Ce billet sera très différent de tous ceux qui l’ont précédé car bien que directement lié au livre, il s’écarte résolument des préoccupations concrètes du moment. Le lien, car il existe néanmoins, entre le texte qui va suivre et le monde dans lequel nous vivons est de nature plus existentielle ; oserais-je dire philosophique sans susciter la condescendance de ceux qui enseignent cette discipline ou ont pour objectif de la faire progresser, moi qui ne suis qu’un amateur en l’espèce, incapable d’enrichir ma réflexion en convoquant des références que je n’ai pas.

Mais il se peut qu’avoir conscience de ses faiblesses soit aussi une force.

Quoi qu’il en soit, je ressentais depuis longtemps le besoin d’écrire un billet qui soit en rapport avec le premier chapitre du livre afin de vous faire part d’une expérience qui a eu une influence prépondérante sur la forme que j’allais lui donner, celle d’un conte cosmique.

En préambule, je vous livre cet échange entre une professeure de physique et un de ses élèves de terminale. Elle introduit ainsi le sujet de son cours :

  • Nous allons aborder aujourd’hui le thème de la relativité dont la théorie sera pour toujours associée au nom d’Albert Einstein. Comme vous le savez sans doute, cette théorie s’appuie sur une loi physique fondamentale qui stipule que la lumière, et les ondes électromagnétiques en général, se propagent à une vitesse proche de 300 000 km/s et que cette vitesse est indépassable…

A ce moment, un élève l’interrompt :

  • Madame, il est possible d’aller beaucoup plus vite et d’atteindre en moins d’une minute les étoiles les plus lointaines.
  • Très intéressant ! Et peux-tu m’expliquer par quel prodige tu arrives à te transporter si loin et si vite ?
  • Par la pensée, Madame.

Nous allons donc faire un peu comme cet élève et pour cela partir d’un endroit approprié : la Cité de l’Espace située dans la ville de Toulouse. Mettez vos scaphandres et accrochez vos ceintures, nous partons vers les confins de l’Univers.

Août 2004, ma petite fille vient d’avoir six ans et je l’emmène avec moi visiter cette Cité de l’Espace inaugurée en 1997, espérant qu’elle y trouvera quelques activités ludiques en rapport avec son âge ou tout au moins qu’elle pourra rêver devant de belles images de galaxies, de planètes, de vaisseaux spatiaux et de cosmonautes…

Avant même de pénétrer dans le bâtiment principal, je remarque à l’extérieur un alignement de grands panneaux rectangulaires. Nous nous postons devant le premier d’entre eux, entièrement noir à l’exception de petites traînées claires ici et là qui me font penser à ces manteaux de cheminée en marbre noir veiné de blanc. Un bandeau placé au bas de cette image peu spectaculaire indique qu’elle représente l’espace vu de très loin avec des tâches claires qui correspondent à des amas de matière stellaire.

Sur le coup, je ne réagis pas, mais quelque temps après, me rappelant cette explication, je réaliserai qu’il serait tout à fait impossible d’obtenir une telle image de l’Univers, quel que soit le point d’observation choisi. A vrai dire, on ne peut pas voir l’Univers de loin puisque nous sommes toujours à l’intérieur, qu’il est impossible d’en sortir et donc de s’en éloigner. Si nous l’observons par exemple depuis la Terre, le jour nous voyons d’abord notre étoile, le soleil, la nuit la Lune et quelque fois, la lune et le soleil en plein jour. Au-delà de ces deux astres, tous les autres apparaissent comme des points lumineux de notre galaxie, isolés, mais nombreux, à savoir les étoiles et quelques planètes du système solaire. Avec un télescope, nous pourrions percevoir d’autres galaxies. Par conséquent, nous observons en tout temps des objets célestes proches, d’autres plus éloignés et d’autres enfin très éloignés, leur taille nous apparaissant en conséquence de plus en plus petite. Or l’image qui est devant nous n’a pas de profondeur, tout semble sur un même plan et ces taches lumineuses sont toutes à peu près de même dimension. Pour obtenir une photo qui ressemble à cette image, il faudrait couper l’Univers en deux par un plan infini et créer un espace rigoureusement vide entre les deux moitiés en les éloignant l’une de l’autre de quelques milliards d’années -lumières. Un observateur situé dos à l’une de ces moitiés verrait sans doute l’autre moitié comme représentée sur ce panneau !

A la station suivante, nous nous sommes rapprochés de cette autre moitié de l’Univers et pouvons maintenant percevoir que les zones blanches sont en fait des amas de galaxies dont la forme devient perceptible, la plupart d’entre elles ressemblant à de petites galettes en forme de spirale.

Puis se rapprochant encore pour s’intéresser à l’un de ces amas qui sont eux-mêmes constitués d’un réseau d’amas secondaires, nous entrons dans celui de la Vierge : c’est dans ce groupe de galaxies que nous habitons. A ce stade, les deux « moitiés » de l’Univers sont à nouveau rassemblées.

Nous voilà maintenant au-dessus de la voie Lactée, image qu’aucun humain ne pourra jamais contempler sous cet angle et à cette distance, mais la représentation qui en est donnée est d’une beauté fascinante avec ses longues chevelures d’étoiles disposées en spirales autour d’un centre éblouissant de lumière.

Nouvelle station qui nous emmène sur l’une de ces avenues d’étoiles pour y rencontrer la nôtre, le Soleil. Un peu plus près encore et ses satellites nous apparaissent. Dès lors, les images qui nous seront présentées correspondent vraiment à celles de la réalité que perçoivent nos appareils photographiques emportés à bord d’engins spatiaux. Au tout-début du voyage, notre vitesse atteignait des milliers de fois celle de la lumière, mais à l’approche de notre destination finale, nous commençons à décélérer.

Nous voilà dans la banlieue proche de la Planète bleue vers laquelle nous commençons notre descente. Les continents se dessinent clairement sous les volutes et les moutonnements nuageux. Celui que l’on appelle le Vieux Continent grossit sous nos pieds. A la verticale de l’Hexagone, nous commençons à percevoir des détails qui indiquent que la surface de cette planète a été modelée en de nombreux endroits sous l’effet de facteurs qui ne peuvent être ceux de mouvements telluriques, ou de la seule érosion naturelle provoquée par les phénomènes atmosphériques ; non, ce sont des interventions d’une tout autre nature qui sont à l’origine de ces dessins géométriques, de ces lignes innombrables qui relient entre elles des taches de couleur plus ou moins grandes qui contrastent avec les terres alentours, un réseau complexe qui rappelle celui du cerveau avec ses neurones et leurs synapses. Seule l’activité incessante des habitants de la planète a pu parvenir à ce résultat, comme cette vaste métropole qui s’étend à nos pieds et vers laquelle nous poursuivons notre descente pour nous retrouver enfin à la verticale d’un endroit où nous apercevons une grande fusée blanche indiquant que nous sommes arrivés au-dessus de la Cité de l’Espace !

L’instant d’après, nous touchons le sol en douceur, juste devant le dernier panneau qui est constitué d’un grand miroir dans lequel se reflètent deux humains, un homme aux cheveux grisonnants et une petite fille qu’il tient par la main…

Bertrand