Je reconnais très humblement avoir fait une lecture en diagonale des 150 propositions de la Convention citoyenne sur le Climat (CCC). Toutefois, ce ne sont pas les détails de chaque proposition qui importent dans la perspective de ce billet comme vous pourrez le constater.

De prime abord, je reste un peu sur ma faim. Le produit livré ressemble à un inventaire à la Prévert dans lequel on découvre une myriade de mesures ou mesurettes pouvant avoir un impact positif sur l’environnement, sans toutefois les raccrocher à un tronc solide qui, par dichotomies successives, se diviserait en branches et en rameaux. Avec cette métaphore adaptée à une problématique essentiellement environnementale, il faudrait aussi parler du sol dans lequel plongeraient les racines de ce que j’appellerai « l’arbre du bien-être ».

Celui-ci doit disposer d’une base contenant les éléments nutritifs fondamentaux nécessaires à son développement. Cette base est, bien sûr et avant tout, populaire. Notre arbre ne saurait se développer sans l’existence très majoritaire au sein de la population d’une volonté de faire naître un système de valeurs qui tourne résolument le dos à celles du système actuel. Autrement dit, ce bien-être ne pourra prospérer qu’à la condition de remplacer la primauté au marché, à la croissance et aux profits par des valeurs humanistes de respect de la vie sous toutes ses formes, de partage et d’entraide, et que la devise de notre République, liberté, égalité, fraternité, devienne une réalité convaincante. Les valeurs dont je parle sont la sève de cet arbre symbolique ; sans elles, il ne peut que végéter et dépérir. Pour dire les choses simplement, le monde nouveau ne pourra naître et grandir sans une volonté populaire affirmée, et traduite au plus haut niveau dans un vaste projet politique de progrès humain.

J’ajoute que ce changement de paradigme doit être donné en exemple et soutenu bien au-delà de nos frontières, car l’avènement d’un monde nouveau ne peut atteindre sa plénitude que s’il se développe à une échelle mondiale. L’évolution du climat en est la meilleure preuve : si les actions en faveur du climat se cantonnent à quelques pays de taille moyenne, l’impact restera insuffisant pour atteindre par exemple les objectifs de la COP 21. Mais il faut également considérer qu’un projet de société fondé sur la recherche obstinée du bien-être restera difficile à atteindre si trop de pays dans le monde continuent à bafouer les droits humains et les règles de l’Organisation internationale du Travail, à négliger toute forme de protection sociale ou encore à verser des rémunérations indignes. Tant qu’elles perdureront, de telles situations représenteront autant d’opportunités pour les affairistes de réaliser des profits grâce aux pays-usines à bas coûts, permettant de poursuivre cette division internationale du travail aux effets délétères, à la fois humains et environnementaux.  

 Loin de moi l’idée de dévaloriser l’important travail réalisé par des citoyens dont on ne peut que saluer la volonté de mener à bien un exercice qui nécessitait pour beaucoup d’entre eux de ne pas compter leur temps pour se familiariser avec des problématiques complexes. Pourtant, cela ne doit pas interdire de réagir à l’ensemble des propositions qui ont été faites, d’autant que le produit livré par la CCC n’a pas vocation à rester figé dans le temps, mais au contraire à susciter le débat d’idées dont sortira, espérons-le, un véritable projet de société capable d’emporter, le moment venu, l’adhésion du plus grand nombre de Français, à défaut d’emporter celle du pouvoir actuel.

 N’ayant pas participé à cette convention, je ne me permettrai pas non plus de critiquer la méthodologie qui a été mise en œuvre puisque je n’en connais pas la teneur. Je ne peux donc qu’évoquer une approche montrant comment elle aurait pu se construire sur la structure arborescente suggérée.

 J’ai déjà évoqué l’importance fondamentale de la sève fournie par les racines de l’arbre et du substrat nourricier dans lequel elles doivent s’enfoncer. Le tronc commun, c’est le bien-être de l’humanité, ce qui implique d’une part, de conserver un environnement compatible avec le maintien en bonne santé des humains, et d’autre part, de leur permettre d’accéder à la meilleure qualité de vie possible, deux éléments qui constituent les branches maîtresses de l’arbre du bien-être.  

 Ceci étant posé, le rôle de la CCC était a priori de « définir les mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale, à réduire les émissions de gaz à effet de serre d’au moins 40 % d’ici 2030 par rapport à 1990 ». Cette façon qu’a eue le Premier ministre de définir la mission de la Convention indique d’entrée de jeu que l’objectif spécifique de réduction des gaz à effet de serre (GES) doit être associé à des « mesures structurantes », ce qui est très vague, mais implique me semble-t-il de réfléchir d’une manière générale à tous les aspects de l’organisation de notre société qui peuvent avoir un impact, direct ou indirect, sur les niveaux d’émission de GES. Or, plus on y réfléchit, plus on découvre que les domaines concernés sont nombreux, d’autant que le Premier ministre fait également référence à l’esprit de « justice sociale », ce qui élargit encore plus le champ d’investigations et de propositions de la CCC ! Il n’est donc pas étonnant que certains membres de la Convention aient proposé par exemple une nouvelle réduction du temps de travail (RTT) hebdomadaire à 28 heures ; il est en effet facile de montrer qu’une telle mesure pourrait avoir un impact sur les émissions de GES, ne serait-ce qu’au travers des déplacements domicile-travail qui diminueraient de 20% en passant à la semaine de quatre jours pour celles et ceux qui ne peuvent pas bénéficier du télétravail. Malheureusement, cette proposition essentielle de RTT n’a pas été retenue. Cela dit il eût été sans doute plus acceptable de proposer la semaine de 32 heures en quatre journées de huit heures, ce qui suivrait un rythme comparable aux deux précédentes RTT avec le passage à 39 heures en 1982, à 35 heures au 1er janvier 2002, soit une diminution du temps de travail hebdomadaire de trois heures environ tous les 20 ans si l’on se fixait 2022 comme échéance de passage aux 32 heures…

Réfléchir au problème de l’environnement requiert de s’interroger d’abord sur les causes fondamentales de la crise climatique et de la dégradation rapide et inquiétante de notre biotope. Rappelons au passage que nous pourrions très bien avoir un réchauffement du climat sans avoir en même temps des pollutions de l’air, de l’eau et des sols dangereuses pour la santé, ou une disparition massive d’espèces de la faune et de la flore sauvages.

 Afin de ne pas répéter les conclusions du GIEC, nous dirons simplement que le réchauffement climatique répond aux lois de la thermodynamique : l’agitation de plus en plus intense des humains dans l’atmosphère terrestre se fait au prix d’une augmentation constante de leur consommation d’énergies fossiles, laquelle libère des GES qui séquestrent une partie du rayonnement solaire en l’empêchant de se rediffuser dans l’espace. Il va de soi que le phénomène s’est encore aggravé du fait d’une augmentation exponentielle de la population mondiale au cours des cent dernières années : en 1800, cette population avait atteint péniblement un milliard d’individus depuis ses origines, tandis qu’elle s’était accrue de la même quantité entre 1999 et 2011, soit en 12 ans ! D’autres facteurs interviennent de manière cumulative : l’effet de serre dû à la libération massive de dioxyde de carbone (C02) provoque le dégel du pergélisol, lequel libère à son tour du méthane, un GES au potentiel de réchauffement 34 fois plus élevé que le CO2. C’est pourquoi il faut s’attendre à un effet d’emballement de la température moyenne de l’atmosphère ; et les informations qui nous parviennent en ce mois de juin 2020 font craindre le pire : des températures extrêmes de +38°C ont été relevées en Sibérie, une immense région dans laquelle le pergélisol représente des millions de km2. Au moment où nous subissons les conséquences catastrophiques de la pandémie du Covid 19, le risque se profile de voir le pergélisol libérer des virus inconnus et potentiellement dangereux.

  Bien que l’augmentation du C02 dans l’atmosphère ne soit pas directement nuisible à la santé, on voit donc que le réchauffement climatique qu’elle provoque peut être à l’origine d’une cascade de conséquences très dangereuses. Citons-en seulement quelques-unes en plus du risque lié au dégel du pergélisol: insécurité alimentaire provoquée par la sécheresse, déficit d’eau potable, fonte des glaciers entraînant la montée des eaux des océans, laquelle menace de submerger des archipels ou des deltas densément peuplés, tous phénomènes d’origine climatiques qui génèrent des flux migratoires avec ce que cela peut représenter comme souffrances pour les populations concernées ; et pour finir, sans que la liste soit exhaustive, des évènements extrêmes de plus en plus fréquents tels que cyclones et pluies torrentielles avec leurs lots de victimes et de dégâts matériels.

Mais l’utilisation de combustibles fossiles pour produire de l’énergie affecte aussi directement la santé des populations en émettant des particules fines et d’autres émanations qui sont mortifères. Ces pollutions de l’air provoquent des millions de morts prématurées dans le monde chaque année suite à des complications respiratoires et cardio-vasculaires. Les grandes métropoles, l’environnement des principaux ports marchands et des aéroports internationaux présentent des niveaux de pollution tellement élevés qu’une surveillance s’impose afin de limiter le trafic, mais routier uniquement, lorsqu’il y a des pics de pollution ; malheureusement, cela n’entraîne que très rarement des mesures durables pour résoudre ces problèmes à moyen ou long terme.

Nous venons de voir l’impact sur l’environnement et notre santé de l’utilisation intensive de combustibles fossiles. Mais on ne peut que regretter que la CCC ait oublié de rappeler que l’énergie nucléaire utilise également des combustibles extraits du sol et qu’elle produit beaucoup de déchets ayant la fâcheuse caractéristique de n’être dégradés ni dans l’environnement, ni par aucun procédé technique ; bien au contraire, ces déchets sont les pires de tous car ils imposeront leur présence à l’humanité pour des siècles, voire des millénaires ! Par ailleurs, cette technologie présente, on le sait, des dangers sans précédent pour les êtres vivants et interdit toute présence humaine pour des durées indéterminées dans de vastes territoires autour des sites de catastrophes nucléaires comme celles de Tchernobyl et Fukushima. La transition énergétique doit conduire à l’utilisation de sources d’énergie renouvelables, mais aussi non dangereuses. 

Poursuivons l’examen des autres atteintes à l’environnement provoquées par les activités humaines en évoquant d’autres pollutions qui touchent à la fois l’air, les sols et l’eau. Elles sont par exemple liées à certaines activités agricoles qui utilisent des intrants chimiques à fortes doses. En prévision de ce qui sera dit plus loin à propos des accords de libre-échange (ALE), soulignons le fait que notre agriculture utilise massivement des aliments pour bétail importées de régions éloignées comme l’Amérique latine. Outre le fait que le transport maritime nécessaire à ces importations rejette du CO2 et des émanations toxiques, les cultures qui fournissent ces aliments consomment également des produits sous forme d’engrais et de pesticides que nous ne contrôlons pas et qui sont souvent interdits en Europe. Dans ce secteur, il faudrait donc que chaque pays établisse un bilan entre ce qu’il consomme par exemple en pesticides pour ses propres cultures et ce qui est consommé à l’étranger pour la culture des produits importés. De plus, des cultures extensives comme les palmiers à huile en Indonésie et en Malaisie conduisent à la destruction de millions d’hectares de forêts primaires, tout comme celles du soja et de la canne à sucre en Amazonie qui, en plus, menacent d’extinction des populations indigènes déjà décimées par des siècles de colonisation. Il apparaîtrait alors comme une évidence que la protection de l’environnement et la diminution des GES dans le secteur agricole appellent à la recherche de l’autonomie alimentaire en recourant autant que possible à des solutions locales comme le pâturage pour la nourriture des bovins.  

Quelles que soient les activités concernées conduisant à des productions agricoles, industrielles ou de services, les mesures spécifiques pour rétablir les équilibres perdus et retrouver une harmonie entre la nature et les humains ne pourront avoir l’efficacité désirée dans le contexte actuel de la globalisation puisque celle-ci est fondée sur des « valeurs » qui s’opposent frontalement au bien-être du plus grand nombre au profit d’une minorité disposant de pouvoirs exorbitants grâce à sa puissance économique et financière. Par conséquent, sans le changement de paradigme évoqué supra, les propositions de la CCC, à supposer qu’elles soient vraiment mises en œuvre, produiront un effet relativement marginal sur l’environnement et plus encore sur le bien-être des populations. Mais elles pourraient néanmoins avoir d’autres conséquences plus fondamentales :

  1. D’abord placer le pouvoir actuel face à ses contradictions : on ne peut pas éternellement avoir un discours dans lequel l’importance donnée à l’environnement est affirmée tout en continuant une politique qui tourne le dos à cette orientation ; mettre en place la CCC et poursuivre la mise en œuvre du CETA, laisser la Commission européenne signer des accords de libre-échange et d’investissement tous azimuts (Japon, Singapour, Vietnam, Mexique…), poursuivre des négociations commerciales avec de lointains pays comme l’Australie et la  Nouvelle-Zélande, et avec le MERCOSUR dont le principal état membre est le Brésil de Bolsonaro, ou encore réactiver les discussions commerciales avec les États-Unis de Trump, autant de réalités qui vont radicalement à l’encontre d’un projet favorable à l’environnement. La CCC aurait d’ailleurs dû évoquer beaucoup plus largement et précisément ces ALE et les règles de l’OMC qui donnent la primauté au droit commercial, seule la renégociation du CETA étant spécifiquement demandée ; par ailleurs, la demande d’inscrire des clauses environnementales dans les ALE aurait dû être assortie de mesures contraignantes. Citons encore l’exemple des aides massives accordées par le pouvoir actuel au transport aérien et à l’industrie automobile suite à la tragédie du Coronavirus sans que ne soit envisagé un vaste plan de développement pour le transport intermodal de marchandises entre le rail et la route afin de réduire radicalement la circulation des poids lourds sur longues distances. La CCC a fait des propositions de cette nature, ainsi que de diminuer l’usage de la voiture individuelle. Il est en revanche dommage que l’objectif de réduction progressive des trajets domicile-travail n’ait pas été proposé dans le cadre d’un politique d’aménagement de nos territoires.
  2. Deuxième conséquence positive : le battage médiatique fait autour des travaux et du rapport de la CCC contribuera au renforcement de la prise de conscience environnementale des citoyens, les préparant à des prises de positions éclairées lorsque sera venu le moment de faire un choix de société en 2022. Le débat qui s’amorce en ce mois de juin 2020 autour de ce rapport devrait ainsi permettre de faire apparaître l’incompatibilité totale entre les objectifs environnementaux et l’idéologie néolibérale qui a conduit à tous les dérèglements que connaissent nos sociétés, et ils ne sont pas seulement climatiques !

Le plus grand mérite de cette Convention citoyenne n’aura pas été de faire des propositions originales et innovantes – elles étaient par exemple déjà presque toutes inscrites dans le programme de l’un des candidats à la dernière élection présidentielle – mais plutôt d’avoir établi une nouvelle synthèse par un ensemble de personnes ne se réclamant d’aucune appartenance politique.

Toutes les mesures proposées, dont l’efficacité est évidemment variable, sont autant de verts rameaux qui s’agenceront pour former la frondaison de l’arbre du bien-être avec ses deux branches maîtresses de la santé et de la qualité de vie réunies sur un tronc solide prenant sa nourriture sur des racines plongées dans un terreau fertile où les valeurs humanistes seront plébiscitées par une majorité de citoyens.