Prononcez ou entendez le mot « croissance », et toutes sortes de phénomènes peuvent vous venir à l’esprit tels que la croissance de l’enfant, la croissance de la population, la croissance du tourisme ou encore la croissance de l’économie qui se résume dans ce contexte à la croissance du produit intérieur brut (PIB). D’une manière générale ce mot « croissance » est utilisé pour évoquer un phénomène dont l’évolution est généralement positive. En revanche, s’il s’agit de la pauvreté, de la délinquance ou des déficits, alors il sera plutôt question d’augmentation ou d’aggravation.

Ce billet va d’abord s’intéresser à « la croissance », sous-entendu « économique », en regardant d’un peu plus près si cette croissance-là ne s’accompagne pas trop souvent « d’augmentation » ou « d’aggravation », par exemple des inégalités, de la précarité, de la pollution, etc. Puis nous envisagerons bien sûr une forme de croissance qui, tout en étant économique, se mesurera surtout par des indicateurs de développement humain, autrement dit de bien-être.

La croissance économique mesure les variations du PIB, un indicateur qui additionne toutes les valeurs ajoutées constatées dans un pays sur 12 mois et fut inventé par l’Étatsunien Simon Kuznets dans les années qui ont suivi la Grande Dépression de 1929. Le taux de croissance du PIB corrigé de l’inflation représente donc cette croissance économique. Dès lors, ce taux va être utilisé largement dans le monde pour mesurer la santé d’une économie et le PIB pour mesurer la richesse globale d’un pays.

Il est donc possible de classer les pays du monde en fonction de leur PIB ou du dynamisme de leur économie avec le taux de croissance de cet indicateur. Cela dit, le PIB doit être relié au nombre d’habitants du pays. Ainsi, le PIB de la Chine en parité de pouvoir d’achat (PPA) s’élevait en 2018 à 25 270 milliards de dollars, ce qui la plaçait en tête des pays les plus « riches » de la planète devant les États-Unis avec 20 494 milliards de dollars. Mais la Chine comptait alors 1 427 647 789 habitants contre 327 096 263 pour les États-Unis, soit 4,36 fois moins.

C’est pourquoi il faut ramener le PIB à chaque habitant pour avoir une idée du niveau de vie d’une population, auquel cas la Chine passe de la première à la 72ème place, tandis que les États-Unis restent dans le top 10 à la neuvième place avec un PIB par habitant de 62606 dollars contre 9608 pour la Chine. Donc un Étatsunien serait 6,5 fois plus riche qu’un Chinois, en moyenne.

Préciser « en moyenne » est évidemment très important car s’il y a des millions de Chinois plus pauvres que des millions d’Étatsuniens, il est évident qu’il y a aussi des millions d’Étatsuniens moins riches que des millions de Chinois, situation qui traduit les inégalités de revenus à l’intérieur même de ces pays, comme pour tous les pays du monde. Par conséquent, le PIB par habitant ne dit rien de la répartition de la richesse au sein d’une population.

Mais donne-t-il malgré tout une indication objective du niveau de développement d’un pays ? Oui et non.

Oui, lorsque l’on constate des différences très importantes d’un pays à l’autre. Il ne fait aucun doute que le niveau de développement du Burkina-Faso avec un PIB par habitant de 710 dollars reflète une grande pauvreté et l’on peut s’attendre non seulement à ce que le revenu annuel par habitant soit très faible (environ 1600 dollars en Parité de Pouvoir d’Achat, PPA), mais que les infrastructures soient insuffisantes et en mauvais état, ou que les services de santé et l’éducation manquent cruellement de ressources.

Non, lorsque la comparaison concerne uniquement des pays développés. Par exemple, le fait que le PIB par habitant des États-Unis soit de quelque 20 000 dollars supérieur à celui de la France (62 606 contre 43 551 en 2018) traduit-il que les infrastructures, la santé et l’éducation sont plus développés chez l’Oncle Sam que dans l’Hexagone ? Tout indique le contraire : aux États-Unis, réseaux routiers et ferroviaires sont dans un état de délabrement avancé, il faut être riche pour accéder aux meilleurs soins de santé et s’endetter lourdement pour suivre des études supérieures ; quant aux salaires, ils présentent un tel niveau d’inégalité qu’à côté des 0,1% les plus riches, le pays compte plus de 40 millions de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, et ces personnes reçoivent très peu d’aides des pouvoirs publics.

Il s’ensuit que s’agissant de croissance du PIB, il faut discerner ce qui est utile de ce qui est superflu, ce qui est bon de ce qui est délétère pour la santé, ce qui préserve notre environnement de ce qui le détruit, tout en évaluant ces différents critères à l’aune des conditions socio-économiques du pays concerné. Il est évident qu’il est indispensable que de nombreux domaines d’activité se développent au Burkina-Faso, à commencer par la production alimentaire, tout en respectant les critères précédents ; la croissance du PIB sera alors le signe que le pays est en train de sortir de la pauvreté. Nous serons donc devant une croissance utile et souhaitable. En revanche, si le PIB augmente aux États-Unis grâce à des productions en hausse de pétrole, de gaz ou d’automobiles, cette croissance-là sera éminemment toxique dans tous les sens du terme.

Est-ce à dire que les pays développés sont condamnés à la décroissance ?

Encore une fois, la réponse est oui et non.

Oui, pour les activités qui provoquent le réchauffement climatique, la dégradation de l’environnement ou des menaces pour la santé des populations. La consommation excessive d’énergie, le gaspillage sous toutes ses formes, les achats superflus de biens non durables ou encore les trajets évitables, sans que cette liste soit complète, sont autant d’activités qui génèrent de la mauvaise croissance.

Non, pour les activités qui participent à l’amélioration du bien-être des populations, mais sans prélever plus de ressources à la nature qu’elle ne peut en régénérer. Ces activités sont nombreuses et échappent souvent aux circuits mercantiles lorsqu’elle concernent par exemple les conditions de travail, la prévention en matière de santé ou l’encouragement à ne pas jeter ce qui est encore utilisable ou réparable, toutes choses qui vont entraîner des économies, et donc provoquer une baisse tendancielle du PIB ; mais ne pas le faire nécessite de soigner et conduit à jeter plutôt que de prévenir et de conserver, auquel cas la croissance du PIB se poursuit mais génère plus de mal-être que de bien-être.

Arrivés à ce stade de la réflexion, nous constatons qu’une révision sémantique s’impose : dorénavant, nous devrons donner une nouvelle acception au terme de croissance et cesser de le relier seulement à l’économie et au PIB, mais aussi au développement humain d’une population, d’un pays ou d’une région tout entière de la planète. Cette croissance revisitée sera celle du monde nouveau évoqué dans l’essai, un monde remis à l’endroit, un monde où l’état de santé et le bien-être des populations seront devenus les deux grands indicateurs de développement.

Extrait, chapitre 4, Parlons du bien-être p.177 et 178

« Quelle conclusion tirer par exemple du fait qu’un Étatsunien consomme en moyenne 14000kWh d’électricité par an contre 7000kWh pour un Européen ? Cet écart participe évidemment à l’écart entre les PIB des deux régions. Doit-on alors considérer que les Européens devraient envier le mode de vie des Étatsuniens ? »  

    Bertrand