Dans la conclusion de l’essai, j’ai osé écrire ce qui suit :

« … la protection de la santé revêt une telle importance que tout chef de gouvernement devrait être en même temps responsable du ministère de la santé ; à défaut, aucun projet de loi, aucune décision, de quelque nature qu’elle soit, ne saurait être prise sans l’accord de ce ministère. »

Et j’ajoutais que les règlements européens « ne pourraient être adoptés si leur innocuité en matière de santé n’a pas été démontrée. »

            Ces préconisations sont la conséquence logique du principe mis en avant dans le chapitre consacré au bien-être, principe selon lequel celui-ci ne saurait être atteint sans le bénéfice d’un état de santé satisfaisant. Par conséquent, si le bien-être d’une population est l’objectif fondamental que devrait poursuivre un gouvernement qui place l’humain au centre de son action, toutes les décisions qu’il prend devraient concourir au maintien et à l’amélioration de l’état de santé général de cette population. Tout autre objectif ne pourrait être que superflu, voire contrarier éventuellement l’objectif primordial. J’avais un temps envisagé de placer dans mon essai une sorte de puzzle dont la partie centrale aurait été constituée d’une pièce représentant la santé avec de multiples ramifications qui se seraient emboîtées avec les autres pièces relatives aux activités humaines afin de montrer visuellement qu’aucune d’entre elles ne peut se développer sans avoir un lien plus ou moins important avec notre état de santé, un peu comme notre cerveau qui réagit au moindre signal provenant des organes et autres parties du corps auxquels il est relié par notre système nerveux. Mais après quelques tentatives peu convaincantes, j’ai finalement renoncé à dessiner ce puzzle !

            Il n’aura échappé à personne qu’aucun pays au monde n’a à ce jour mis en œuvre un projet de société qui répondrait à ce que je propose, alors que je ne suis sans doute pas le premier à accorder à la santé une telle importance et à le faire savoir en l’écrivant ; encore faudrait-il être lu en ce qui me concerne ! Mais il y a bien pire que la considération toute relative que les responsables politiques accordent aux conséquences de leurs décisions sur la santé de la population dont ils sont en théorie responsables, puisqu’en effet, nombre d’entre eux n’hésitent pas au contraire à sacrifier la santé, et au bout du compte, la vie de leurs concitoyens, à des objectifs tels que la croissance du PIB, la recherche obsessionnelle d’économies budgétaires en rognant sur les dépenses publiques tout en accordant avec cynisme des réductions d’impôts aux plus riches, la poursuite d’un modèle économique fondé sur la surconsommation, le profit et l’épuisement des ressources naturelles, tout cela pouvant aller jusqu’à la négation chez certains des effets de l’activité humaine sur le réchauffement climatique et sur l’extinction rapide de milliers d’espèces vivantes.

            Le Covid-19 révèle de manière très concrète que la réduction des capacités hospitalières et l’absence de moyens de protection élémentaires au nom des objectifs que je viens d’énumérer se traduira par des centaines de milliers de morts supplémentaires à travers la planète. Le monde est donc aux antipodes de projets de société centrés sur la santé et le bien-être des populations. Pour la France, l’inimaginable est accompli quand, dans la situation dramatique qu’il nous faut affronter, le directeur de l’Agence Régionale de Santé du Grand-Est n’hésite pas à rappeler que doit être mis en œuvre le plan d’économies visant à licencier près de 600 personnes et à supprimer 174 lits dans le CHRU de Nancy ! On se pince ! Comment peut-on atteindre un tel degré d’irresponsabilité, à moins que ce ne soit de la pure provocation, quand les malades du Covid meurent dans cette région par milliers et qu’il faut mobiliser des transports par air et par le rail pour libérer des places dans des lits en nombre insuffisant ? Irresponsable, provocateur, inconscient ou simplement exécutant zélé de la politique d’austérité voulue par le pouvoir central depuis des années. On se pince encore quand le chef de l’État limoge ce directeur qui n’a fait, certes sans grand discernement, mais qui n’a quand même fait que rappeler un des éléments constants de la politique voulue par la majorité actuelle et les précédentes. À la décharge de ce directeur mal inspiré, il est très probable qu’il se serait abstenu d’une telle déclaration si M. Macron, dès sa première intervention télévisée à propos du Covid avait solennellement annoncé qu’il mettait un terme définitif à la politique de démantèlement de l’hôpital public et qu’il répondrait aux appels désespérés des personnels de santé autrement que par des gaz lacrymogènes ! On attend toujours qu’il le dise clairement et qu’il commence à le faire autrement qu’en désignant un bouc émissaire.

            Bertrand