Pour répondre en deux mots : « ça dépend ».

Oui, ça dépend au moins de deux choses : du présent ressenti et du futur proposé.

Poursuivons l’arborescence : le présent ressenti peut être lui-même insupportable ou au contraire satisfaisant.

Et le futur proposé peut-être pire encore que le présent ressenti ou au contraire bien meilleur. 

Nous nous orientons ainsi vers plusieurs chemins qui conduisent à autant de réponses différentes à la question initiale.

Supposons que le présent ressenti soit insupportable : si le changement proposé est pire encore, alors oui, il faut en avoir peur ; si le changement apporte des améliorations significatives, alors non seulement il ne faut pas en avoir peur, mais il faut le désirer et tout faire pour le réaliser. 

Supposons maintenant que le présent ressenti soit satisfaisant : dans ce cas, il faut avoir peur de tout changement qui pourrait dégrader l’existant et peut-être lui préférer le statu quo, c’est-à-dire le non-changement ; mais si le changement proposé est susceptible de rendre le présent ressenti encore meilleur, alors il faut être sûr que les actions envisagées sont sans risque, moyennant quoi la réflexion peut conduire à l’une ou l’autre de ces deux réponses : en avoir peur ou ne pas en avoir peur. 

Traduire cette approche toute simple en langage politique est malheureusement très compliqué car le présent est ressenti de mille et une manières différentes.

En effet, il est difficile d’obtenir un consensus sur ce qu’est le présent : force est de constater par exemple que le présent est insupportable pour les millions de gens qui vivent avec un salaire de misère, dans la précarité, le mal logement et dans bien d’autres difficultés encore ; par contre il est tout à fait satisfaisant pour les privilégiés qui continuent de s’enrichir, y compris et parfois plus encore dans des situations de crise telles qu’une pandémie qui assure la fortune du « big pharma » ou une guerre qui fait le miel des marchands d’armes. De même, un présent qui montre chaque jour qui passe que notre environnement est en voie de destruction rapide compte tenu du réchauffement climatique, que l’air, l’eau et les sols sont durablement pollués, ou encore que des milliers d’espèces vivantes disparaissent, n’est pas ressenti de la même façon par tout le monde : certains y voient les effets de l’inconséquence des humains, d’autres des changements qui seraient d’origine naturelle, d’autres encore qui considèrent que ce n’est pas très grave car la science et la technologie parviendront toujours, d’une manière ou d’une autre, à compenser les désordres constatés. Et puis il y a tous ceux qui pensent que là où ils se trouvent, rien de dramatique ne peut leur arriver et que les catastrophes annoncées seront pour les autres, ou bien ceux qui, arrivés à un certain âge, estiment que tout cela importe peu puisque si fin du monde il doit y avoir, elle surviendra très certainement après leur propre fin…

Une telle diversité de perceptions ou d’incompréhensions du présent va se traduire par autant de réactions différentes aux propositions de changement. Il y aura toutefois une certaine convergence de réaction entre les satisfaits et les résignés : les uns et les autres seront soit hostiles, soit réfractaires au changement. Les satisfaits seront hostiles car ils veulent évidemment conserver un système qui leur assure une situation confortable et toutes sortes de privilèges. Les résignés, loin de se compter parmi les satisfaits, seront néanmoins réfractaires car tout a été entrepris par les satisfaits pour les persuader qu’il n’y a pas d’autre alternative, que le monde est ainsi organisé depuis toujours entre dominants et dominés, et que vouloir renverser cet ordre des choses relève de la pure utopie, voire ferait courir le risque d’aggraver encore leur situation, même si l’objectif des changements proposés est de l’améliorer. Ainsi grâce au prosélytisme habile des dominants qui affirment péremptoirement que vouloir changer l’organisation du monde est une chimère, se construit une alliance objective entre satisfaits et résignés, à l’avantage exclusif des premiers bien entendu. Toutefois, il y a encore deux façons d’être résigné : soit en apportant sa voix aux représentants des satisfaits, donc à ceux qui sont les vrais dominants, ce qui revient à se tirer une balle dans le pied ; soit en se détournant complètement de la vie démocratique, aussi imparfaite soit-elle, en s’abstenant d’y participer, ce qui revient à abandonner aux autres le pouvoir de décider ce que pourrait être le monde de demain.  

Mais il y a aussi la foule immense des insatisfaits qui ne s’en laissent pas conter par les dominants et pensent qu’un autre monde est possible. Là encore, ces insatisfaits sont exposés au prosélytisme de ceux qui ont vocation à les représenter et les défendre. Cependant, si les dominants affirment haut et fort qu’il n’y a qu’un seul système viable pour faire fonctionner le monde, ceux qui veulent démontrer le contraire peuvent être amenés à défendre des options radicalement opposées sur des question fondamentales telles que l’égalité en droits entre tous les citoyens, le respect de la diversité des croyances et des cultures ou encore la coopération plutôt que la compétition.

Tout ce qui vient d’être dit fait évidemment écho à la situation politique qui prévaut en ces temps de campagnes électorales décisives dans notre pays et chacun sera capable de mettre des noms sur les différents acteurs ou les différentes catégories sociales auxquels il a été fait allusion. Étant l’auteur de NEMESIS et du livre de chroniques qui lui est associé, je ne surprendrai personne en prenant le parti des insatisfaits qui n’ont pas peur du changement mais qui redoutent au contraire une aggravation catastrophique des conditions de vie sur cette planète si les peuples persistent à croire les mensonges de ceux qui veulent maintenir, quoi qu’il en coûte pour l’environnement et pour le bien-être des populations, un système mortifère qui exploite sans limites les potentiels humains et naturels dans le seul but d’accumuler des profits toujours plus astronomiques. 

J’encourage donc tous les insatisfaits résignés à ne plus être résignés et à rejoindre les millions d’entre nous qui ont déjà apporté leur soutien, sans peur et en toute confiance, à celles et ceux qui se battent pour construire un monde meilleur pour tous, sans distinction de couleur de peau, de religion, de culture et d’origine.

Non, il ne faut pas avoir peur du changement et il est urgent de l’engager ; non, l’histoire du monde ne s’est pas terminée avec l’effondrement de l’URSS ; oui, il y a fort heureusement des alternatives heureuses au néolibéralisme destructeur, et l’Histoire n’a cessé de nous montrer que le changement, en bien ou en mal, est une singularité attachée à toutes les civilisations, passées, présentes et futures. D’ailleurs, rien, absolument rien n’est figé dans l’organisation du vivant, y compris bien sûr dans les institutions qui sont le socle des grandes communautés humaines. 

Mais il faut faire le choix d’un changement qui ne nous ramène pas aux errements les plus sombres ou les plus injustes de notre histoire.  

Bertrand