Léo Charles, maître de conférence en économie à l’université de Rennes 2, ayant diffusé pour les membres d’ATTAC une note rédigée pour les Économistes atterrés sur la mondialisation néolibérale, cela m’a incité à reprendre certaines analyses déjà présentées dans mon essai. Je précise que je partage les points de vue exprimés dans cette note que je ne peux malheureusement pas inclure dans ce blog sans accord de son auteur.

Je rappelle que mon essai aborde sous des angles parfois insolites un ensemble de questions qui ont une importance majeure pour nos sociétés, mais qui ne sont pas des angles que pourraient envisager des spécialistes, car je ne suis ni économiste, ni sociologue, ni écologue, ni philosophe, ni …, ni… autant dire presque rien… De ce fait, mon discours est construit sur un vocabulaire accessible au plus grand nombre dans le but d’apporter ma modeste pierre à une forme d’éducation populaire. Pour prendre un exemple, je ne considère pas comme acquis que mes lecteurs aient une idée précise ou même une idée tout court de ce que sont le GATT et son avatar, l’OMC. Il m’a donc d’abord fallu en parler avant de montrer comment cet instrument juridique, qui donne la primauté quasi absolue au droit commercial sur tous les autres, a pu ouvrir un boulevard royal aux affairistes de tout bord pour engager massivement l’exploitation des ressources naturelles et du potentiel humain à partir des années 1980.

Je ne vais pas reprendre ici toutes les réflexions de mon livre qui concernent plus spécifiquement la mondialisation. Je voudrais simplement souligner trois points qui me paraissent fondamentaux :

  1. Tout d’abord, rappelons, n’en déplaise à Montesquieu, que le commerce n’adoucit pas les mœurs : si les riches Européens ont changé leurs habitudes détestables et n’ont pas déclenché de guerre mondiale depuis 75 ans, en revanche des guerres régionales auront fait des millions de victimes dans les pays pauvres, entraînant des déplacements massifs de populations civiles, sans parler des génocides qui ont eu lieu en Afrique (Biafra, Rwanda) et de toutes les violences qui accompagnent la misère de centaines de millions d’êtres humains. Notons au passage que notre baron de la Brède et de Montesquieu faisait preuve d’une certaine cécité sur les vertus pacificatrices du commerce quand on sait que le XVIIIème siècle a vu la mise en place du commerce triangulaire des noirs achetés à vil prix en Afrique pour les échanger dans les colonies d’outre-Atlantique contre des produits qui seront ensuite commercialisés en Europe pour le plus grand profit des marchands d’esclaves.
  • Ensuite, comme on vient de le voir, il s’est trouvé de tout temps parmi les humains un certain nombre d’individus, minoritaires, mais déterminés à tout faire pour conquérir le pouvoir et/ou amasser des fortunes. On aurait pu imaginer que ces personnages possèdent le sens de la compétition loyale, acceptant sportivement que le meilleur gagne et qu’ils respectent un certain nombre de principes qu’aurait pu leur inspirer la règle d’or des religions monothéistes : « ne fait pas à ton prochain ce que tu ne voudrais pas qu’on te fasse ». Bien sûr, ce beau principe est le plus souvent resté lettre morte et non seulement les Alliés vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale n’en n’ont pas tenu compte, mais ils ont imaginé ce que nous connaissons aujourd’hui en organisant le commerce mondial autour des principes du GATT qui ne faisaient aucun cas des droits humains, sociaux et du travail ; quant aux préoccupations sur l’environnement et sur la finitude des ressources naturelles, elles étaient alors totalement inexistantes. La mondialisation fondée sur l’exploitation des ressources coloniales s’étant rapidement éteinte dans les années soixante avec la reconnaissance du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, les accords du GATT sont arrivés à point nommé pour entreprendre une autre mondialisation fondée sur le libre commerce, entreprise devenue d’autant plus aisée que les performances des moyens de communication maritime, aérien et routier ne cessaient de s’améliorer, rendant le transport des marchandises de plus en plus fluide, rapide, sûr et bon marché. Puis, lorsqu’à l’aube des années 80 la Chine a proposé ses capacités de production excédentaires aux entreprises des pays occidentaux et que les TIC se sont étendues au monde entier, tout était en place pour que la division internationale du travail se développe à un degré extravagant et que les profits s’envolent, tandis que les inégalités de revenus se creusaient comme jamais.
  • Comment « remettre le monde à l’endroit » si le cadre institutionnel dans lequel s’est développée cette mondialisation ne change pas ? Réformer l’OMC ne suffira pas puisque le multilatéralisme qu’il a mis en place est peu à peu supplanté par des accords bilatéraux, les ALE, qui se développent tous azimuts, notamment entre l’UE et des pays tiers. Et ce ne sont pas les quelques dispositions peu ou pas contraignantes de ces accords sur le droit du travail, les questions sanitaires ou la protection de l’environnement qui vont modérer la folle intensité des échanges. Au tournant de la crise du Covid-19, ne faudrait-il pas qu’un moratoire sur ces nouveaux accords soit décidé de manière à négocier l’extension des MNT (Mesures Non Tarifaires) à de nouveaux domaines comme l’obligation de respecter les droits humains, de ratifier et mettre en œuvre les conventions de l’OIT, d’offrir une couverture santé aux employés, de verser des salaires permettant de vivre dignement et enfin de respecter des normes environnementales strictes ? Cela aurait évidemment pour effet de réduire considérablement l’écart qui existe actuellement entre les coûts de production des pays-usines d’Asie et ceux des pays de l’OCDE, ce qui favoriserait le rapatriement de nombre d’industries et conduirait à terme à ce que la division du travail ne soit plus fondée sur le seul avantage comparatif, credo de l’OMC, mais sur une plus grande autonomie des grandes régions du monde qui n’échangeraient entre elles que des productions complémentaires, sachant que la libre concurrence pourrait s’exercer de façon loyale au sein de ces régions grâce à des dispositions fiscales, sociales et environnementales qui auraient été harmonisées au mieux. Seule la libre circulation des savoirs et des savoir-faire serait encouragée et protégée, notamment dans des domaines aussi critiques pour le bien-être des humains que la recherche médicale et la production de médicaments. 

Pour conclure, je reprendrai cet extrait de la conclusion de mon essai :

Pour tendre vers l’harmonie, le développement humain doit intégrer un grand nombre de distinctions culturelles et sociétales qui colorent les pays et les régions de la planète, ce que ne fait pas la société globale que les pouvoirs en place et le monde marchand essaient de promouvoir et d’installer.

Bertrand THEBAULT