Parmi les innombrables réflexions qu’appelle la tragédie du Covid 19, il en est une qui nous aura touchés tout particulièrement : elle se rapporte à nos libertés.

Une liberté de première importance que nous avons perdue au cours de la période de confinement, et celle toute relative que nous avons retrouvée à l’issue de cette période, c’est de pouvoir aller et venir sans contrainte. Ne plus avoir le droit de sortir de chez soi sans une raison valable, et se voir infliger une sévère amende à défaut de disposer du document l’attestant, ne plus pouvoir rencontrer sa famille et ses amis proches, être interdit d’assister aux obsèques d’un parent décédé, que ce soit du Covid ou d’autre chose, ne pas pouvoir profiter des belles journées printanières pour aller prendre l’air dans les parcs, se promener en forêt, marcher dans la montagne ou courir sur une plage, activités toutes profondément naturelles et humaines, cela serait apparu comme totalement incongru, surréaliste et insupportable il y a seulement quelques mois.

Pourtant, bon gré, mal gré, nous l’avons accepté parce que la plupart d’entre nous ont dû considérer que préserver sa vie était encore plus important que de conserver la liberté de se déplacer. Une fois de plus, nous avons donné la priorité à notre santé, soulignant encore ce choix vital par les encouragements donnés jour après jour aux personnels soignants confrontés à la prise en charge des malades du virus. Cette situation hors normes est donc venue me rappeler ce que j’avais exprimé dans le chapitre consacré au bien-être : la santé doit être placée au cœur de tout projet de société avancée et doit par conséquent orienter l’ensemble des politiques publiques. Ce faisant, il apparaîtra très vite qu’il n’y a pas une seule décision, pas une seule action, individuelle ou collective, qui soit neutre par rapport à notre état de santé physique et mentale.

Je note au passage que notre degré de consentement à des restrictions de liberté varie selon les circonstances et selon les cultures. Ainsi, les Chinois semblent avoir accepté sans renâcler – mais ont-ils le choix ? –  des mesures de confinement très sévères ainsi que des contrôles très intrusifs dans leur vie privée par des systèmes de suivi de leurs déplacements et de surveillance électronique qui auraient laissé George Orwell incrédule. Quoi qu’il en soit, depuis 1789 la France est aussi fille aînée de la Révolution, loin, très loin du confucianisme et du taoïsme, et la première place que tient le mot « liberté » dans le triptyque affiché au fronton de nos écoles et de nos mairies traduit symboliquement l’attachement de notre peuple à cette valeur sacrée. Aussi peut-on espérer une extrême vigilance de nos concitoyens sur les séquelles de cette période liberticide lorsque la pandémie aura été vaincue, et veiller à ce que des limitations et interdictions préexistantes, ou instaurées durant la période de confinement, ne se renforcent pas en l’absence de justifications liées à la protection de notre santé et de notre sécurité. Ainsi, quand elles conduisent à des limitations d’expression sur des sujets d’ordre politique ou religieux, à la censure de productions artistiques, notamment les œuvres littéraires et cinématographiques, à des interdictions de réunions, à la répression de manifestations pacifiques, alors de telles restrictions de liberté, et il faut alors parler « d’atteintes à la liberté », ne sont ni justifiées, ni acceptables et doivent être combattues avec détermination.

Cependant, il faut prendre pleinement conscience que la vie en société a depuis longtemps justifié que bien d’autres libertés soient limitées vis à vis d’activités les plus diverses. Certes, la perte de liberté d’aller et venir provoquée par la pandémie peut paraître vertigineuse, mais la somme de toutes les autres limitations que nous subissons au quotidien sans même y penser est elle-même considérable, et pourtant globalement acceptée. Ainsi, les services compétents sont amenés à édicter des règles contraignantes pour assurer par exemple la sécurité des transports, comme celles qui sont rassemblées dans le code de la route, pour limiter le tabagisme ou préserver notre environnement, et bien d’autres injonctions sous forme de lois et règlements que nous devons respecter pour que la vie en société nous protège de toutes sortes de dangers, tout en restant aussi paisible et harmonieuse que possible, tant il est vrai que notre liberté s’arrête là où commence celle des autres.

Ces quelques réflexions sommaires indiquent la toute relativité de l’idée de liberté et plus encore, que la liberté absolue est inconcevable ; d’ailleurs, si une liberté comme celle de choisir nous est également si chère, alors nous devrions parfois regretter amèrement de ne pas avoir pu choisir de naître, ou de naître ici plutôt qu’ailleurs quand on mesure l’abîme qui sépare par exemple le sort réservé à un jeune Palestinien confiné à vie dans le ghetto de Gaza, de celui d’un jeune Français qui pouvait, et pourra très vite à nouveau, voyager à travers le monde entier. La Liberté est tout un ensemble de libertés élémentaires, et lorsqu’un certain nombre d’entre elles sont assurées, y compris celle consistant à accorder à chacun le pouvoir de participer aux prises de décisions qui engagent le présent et le devenir de la société, alors nous sommes dans cette sorte de régime institutionnel dont le nom est démocratie. Liberté et démocratie sont des concepts consubstantiels : l’un ne peut exister sans l’autre.

Ce n’est donc qu’au travers d’institutions démocratiques que serait obtenu le consentement à cette liberté toute relative corsetée dans une multitude de lois et règlements. Consentir est bien sûr tout le contraire d’une acceptation sous la contrainte, et dans l’exemple de la Chine que nous évoquions, donc d’une dictature, il serait intéressant de savoir quelle proportion de la population a « consenti » aux injonctions du pouvoir dans la lutte contre la pandémie, c’est-à-dire à les respecter spontanément et non par crainte de représailles en cas de désobéissance. Il me semble, après avoir entendu quelques témoignages dont on peut, il est vrai, toujours douter de la sincérité, que les citoyens chinois étaient disposés, avec ou sans dictature, à faire comme les populations d’autres pays réputés démocratiques, autrement dit à finalement consentir « librement » au respect de règles destinées à protéger leur santé et leur vie.

Renoncer à sa liberté ou mettre en danger sa santé et sa vie ?  In fine, que ce soit dans une dictature ou une démocratie, la réponse sera la même pour le commun des mortels : d’abord sauver sa peau !

Extrait du chapitre 4 Parlons du bien-être, p. 173

« La santé est constamment plébiscitée comme bien le plus précieux que nous espérons ne jamais perdre. Voilà qui est tout à fait naturel. »

Bertrand