Au moment d’adresser mon manuscrit à une sélection d’éditeurs fin 2016, j’ai été pris de quelques doutes, voire de quelques vertiges, sur la manière dont j’avais abordé la question depuis longtemps débattue sur les supposés bienfaits et les tout à fait avérés méfaits de la mondialisation (ou plutôt de la mondialisation globalisante !).

En effet, comment le béotien que je suis en « science » économique pouvait-il porter un jugement aussi définitif et aussi négatif sur le développement du commerce sans entraves entre les pays des cinq continents ? Moi qui n’avais pas étudié les incontournables auteurs de référence, les Britanniques Adam Smith, Thomas Malthus, David Ricardo, John Stuart Mill et John Maynard Keynes sans oublier l’Allemand Karl Marx et l’Étatsunien Milton Friedman, tous ces grands accoucheurs de théories économiques aussi nombreuses que différentes, comment pouvais-je me lancer dans des analyses aventureuses sur les conséquences des accords de commerce conclus sous les auspices du GATT, puis de l’OMC, et maintenant dans le cadre d’accords bilatéraux de libre-échange ?

J’aurais pu consacrer du temps, beaucoup de temps, à m’imprégner de ces théories, mais je n’aurais sans doute pas écrit ce livre ; et à supposer que j’aie quand même réussi à le faire dans des journées qui n’ont que vingt-quatre heures comme chacun sait, alors aurais-je été capable de réfléchir avec le degré d’indépendance qui a été le mien ? Je ne cherche pas à trouver des excuses à ma relative paresse de lecteur, mais je ne peux m’empêcher de penser que la créativité est amoindrie par trop d’influences venues de l’extérieur. Tous ces peintres qui sont allés chercher leur inspiration, mais aussi des techniques, je l’admets, auprès de grands maîtres en Italie, Espagne, Hollande ou ailleurs, auraient-ils été plus créatifs s’ils ne l’avaient pas fait ? Qui peut répondre à une telle question ?

Alors, me direz-vous, sur quels fondements mes analyses reposent-elles ?

Pour faire court, je dirai sur l’observation et surtout l’information, celle que les médias de tout bord nous envoient sur l’état du monde. De ce point de vue, malgré toutes les précautions qu’il convient de prendre avant de donner crédit à une information quand les infox se répandent à la vitesse de la lumière, il faut bien reconnaître que nous disposons de données autrement plus nombreuses, précises et diversifiées que celles dont pouvaient disposer nos économico-socio-philosophes des 18ème et 19ème siècles. D’ailleurs, il est possible d’envisager que ceux-ci n’auraient peut-être pas écrit exactement la même chose s’ils avaient pu bénéficier de ce luxe de statistiques, de recensements et d’enquêtes de toutes sortes qui sont à notre portée. Et ils auraient sûrement révisé encore plus leurs théories s’ils avaient eu à observer eux-mêmes un monde qui ressemble au nôtre, avec une humanité qui aura bientôt atteint huit milliards d’habitants, qui consomme plus que ce la nature peut produire, qui détruit son environnement et provoque une sixième extinction des espèces vivantes ; et j’ajoute, qui voit la richesse la plus insolente et la plus extrême coexister avec la pauvreté la plus insupportable.

Alors pourquoi proposer des analyses économiques, sociales ou sociétales en ce début de 21ème siècle qui s’inspireraient de théories fondées sur des réalités bien différentes qui étaient celles d’il y deux ou trois siècles, sachant par ailleurs que les auteurs de ces théories ne disposaient que d’une connaissance assez partielle et imprécise des réalités de leur temps, notamment en termes quantitatifs ?

Mais à l’arrivée, et il me semble que nous touchons maintenant un point d’aboutissement avec la tragédie du Covid-19, il faut vérifier que les analyses faites sur les fondements de l’observation et des informations que j’ai collectées au fil du temps ont bien permis de mieux comprendre les mécanismes qui sont à l’œuvre dans la mondialisation et d’en expliquer toutes les conséquences, observées ou vécues. Eh ! bien, il se trouve qu’avec ou sans cette pandémie, NEMESIS avait identifié (le jugement et la sentence arriveront plus tard) les vrais coupables et mis au jour les moyens qu’ils utilisent pour commettre leurs forfaits. A vrai dire, il n’y a pas là de grandes trouvailles, mais les liens sont clairement établis entre une idéologie, les procédures et moyens pour sa mise en œuvre et l’éventail des conséquences que nous connaissons tous. L’irruption du Covid ne fait qu’exacerber ces conséquences à un degré qui dépasse les hypothèses les plus sombres. Oui, la globalisation imposée aux populations de la planète est dans ses effets ultimes encore pire que tout ce que l’on pouvait imaginer ! Il est piquant de se rappeler simultanément, d’un côté l’affirmation de Montesquieu selon laquelle le commerce adoucirait les mœurs et de l’autre, les mots de M. Macron qui évoque avec insistance une « guerre » menée contre un virus dont la diffusion à grande échelle et à grande vitesse résulte précisément de la liberté extrême du commerce, cette liberté réservée aux marchands et qui nous prive en plus des moyens de nous défendre correctement.  

Me voilà donc un peu rassuré : malgré ma méconnaissance des sommités qui ont élaboré la « science » de l’économie au cours des trois derniers siècles, je crois avoir compris pourquoi ce monde marche sur la tête.

Comment trouver les moyens de le remettre à l’endroit ? C’est une autre question que j’aborderai avec précaution dans un prochain envoi.

Extrait chapitre 5 p. 336 (note sous schéma)

« La perspective de profits élevés permet à des affairistes ou des multinationales d’accéder à des financements, lesquels associés à des technologies performantes offrent l’opportunité, grâce aux accords de libre-échange très avantageux de l’OMC, de développer des activités lucratives, mais qui provoquent des dommages humains et environnementaux ; ceux-ci vont créer de l’instabilité sociale et des tensions régionales, lesquelles peuvent déboucher sur des conflits armés et des régimes autoritaires qui sont autant de foyers potentiels du terrorisme ou de sources de flux migratoires. »

Bertrand