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La Commission européenne se félicite des résultats des accords de libre-échange (ALE)

La Commission européenne se félicite des résultats des accords de libre-échange (ALE)

Il serait surprenant que les experts en tout genre qui œuvrent à la Commission européenne n’aient pas été recrutés sur la base de critères rigoureux afin de s’assurer qu’ils possèdent bien toutes les compétences requises pour faire des propositions ou prendre des décisions parfaitement cohérentes et en toute chose, frappées au coin du bon sens ! 

Si tel est le cas, alors il faudrait que quelques-uns d’entre eux se portent volontaires pour éclairer les citoyens ordinaires que nous sommes. Pour ma part, la lecture du dernier rapport de la Commission sur les ALE en date du 11 octobre 2022 me plonge dans la plus grande confusion.

La Commission se félicite en effet de la croissance des échanges que les ALE ont permise, notamment au niveau des exportations de l’Union qui ont atteint en 2021 un record historique de 1000 milliards d’€ sans préciser l’évolution de nos importations. Accroître les échanges, cela signifie en toute logique augmenter le niveau d’interdépendance entre les États parties des ALE. Or, si des sources d’approvisionnement diversifiées et résilientes sont en effet indispensables pour des matières premières telles que minerais et énergies fossiles, l’accroissement général des échanges ne peut qu’augmenter la quantité de produits finis, semi-finis ou de simples composants provenant de pays hors UE qui nous sont également indispensables, notamment en situation de crise sanitaire comme on l’a vu avec le Covid, mais comme on le voit tout autant aujourd’hui dans de nombreux secteurs d’activité. Chercher à accroître les échanges va donc à l’encontre de la nécessité de faire revenir en Europe des productions qui renforceraient justement notre résilience en cas de ruptures ou de dysfonctionnements des chaînes d’approvisionnement actuelles. D’ailleurs, nous trouvons par exemple dans les derniers documents de la Commission une initiative louable pour lancer un programme de travail visant à constituer une alliance européenne de l’industrie du photovoltaïque solaire (Commission kicks off work on a European Solar Photovoltaic Industry Alliance). Mais ce qui est bon pour l’exploitation de l’énergie solaire ne l’est-il pas pour bien d’autres secteurs de l’industrie ?

Quelle est donc exactement la stratégie commerciale dont parle ce dernier rapport ? On comprend qu’il s’agit d’amplifier les interdépendances en multipliant et en élargissant les accords de libre-échange plutôt que de limiter sur le long terme ces accords à l’échange de produits complémentaires et non concurrents. Tout ce que les uns savent faire et bien faire, pourquoi donc aller le chercher chez les autres si ce n’est pour accroître les profits en utilisant une main-d’œuvre bon marché, fût-elle située à l’autre bout du monde.

La Commission prétend également mener une politique environnementale exemplaire avec son European Green Deal. Cette prétention est pourtant incompatible avec l’intensification des échanges, et plus généralement avec l’idée de croissance, puisqu’elle s’accompagne inévitablement d’un supplément de consommation d’énergie pour le transport des marchandises, donc d’une augmentation des émissions de GES, mais aussi de bien d’autres effets délétères pour l’environnement et la santé ! Dans sa note d’auto satisfaction la Commission se garde bien évidemment d’évoquer ces aspects-là du problème.

Mais au fond, négocier des accords commerciaux et déterminer ce qui est bon ou mauvais pour les Européens, d’un point de vue néolibéral bien sûr, c’est-à-dire pour les entreprises et le commerce, ce sont-là des affaires affreusement compliquées ; alors pourquoi consacrer du temps en pure perte à essayer de les expliquer aux citoyens ordinaires, ou pire encore, à solliciter leur avis, et ne parlons pas de leur accord ! D’ailleurs, je suis la preuve vivante de cette incapacité à entrevoir la complexité des mécanismes qui sont à l’œuvre pour celles et ceux qui ne font pas partie du cercle des initiés en charge de ces très importantes questions… 

À moins qu’ils ne comprennent pas eux-mêmes ce qu’ils font. Ou bien encore que tout en étant conscients de l’inanité de cette politique, ils s’y tiennent envers et contre toute raison pour assurer aussi longtemps que possible la survie de l’ordre économique néolibéral.

Bertrand

https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/MEX_22_6106

Le « progrès humain » en moins de 3 minutes

Le « progrès humain » en moins de 3 minutes
  1. 18ème Siècle, chez nous, en France

Monarchie et pouvoir absolu du monarque reposent sur la noblesse et le clergé. Le peuple, qui n’a pas droit au chapitre et vit misérablement, s’empare de la Bastille le 14 juillet 1789.

2. 19ème Siècle

Les dominants – anciens et nouveaux – essaient de reprendre le pouvoir au peuple. Première révolution industrielle : la bourgeoisie capitaliste asservit le peuple ouvrier.

3. 20ème Siècle

Les humains deviennent de la chair à canons. 

Les régimes soviétique et nazi font jeu égal en matière de terrorisme d’État.

Fin de la Seconde Guerre mondiale : le commerce sans entraves et la loi du marché deviennent la doxa du capitalisme libéral. Ambroise Croizat met en place la Sécurité sociale tandis que le programme du CNR devient une référence pour les forces progressistes.

4. 21ème Siècle

Le système capitaliste financiarisé et globalisé poursuit son exploitation des potentiels humains et naturels. La crise environnementale et climatique s’amplifie alors que les inégalités atteignent des niveaux records : loin de modérer leur ardeur consumériste et de prendre des mesures radicales pour remettre le monde à l’endroit, les dominants accroissent au contraire tous leurs excès écocides en dépit de discours hypocrites sur l’écologie et de mesurettes qui ne règlent rien. Le pouvoir incite le peuple à la sobriété alors qu’il devrait d’abord s’adresser à lui-même et aux 10% les plus riches émetteurs de 50% du CO2 !  

Conclusion :

Une politique attentive à la protection de notre environnement, de nos ressources naturelles et respectueuse du potentiel humain est incompatible avec le maintien en l’état d’un système capitaliste qui pérenniserait des inégalités humainement et moralement inacceptables, à commencer par l’inégalité la plus intolérable de toutes, celle qui prive quelques milliards d’êtres humains de la longévité qui a pu être atteinte par une partie de la population des pays développés.   

Le 21ème siècle devrait ainsi se fixer trois objectifs de progrès : 1) mettre fin au système capitaliste – ou ce qui revient au même, en contrôler et sanctionner tous les excès, 2) lutter contre le réchauffement climatique et la dégradation accélérée de notre biotope, 3) enfin permettre à tous de bénéficier de la meilleure espérance de vie…

Bertrand

Une mine de réflexions

Une mine de réflexions

Une fois n’est pas coutume, je vais écrire cette chronique à partir d’un entretien qui a été accordé par une scientifique à une chaîne YouTube. Il s’agit de la géologue spécialiste des questions minières, Aurore Stéphant, interrogée sur Thinkerview, chaîne très particulière qui a pour habitude d’interviewer longuement des personnalités plus ou moins connues du grand public et venant de bords très divers, politiquement parlant. Je suis en revanche incapable de dire quels objectifs cette chaîne poursuit, mais qu’importe, l’essentiel est d’écouter ce que disent les invités et d’en tirer ensuite les conclusions ou les enseignements que l’on veut.

Au risque de me répéter, je voudrais d’abord rappeler une évidence dont beaucoup de personnes, notamment parmi notre classe dirigeante, semblent ne pas avoir clairement pris conscience ou qu’elles affectent d’ignorer : en dehors de la pensée, les humains ne produisent rien, ils ne font que transformer ce que leur fournit mère nature. Il est vrai que cette réalité est fort peu intuitive. En effet, l’image que l’on se fait de la nature est fort éloignée du monde matériel et technologique dans lequel nous sommes plongés. Les étapes de la transformation d’un produit naturel sont parfois tellement nombreuses qu’il est impossible en fin de processus de reconnaître sa présence dans les objets que nous achetons. Pire encore, si comme le fait remarquer Aurore Stéphant, il est difficile d’imaginer que pas moins de 52 éléments du tableau de Mendeleïev entrent dans la fabrication d’un smartphone, alors il est encore plus difficile de prendre conscience des conséquences sur l’environnement et la santé de l’extraction et des transformations successives de ces éléments. Plus nous fabriquons d’objets, plus nous augmentons nos prélèvements sur la nature, même si nous parvenons à recycler une partie des objets obsolescents pour en fabriquer de nouveaux.        

Depuis qu’il existe en tant que système économique et social, le capitalisme, car c’est bien de lui dont il s’agit, a toujours eu comme unique boussole l’accumulation de richesses au profit d’une minorité, donc au détriment du plus grand nombre, mais aussi au détriment de la nature. Il lui a donc toujours fallu inventer sans fin de nouveaux produits qui doivent être fabriqués au moindre coût afin de dégager des profits substantiels, ce moindre coût étant obtenu à la fois en exploitant sans vergogne le potentiel humain et en prélevant sans discernement les ressources naturelles comme si elles étaient inépuisables. J’ai décrit dans NEMESIS Remettons le monde à l’endroit comment l’offre marchande a permis aux capitalistes européens, au travers d’innovations certes utiles pour le confort et le bien-être des populations dans les premières décennies qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais ensuite grâce à une publicité onéreuse et envahissante qui a fait vendre des produits à l’utilité de plus en plus contestable et à la durée de vie de plus en plus courte, non seulement de maintenir, mais d’augmenter de manière exponentielle la quantité de marchandises et de prestations offertes aux consommateurs sans que ces derniers soient invités à exprimer leurs besoins réels. Ce phénomène a sans doute atteint son apogée avec une poignée d’individus tous d’origine étatsunienne devenus rapidement milliardaires en imposant à la planète entière un mode de vie désormais fondé sur les « Technologies de l’Information et de la Communication » (TIC) au point de générer pour des centaines de millions d’individus, voire quelques milliards, une véritable dépendance aux écrans qui touche pratiquement toutes les générations. 

C’est finalement ce changement radical de civilisation que dénonce Aurore Stéphant compte tenu des dégâts qu’il induit sur notre biotope et notre santé, mais je crois qu’il faut aussi dénoncer le processus anti-démocratique avec lequel il nous a été imposé au travers de la publicité qui n’est, ni plus ni moins, que la version soft de la propagande du système capitaliste ; d’ailleurs, il faut bien reconnaître que les États-Unis, centre du monde de ce système, sont depuis longtemps passés maîtres en matière de soft power ! Plus grave encore, ou au moins tout aussi grave que tout ce qui vient d’être dit, le capitalisme contemporain a atteint des niveaux records de concentration de la richesse, et ces milliardaires, qui ont si peu gagné et tant volé ce qu’ils possèdent, ont un mode de vie qui incite à cette compétition ostentatoire que dénonce Noam Chomsky, compétition qui pousse à l’hyper consommation, laquelle conduit à l’écocide, lequel finira peut-être par « l’anthropocide » ! 

Bertrand

Réagir!

Réagir!

Comment en effet ne pas réagir en ce sombre lundi du 20 juin 2022 au désastre électoral de la veille qui a vu l’extrême-droite accéder en nombre à l’Assemblée nationale pour la plus grande honte de la France pourtant reconnue dans le monde entier comme l’initiatrice de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen ?  A cette honte s’ajoute notre abattement devant la démocratie en lambeaux avec un taux d’abstention estimé à 54% au second tour des législatives alors que l’enjeu de ce scrutin était d’une importance capitale pour l’avenir de notre pays, sa protection sociale, l’environnement, la réduction des inégalités et le renouvellement de la démocratie. Mais c’est aussi un profond désespoir qui envahit les citoyens de ma génération de baby-boomers lorsque cette abstention concerne la partie de la population sur laquelle devraient se fonder tous nos espoirs : la jeunesse ! La jeunesse aux abonnés absents des isoloirs risque de payer très cher et très vite son inaction citoyenne qui revient à laisser aux plus âgés et aux plus égoïstes la responsabilité de poursuivre la destruction largement engagée de notre environnement et de notre modèle social. Et pour aggraver encore ce désastreux constat, les forces ultra-libérales les plus conservatrices risquent de faire alliance pour faire voter des lois fiscales qui vont encore aggraver les inégalités de revenus et de capital, des lois antisociales qui vont accroître les écarts d’espérance de vie entre ceux qui ne sont « rien » et les plus favorisés du fait de nouveaux reports de l’âge de départ à la retraite et de conditions de travail plus dures encore soumises aux exigences des marchands et des actionnaires, de lois écocides autorisant la poursuite de l’utilisation d’intrants toxiques dans l’agriculture ou de plans de développement de nos énergies prévoyant de couvrir notre territoire de nouveaux sites nucléaires qui sont autant d’épées de Damoclès au-dessus de nos têtes…

Des occasions de « remettre le monde à l’endroit » comme celle que les Français viennent de laisser passer une nouvelle fois, il ne s’en présente que tous les cinq ans. Pendant ce temps-là, combien de millions d’entre nous devront continuer à vivre dans la pauvreté ou la précarité, qu’ils soient chômeurs ou « travailleurs pauvres », combien de centaines de milliers d’étudiants obligés de chercher des petits boulots pour payer leurs études, combien de lits d’hôpitaux encore fermés, combien de nouveaux accords de libre-échange encore passés en catimini, aggravant la folle intensité des transports de marchandises et la vulnérabilité de nos approvisionnements, etc. ? 

Mais que faire quand la partie de la population qui devrait être porteuse d’espoir nous conduit au contraire à désespérer ?

Surtout, ne pas se résigner ! 

Continuer à expliquer avec obstination les mécanismes mortifères qui sont à l’œuvre dans notre société, à sensibiliser nos jeunes aux réalités de ce monde qui marche sur la tête, à militer dans toute la mesure du possible et à garder espoir…

Bertrand

Erreur de date

Erreur de date

Comme vous l’avez peut-être noté, il y avait une incohérence dans la date de la rencontre prévue le samedi 4 juin à la médiathèque de Draveil. En effet, le titre de l’annonce indiquait le 14 juin. J’ai apporté la correction suite à la remarque que m’a faite une lectrice; je la remercie chaleureusement!

Je vous attends donc bien le samedi 4 juin à partir de 15H00 à la médiathèque de Draveil sise au 3 avenue de Villiers, juste à côté de la mairie.

Bon week-end à toutes et à tous,

Bertrand

Épreuves du bac SES 2022

Épreuves du bac SES 2022

Tombant sur les épreuves du bac SES 2022, me voilà plongé dans le doute quant à l’orientation qui semble être donnée à certaines questions. Je n’ai pas voulu commenter les corrections proposées car cela aurait conduit à une beaucoup trop longue chronique. Je n’ai par ailleurs commenté que certaines des questions posées aux candidats. 

Tout d’abord, j’ai de longue date, à tort ou à raison, exprimé de sérieux doutes sur la qualité de « sciences » qui est communément attribuée aux activités de recherche dans les disciplines économique et sociale. La science mérite mieux que de voir ces deux disciplines intégrées dans son champ alors qu’elles ont des connexions très politiques et sont donc, par nature, profondément subjectives. La science se fonde au contraire sur des observations et des déductions objectives qui conduisent à des théories que l’expérience doit confirmer ; seuls des résultats d’expérience qui infirmeraient la théorie pourraient remettre celle-ci en question. Mais une fois établie sans jamais avoir été contredite, une théorie scientifique devient un socle de marbre sur lequel peuvent se développer par exemple de nouvelles technologies. Ainsi, personne ne contestera les lois de la gravitation universelle, les principes de la thermodynamique ou les propriétés des ondes électromagnétiques tellement leur découverte a permis à l’humanité d’accomplir des progrès fulgurants au cours du siècle dernier. Évidemment, si j’avais quelque notoriété que ce soit, notamment dans le monde des économistes et sociologues patentés, ceux-ci n’auraient sans doute pas de mots assez durs pour exprimer leur consternation devant mon ignorance de ce que sont réellement leurs disciplines, et que je comprendrai peut-être un jour qu’elles sont aussi une science. Sauf que de la science nous devons avoir une idée différente et que personne n’y peut rien.

Mais revenons à ces épreuves du bac « SES ». Elles me confortent évidemment dans ma conviction que le « S » est de trop et qu’il serait plus honnête de le remplacer par un « D » comme discipline afin de renommer ce bac : « DES » … 

L’une des épreuves était un sujet de dissertation dans lequel il était demandé d’expliquer le commerce international. Excellent sujet en soi ! Je rappelle que le chapitre II « Les vases communicants » de NEMESIS Remettons le monde à l’endroit est consacré à ce thème. Je ne vais donc pas reprendre tous les éléments que j’ai mis en avant dans cet essai pour présenter les origines du GATT et de l’OMC et les idées préconçues qui ont pu justifier cette idéologie d’un marché mondialisé donnant au droit commercial une prédominance absolue sur tous les autres droits, notamment humains et environnementaux. 

Je voudrais seulement dire que fournir avec ce sujet un tableau des « avantages comparatifs » de cinq pays, France, Allemagne, Bengladesh, Brésil et Russie pour l’année 2019 revient à conduire les candidats vers une approche biaisée de la concurrence. Prenons par exemple l’avantage comparatif qu’aurait le Bengladesh sur la France dans la production de vêtements de bonneterie et de confection. Rappelons au passage que cette notion d’avantage comparatif a été introduite par David Ricardo, un économiste vivant au XIXème siècle. Il prônait les vertus du libre-échange à une époque où l’esclavage n’avait pas été aboli dans les Amériques et où les conditions de travail dans les usines côté européen n’étaient guère plus enviables que celles des esclaves noirs. A partir de quels critères pouvait-on dans de telles conditions établir des comparaisons entre pays sur la base de cet « avantage comparatif » ? Et à qui profitait ledit « avantage » ? Comment ne pas voir une large part de cynisme dans de telles élucubrations, à moins que ce ne soit de l’aveuglement ?   

Mais revenons au XXIème siècle. Primo, un tel avantage n’a pas toujours existé dans nombre d’activités. Dans les années 70-80, il y avait dans la Nord de la France des ateliers de confection, certes beaucoup moins nombreux que dans les années 50-60, mais on achetait encore sur le catalogue de la Redoute toutes sortes de vêtements made in France à une époque où le pouvoir d’achat était moins élevé qu’aujourd’hui. Alors comment expliquer, qu’étant tout à fait capable de satisfaire nos propres besoins à des prix abordables, cette industrie ait été complètement anéantie à partir des années 80 par le transfert de la fabrication de vêtements à l’autre bout du monde dans des ateliers de confection dirigés par des patrons négriers, ce qui a laissé sur le carreau des milliers d’employés dans nos villes, surtout des femmes, et contribué à ruiner l’économie de toute une région à une période où son industrie sidérurgique était par ailleurs en voie d’effondrement? Tout le monde connaît la réponse à cette question : la recherche obsessionnelle du profit que le film Merci patron de François Ruffin a illustrée de manière inoubliable! 

Alors, et c’est mon deusio, d’où provenait donc l’avantage comparatif des ateliers du Bengladesh ? D’une habileté et d’une productivité des employées des ateliers de Dacca supérieures à celles des Françaises qui travaillaient dans les ateliers de Roubaix ? Personne ne pourra le croire ! D’une meilleure finition des produits ? Non plus ! De machines plus performantes ? Encore non, et même si ce pouvait être le cas, nous aurions pu tout aussi bien en équiper nos ateliers du nord de la France.  La seule raison est toujours la même : nos entreprises étaient dirigées par des individus aspirant à devenir milliardaires, et qui le sont d’ailleurs réellement devenus. Ainsi, les accords multilatéraux pris dans le cadre de l’OMC et les accords bilatéraux de libre-échange ont permis à ces dirigeants voyous d’ignorer superbement les salaires de misère, les conditions de travail indignes, l’absence de protection sociale, l’interdiction de constituer des syndicats et bien sûr toutes les atteintes à l’environnement dans les entreprises où ils ont délocalisé nos productions. Et pour ces individus, le drame du 24 avril 2013 que j’avais déjà rappelé dans NEMESIS n’a été que l’occasion de verser quelques larmes de crocodiles sur les 1200 morts et milliers de blessés consécutifs à l’effondrement à Dacca du Rana Plaza, un immeuble vétuste où travaillaient dans des ateliers de confection quelque 5000 personnes, essentiellement des jeunes femmes ; des larmes de crocodiles, mais rien qui vienne encadrer plus sévèrement les conditions de travail et de sécurité dans ces ateliers, en dehors de quelques belles paroles n’engageant à rien. Business as usual, la machine à cash continue ! 

Les élèves de terminales SES qui ont passé le bac 2022 ont-ils été bien sensibilisés à la nature des facteurs qui déterminent les « avantages comparatifs » ? Et si tel est le cas, comme on peut l’espérer, les a-t-on également sensibilisés au fait que lesdits avantages conduisent alors à une concurrence parfaitement déloyale entre travailleurs de pays aux normes si peu harmonisées ? Et qu’il aurait peut-être fallu depuis longtemps penser à imposer aux drogués du profit des mesures leur interdisant de pratiquer un commerce aussi déloyal ? 

Alors, que penser de cette épreuve du bac fondée sur un enseignement qui aligne des « avantages compétitifs » sans les classer selon des critères d’acceptabilité. Le tableau mélange ainsi des avantages compétitifs fondés sur des critères acceptables comme celui qu’a la France en matière de construction aéronautique et ceux totalement inacceptables que nous avons évoqués avec les ateliers de confection au Bengladesh.  Acceptables ils le sont en effet quand un pays excelle dans un domaine du fait de son savoir-faire reconnu de longue date et maintenu à un niveau élevé grâce à des investissements avisés associés à une politique sociale et environnementale honorable sans être forcément exemplaire. Inacceptables ils le sont lorsque « l’avantage compétitif » est obtenu de manière totalement déloyale à l’égard des concurrents, inhumaine à l’égard des employés, tout en ignorant le simple respect dû à la nature, le tout pour quelques bénéficiaires sans scrupules qui pourront tirer des « avantages » sous forme de profits indécents au prix de la misère humaine et du saccage de la planète. J’avais écrit dans NEMESISque « la valeur morale des marchands devrait se mesurer non seulement au juste prix qu’ils demandent, mais à leur capacité à questionner l’origine des marchandises qu’ils envisagent d’acquérir et à refuser celles qui auraient été produites au mépris de la dignité humaine. » (Page 343). 

Pour conclure sur le sujet du commerce international, je rappellerai ma vision de ce qu’il devrait être, autrement dit limité à des échanges complémentaires entre grandes régions du monde, l’essentiel du commerce se faisant alors à l’intérieur de ces régions. Cette approche est celle qui permet notamment, mais pas seulement, de réduire au maximum les effets délétères du commerce international sur le climat et l’environnement.   

Un autre sujet du bac SES proposait aux candidats trois thèmes de réflexion qui interpellent dans leur formulation dans la mesure où ils relaient des idées clairement néolibérales. Les voici :

  1. À l’aide de deux arguments, montrez que le travail est source d’intégration sociale.
  2. À partir d’un exemple, vous montrerez que l’innovation peut aider à reculer les limites écologiques de la croissance.
  3. À l’aide d’un exemple, vous montrerez que l’action des pouvoirs publics en faveur de la justice sociale peut produire des effets pervers. 

La critique argumentée du choix de chacun de ces thèmes nécessiterait encore des pages d’écriture. Je vais donc me contenter de fournir ici des considérations plus générales, mais néanmoins reliées à des réalités tout à fait tangibles !

Tout d’abord, il faut noter que ces trois thèmes constituaient la première partie « Mobilisation des connaissances » d’une épreuve composée. Autrement dit, il semblerait que les candidats n’avaient pas à contester la pertinence des trois formulations proposées, mais devaient au contraire la démontrer en faisant appel aux connaissances acquises au cours de l’année scolaire. 

Sur le premier thème relatif au travail, il faut sans doute entendre « travail » dans le cadre d’un « emploi rémunéré ». Mais ce n’est pas totalement sûr et il aurait sans doute fallu préciser car le travail peut revêtir de très nombreuses formes : en emploi rémunéré bien sûr, mais aussi en tant que bénévole dans une association ou une ONG, dans le cadre des nombreuses activités domestiques qui représentent une quantité de travail d’autant plus importante que la famille est nombreuse, sans parler des aidants qui accompagnent des proches malades ou dépendants, et bien sûr, tout le travail d’apprentissage pour les plus jeunes qui occupe environ un quart de notre existence. Alors oui, le travail sous toutes ses formes occupe l’essentiel de notre vie. Quant à savoir s’il est toujours source d’intégration sociale, c’est une autre affaire : lorsque le travail rémunéré se déroule dans des conditions difficiles, soit physiquement, soit psychologiquement, que les perspectives d’évolution de carrière sont inexistantes et que la rémunération est insuffisante pour vivre dignement, alors ce travail-là vous rend invisible du reste de la société jusqu’à ce que les personnes concernées aient l’idée d’enfiler des gilets jaunes pour enfin être vues ou que surgisse une pandémie qui les met en lumière !  

Sur le deuxième thème relatif aux vertus de l’innovation pour repousser les limites écologiques de la croissance, nous tombons de Charybde en Scylla ! Est-ce vraiment cette approche-là de la lutte qu’il faut promouvoir contre les dérèglements climatiques et la disparition des espèces? De même que l’on ne savait pas trop dans le premier thème de quel travail il était question, ici on ne précise pas non plus de quelle croissance il s’agit : du PIB ou du bien-être de tous ? Le problème avec l’innovation est qu’elle peut tout aussi bien proposer des milliards de nouveaux gadgets dont la production épuisera encore plus les ressources de la planète, que de développer des solutions permettant d’économiser l’énergie, la consommation d’eau ou encore de produire des aliments sans polluer durablement la nature et sans empoisonner ceux qui les consommeront. La question est posée de telle sorte qu’elle n’incite donc pas les candidats à réfléchir sur la question de la croissance, mais au contraire à considérer qu’elle n’est pas une option, et que la seule question qui subsiste est de chercher comment ne pas la compromettre tout en arrêtant de détruire notre environnement. C’est de la pensée pour le moins très réductrice !

Sur le troisième thème, nous touchons le fond ! Il a donc paru important pour l’auteur de cette question d’attirer l’attention des candidats, non pas sur les vertus de la justice sociale, mais sur ses « effets pervers ». Que dire alors de la perversité d’une telle formulation ? Tout d’abord, quid de l’action des services publics en faveur de cette justice ? De quoi parlons-nous ? Est-ce par exemple des réductions d’impôts pour les plus riches, ce qui contribue à augmenter encore les inégalités et prive du même coup le budget des collectivités de ressources qui permettraient justement d’amplifier l’action des pouvoir publics pour aider les plus défavorisés ? Ou bien est-ce du retour de la retraite à 60 ans qui permettrait à celles et ceux que le travail a usés prématurément de profiter quand même d’une retraite assez longue et en relativement bonne santé malgré l’amputation de leur espérance de vie ? Incitons d’abord nos jeunes à réfléchir plus rigoureusement, sans mettre des œillères à leur cerveau pour qu’ils puissent percevoir tous les aspects de l’idéologie dominante. Comment peut-on encore parler de justice sociale quand quelques individus confisquent à leur seul profit l’équivalent de ce que possèdent des millions de citoyens réunis ? Une vraie justice sociale suppose une réduction radicale des inégalités avant de se préoccuper de savoir si cette justice est susceptible d’avoir des effets « pervers » ! 

Peut-être ai-je fait dans ces quelques pages un mauvais procès d’intention aux auteurs des sujets de ce bac SES 2022. Si tel était le cas, je serais rassuré et leur présenterais volontiers toutes mes excuses. Il n’en demeurerait pas moins que le choix des thèmes et la manière de formuler les questions semblent indiquer, peut-être à leur corps défendant, que ces auteurs adhèrent à la doxa néolibérale. Ils en ont bien sûr le droit, mais dans leur rôle d’enseignants ils doivent veiller, me semble-t-il, à ne pas prendre le risque d’être accusés de prendre parti pour telle ou telle idéologie. 

Bertrand

Faut-il avoir peur du changement?

Faut-il avoir peur du changement?

Pour répondre en deux mots : « ça dépend ».

Oui, ça dépend au moins de deux choses : du présent ressenti et du futur proposé.

Poursuivons l’arborescence : le présent ressenti peut être lui-même insupportable ou au contraire satisfaisant.

Et le futur proposé peut-être pire encore que le présent ressenti ou au contraire bien meilleur. 

Nous nous orientons ainsi vers plusieurs chemins qui conduisent à autant de réponses différentes à la question initiale.

Supposons que le présent ressenti soit insupportable : si le changement proposé est pire encore, alors oui, il faut en avoir peur ; si le changement apporte des améliorations significatives, alors non seulement il ne faut pas en avoir peur, mais il faut le désirer et tout faire pour le réaliser. 

Supposons maintenant que le présent ressenti soit satisfaisant : dans ce cas, il faut avoir peur de tout changement qui pourrait dégrader l’existant et peut-être lui préférer le statu quo, c’est-à-dire le non-changement ; mais si le changement proposé est susceptible de rendre le présent ressenti encore meilleur, alors il faut être sûr que les actions envisagées sont sans risque, moyennant quoi la réflexion peut conduire à l’une ou l’autre de ces deux réponses : en avoir peur ou ne pas en avoir peur. 

Traduire cette approche toute simple en langage politique est malheureusement très compliqué car le présent est ressenti de mille et une manières différentes.

En effet, il est difficile d’obtenir un consensus sur ce qu’est le présent : force est de constater par exemple que le présent est insupportable pour les millions de gens qui vivent avec un salaire de misère, dans la précarité, le mal logement et dans bien d’autres difficultés encore ; par contre il est tout à fait satisfaisant pour les privilégiés qui continuent de s’enrichir, y compris et parfois plus encore dans des situations de crise telles qu’une pandémie qui assure la fortune du « big pharma » ou une guerre qui fait le miel des marchands d’armes. De même, un présent qui montre chaque jour qui passe que notre environnement est en voie de destruction rapide compte tenu du réchauffement climatique, que l’air, l’eau et les sols sont durablement pollués, ou encore que des milliers d’espèces vivantes disparaissent, n’est pas ressenti de la même façon par tout le monde : certains y voient les effets de l’inconséquence des humains, d’autres des changements qui seraient d’origine naturelle, d’autres encore qui considèrent que ce n’est pas très grave car la science et la technologie parviendront toujours, d’une manière ou d’une autre, à compenser les désordres constatés. Et puis il y a tous ceux qui pensent que là où ils se trouvent, rien de dramatique ne peut leur arriver et que les catastrophes annoncées seront pour les autres, ou bien ceux qui, arrivés à un certain âge, estiment que tout cela importe peu puisque si fin du monde il doit y avoir, elle surviendra très certainement après leur propre fin…

Une telle diversité de perceptions ou d’incompréhensions du présent va se traduire par autant de réactions différentes aux propositions de changement. Il y aura toutefois une certaine convergence de réaction entre les satisfaits et les résignés : les uns et les autres seront soit hostiles, soit réfractaires au changement. Les satisfaits seront hostiles car ils veulent évidemment conserver un système qui leur assure une situation confortable et toutes sortes de privilèges. Les résignés, loin de se compter parmi les satisfaits, seront néanmoins réfractaires car tout a été entrepris par les satisfaits pour les persuader qu’il n’y a pas d’autre alternative, que le monde est ainsi organisé depuis toujours entre dominants et dominés, et que vouloir renverser cet ordre des choses relève de la pure utopie, voire ferait courir le risque d’aggraver encore leur situation, même si l’objectif des changements proposés est de l’améliorer. Ainsi grâce au prosélytisme habile des dominants qui affirment péremptoirement que vouloir changer l’organisation du monde est une chimère, se construit une alliance objective entre satisfaits et résignés, à l’avantage exclusif des premiers bien entendu. Toutefois, il y a encore deux façons d’être résigné : soit en apportant sa voix aux représentants des satisfaits, donc à ceux qui sont les vrais dominants, ce qui revient à se tirer une balle dans le pied ; soit en se détournant complètement de la vie démocratique, aussi imparfaite soit-elle, en s’abstenant d’y participer, ce qui revient à abandonner aux autres le pouvoir de décider ce que pourrait être le monde de demain.  

Mais il y a aussi la foule immense des insatisfaits qui ne s’en laissent pas conter par les dominants et pensent qu’un autre monde est possible. Là encore, ces insatisfaits sont exposés au prosélytisme de ceux qui ont vocation à les représenter et les défendre. Cependant, si les dominants affirment haut et fort qu’il n’y a qu’un seul système viable pour faire fonctionner le monde, ceux qui veulent démontrer le contraire peuvent être amenés à défendre des options radicalement opposées sur des question fondamentales telles que l’égalité en droits entre tous les citoyens, le respect de la diversité des croyances et des cultures ou encore la coopération plutôt que la compétition.

Tout ce qui vient d’être dit fait évidemment écho à la situation politique qui prévaut en ces temps de campagnes électorales décisives dans notre pays et chacun sera capable de mettre des noms sur les différents acteurs ou les différentes catégories sociales auxquels il a été fait allusion. Étant l’auteur de NEMESIS et du livre de chroniques qui lui est associé, je ne surprendrai personne en prenant le parti des insatisfaits qui n’ont pas peur du changement mais qui redoutent au contraire une aggravation catastrophique des conditions de vie sur cette planète si les peuples persistent à croire les mensonges de ceux qui veulent maintenir, quoi qu’il en coûte pour l’environnement et pour le bien-être des populations, un système mortifère qui exploite sans limites les potentiels humains et naturels dans le seul but d’accumuler des profits toujours plus astronomiques. 

J’encourage donc tous les insatisfaits résignés à ne plus être résignés et à rejoindre les millions d’entre nous qui ont déjà apporté leur soutien, sans peur et en toute confiance, à celles et ceux qui se battent pour construire un monde meilleur pour tous, sans distinction de couleur de peau, de religion, de culture et d’origine.

Non, il ne faut pas avoir peur du changement et il est urgent de l’engager ; non, l’histoire du monde ne s’est pas terminée avec l’effondrement de l’URSS ; oui, il y a fort heureusement des alternatives heureuses au néolibéralisme destructeur, et l’Histoire n’a cessé de nous montrer que le changement, en bien ou en mal, est une singularité attachée à toutes les civilisations, passées, présentes et futures. D’ailleurs, rien, absolument rien n’est figé dans l’organisation du vivant, y compris bien sûr dans les institutions qui sont le socle des grandes communautés humaines. 

Mais il faut faire le choix d’un changement qui ne nous ramène pas aux errements les plus sombres ou les plus injustes de notre histoire.  

Bertrand

N’est pas Prométhée[1] qui veut !

N’est pas Prométhée[1] qui veut !

Une amie me transmet le texte ci-dessous venant d’un militant communiste. J’ai pris la peine d’y répondre longuement sans revenir sur les détails de l’affaire GE-Alstom[2] qui compte parmi les exploits d’Emmanuel Macron lorsqu’il était encore ministre de l’Économie. J’ai au contraire voulu une fois encore aborder la question du nucléaire sous ses aspects les plus fondamentaux afin de compléter et actualiser ce que j’avais déjà présenté dans NEMESIS en 2017. 

J’espère qu’au lieu de se laisser aveugler par la propagande pro-nucléaire, notre ami communiste y verra réellement beaucoup « plus clair » après la lecture de ma réponse. 

Voici ce qu’il écrit[3] :

« J’y vois un peu plus clair.
Il y a deux reproches faits par Green Peace :

1. Les achats d’uranium au Kazakhstan 
2. La perspective de prise de participation de 20% dans le capital de GEAlst, qui fabrique les turbines à vapeur Arabelle.

1. Pour l’approvisionnement en combustible nucléaire il y a l’uranium, métal qui doit être importé, mais qui est traité en France à l’usine de la Hague.
Il y a d’autre fournisseurs d’uranium, le Niger notamment.
Il y a un stock important de combustible sur le territoire national.
Il y a aussi le combustible Mox, fait par recyclage du plutonium, à l’usine de la Hague.
Certains réacteurs du parc peuvent consommer ce combustible.

2. La nationalisation de GEAlst est une bonne chose, après toutes erreurs faites sur la filière énergétique (et sur la filière ferroviaire).
Il y a donc un projet de livrer des turbines à vapeur Arabelle aux clients de Rosatom.
Cela ne me choque pas outre mesure.
Ces turbines sont une des parties conventionnelles des centrales nucléaires.
Le réacteur nucléaire sert à chauffer l’eau et la vapeur d’eau fait tourner une turbine et un alternateur qui produisent l’électricité.

Compte tenu des retards pris pour les décisions de relance du programme électronucléaire il était urgent d’intervenir.
L’industrie électronucléaire fonctionne selon un cycle long.
Il est urgent de reconstituer le savoir-faire français, qui a commencé à se dégrader en 1983, avec les premiers plans de licenciement dans les entreprises de la filière. Par ailleurs un signal négatif a été donné aux futurs ingénieurs : le nucléaire n’a pas d’avenir !
La coopération Franco-allemande a été rompue par la partie allemande un peu plus tard. 
Il va falloir la reconstituer quand les allemands auront compris que l’électronucléaire est indispensable pour les 50 prochaines années, pour réussir la transition énergétique.
De même qu’ils viennent de comprendre, que face à la menace militaire russe, le réarmement européen est indispensable.

Que de temps et d’efforts perdus !!! »

Ma réponse

Cet argumentaire en faveur du nucléaire passe à côté de l’essentiel : en voulant trop s’approcher du soleil, l’humanité finira par se brûler les ailes ; elle a d’ailleurs commencé à le faire. Jouer aux apprentis sorciers avec ce qui structure l’Univers, c’est violer l’intimité d’un domaine que nous pouvons certes chercher à comprendre, mais pas à exploiter pour satisfaire notre dérisoire volonté de puissance ou nos appétits extravagants de consommateurs. Un joueur peut tout perdre au jeu, y compris son âme ; l’humanité perdra son âme et mettra en péril sa survie en persistant à jouer avec l’énergie nucléaire. 

Ce point fondamental étant rappelé, nous pourrions dresser la longue liste des événements ou situations qui illustrent les risques immenses attachés à l’utilisation civile ou militaire de cette énergie. Je me limiterai ici à rappeler quelques éléments parmi les plus marquants.

Tout d’abord, il convient de garder constamment à l’esprit que le nucléaire civil est indissolublement lié au nucléaire militaire. Pour que la France du Général de Gaulle puisse se passer du « parapluie » nucléaire étatsunien après avoir quitté l’OTAN, il lui fallait construire des centrales nucléaires, seules à même de fournir le plutonium indispensable à la fabrication de bombes atomiques. Laisser entendre aujourd’hui que l’énergie nucléaire est bonne pour l’environnement parce qu’elle émet peu de CO2 c’est comme dire que le Médiator des laboratoires Servier était un traitement efficace contre la surcharge pondérale du fait de ses propriétés anorexigènes alors qu’il était destiné initialement à des patients atteints de diabète de type 2. Malheureusement, ce produit prescrit à des millions de personnes pour raisons médicales ou comme simple coupe-faim, provoquait, dans un cas comme dans l’autre, des valvulopathies cardiaques ayant entraîné le décès de milliers de personnes, conséquences qui étaient pourtant parfaitement connues des dirigeants de Servier. 

Le même constat peut être fait à propos des centrales nucléaires et de toute la chaîne de production, de transport et de retraitement des produits radioactifs : qu’elles aient été créées pour fabriquer des bombes ou pour produire de l’électricité, elles sont, dans un cas comme dans l’autre, terriblement dangereuses comme l’ont montré les catastrophes de Tchernobyl et Fukushima. Ajoutons qu’avec la guerre en Ukraine, l’humanité subit une sorte d’effet boomerang, la seule présence d’installations nucléaires dans ce pays pouvant être utilisée comme chantage par l’agresseur russe qui pourrait les endommager de telle sorte que la pollution radioactive se répande dans le sol, les eaux et l’atmosphère. Cette cruelle expérience devrait nous inciter, non pas à développer encore plus notre parc de centrales nucléaires comme le souhaite le président Macron, mais au contraire à éliminer méthodiquement tous nos sites nucléaires afin de rendre notre pays moins vulnérable à toute attaque les visant. Mais l’effet boomerang est apparu également avec les armes de dissuasion nucléaire, Poutine faisant clairement comprendre au monde qu’il pouvait envahir à son gré des pays voisins de la Russie non dotés de l’arme atomique, car tout belligérant qui oserait s’opposer à ses funestes entreprises pourrait subir le feu nucléaire. Autrement dit, la possession de l’arme atomique dissuade les pays dotés de cette arme de se faire la guerre, mais ne les empêche en aucune manière de faire la guerre à ceux qui ne la possèdent pas, ce qui s’est vérifié à de nombreuses reprises, tant du côté états-unien que du côté russe! 

Cette consanguinité entre nucléaire civil et nucléaire militaire implique également que le développement pacifique de cette énergie puisse aider un État à mettre le pied à l’étrier pour développer une force de dissuasion nucléaire. Aider un pays à se doter de centrales nucléaires peut donc constituer un facteur de prolifération des armes atomiques.

Notons que c’est bien l’extrême dangerosité attachée au développement de l’industrie nucléaire, civile ou militaire, qui conduit à traiter ces activités dans la plus grande opacité. Que cela se comprenne dans le domaine militaire, soit, mais ne peut se comprendre dans le domaine civil que par une volonté délibérée de dissimuler les maillons faibles dans la chaîne de sécurité de cette industrie, avec notamment le souci permanent de ne pas ébruiter les nombreux incidents plus ou moins graves qui émaillent le fonctionnement des installations nucléaires. Par ailleurs, les décisions qui ont été prises par le passé, ou le sont encore de nos jours, font peu de cas de l’avis des populations ! Comment des choix aussi stratégiques et lourds de conséquences pour notre sécurité ont-ils pu être faits sans consulter les citoyens dans leur ensemble ? A vrai dire, la nature même de cette industrie en fait un sujet qui met à mal notre démocratie. Échappant à tout contrôle des citoyens, l’industrie nucléaire reste entre les mains d’une caste qui recrute dans les Grandes Écoles, à commencer par l’école des Mines dont monsieur Jancovici est l’un des plus médiatiques représentants. Et quand la société civile essaie de s’emparer de ces problèmes, très vite on constate que toute opposition à des projets de nouvelles installations nucléaires se heurte à la violence institutionnelle comme on a pu le voir en son temps à Creys-Malville avec le surrégénérateur Phénix ou actuellement à Bures avec le projet d’enfouissement des déchets nucléaires.

Voilà une autre question de poids qui reflète la légèreté avec laquelle les gouvernements se sont engagés dans cette filière : dès le départ, l’impossibilité de réduire la radioactivité des déchets nucléaires était connue, et pourtant, des programmes gigantesques de développement de cette industrie civile et militaire ont été lancés. Tout en sachant cela, et en ayant découvert par ailleurs depuis un demi-siècle que l’on ne saura sans doute jamais comment démanteler totalement les anciennes installations nucléaires, des gouvernements – celui de la France en tête – n’hésitent pas aujourd’hui à proposer de développer encore cette industrie d’apprentis-sorciers. Les générations futures nous haïront d’avoir laissé dans les paysages de notre cher pays ces monstres de béton et d’acier au cœur desquels règnera pour toujours le mortel danger des radiations. Ouvrant la voie à des docteurs Folamour[4], nos dirigeants, aidés d’une armée de Frankenstein du nucléaire, ont ainsi laissé naître des créatures monstrueuses dont ils ont perdu depuis longtemps le contrôle. 

Si nucléaire ne rime pas avec sécurité et démocratie, ce mot ne rime pas non plus avec santé, mais plutôt avec cancer, même si, très marginalement, certains traitements de cette maladie ont recours à des irradiations de tissus malades. La radioactivité est en effet elle-même responsable de nombreux cancers, bien qu’il ne soit pas toujours facile de les relier formellement à une exposition aux radiations, la difficulté venant notamment du fait que la radioactivité est, d’un certain point de vue, comparable à d’autres éléments toxiques tels que les pesticides qui se répandent dans les sols, les eaux, les aliments que nous consommons et l’air que nous respirons à proximité des terrains agricoles sur lesquels sont utilisés ces poisons. La radioactivité partage également un caractère commun avec les virus : tout aussi invisible, personne ne peut détecter sa présence à des niveaux dangereux pour la santé dans un environnement donné, à moins de porter sur soi un compteur de particules radioactives (compteur Geiger-Müller). Quoi qu’il en soit des doutes que l’on peut avoir sur l’innocuité ou la menace que représente l’exposition à des durées plus ou moins longues à des niveaux de radioactivité légèrement ou sensiblement supérieurs à la radioactivité naturelle, ce qui ne laisse en revanche aucun doute, c’est le danger mortel que représente une exposition, même brève, à des niveaux de radiations tels que ceux qui ont touché les « liquidateurs » de Tchernobyl. 

Cette action des « liquidateurs », véritables héros qui ont sacrifié leur vie pour contenir le désastre, pose d’ailleurs une redoutable question : si des citoyens, à l’époque encore tous soviétiques, ont consenti à ce sacrifice pour des raisons que la prix Nobel de littérature, Svetlana Alexievitch, analyse dans son livre La supplication à propos de la catastrophe de Tchernobyl, on est fondé à s’interroger sur ce que feraient des citoyens européens de l’Ouest, français notamment, confrontés à un tel drame… Il est de même difficile de prédire ce que feraient les habitants de villes densément peuplées situées à proximité d’une installation nucléaire – centrale électrique ou autre – siège d’un incident majeur requérant l’évacuation de centaines de milliers, voire de millions de personnes.

J’ajoute encore que la présence des centrales nucléaires a un impact avéré sur le taux d’incidence des cancers. Une étude de Santé Publique France de 2018 indique par exemple que le risque de cancer de la vessie est accru de +8 % chez les hommes et de +19 % chez les femmes dans un rayon de 20 km autour d’une installation nucléaire.

Au sujet de la pérennité de nos territoires en tant qu’espaces habitables, il y a un problème tout à fait spécifique lié au risque nucléaire : à savoir cette conséquence inouïe qu’avant même d’avoir été agressée par la Russie, l’Ukraine a perdu en 1986 une partie de son territoire à la suite de la catastrophe de Tchernobyl ! Il en va de même au Japon pour la préfecture de Fukushima. Donc, les installations nucléaires ne menacent pas seulement nos vies, mais les lieux où nous vivons, où nous avons nos proches, nos biens et tout ce qui peut nous attacher à tel village, telle ville, telle région. Un accident nucléaire majeur, c’est une débâcle sans espoir de retour. Je renvoie au livre cité supra de Svetlana Alexievitch : après l’avoir lu, on n’a pas du tout envie de vivre à moins de 100km d’une centrale nucléaire. Et pourtant, nos dirigeants n’ont pas donné d’autre choix à des millions de nos compatriotes.   

Sur toutes les questions soulevées dans l’argumentaire pro-nucléaire présenté en début de cette réponse, j’en note deux qui méritent une réponse spécifique.

Sur l’approvisionnement de l’uranium, il faut savoir que l’extraction de ce minerai, qu’elle se produise sur notre territoire comme par le passé, ou dans des pays étrangers, a des conséquences tout à fait préoccupantes pour l’environnement et pour les personnes qui y travaillent. Les anciens sites d’extraction sont des territoires interdits d’accès (il en existe par exemple chez nous dans le Limousin) car on y trouve des résidus de traitement du minerai ayant des taux de radioactivité bien supérieurs à ce qu’ils étaient avant l’exploitation de la mine (le seul fait de remuer le sol rompt l’équilibre millénaire qui s’était établi au sein du minerai et avait conduit à ramener la radioactivité à des niveaux réputés non dangereux). Quant aux humains qui travaillent sur ces mines, ils sont fatalement exposés à des taux de radioactivité supérieurs au taux naturel et en subiront les conséquences à moyen ou long terme. Citons seulement ce que dit le responsable du laboratoire de la CRIIRAD[5], Bruno Chareyron, à propos de la fermeture récente de la mine d’uranium souterraine d’Arlit au Niger : « l’uranium et certains de ses descendants radioactifs émettent des radiations que l’on appelle les rayonnements gamma, qui sont des radiations invisibles, extrêmement puissantes, qui peuvent traverser le plomb et les murs. Par conséquent, les mineurs de l’uranium sont exposés en permanence à cette radiation dont on ne peut pas se protéger, car même des vêtements en plomb n’arrêteraient pas ces radiations. » Et il ajoute : « Le suivi des travailleurs de l’uranium français montre un taux de décès par cancer du poumon 40% au-dessus de la normale et un taux de décès par cancer du rein 90% au-dessus de la normale. C’est pour cela que le suivi des mineurs du Niger est un enjeu très important, parce que les pathologies apparaissent souvent au bout de quelques années et parfois après quelques décennies. »

La question n’est donc pas de savoir s’il faut ou non s’en remettre à l’énergie nucléaire pour remplacer les énergies fossiles – pétrole, gaz et charbon – puisque compte tenu des dangers extrêmes attachés au nucléaire, son développement ne peut pas être une option ! Il y a au contraire une urgence absolue à s’en débarrasser définitivement. 

D’ailleurs, je ne peux que souscrire à la remarque que fait notre ami pro-nucléaire évoquant le cycle long de cette industrie : construire un nouveau parc de centrales prendrait en effet plusieurs décennies. Par conséquent, un tel programme ne répond en aucune manière à l’urgence climatique à laquelle nous sommes confrontés. La première mesure pour réduire rapidement nos émissions de CO2, c’est la sobriété énergétique. Celle-ci concerne d’abord les 10% les plus riches qui à eux-seuls émettent 50% du CO2 et devraient donc réduire drastiquement leurs émissions ! Mais ils n’en prennent pas le chemin, bien au contraire : ainsi voit-on par exemple que l’aviation d’affaires n’a jamais été aussi florissante alors que nous sommes à peu près sortis de la pandémie et que les ultra-riches pourraient sans crainte revenir sur les vols des compagnies aériennes, fut-ce en première classe. Alors, la seule manière de mettre un terme à cette boulimie de consommation d’énergie et de ressources naturelles chez les plus riches, c’est de réduire les inégalités de revenus, ce qui passe par une révolution fiscale majeure. « Au-delà d’un million je prends tout ! » disait Georges Marchais. Mais il parlait en francs ; aujourd’hui il faut prendre la même mesure, mais en euros (c’est ce que j’ai proposé dans NEMESIS Remettons le monde à l’endroit) ! Il faut bien sûr également mettre en œuvre une longue liste de mesures sur lesquelles tous les gens raisonnables s’accordent : développer les énergies renouvelables, isoler les bâtiments existants et construire de nouveaux bâtiments à énergie positive, dénoncer les accords de libre-échange, cesser le gaspillage sous toutes ses formes, produire local et durable, cultiver bio, réduire le nombre de véhicules en circulation, transporter le fret sur rails, aménager les territoires pour réduire à long terme les temps et distances domicile-travail, etc. 

Autrement dit, un monde meilleur est possible, mais sans l’épée de Damoclès du nucléaire au-dessus de nos têtes. Fort heureusement, les pays dans le monde qui ont eu la sagesse de ne pas avoir hypothéqué leur avenir avec cette industrie mortifère restent de très loin les plus nombreux. 


[1] Prométhée avait apporté aux humains un peu du feu du Soleil dans un bâton creux ; l’énergie ainsi disponible leur permit de développer la civilisation, pour le meilleur et pour le pire.  

[2] Après avoir encouragé le démantèlement du groupe Alstom en 2015, Macron encourage cette fois EDF à racheter à General Electric le secteur des fameuses turbines à vapeur pour un montant de 1,2 milliard d’euros, soit le double du prix auquel ce secteur avait été acquis par GE, sachant que l’industriel étatsunien s’est emparé au passage des brevets et de la technologie de ces turbines. Notons que l’intérêt de ce rachat dépend du lancement effectif d’un nouveau programme de centrales nucléaires, ce qui serait une erreur tragique. 

[3] Je n’ai pas corrigé certaines erreurs comme le fait que le minerai importé n’est pas traité à l’usine de la Hague spécialisée principalement dans le retraitement des combustibles retirés des réacteurs.

[4] Je fais ici référence au film de Stanley Kubrick sorti en 1964 en pleine guerre froide.  

[5] Commission de Recherche et d’Information Indépendante sur la Radioactivité.

Journée internationale des Droits de la Femme

Journée internationale des Droits de la Femme

Hier 8 mars, c’était la Journée internationale des Droits de la Femme.

Puisqu’il n’y a pas de journée de l’homme, tant qu’il y aura une journée de la femme, il n’y aura pas d’égalité entre les deux sexes. Mais qui pourrait demander que l’on abolisse la journée de la femme sans être soupçonné de complicité avec les hommes qui font de l’obstruction à l’encontre de cette demande d’égalité des droits entre les deux genres ? Pourtant, il faudra bien un jour qu’une telle journée n’ait plus de raisons d’être. Dans cette probablement très longue attente, je me demande tout de même s’il n’y a pas une autre forme de condescendance à l’égard des femmes en leur attribuant un jour dans l’année pour mettre leurs problèmes sur le devant de l’actualité, puis que l’on passe à autre chose dès le lendemain… 

Dans le préambule de notre Constitution, il est écrit que « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ». Cette précision est en soi discriminante tout comme l’est l’idée de journée de la femme ; on aurait tout aussi bien pu dire que « La loi garantit à l’homme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de la femme ». Voilà qui montre que peuvent souvent se cacher des résidus de préjugés sous des questions purement sémantiques. Si la rédaction d’une nouvelle constitution devait être engagée dans un proche avenir, il faudrait veiller à éliminer ce genre de formulation asymétrique en évoquant simplement que dans tous les domaines, la loi garantit des droits égaux à tous les êtres humains.  

Mais acceptons pour l’heure qu’un principe qui va sans dire aille souvent encore mieux en le disant haut et fort ! Il s’agit alors de s’assurer dans un premier temps que la loi y répond bien. Et là, les problèmes se compliquent car des différences de nature biologique vont introduire d’autres différences dans la manière dont les deux genres interagissent avec la société. Les différences entre le corps de la femme et celui de l’homme traduisent en premier lieu leur rôle totalement différencié dans la fonction de reproduction ; concrètement, la nature a attribué le rôle principal à la femme, ce qui représente pour elle une responsabilité majeure dans la pérennité de l’espèce. Voilà qui a justifié de longue date que des mesures spécifiques soient prises en faveur des femmes pour protéger leur intégrité physique et leur vie : en cas de naufrage d’un navire, ce sont les femmes et les enfants qui ont la priorité pour monter à bord des chaloupes; en cas de guerre, ce sont les hommes que l’on envoie au front même si des évolutions récentes dans certaines armées voient malheureusement des femmes participer aux combats. De façon similaire, les femmes qui participent à des travaux exigeant une force physique importante sont largement minoritaires par rapport aux hommes. A contrario, certains métiers tels que ceux de la santé, de l’enseignement ou du judiciaire deviennent de plus en plus des métiers de femmes. 

Cependant, les constats qui viennent d’être faits n’empêchent nullement que des formes moins visibles de discrimination existent dans nos sociétés « évoluées », même si nous devons admettre, et déplorer en même temps, que dans de nombreuses régions du monde, les discriminations conduisent à des mauvais traitements. Chez nous donc, deux problèmes se posent : 

  • Le premier est lié au rôle spécifique de la femme dans la « fabrication » des enfants et aux difficultés que cela soulève dans une société où le taux d’emploi global des femmes dans les divers secteurs d’activité est désormais à un niveau élevé proche des 70% : selon l’INSEE, en 2017, 67,6% des femmes de 15 à 64 ans étaient en emploi (contre 75,6% des hommes). Or, il apparaît que des garde-fous supplémentaires doivent être prévus pour les femmes dans le cadre de leurs maternités afin que le temps plein qu’elles y consacrent avant et après l’accouchement, et qui donc les éloigne pour quelques semaines ou mois de leur emploi, ne comporte pas le risque au retour de leur congé de maternité de ne pas retrouver leurs fonctions et de se voir déclassées dans un autre poste avec perte de salaire.
  • Le deuxième problème est sans rapport avec le premier : il s’agit de discrimination pure qui se traduit, toutes choses égales par ailleurs, par un différentiel de traitement par rapport aux hommes qui était globalement estimé en 2021 à plus de 22%. La seule manière de mettre un terme à cette injustice réside dans une loi prévoyant l’interdiction d’accéder à certains marchés, des sanctions financières, voire pénales, plus rigoureuses envers les employeurs qui persistent à pratiquer ce genre de discrimination. S’ajoute à ce différentiel de salaire le fait que le temps partiel contraint touche 80% des femmes ; là encore, il conviendrait de limiter le recours, souvent abusif, à cette forme d’emploi.

Il faudrait aborder bien d’autres formes d’inégalités entre hommes et femmes dans les milieux professionnels et dans la sphère politique : aujourd’hui, on ne compte qu’une seule femme à la tête d’une entreprise du CAC40, le Sénat n’a que 30% de femmes, l’Assemblée nationale 40% ; toutefois ces chiffres de 2017 sont en augmentation : 25% en 2014 pour le premier, 26% en 2012 pour le second. 

Mais la loi ne peut pas tout faire. Il faut aussi que les individus s’engagent, les femmes autant que les hommes, dans le combat politique pour que les conditions de vie de chacun s’améliorent, d’abord par des augmentations des bas salaires pour toutes et tous, tandis que sera respectée la norme qu’à travail égal doit répondre un salaire égal. Ensuite par des parcours professionnels qui suivent des développements semblables entre hommes et femmes. En bref, ni le seul fait d’appartenir au genre féminin, ni la vocation particulière qu’ont les femmes dans la reproduction des générations, ne doivent être la justification d’attitudes discriminatoires à leur égard. 

Ce qui pourra favoriser le partage encore très inégal des tâches domestiques entre hommes et femmes, c’est l’augmentation du temps libre avec notamment la semaine de 32 heures sur 4 jours qui permet par exemple aux deux parents de libérer 2 jours sur 5 pour s’occuper des enfants, soit au total 4 jours sur 7, pratique largement répandue dans quelques pays de l’Europe du nord comme la Hollande. Il est permis de penser qu’une telle organisation du temps de travail professionnel doit avoir un impact indiscutable sur le rééquilibrage des tâches domestiques au sein des couples, mais doit être aussi très bénéfique pour les enfants grâce au temps que les parents peuvent consacrer à leur éducation.

Le dernier point, et sans doute le plus insoutenable, réside bien sûr dans la violence physique faite aux femmes par certains hommes, violence dont les enfants sont souvent des victimes collatérales, un problème pour lequel des moyens importants doivent être dégagés pour la prise en charge et la protection de ces femmes et de ces enfants.  

En conclusion, si les grands principes de la République établissent que les hommes et les femmes sont égaux en droits, les réalités quotidiennes que connaissent de nombreuses femmes imposent que le corpus législatif actuel soit renforcé par des lois plus ciblées afin que soient réellement respectés ces grands principes. 

Bertrand

Lettre à Madame Julia Cagé

Lettre à Madame Julia Cagé

Chère Julia Cagé,

Diplômée de la plus prestigieuse des Grandes Écoles, « Normale Sup’ », votre autorité d’intellectuelle bénéficie sans nul doute de vos titres, mais la qualité de vos travaux contribue plus encore à la renforcer. 

Je dois en effet louer le travail que vous avez présenté dans un ouvrage dont j’ai terminé récemment la lecture : « Le prix de la démocratie » est une démonstration fondée sur une énorme recherche documentaire attestant du rôle pernicieux de l’argent dans le jeu démocratique, là où la démocratie tente, tant bien que mal, d’exister encore. Que le financement des mouvements ou partis politiques soit totalement déséquilibré en faveur des conservateurs et des catégories les plus privilégiées ne surprendra personne, mais votre livre apporte une telle quantité de données objectives à son appui que ce constat s’impose alors comme une évidence. 

Il eût été étonnant que vous ne proposiez pas des solutions qui permettent de corriger ces dérives, et vous le faites avec l’élégance de la simplicité avec vos « Bons pour l’égalité démocratique » (BED) qui permettraient à chaque électeur de financer l’organisation politique de son choix de manière parfaitement égalitaire, et ce indépendamment du revenu de chacun, puisqu’il s’agirait d’un financement public que vous proposez à hauteur de 7€ par électeur. 

Las ! combien d’excès, d’injustices ou de dérives de toutes sortes sont dénoncées année après année, sans que rien de significatif ne change puisque les propositions qui sont faites pour remettre le monde à l’endroit se brisent généralement sur l’obstacle d’une compétition électorale faussée. Voilà un autre constat affligeant qui indique que la démocratie tourne à vide, comme prise dans un piège diabolique. L’impossibilité de sortir de ce piège tient à la combinaison de deux atouts majeurs qui bénéficient aux puissants : celui que vous avez décrit avec précision dans « Le prix de la démocratie » et celui sur lequel les milliardaires ont fait main basse, à savoir les grands médias et que vous avez également traité dans « Sauver les médias : capitalisme, financement participatif et démocratie ».

Dès lors, comment sortir de ce piège ? 

En ce mois de février 2022, tout semble indiquer qu’il pourrait se refermer à nouveau sur celles et ceux qui veulent en finir avec cette farce électorale absurde qui consiste dans notre pays à mettre face à face au second tour de l’élection présidentielle des candidats qui se différencient, non par une volonté de changer les mécanismes d’un régime redevenu de fait censitaire, ou de corriger tous les excès d’un néolibéralisme destructeur du lien social et de l’environnement, mais à des degrés divers, par leur rapport à l’humanité, allant par exemple du déficit d’empathie pour les migrants à la xénophobie pure et simple aggravée d’un racisme rampant.

Au revers de cette face sombre de la société et du monde politique, il y a plus de lumière, mais l’image manque de netteté et les médias dominants prennent un malin plaisir à brouiller encore un peu plus la perception que pourraient en avoir les électeurs. Pourtant, il existe à gauche une véritable alternative qui interdirait la perversion que vous dénoncez du processus démocratique par l’argent ; cette option serait notamment fondée sur le renouvellement complet de nos institutions. 

Au même titre que le doigt qui montre la Lune est moins important que la Lune elle-même, s’il n’est pas inutile en démocratie de regarder celui qui nous montre un nouveau chemin, il est plus important encore de regarder très attentivement le chemin qu’il nous montre ! Alors le moment n’est-il pas enfin venu pour les personnes comme vous de mettre votre notoriété au service d’une grande cause en apportant votre soutien éclairé au seul projet en mesure de faire pièce aux quatre candidats de droite qui partagent la volonté de ne rien toucher au système capitaliste néolibéral ? Ce projet vous l’aurez compris est « L’Avenir en Commun ».  

Encore bravo pour vos travaux qui permettent de décrypter les mécanismes sournois qui sont à l’œuvre dans nos démocraties de plus en plus imparfaites !

Amicalement,

Bertrand THEBAULT

Essayiste