Pendant que des êtres humains meurent en grand nombre dans les hôpitaux, les EHPAD ou chez eux, pendant que leurs familles les pleurent sans avoir pu leur apporter réconfort et affection avant le moment fatal, pendant qu’ils sont inhumés ou incinérés presque en catimini sans qu’un dernier hommage puisse leur être rendu par tous leurs proches, familles et amis, pendant que les vivants ressentent de plus en plus cette peur au ventre d’être parmi les prochaines victimes du virus, pendant que la violence éclate au sein de familles qui s’entassent dans des logements trop exigus, pendant que nous nous demandons tous dans quelle sorte de monde nous allons vivre à la sortie de ce cauchemar, pendant tout ce temps-là, que font les eurocrates de Bruxelles ? Ils continuent !

Ils continuent à bricoler le monde d’avant, le monde qui nous a conduits au désastre environnemental, au moins-disant social, à la propagation de ce coronavirus dans un temps record à travers la planète tout entière, à un drame sanitaire doublé d’une crise économique qui rendra les pauvres encore plus pauvres sans que les plus riches n’aient à en souffrir, à priver des populations entières des ressources vitales pour affronter cette pandémie par l’instauration d’une division planétaire du travail poussée jusqu’à l’absurde pour le seul motif d’augmenter encore et encore les profits de quelques-uns.

Ils continuent donc à négocier, signer et mettre en œuvre de nouveaux accords de libre-échange (ALE) plus favorables que jamais au monde marchand et au monde de la finance : après le Canada (CETA), le Japon (JEFTA), Singapour et le Vietnam, la Commission entrevoit de nouvelles perspectives enthousiasmantes avec l’Australie et la Nouvelle-Zélande, ne désespère pas de reprendre les négociations avec le MERCOSUR (Amérique du sud) et pourrait prochainement conclure une série d’accords avec les États-Unis, les négociations sur le TAFTA ayant été interrompues depuis l’arrivée de Trump au pouvoir. Mais elle a aussi comme objectif de poursuivre des discussions en vue d’inclure de nouveaux États à une Union européenne plus chancelante que jamais avec le Brexit qui confirme le peu de confiance qu’accordent les citoyens européens à cette construction néolibérale. Ce n’est pas le moindre des paradoxes que d’envisager par exemple l’entrée dans l’Union de pays de l’ex-Yougoslavie comme la Macédoine du Nord ou l’Albanie, États rongés par la corruption dans lesquels la mémoire des conflits ethniques qui ont ravagé les Balkans est loin d’être effacée, et où les salaires minimums sont parfois inférieurs à 300 € ! De tels nouveaux entrants dans l’Union seraient une aubaine de plus pour les gargantuas du profit qui ne manqueraient pas de mettre en concurrence ces travailleurs très pauvres avec ceux des pays les plus riches et de tirer encore plus vers le bas le niveau de vie de leurs ressortissants.

Comment Ursula von der Leyen, nouvelle présidente de la Commission, peut-elle oser communiquer sur son « Pacte vert pour l’Europe » (European Green Deal) tout en demandant à ses fonctionnaires – avec bien sûr l’assentiment des dirigeants européens actuels – de poursuivre des négociations sur de nouveaux ALE qui vont encore augmenter la folle intensité des échanges, ce qui ne peut qu’aggraver le réchauffement climatique et notre dépendance à des pays étrangers, parfois situés à l’autre bout du monde, pour accéder à des productions essentielles et stratégiques ? Comment peut-elle envisager de nouvelles adhésions à l’Union quand celle-ci a suscité le rejet des citoyens britanniques devant son incapacité à proposer un projet mobilisateur visant par exemple à harmoniser les règles fiscales – on ne compte plus les paradis fiscaux dans l’Union -, la protection sociale, les codes du travail et les règles environnementales. Voilà une perspective qui relève sans doute de l’utopie, mais faut-il pour autant persister dans cette marche forcée de l’Europe vers une dystopie qui a commencé à prendre corps depuis plusieurs décennies ? Faut-il chercher à ajouter encore des cartes sur un château qui menace de s’écrouler complètement ou bien reconstruire cette Europe sur de nouveaux principes fondateurs tenant compte des besoins réels de ses populations, plutôt que de sacrifier à la doxa néolibérale ?

Extrait du chapitre 5, p. 319 :

 À terme, un Code général des Impôts européen devrait voir le jour, parallèlement à des lois sociales harmonisées dans les domaines de la santé, de l’indemnisation du chômage, des pensions de retraites ou du salaire minimum, toutes dispositions qui permettraient d’instaurer une concurrence loyale et de créer enfin les conditions d’une véritable intégration économique qui aurait dû prévaloir avant même l’introduction de la monnaie unique.

 Bertrand