Une mine de réflexions

Une fois n’est pas coutume, je vais écrire cette chronique à partir d’un entretien qui a été accordé par une scientifique à une chaîne YouTube. Il s’agit de la géologue spécialiste des questions minières, Aurore Stéphant, interrogée sur Thinkerview, chaîne très particulière qui a pour habitude d’interviewer longuement des personnalités plus ou moins connues du grand public et venant de bords très divers, politiquement parlant. Je suis en revanche incapable de dire quels objectifs cette chaîne poursuit, mais qu’importe, l’essentiel est d’écouter ce que disent les invités et d’en tirer ensuite les conclusions ou les enseignements que l’on veut.

Au risque de me répéter, je voudrais d’abord rappeler une évidence dont beaucoup de personnes, notamment parmi notre classe dirigeante, semblent ne pas avoir clairement pris conscience ou qu’elles affectent d’ignorer : en dehors de la pensée, les humains ne produisent rien, ils ne font que transformer ce que leur fournit mère nature. Il est vrai que cette réalité est fort peu intuitive. En effet, l’image que l’on se fait de la nature est fort éloignée du monde matériel et technologique dans lequel nous sommes plongés. Les étapes de la transformation d’un produit naturel sont parfois tellement nombreuses qu’il est impossible en fin de processus de reconnaître sa présence dans les objets que nous achetons. Pire encore, si comme le fait remarquer Aurore Stéphant, il est difficile d’imaginer que pas moins de 52 éléments du tableau de Mendeleïev entrent dans la fabrication d’un smartphone, alors il est encore plus difficile de prendre conscience des conséquences sur l’environnement et la santé de l’extraction et des transformations successives de ces éléments. Plus nous fabriquons d’objets, plus nous augmentons nos prélèvements sur la nature, même si nous parvenons à recycler une partie des objets obsolescents pour en fabriquer de nouveaux.        

Depuis qu’il existe en tant que système économique et social, le capitalisme, car c’est bien de lui dont il s’agit, a toujours eu comme unique boussole l’accumulation de richesses au profit d’une minorité, donc au détriment du plus grand nombre, mais aussi au détriment de la nature. Il lui a donc toujours fallu inventer sans fin de nouveaux produits qui doivent être fabriqués au moindre coût afin de dégager des profits substantiels, ce moindre coût étant obtenu à la fois en exploitant sans vergogne le potentiel humain et en prélevant sans discernement les ressources naturelles comme si elles étaient inépuisables. J’ai décrit dans NEMESIS Remettons le monde à l’endroit comment l’offre marchande a permis aux capitalistes européens, au travers d’innovations certes utiles pour le confort et le bien-être des populations dans les premières décennies qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais ensuite grâce à une publicité onéreuse et envahissante qui a fait vendre des produits à l’utilité de plus en plus contestable et à la durée de vie de plus en plus courte, non seulement de maintenir, mais d’augmenter de manière exponentielle la quantité de marchandises et de prestations offertes aux consommateurs sans que ces derniers soient invités à exprimer leurs besoins réels. Ce phénomène a sans doute atteint son apogée avec une poignée d’individus tous d’origine étatsunienne devenus rapidement milliardaires en imposant à la planète entière un mode de vie désormais fondé sur les « Technologies de l’Information et de la Communication » (TIC) au point de générer pour des centaines de millions d’individus, voire quelques milliards, une véritable dépendance aux écrans qui touche pratiquement toutes les générations. 

C’est finalement ce changement radical de civilisation que dénonce Aurore Stéphant compte tenu des dégâts qu’il induit sur notre biotope et notre santé, mais je crois qu’il faut aussi dénoncer le processus anti-démocratique avec lequel il nous a été imposé au travers de la publicité qui n’est, ni plus ni moins, que la version soft de la propagande du système capitaliste ; d’ailleurs, il faut bien reconnaître que les États-Unis, centre du monde de ce système, sont depuis longtemps passés maîtres en matière de soft power ! Plus grave encore, ou au moins tout aussi grave que tout ce qui vient d’être dit, le capitalisme contemporain a atteint des niveaux records de concentration de la richesse, et ces milliardaires, qui ont si peu gagné et tant volé ce qu’ils possèdent, ont un mode de vie qui incite à cette compétition ostentatoire que dénonce Noam Chomsky, compétition qui pousse à l’hyper consommation, laquelle conduit à l’écocide, lequel finira peut-être par « l’anthropocide » ! 

Bertrand