<strong>Temps de travail rémunéré</strong>

J’avais longuement abordé ce thème dans l’essai publié en octobre 2017 sous le titre de NÉMÉSIS Remettons le monde à l’endroit. La nouvelle provocation du gouvernement de la droite macroniste à propos de notre système de retraite m’amène à rappeler ma perception du problème que j’avais développée il y a six ans.  

Les critères adoptés dans notre système de retraite pour calculer les droits à pension concernent le temps passé en emploi décompté en trimestres et l’âge minimal à partir duquel les pensions peuvent être liquidées ; ce temps passé et cet âge minimal peuvent être modulés en fonction de divers facteurs comme la pénibilité, la naissance d’un enfant, l’âge d’entrée dans la vie professionnelle, etc. Quoi qu’il en soit, l’application de ces critères détermine le temps total en « activité » pris en considération pour déterminer le montant de la pension de retraite. Notons au passage que l’expression souvent utilisée de temps passé au « travail » n’est pas satisfaisante pour parler du seul travail effectué contre rémunération, car chacun d’entre nous fournit également une quantité significative de travail non rémunéré, lequel n’entre évidemment pas dans le calcul du PIB… 

Aujourd’hui, les Français se mobilisent massivement pour éviter un nouveau report de leur âge de départ à la retraite et le problème occupe une place majeure dans la sphère médiatico-politique. Mais comment peut-on rationnellement se focaliser sur ce problème en oubliant que le temps de travail rémunéré au cours d’une vie dépend aussi de deux autres facteurs que sont la durée hebdomadaire du travail et le nombre de jours fériés et de congés payés ? Concrètement, c’est bien la combinaison de ces trois facteurs qui détermine le nombre total d’heures de travail rémunéré au cours d’une carrière professionnelle. Comme je l’avais déjà indiqué dans NÉMÉSIS, ce total, estimé à 120 000 heures au début du XXème siècle, a été diminué par deux de nos jours, mais cette baisse massive du temps de travail en emploi n’a pas conduit à une baisse de la richesse produite, bien au contraire, car la productivité moyenne par heure de travail entre 1890 et 2012 ayant augmenté de 2,46% l’an (source INSEE), la richesse ainsi produite par heure aura été multipliée par 19,4 en 122 ans tandis que la population française, passée de 40 à 65 millions d’habitants, n’aura été multipliée que par 1,64 ! 

La réduction historique du temps de travail à 60 000 heures a donc été obtenue grâce à une réduction hebdomadaire de ce temps, aux congés payés et au passage à 60 ans de l’âge de départ à la retraite dans le régime général. Cela a été possible comme on vient de le rappeler grâce aux gains de productivité tout en permettant une élévation considérable du niveau de vie moyen de la population. Autrement dit, il paraîtrait judicieux de traiter la question du temps de travail rémunéré de manière globale. Dès lors, deux options sont envisageables : celle des dominants qui cherchent à augmenter la durée du travail pour accroître leurs profits, option à rebours de la tendance lourde de réduction du temps de travail observée depuis plus d’un siècle, et celle des militants du progrès humain qui cherchent à accroître le temps libre pour tous ainsi que l’espérance de vie, notamment pour  les catégories les plus défavorisées.

Dans ces conditions, diverses combinaisons pourraient être considérées. En posant R pour retraite, C pour congés et jours fériés et H pour durée hebdomadaire du travail, nous obtenons les sept possibilités suivantes pour modifier dans un sens ou dans l’autre la durée du travail rémunéré : C, H, R, C+H, C+R, H+R, C+H+R. Mais cette approche requiert de calculer le temps de travail rémunéré non pas en cumul de trimestres, mais en cumul d’heures sur la carrière de chacun. Il est alors évident que la notion d’âge de départ à la retraite n’a plus beaucoup de sens si la durée totale de travail rémunéré calculée en heures peut être le résultat de rythmes de travail différenciés – mais n’est-ce pas déjà le cas en pratique ? – selon les modulations qui pourraient être convenues sur les trois paramètres considérés : travailler plus intensivement afin d’avancer l’âge de départ en retraite, ou au contraire travailler à un rythme moins soutenu, mais prolonger sa carrière de quelques années supplémentaires. 

Des exemples de ces variantes existent chez nos voisins européens, par exemple en Hollande où la semaine de quatre jours est très répandue, ce qui conduit à une durée moyenne hebdomadaire de travail inférieure à 30 heures et à un total annuel de 1357 heures contre 1661 heures en France sur la base des 35 heures qui sont d’ailleurs très souvent dépassées (voir le Monde du 05 02 2016) ; pas étonnant donc que l’âge légal de départ à la  retraite de nos amis hollandais soit fixé à 67 ans, mais ce chiffre est un leurre car les possibilités de départ anticipé sont très nombreuses. Par exemple, l’âge moyen réel de départ à la retraite en 2008 était de 62,8 ans pour les femmes et 63,7 ans pour les hommes. Ce n’est donc pas seulement le temps total de travail qui est important, mais aussi la manière dont il est réparti au cours de la carrière, cette répartition pouvant être, autant que faire se peut, laissée au choix des personnes. 

Il va de soi que le temps total d’heures de travail qui donnerait droit à une retraite pleine doit être minoré dans le cas des professions qui présentent des niveaux de pénibilité susceptibles de provoquer prématurément des problèmes de santé physique ou mentale. Mais j’engage à nouveau les lecteurs de ce billet à prendre connaissance des analyses et propositions développées dans le chapitre V de NÉMÉSIS car vous découvrirez qu’il est intellectuellement stérile de n’envisager, comme c’est le cas actuellement, un système de retraite que sous forme de répartition, de capitalisation ou de combinaison de ces deux options. Ce qui est proposé dans mon essai change radicalement le mode de financement ainsi que les modalités de liquidation des retraites comme on a pu en avoir un aperçu dans ce qui précède.

A bientôt sur ce blog pour échanger et nourrir la réflexion sur le problème majeur de société et de progrès humain qu’est le temps de travail rémunéré,

Bertrand