Les dirigeants de certains pays du monde révèlent depuis quelque temps leurs pires travers sous une forme exacerbée dans la situation sans précédent provoquée par la pandémie du Covid-19. Xi Jinping met la population chinoise sous surveillance étroite, Bolsonaro et Trump pensent d’abord à « sauver » l’économie du Brésil et des États-Unis, quitte à devoir assumer des centaines de milliers de morts, Orban prend les pleins pouvoirs en Hongrie, Duterte aux Philippines ordonne à sa police de tuer les contrevenants aux mesures de confinement… 

Quant au Président français il s’adresse à la population en tenant des propos qui laissent perplexes avec cet appel insistant au « sens des responsabilités » de ses compatriotes et les louanges adressées aux personnels soignants dont il flatte « l’abnégation patriote ». Voilà qui est bien naturel dans le contexte de la crise sanitaire que nous connaissons et pourtant, cela interroge : depuis plus d’un an, ces personnels manifestent leur désarroi et leur manque de moyens, réclament des effectifs, des lits et du matériel, des salaires à hauteur des services immenses qu’ils rendent à la nation ; au bout du compte ils demandent simplement de ne pas laisser mourir l’hôpital et reçoivent pour toute réponse l’envoi des CRS quand ils manifestent paisiblement. Mais quel sens des responsabilités les détenteurs du pouvoir, et l’actuel peut-être plus que tout autre auparavant, ont donc manifesté en supprimant méthodiquement dans les hôpitaux des dizaines de milliers de lits qui font cruellement défaut à l’heure où les services ne savent plus où mettre les malades et où se remplissent les morgues ?

Notre Président ajoute encore : « beaucoup de certitudes, de convictions sont balayées, seront remises en cause » et « le jour d’après quand nous aurons gagné (ce qu’il appelle la guerre !), ce ne sera pas un retour au jour d’avant ». A ce stade, on pourrait se poser encore plus de questions préoccupantes sur la lucidité du chef de l’État : il aura donc fallu une crise d’une ampleur inouïe comme celle du coronavirus pour que lui-même et son gouvernement prennent conscience de l’importance d’un système de santé robuste pour garantir un accès rapide et efficace aux soins quand la maladie frappe, et que le maintien en santé d’une population relève des priorités absolues d’un État, et pas seulement en temps de pandémie ! C’est un peu comme le cancre sourd aux remontrances qui se mettra enfin à travailler sérieusement à l’école pour récupérer le téléphone portable confisqué par ses parents…

Mais le doute persiste néanmoins et cette comparaison ne reflète peut-être pas la réalité car si l’on trouve dans le même discours aux Français la nécessité de renforcer les « mesures pour réduire nos déplacements et nos contacts au strict nécessaire », mais aussi la nécessité d’une « union nationale » et de faire preuve de « solidarité », on se demande alors pourquoi de nombreuses entreprises non « essentielles » sont autorisées à fonctionner et que les inspecteurs du travail seraient menacés de sanctions quand ils demandent à certains employeurs de mettre leurs employés en chômage partiel s’ils ne sont pas en mesure de prendre les mesures de protection adéquates ; et s’agissant de solidarité, comment ce détenteur du pouvoir peut-il oser mettre cette belle idée en avant quand il se refuse lui-même obstinément à simplement suspendre les cadeaux faits aux plus riches sous forme de suppression de l’ISF sur les patrimoines financiers, de très loin plus importants que les patrimoines immobiliers, et de l’instauration d’un prélèvement forfaitaire très favorable sur les revenus du capital, ou « flat tax ».

Alors, cancres ou mystificateurs ? Vous en penserez ce que vous voudrez, mais je penche personnellement pour la seconde option.

Et pour rester fidèle à l’habitude prise depuis de longues semaines de vous proposer un extrait du livre en rapport avec mon billet, je vous livre les premières lignes du chapitre 4 consacré au bien-être (p. 173) :

« Aux alentours du premier janvier de chaque année, nous sacrifions, de bonne ou mauvaise grâce, au rite des vœux que nous adressons par écrit ou verbalement à nos proches, famille et amis. Nous adaptons parfois nos souhaits selon la situation des personnes auxquelles nous nous adressons, mais quasi invariablement, il en est un que nous faisons passer avant tous les autres : celui d’une très bonne santé ! C’est un souhait que nous adressons aux autres tout en espérant dans notre for intérieur que nous ne connaîtrons pas nous-mêmes la maladie au cours des douze mois à venir, et bien au-delà évidemment… La santé est donc constamment plébiscitée comme bien le plus précieux que nous espérons ne jamais perdre. »

Bertrand