres de l’OTAN n’ont cessé de trahir leur parole et de renforcer méthodiquement leur alliance en l’élargissant jusqu’à l’amener aux frontières même de la Russie avec l’adhésion des États baltes en 2004. De plus, en manifestant son désir d’adhérer à l’Union européenne, l’Ukraine a clairement indiqué que la Russie n’était plus son partenaire privilégié au plan économique, ce qui n’était pas une bonne nouvelle pour Moscou quand on sait que l’Ukraine a été la deuxième république la plus riche et la plus développée après la Russie du temps de l’URSS. Mais plus grave encore pour la Russie de Vladimir Poutine, l’Ukraine ne cache pas qu’elle rejoindrait volontiers l’Alliance atlantique, indiquant cette fois qu’elle tourne également le dos à la Russie aux plans stratégique et militaire. 

Comme nous l’avons signalé, les États-Unis ont une nouvelle fois réussi à vendre leurs armements à la plupart des pays européens alors que les industriels du Vieux Continent ont montré depuis longtemps qu’ils sont en mesure de produire tout ce qui serait nécessaire à la création d’une défense européenne. Mais il n’est pas question pour le lobby militaro-industriel des États-Unis qu’un tel marché lui échappe !    

Ainsi, tous les ingrédients ont été peu à peu réunis pour créer chez beaucoup de Russes un fort ressentiment à l’égard de l’Occident perçu comme une coalition qui a, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, combattu sans relâche le communisme à travers le monde, et en premier lieu sa version dénaturée mise en œuvre en Union soviétique. Cet Occident dominé par les États-Unis s’est très vite réjoui de l’effondrement de l’URSS, non pas parce qu’un régime totalitaire avait dû abandonner le pouvoir, mais parce que l’idéologie néolibérale allait enfin pouvoir régner sans partage. Dès lors, il fallait de toute urgence battre le fer quand il était chaud et profiter de la faiblesse de l’économie de type soviétique en provoquant son extinction définitive avec la thérapie de choc dont l’objectif était d’opérer un basculement rapide de la Russie vers l’économie de marché en s’inspirant du processus chilien de 1973.

            C’est ainsi que les « pays occidentaux » ont perçu les anciennes républiques du bloc soviétique, à commencer par la Russie elle-même, comme les vaincus d’une guerre, mais une Guerre froide, qui avait duré 70 ans. Et les vaincus ont été traités de manière irrespectueuse, la Russie devant obéir aux diktats des États-Unis qui, avec le soutien de leurs alliés et du FMI, l’ont menacée de ne pas lui octroyer les prêts de la Banque mondiale si elle n’adoptait pas la stratégie d’une transition rapide vers un modèle de société néolibérale. Irrespect encore, mais aussi provocation, avec les mensonges proférés par les Occidentaux sur une promesse de non-expansion de l’OTAN, voire de sa disparition, après la dissolution du Pacte de Varsovie. L’action des États membres de l’Union européenne a été de son côté expansionniste au détriment de la Russie, les anciens PECO[6] membres du COMECON[7] étant invités à se rapprocher de l’Union puis à la rejoindre, ainsi que les trois États baltes qui avaient fait partie de l’ex-URSS, au même titre que l’Ukraine.

            A ce stade de la réflexion, il est envisageable de tenter une réponse aux deux questions posées au début de cette synthèse un peu longue. 

            Avant de répondre à ces deux questions, on peut affirmer sans trop de risques, puisque les faits le démontrent, qu’avec un Poutine au pouvoir, et sans changement de comportement de la part des Occidentaux, il devenait de plus en plus probable qu’une offensive militaire de la Russie allait être engagée compte tenu des offenses et des humiliations que ce pays a pu ressentir depuis plus de trente ans et du conflit larvé qui se poursuivait dans le Donbass depuis 2014. Bien que la Russie post-soviétique ne soit pas la démocratie qu’elle aurait pu être, il ne fait guère de doute qu’une telle longévité de Poutine au pouvoir n’aurait sans doute pas été possible si la population russe n’avait pas été réceptive aux messages nationalistes du nouveau tsar, et si elle a été ainsi réceptive, la politique des dirigeants occidentaux et les messages véhiculés par nos médias ont dû largement y contribuer depuis 30 ans. Mais il va de soi que ces tentatives « d’explications » ne doivent pas être perçues ici comme des circonstances atténuantes à la violence de l’agression du maître du Kremlin. 

Première question : toutes choses égales par ailleurs, la guerre en Ukraine aurait-elle pu être évitée si la Russie n’avait pas été dirigée par un Poutine ?

                        Que se serait-il passé si au lieu de Poutine, Eltsine avait transmis le pouvoir à un autre Gorbatchev ? Nous avons vu que les États-Unis et leurs alliés avaient tout fait pour empêcher le programme de Gorbatchev de se réaliser, l’idée d’une troisième voie démocratique entre capitalisme néolibéral et communisme leur étant insupportable. Il y a donc tout lieu de penser que le même scénario de déstabilisation aurait été rejoué par les Occidentaux, mais on a vu que la popularité d’Eltsine en 1996 avait chuté au plus bas avec 10% de satisfaits. Si son successeur avait voulu restaurer la démocratie et reprendre la marche vers une économie du « troisième type », abandonnant la politique d’austérité du FMI que seul un régime autoritaire peut mettre en œuvre, alors qu’aurait fait l’Occident capitaliste, les États-Unis en tête, pour tenter d’imposer malgré tout son idéologie ? Il n’est pas exclu qu’auraient été prises des sanctions comparables à celles qui ont été prises contre la Russie depuis la tentative d’invasion de l’Ukraine ! Et que la Russie aurait répliqué de la même manière en fermant le robinet du gaz et du pétrole à l’Europe !  Mais que penser alors de la position de l’Ukraine ? N’aurait-elle pas estimé qu’une Russie en marche vers la démocratie, respectueuse des frontières, riche de ses ressources naturelles et d’une population éduquée, était après tout un partenaire plus « naturel » que l’Union européenne et qu’aurait pu être engagée avec la Russie une coopération dans l’esprit des orientations de l’OSCE et de la Conférence sur la sécurité et la coopération (ex-CSCE) d’Helsinki qui en avait fixé les principes et les objectifs dès 1975 ? 

Deuxième question : ou bien la guerre aurait-elle été également évitée, même avec Poutine, si l’Occident avait pris des décisions conformes aux attentes des dirigeants et de la population russes au moment de la dislocation de l’URSS en 1991 ?

              Il est relativement facile au terme de cette analyse de percevoir ce qu’il n’aurait pas fallu faire pour éviter la situation de guerre dans laquelle nous sommes entrés depuis plus d’un an sur la frontière orientale de l’Europe : 1) que les États-Unis aient accepté de dissoudre l’OTAN en 1991 dès lors que le Pacte de Varsovie avait lui-même cessé d’exister, à tout le moins, de limiter le périmètre de l’Alliance à ce qu’il était en 1991, 2) que l’Union européenne ait engagé avec la Russie une politique de coopération économique tournant le dos à la thérapie de choc, de sécurité et de développement humain selon les orientations de l’OSCE dont le rôle et les pouvoirs auraient été renforcés. En d’autres termes, avoir commencé à dessiner les contours d’une « Europe de l’Atlantique à l’Oural » ! Dans de telles circonstances, quelles justifications Vladimir Poutine aurait-il pu mettre en avant pour partir à l’assaut de l’Ukraine et quelles raisons auraient pu conduire le peuple russe à éprouver de l’hostilité à l’égard des Occidentaux ? Si la partie russe n’avait pas eu à faire aux Occidentaux les lourds reproches que l’on connait, le petit César du Kremlin n’aurait sans doute pas eu le soutien de son peuple pour franchir le Rubicon.

            Il n’est jamais trop tard pour réparer certaines erreurs. Aujourd’hui, les faucons de tout bord font entendre leurs voix et leurs canons au point de rendre inaudible les discours de raison qui encouragent une solution de règlement diplomatique de la guerre en Ukraine. Ne serait-il pas temps pour les membres de l’Alliance atlantique comme pour les deux belligérants de faire preuve de contrition en reconnaissant que des erreurs et des fautes ont été commises de part et d’autre depuis la chute de l’URSS, ce qui serait un grand pas vers un processus de paix durable ? Oui, certaines de ces erreurs peuvent encore être réparées. 

Puisque les États-Unis et leurs alliés déclarent qu’ils n’ont aucune intention de menacer militairement la Russie, il faudrait alors arrêter d’ouvrir en grand la porte de l’OTAN aux candidatures posées par la Suède, et surtout par la Finlande et l’Ukraine qui ont des frontières avec la Russie, autrement dit mettre un coup d’arrêt à cette politique d’encerclement. Une autre concession à la Russie pourrait être faite en ce qui concerne la Crimée au nom du réalisme : son annexion remonte à 2014, ce qui a provoqué une réaction plutôt modérée des États-Unis et de l’Europe hormis des sanctions contre la Russie sans conséquences significatives ; il paraît donc maintenant difficile d’envisager que le Kremlin accepte de la rattacher à nouveau à l’Ukraine comme l’avait fait Khrouchtchev en 1954 (mais l’Ukraine faisait alors partie de l’URSS). Notons que si la dissolution de l’OTAN peut être aujourd’hui perçue comme une proposition difficile à relancer eu égard au conflit en cours, le général de Gaulle avait pour sa part pu justifier en 1966 de quitter le commandement intégré de cette alliance compte tenu des changements géopolitiques intervenus depuis sa création en 1949 et, pour la France, de son entrée dans le club restreint des puissance nucléaires. Rappelons une fois encore ici que l’objet de cette alliance était à l’issue de la Seconde guerre mondiale d’assurer la défense et la sécurité de l’Europe face à l’Union soviétique. Comment dès lors comprendre que Nicolas Sarkozy, censé appartenir à la famille gaulliste, ait pu décider en 2009 de réintégrer le commandement de l’OTAN alors que le plus spectaculaire des changements géopolitiques dans la seconde moitié du XXe siècle s’était produit dix-huit ans plus tôt avec l’effondrement de l’URSS ? Comment une décision aussi à contre temps de l’Histoire a-t-elle été perçue en Russie ? Ses dirigeants, et notamment Poutine, ne pouvaient-ils pas y voir une marque supplémentaire de défiance d’un grand pays européen à l’égard de la Russie ?  

En contrepartie des concessions ci-dessus qui pourraient être faites à la partie russe, celle-ci devrait reconnaître l’appartenance irrévocable des « républiques séparatistes » du Donbass (Donetsk et Louhansk) à l’Ukraine, quitte à leur donner une certaine autonomie. L’inviolabilité des frontières est une autre condition devant être gravée dans le marbre, non seulement pour les frontières de l’Ukraine, mais aussi pour celles de tous les États nés de la scission des anciennes républiques soviétiques situées à la périphérie de la Russie, comme la Moldavie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan. Quant aux États baltes, étant passés sous le parapluie de l’OTAN (au moins tant que subsistera cette organisation anachronique !), leur intégrité ne saurait être remise en cause. 

Mais il ne suffira pas de trouver un premier accord permettant de mettre fin aux hostilités et un retrait des forces russes d’Ukraine en veillant à ce qu’il n’y ait surtout ni vaincu, ni vainqueur : il faudra également tracer de nouvelles perspectives de coopération avec la Russie en vue de constituer un grand bloc économique et stratégique autour de l’Union européenne et de la Russie, un bloc capable de faire jeu égal avec les deux superpuissances que sont les États-Unis et la Chine en ce début de XXIe siècle. Encore faudrait-il, ayant rappelé à dessein dans ce document ses conséquences pour l’état du monde en termes d’inégalités, de pauvreté et de dégradation sévère de notre environnement, que ce troisième bloc adopte une tout autre approche du développement que l’approche capitaliste néolibérale dont la pérennité ne peut être assurée sans poursuite du consumérisme le plus destructeur, donc sans croissance illimitée de l’économie. De Gaulle, encore lui, parlait de « protectorat américain » sur l’Europe. Cela continue peu ou prou, notamment grâce à la domination des États-Unis dans le domaine militaire, laquelle n’est pas sans rapport avec la domination économique. Tant que l’OTAN existera et que l’Europe n’aura pas construit une politique de défense et une diplomatie vraiment indépendantes des États-Unis, elle ne pourra pas accéder au statut de grande puissance. 

Rien n’est plus dangereux qu’un monde bipolaire ! Ce serait l’une des raisons pour laquelle les psychologues ont recommandé que les équipages qui sont partis en 1969 à la conquête de la lune comportent trois astronautes. Le rôle du troisième larron est en effet fondamental pour le règlement des conflits éventuels entre les deux autres, surtout tant que le pouvoir de médiation de l’ONU est limité par le droit de véto des membres du Conseil de Sécurité.    

Pour en finir avec cette guerre absurde et son cortège de souffrances, chacun doit d’abord faire preuve d’humilité, de modération et d’écoute de l’autre. Cette approche permettra la reprise du dialogue et le retour de la diplomatie, loin des invectives et des défis que chacun se lance actuellement et qui sont relayés par les grands médias, d’un côté comme de l’autre.


[1] Citons par exemple le cas du Texas State Board of Education qui a fait en mars 2023 la recommandation effarante et plus proche de l’injonction aux directeurs d’écoles d’utiliser des manuels scolaires qui « soulignent le côté positif des carburants fossiles » (to highlight the positive side of fossil fuels). Cet organisme officiel du gouvernement texan conteste clairement la réalité du changement climatique ! 

[2] Malgré une baisse continue de ce taux depuis 2010 où il était encore à 2,03. Rappelons que pour maintenir le niveau de sa population, hors solde migratoire, le taux de fécondité d’un pays doit être de 2,1 enfants par femme en âge de procréer.

[3] Le tube de Pitot, du nom de son inventeur, comporte un petit orifice orienté vers l’avant de l’avion, ce qui permet à l’air d’y pénétrer avec une vitesse qui dépend de la vitesse de déplacement de l’avion par rapport à la masse d’air ; la pression de l’air dans le tube de Pitot est traduite et étalonnée en vitesse au moyen d’une capsule qui se déforme plus ou moins sous l’effet de cette pression. Pour éviter l’obstruction de l’orifice du tube de Pitot par accumulation de givre, celui-ci est réchauffé par une résistance électrique.  

[4] Le G7 comprend les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, l’Italie et le Japon. 

[5] 800% en 1993, puis plus de 1000% en 1994 (source : Inflation.eu)

[6] Pays d’Europe centrale et orientale.

[7] COMECON acronyme anglais pour COuncil for Mutual ECONomic Assistance, en français Conseil d’Assistance économique mutuelle, CAEM : organisme de coopération économique adapté au modèle soviétique de planification de la production. Autour de l’URSS, il réunissait les PECO, mais aussi la Mongolie, le Viêt Nam et Cuba. 

Temps de travail rémunéré

<strong>Temps de travail rémunéré</strong>

J’avais longuement abordé ce thème dans l’essai publié en octobre 2017 sous le titre de NÉMÉSIS Remettons le monde à l’endroit. La nouvelle provocation du gouvernement de la droite macroniste à propos de notre système de retraite m’amène à rappeler ma perception du problème que j’avais développée il y a six ans.  

Les critères adoptés dans notre système de retraite pour calculer les droits à pension concernent le temps passé en emploi décompté en trimestres et l’âge minimal à partir duquel les pensions peuvent être liquidées ; ce temps passé et cet âge minimal peuvent être modulés en fonction de divers facteurs comme la pénibilité, la naissance d’un enfant, l’âge d’entrée dans la vie professionnelle, etc. Quoi qu’il en soit, l’application de ces critères détermine le temps total en « activité » pris en considération pour déterminer le montant de la pension de retraite. Notons au passage que l’expression souvent utilisée de temps passé au « travail » n’est pas satisfaisante pour parler du seul travail effectué contre rémunération, car chacun d’entre nous fournit également une quantité significative de travail non rémunéré, lequel n’entre évidemment pas dans le calcul du PIB… 

Aujourd’hui, les Français se mobilisent massivement pour éviter un nouveau report de leur âge de départ à la retraite et le problème occupe une place majeure dans la sphère médiatico-politique. Mais comment peut-on rationnellement se focaliser sur ce problème en oubliant que le temps de travail rémunéré au cours d’une vie dépend aussi de deux autres facteurs que sont la durée hebdomadaire du travail et le nombre de jours fériés et de congés payés ? Concrètement, c’est bien la combinaison de ces trois facteurs qui détermine le nombre total d’heures de travail rémunéré au cours d’une carrière professionnelle. Comme je l’avais déjà indiqué dans NÉMÉSIS, ce total, estimé à 120 000 heures au début du XXème siècle, a été diminué par deux de nos jours, mais cette baisse massive du temps de travail en emploi n’a pas conduit à une baisse de la richesse produite, bien au contraire, car la productivité moyenne par heure de travail entre 1890 et 2012 ayant augmenté de 2,46% l’an (source INSEE), la richesse ainsi produite par heure aura été multipliée par 19,4 en 122 ans tandis que la population française, passée de 40 à 65 millions d’habitants, n’aura été multipliée que par 1,64 ! 

La réduction historique du temps de travail à 60 000 heures a donc été obtenue grâce à une réduction hebdomadaire de ce temps, aux congés payés et au passage à 60 ans de l’âge de départ à la retraite dans le régime général. Cela a été possible comme on vient de le rappeler grâce aux gains de productivité tout en permettant une élévation considérable du niveau de vie moyen de la population. Autrement dit, il paraîtrait judicieux de traiter la question du temps de travail rémunéré de manière globale. Dès lors, deux options sont envisageables : celle des dominants qui cherchent à augmenter la durée du travail pour accroître leurs profits, option à rebours de la tendance lourde de réduction du temps de travail observée depuis plus d’un siècle, et celle des militants du progrès humain qui cherchent à accroître le temps libre pour tous ainsi que l’espérance de vie, notamment pour  les catégories les plus défavorisées.

Dans ces conditions, diverses combinaisons pourraient être considérées. En posant R pour retraite, C pour congés et jours fériés et H pour durée hebdomadaire du travail, nous obtenons les sept possibilités suivantes pour modifier dans un sens ou dans l’autre la durée du travail rémunéré : C, H, R, C+H, C+R, H+R, C+H+R. Mais cette approche requiert de calculer le temps de travail rémunéré non pas en cumul de trimestres, mais en cumul d’heures sur la carrière de chacun. Il est alors évident que la notion d’âge de départ à la retraite n’a plus beaucoup de sens si la durée totale de travail rémunéré calculée en heures peut être le résultat de rythmes de travail différenciés – mais n’est-ce pas déjà le cas en pratique ? – selon les modulations qui pourraient être convenues sur les trois paramètres considérés : travailler plus intensivement afin d’avancer l’âge de départ en retraite, ou au contraire travailler à un rythme moins soutenu, mais prolonger sa carrière de quelques années supplémentaires. 

Des exemples de ces variantes existent chez nos voisins européens, par exemple en Hollande où la semaine de quatre jours est très répandue, ce qui conduit à une durée moyenne hebdomadaire de travail inférieure à 30 heures et à un total annuel de 1357 heures contre 1661 heures en France sur la base des 35 heures qui sont d’ailleurs très souvent dépassées (voir le Monde du 05 02 2016) ; pas étonnant donc que l’âge légal de départ à la  retraite de nos amis hollandais soit fixé à 67 ans, mais ce chiffre est un leurre car les possibilités de départ anticipé sont très nombreuses. Par exemple, l’âge moyen réel de départ à la retraite en 2008 était de 62,8 ans pour les femmes et 63,7 ans pour les hommes. Ce n’est donc pas seulement le temps total de travail qui est important, mais aussi la manière dont il est réparti au cours de la carrière, cette répartition pouvant être, autant que faire se peut, laissée au choix des personnes. 

Il va de soi que le temps total d’heures de travail qui donnerait droit à une retraite pleine doit être minoré dans le cas des professions qui présentent des niveaux de pénibilité susceptibles de provoquer prématurément des problèmes de santé physique ou mentale. Mais j’engage à nouveau les lecteurs de ce billet à prendre connaissance des analyses et propositions développées dans le chapitre V de NÉMÉSIS car vous découvrirez qu’il est intellectuellement stérile de n’envisager, comme c’est le cas actuellement, un système de retraite que sous forme de répartition, de capitalisation ou de combinaison de ces deux options. Ce qui est proposé dans mon essai change radicalement le mode de financement ainsi que les modalités de liquidation des retraites comme on a pu en avoir un aperçu dans ce qui précède.

A bientôt sur ce blog pour échanger et nourrir la réflexion sur le problème majeur de société et de progrès humain qu’est le temps de travail rémunéré,

Bertrand 

Vœux 2023

Vœux 2023

Bonjour,

Celles et ceux qui ont lu NÉMÉSIS reconnaîtront peut-être le premier paragraphe de cette carte de vœux : il provient de la conclusion de cet ouvrage dont je ne renie aucune des analyses ou des propositions depuis l’achèvement du manuscrit qui remonte à plus de six ans, en décembre 2016. 

Pour des raisons personnelles, j’ai été un peu absent sur ce blog au cours du dernier trimestre 2022, mais j’ai désormais repris le cours normal de mes activités et vous promets de l’alimenter très prochainement et très généreusement!

De plus, j’espère avoir le temps, le courage et l’inspiration pour publier en 2023 deux ouvrages en chantier, un nouveau recueil de chroniques et un nouvel essai qui parlera d’un sujet tout à la fois éternel et d’une brûlante actualité.

Pour l’heure je vous souhaite à toutes et à tous le meilleur pour cette nouvelle année!

Cordialement, amicalement ou affectueusement, c’est selon

        oh! j’allais oublier… « et lisez-moi bien sûr »!

            Bertrand