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Les rencontres du dernier week-end d’août

Les rencontres du dernier week-end d’août

Ces deux photos ont été prises l’une le samedi 28 août au magasin Super U de Vierzon dans lequel j’ai vu défiler devant moi des personnes d’horizons très divers, certaines, hélas trop nombreuses, ayant déclaré qu’elles ne lisaient pas ou n’en avaient pas le temps ; l’autre a été prise le dimanche 29 août à Chanceaux-près-Loches au salon des Écrivains chez Gonzague Saint Bris où, une fois de plus, la pluie nous a épargnés, même si la température était très fraîche et le vent parfois assez fort pour faire tourner les pages de nos livres ! 

Bertrand

Week-end de rencontres

Week-end de rencontres

Un dernier rappel pour vous confirmer que je serai ce week-end des 28 et 29 août à Vierzon et Chanceaux-près-Loches pour y dédicacer mes deux livres, NEMESIS Remettons le monde à l’endroit et AUTOUR D’UN LIVRE Bienvenue chez Némésis

+Samedi 28 août 2021 de 14H30 à 18H30, dédicaces au magasin Hyper-U de Vierzon. 

            Adresse : 18 avenue du 19 mars 1962 18100 VIERZON

+Dimanche 29 août 2021 à partir de 8H30, dédicaces au salon des Écrivains chez Gonzague Saint Bris.

            Adresse : 37600 CHANCEAUX-PRES-LOCHES

A très bientôt,

Bertrand

Mise à jour rencontres

Mise à jour rencontres

Bonjour à toutes et à tous,

Les prochaines rencontres pour présenter mon nouvel ouvrage AUTOUR D’UN LIVRE Bienvenue chez Némésis permettront aussi de présenter à nouveau ou de dédicacer le précédent, NEMESIS Remettons le monde à l’endroit.

Au plaisir de vous rencontrer très bientôt!

+Samedi 28 août 2021 de 14H30 à 18H30, dédicaces au magasin Hyper-U de Vierzon. 

            Adresse : 18 avenue du 19 mars 1962

            18100 VIERZON

+Dimanche 29 août 2021 à partir de 8H30, dédicaces au salon des Écrivains chez Gonzague Saint Bris.

            Adresse : 37600 CHANCEAUX-PRES-LOCHES

+Mercredi 8 septembre 2021 à partir de 18H30, lecture-débat au Bistrot de l’Abbaye chez Christine et Sébastien.

Adresse : 1 rue de la Garenne18340 PLAIMPIED-GIVAUDINS

+Samedi 25 septembre 2021 de 10H00 à 12H30 puis de 15H30 à 18H30, dédicaces au magasin FNAC du Puy-en-Velay.

            Adresse : 23 boulevard Maréchal Fayolle 43000 LE PUY-EN-VELAY

+Dimanche 26 septembre 2021 de 10H00 à 18H00, dédicaces au salon du livre de Prades, Le Rocher d’écriture.

            Adresse : rue Basse 43300 PRADES

+Samedi 9 (14H00-19H00) et dimanche 10 octobre (10H00-12H00 et 14H00-19H00) 2021, dédicaces au salon du livre de Saint-Doulchard dans le Cher.

            Adresse : Domaine de Varye 18320 SAINT-DOULCHARD

+Samedi 16 octobre 2021 à partir de 15h00, dédicaces à l’Espace culturel Leclerc Auxerre.

Adresse : 14/16 avenue Jean Jaurès 89000 AUXERRE

+Samedi 30 octobre 2021 de 10H00 à 12H30, dédicaces à la librairie Marbot de Périgueux.

            Adresse : 17 boulevard Montaigne 24000 PERIGUEUX

+Samedi 30 octobre 2021 de 14H00 à 18H00, dédicaces au magasin Hyper-U de Périgueux-Boulazac.

            Adresse : Avenue Jacques Duclos 24750 BOULAZAC ISLE MANOIRE

+Samedi 13 et dimanche 14 novembre de 14H00 à 18H00, dédicaces au Salon du livre des Auteurs à Dourdan.

Adresse : Centre culturel Rue des Vergers Saint-Jacques, 91410 DOURDAN

            Ce programme est susceptible de compléments ou de changements dans les semaines à venir ; consultez de temps en temps mon blog (voir lien ci-dessous) ou le site de mon éditeur : www.editions-amalthee.com

            A bientôt,

Bertrand

Essai concluant

Essai concluant

La rencontre du samedi 3 juillet au Carré d’Art, la médiathèque de Montgeron, a réuni un petit groupe d’une dizaine de personnes pour la présentation de « AUTOUR D’UN LIVRE Bienvenue chez Némésis » selon une formule originale qui consistait, comme la plupart d’entre vous le savaient déjà, à lire une sélection de chroniques du livre et à débattre successivement du thème principal abordé dans chacune d’entre elles.

Tant sur le fond que sur la forme, il semblerait que le public présent ait apprécié l’échantillon des chroniques présentées. Quant au format, il a permis de donner du rythme à la rencontre, chaque chronique ne mobilisant pas plus de dix à quinze minutes, ce qui a permis d’aborder quatre chroniques en moins d’une heure, une cinquième ayant été lue « pour le plaisir » ! Au total, la rencontre a duré un peu plus d’une heure et quart. Il est probable qu’avec un public plus nombreux, les commentaires l’auraient été également et qu’il aurait fallu prévoir une session plus longue ou, éventuellement, de limiter les lectures à seulement trois chroniques.

Un résultat qui encourage à multiplier ce genre d’exercice permettant au public de passer un moment agréable tout en lui fournissant l’occasion de réfléchir à certains sujets, dont certains sont très lourds de conséquences sur notre vie actuelle et le seront sur celle de demain, pour nous-mêmes et pour les générations futures. 

Je vous tiendrai informés sur ce blog des prochaines rencontres de ce type…

Et je termine en renouvelant mes remerciements au public présent et bien sûr à la direction du Carré d’Art avec une mention toute particulière pour madame Caroline Ferrand.

Bertrand

Nouvelles rencontres, enfin!

Nouvelles rencontres, enfin!

Les rencontres entre auteurs et lecteurs peuvent enfin reprendre dans des conditions satisfaisantes, offrant ainsi la possibilité de découvrir de nouveaux ouvrages ou de redécouvrir des ouvrages moins récents. Pour le petit dernier, sorte d’avatar de NEMESIS, les opportunités se précisent jour après jour et il était temps de faire un premier point sur le programme des rencontres pour les semaines et mois à venir. Voici donc où et quand vous pourrez découvrir AUTOUR D’UN LIVRE Bienvenue chez Némésis au cours de dédicaces, de lectures-débats et de salons du livre :

  1. Samedi 3 juillet 2021 à partir de 15H00, lecture-débat au Carré d’Art, la médiathèque de Montgeron. Adresse : 2 rue des Bois 91230 MONTGERON
  2. Samedi 28 août 2021 de 14H30 à 18H30, dédicaces au magasin Hyper-U de Vierzon. Adresse : 18 avenue du 19 mars 1962, 18100 VIERZON
  3. Dimanche 29 août 2021 à partir de 8H30, dédicaces au salon des Écrivains chez Gonzague Saint Bris. Adresse : 37600 CHANCEAUX-PRES-LOCHES
  4. Samedi 25 septembre 2021 de 10H00 à 12H30 puis de 15H30 à 18H30, dédicaces au magasin FNAC du Puy-en-Velay. Adresse : 23 boulevard Maréchal Fayolle 43000 LE PUY-EN-VELAY
  5. Dimanche 26 août 2021 de 10H00 à 18H00, dédicaces au salon du livre de Prades, Le Rocher d’écriture. Adresse : rue Basse 43300 PRADES
  6. Samedi 9 (14H00-19H00) et dimanche 10 octobre (10H00-12H00 et 14H00-19H00) 2021, dédicaces au salon du livre de Saint-Doulchard dans le Cher. Adresse : Domaine de Varye 18320 SAINT-DOULCHARD
  7. Samedi 30 octobre 2021 de 9H30 à 12H30, dédicaces à la librairie Marbot de Périgueux. Adresse : 17 boulevard Montaigne 24000 PERIGUEUX
  8. Samedi 30 octobre 2021 de 14H00 à 18H00, dédicaces au magasin Hyper-U de Périgueux-Boulazac. Adresse : Avenue Jacques Duclos 24750 BOULAZAC ISLE MANOIRE
  9. Samedi 13 et dimanche 14 novembre de 14H00 à 18H00, dédicaces au Salon du livre des Auteurs à Dourdan. Adresse : Centre culturel Rue des Vergers Saint-Jacques, 91410 DOURDAN

            Ce programme est susceptible de compléments ou de changements dans les semaines à venir ; consultez de temps en temps mon blog ou le site de mon éditeur : www.editions-amalthee.com

            A bientôt,

Bertrand

Lecture et débats

Lecture et débats

Il semblerait que la vie culturelle reprenne peu à peu ses droits !

Ainsi, celles et ceux qui le pourront sont chaleureusement conviés à participer à la rencontre du 3 juillet prochain à la médiathèque du Carré d’Art à Montgeron, 2 rue des Bois, à partir de 15H00.

Si le temps le permet, nous essaierons de nous installer à l’extérieur.

Je vous présenterai rapidement AUTOUR D’UN LIVRE Bienvenue chez Némésis.

Mais le format de cette rencontre sera surtout centré sur la lecture de quelques-unes des chroniques de ce nouveau livre. Après chaque chronique consacrée à un sujet particulier, vous aurez la parole et un échange que j’espère fructueux pourra s’engager. Gageons que du choc des idées pourra jaillir quelque lumière !

Notez cette date dans vos agendas, électroniques ou non !

A bientôt,

Bertrand

Baby-Boomers

Baby-Boomers

Je ne suis pas totalement sûr des conclusions qu’il faudrait tirer de ce que je vais écrire dans cette nouvelle réflexion qui ne peut s’appuyer sur des données statistiques que je ne possède pas et que je ne prendrai pas le temps de chercher et d’analyser. Mon propos va donc s’appuyer exclusivement sur des souvenirs personnels, mon expérience propre et les comportements de personnes de mon entourage.

Le problème qui occupe mon esprit depuis quelques jours plus que de coutume concerne les discours mille fois entendus sur la responsabilité supposée de la génération née après-guerre dans l’émergence des problèmes auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés. Au cours de la période 1946-1964, dite des Baby-boomers, la fécondité en France avait atteint des niveaux records, dépassant 3 enfants en moyenne par femme en 1948 (contre 1,79 en 2020), d’où l’utilisation de cette expression anglaise. Notons à l’occasion que ce phénomène s’est également produit à l’issue de la Première Guerre mondiale, son côté spectaculaire sur les graphiques étant accentué par le fait que pendant les années de guerre, la fécondité s’était effondrée avant d’effectuer une remontée brutale une fois la paix revenue.

Mais qu’en est-il de la responsabilité des Baby-boomers dans nos difficultés actuelles ? Certains discours n’hésitent pas à citer pêle-mêle la croissance insoutenable de l’économie et l’épuisement des ressources naturelles à laquelle cela conduit, la consommation effrénée de biens et services, le productivisme, la dette qui sera laissée aux générations futures, le chômage associé à la précarité, les inégalités d’un niveau … inégalé, le financement des retraites et bien sûr le dérèglement climatique ! 

Je ne doute pas un instant que de nombreux spécialistes se soient livrés à de savantes recherches sur ce thème récurrent et j’invite ceux qui le peuvent et le souhaitent à indiquer sur ce blog des sources qui permettraient à mes lecteurs et moi-même de se forger un jugement équilibré sur le sujet. Pour ma part, je vais seulement exprimer ici mon ressenti en espérant qu’il pourra aussi contribuer à faire la part des choses. 

Comme je ne veux pas refaire tout un pan de notre histoire, ni écrire ma biographie qui n’intéresserait d’ailleurs pas grand monde, je vous propose une série chronologique d’aperçus qui, mis bout à bout, devraient, je l’espère, illustrer ce qu’a pu être la vie de ceux qui sont nés dans les années 50 ou un peu avant, ce qui est mon cas. Je tiens à souligner que mon témoignage ne saurait à lui seul être représentatif des conditions de vie qui prévalaient à cette époque. Toutefois, nombreux sont les représentants de cette génération à avoir connu le cadre de vie qui est évoqué. Il conviendra néanmoins de distinguer les deux groupes humains que sont les gens des villes et les gens des campagnes : les premiers étaient évidemment « en avance » sur les seconds en termes de confort, de conditions de travail ou de loisirs, même si les ouvriers des usines n’avaient pas grand-chose à envier aux travailleurs de la terre qui étaient encore très nombreux.

Nous sommes en 1955 dans un petit village du Berry. 

J’ai six ans. Les rues de mon village sont en chantier : partout des ouvriers s’affairent à ouvrir des tranchées pour y déposer de gros tuyaux. Bientôt, finies les corvées d’eau entre le puits qui se trouve au centre du bourg et la maison, fort heureusement assez proche. Bientôt, il y aura un robinet au-dessus de l’évier de la cuisine, un endroit où l’on prépare et prend ses repas, mais aussi où l’on fait bouillir la lessive, repasse le linge et fait sa toilette, bref, un lieu où se concentre l’essentiel de la vie du foyer. Bientôt enfin, les aller-retours épuisants au lavoir avec une brouette chargée de linge vont s’interrompre, l’eau du robinet permettant d’effectuer brossage et rinçage à la maison.

J’ai sept ans. Au pied de l’escalier qui mène à l’étage où se trouvent les chambres, le téléphone sonne de temps en temps et me réveille parfois. Cet équipement avait sans doute son utilité compte tenu des activités diverses de mes parents, à moins qu’ils n’aient été comme ceux qui, au fil des décennies, succomberont par millions à la fascination de la technologie ! Le numéro de téléphone était simple : 4, ce qui indiquait que nous étions le quatrième foyer à avoir installé cet appareil dans le village. Coffre en bois vernis accroché au mur, combiné rutilant, cet objet a conservé toute sa beauté, aux antipodes du plastique éphémère de nos derniers téléphones portables…    

J’ai huit ans. Sur le chemin de l’école, je passe devant un bâtiment en construction. Des maçons italiens taillent des pierres une à une pour la façade des bains-douches municipaux. Chaque fois, je les observe dans leur travail avec intérêt. La mairie a décidé qu’une fois par semaine les enseignants des deux classes du village pourraient conduire les élèves à ce nouvel établissement pour y prendre une douche gratuitement. Pour tous les enfants ou presque, ce sera une découverte, même si les parents les plus aisés commencent à doter leur maison d’une salle de bain depuis l’arrivée de l’adduction d’eau. Dans cet endroit précurseur de l’hygiène corporelle moderne, le garde-champêtre, maître des lieux, fera régner la discipline !

J’ai neuf ans. Mon frère de sept ans plus âgé que moi sort de notre lit au petit matin de cette fin d’automne. Il fait encore noir et froid dans la chambre car il a gelé cette nuit et au lever du jour, je gratterai avec mon ongle les grands feuillages de givre sur les vitres de la fenêtre. Mais sous la couverture, l’édredon et le couvre-pieds, il fait chaud. Avant de m’être moi-même levé pour partir à l’école, mon frère sera déjà au milieu du vacarme et de la poussière que produit la batteuse au fur et à mesure qu’elle avale les gerbes de blé, d’orge ou d’avoine. Est-il sur la meule ou dans une grange en train de déposer une à une les gerbes sur le convoyeur qui les amène sur la batteuse où elles seront saisies par un autre ouvrier qui les délie et les fait glisser dans le batteur, ou bien enfile-t-il les fils de fer dans les aiguilles métalliques de la grosse presse qui crache lentement de lourdes bottes de paille ? La nouveauté, c’est ce gros camion qui a déposé une benne près de la batteuse : le grain n’a plus besoin d’être récupéré dans des sacs de jute d’un quintal, mais peut se déverser directement dans la grosse benne. Cependant, il faut quand même prendre soin de remplir encore quelques sacs : leur contenu sera utilisé au moment des prochaines semailles. 

J’ai dix ans. J’aime passer du temps dans la petite épicerie que tient ma mère. Je fais là tout ce qui est à ma portée : ranger méticuleusement les marchandises dans les rayons après une livraison, apprendre à peser sur les deux balances Roberval, faire les additions et rendre la monnaie sous contrôle maternel. Derrière les quatre portes du gros réfrigérateur en bois se trouvent les produits laitiers. Les clientes viennent avec leurs pots en verre pour acheter un peu de crème fraîche, un peu de moutarde prélevée dans un grand seau ou un peu de café ; j’aime moudre le café avec l’appareil rustique vissé sur le comptoir à cause du bruit que font les grains de café qui se broient et de l’odeur tellement agréable qui envahit alors le petit magasin. 

J’ai onze ans. Le directeur de l’internat du collège impose une discipline sans concession. Il est par exemple obligatoire d’avoir vidé le contenu de son assiette pour être autorisé à sortir du réfectoire. Nous avons donc des sacs en plastique que nous remplissons discrètement au cours du repas et mettons avec précaution dans nos poches pour ensuite déverser dans les toilettes de la cour ce que nous avons trouvé immangeable. Au dortoir, les conditions ne sont pas meilleures qu’à la maison : chauffage minimal et un grand bac en zinc surmonté d’une rangée de robinets de cuivre pour faire sa toilette à l’eau froide. Pas de douches bien sûr. 

J’ai douze ans. Début des vacances scolaires d’été. Préparations pour la moisson des quelques hectares de céréales qu’exploite mon père: affuter les lames de la moissonneuse-lieuse déjà ancienne fabriquée aux États-Unis et dont les mécanismes ingénieux me fascinent, en particulier le système qui permet de nouer automatiquement chaque gerbe avec de la ficelle de sisal ; installer les toiles qui feront monter les tiges de céréales vers la lieuse, bref, mettre en parfait état de marche cet outil indispensable entraîné par le vieux tracteur Massey-Ferguson. Dans les champs, j’aide au ramassage des gerbes déposées en rangées par la moissonneuse et à faire des tas en forme de croix qui protégerons les épis de la pluie en attendant de les charger dans une remorque accrochée au vieux tracteur ou dans une charrette tirée par un cheval. 

J’ai treize ans. Mes parents et mon grand frère viennent de repartir après m’avoir accompagné dans cette école située à plus de 300km du village natal. On m’a donné un paquetage complet : sous-vêtements, chemise, pantalon, veste, manteau et brodequins cloutés. Me voilà habillé de bleu pour continuer maintenant mes études dans ce coin de Normandie. La discipline est sévère mais on mange correctement et le confort est sans comparaison avec celui de mes deux premières années d’internat. Cela dit, chaque classe ne se rend au bâtiment des douches que deux fois par semaine pour se retrouver en tenue d’Adam dans une grande pièce équipée d’une batterie de pommes de douche au-dessus de nos têtes. 

J’ai quatorze ans. Aux vacances d’été, je découvre une innovation importante à la maison avec l’installation d’un chauffage central alimenté par une nouvelle cuisinière à bois et charbon. Le problème, c’est que le feu s’éteint la nuit et s’il fait un peu moins froid le soir au moment de se coucher, les matins d’hiver, la température redevient vivifiante ! Et chaque matin, il faut donc vider les cendres et rallumer le feu, tâche qui échoit invariablement à ma mère !

J’ai quinze ans. Mes parents m’offrent mon premier vélo, volé six ans plus tard sur un campus universitaire. Grâce à lui, mes deux mois d’été deviennent plus ludiques et je me lance dans une pratique assidue de la Petite Reine, parcourant les routes qui traversent les villages alentours. Ce vélo élargit donc mon horizon jusqu’à m’éloigner à des distances de 50 à 80 km de chez mes parents. Mais toutes les vacances se passent au village, l’idée même de le quitter, ne serait-ce que pour une semaine au bord de la mer ou à la montagne, n’ayant jamais été envisagée un instant par mes parents, comme d’ailleurs par tous les gens de la campagne enchaînés à leurs animaux d’élevage.

J’ai seize ans. Deux jeunes professeurs d’histoire-géographie, nommés ès qualité le temps de leur service militaire, ont proposé d’organiser une présentation-débat sur la constitution de la Vème République. L’évènement doit se dérouler dans le cinéma de l’école. Il y a dans la salle beaucoup d’élèves, mais aussi l’encadrement qui a le privilège de disposer d’une rangée de fauteuils de velours rouge au beau milieu de la salle, tous les autres étant en bois. Au bout d’une demi-heure la situation se tend dans les échanges entre la salle et la scène où sont installés les deux enseignants. Alors que les arguments favorables ou critiques à l’égard de notre encore très nouvelle constitution prennent une tournure de plus en plus politique, le colonel commandant l’école se lève et prend d’autorité la parole pour interrompre prématurément la rencontre…

J’ai dix-huit ans. Entrée en classes préparatoires. A cause de travaux de rénovation des locaux, deux dortoirs d’élèves des classes de mathématiques supérieures ont dû être regroupés ; nous dormirons donc pendant toute l’année scolaire à plus de 70 élèves dans des lits métalliques superposés. La nuit, on entend les craquements du plancher noirci au brou de noix lorsque l’un d’entre nous doit se rendre aux toilettes situées à une extrémité de ce long dortoir. Le bâtiment des douches a été compartimenté sans qu’il soit toutefois possible de régler la température de l’eau laissée à la discrétion d’un employé qui est prié de réagir prestement aux appels sonores qui s’élèvent dans la grande salle quand l’eau est trop froide ! La première émission de télévision couleur est inaugurée le 1er octobre de cette année 1967. 

J’ai dix-neuf ans. Mai 68. Tout se passe à l’extérieur. Nous obtenons de recevoir quelques journaux ; Le Monde nous révèle au jour le jour ce qu’il se passe à Paris et ailleurs. Nous restons sagement confinés dans l’ancien monastère jésuite ; on ne manifeste pas en veston bleu marine à boutons dorés ! 

J’ai vingt-et-un an. Pour la première fois de ma vie, les vacances ne vont pas se passer entièrement au village natal ! En août, nous partons vers la Turquie et la Grèce dans une SIMCA 1000 achetée d’occasion par un camarade de classe prépa. Quatre passagers s’entassent dans cette petite voiture : trois garçons et une fille, ma future épouse. En juillet, nous avons tous les deux travaillé dans un hôpital, elle en cancérologie, moi en psychiatrie. Le maigre salaire que nous avons gagné devra couvrir nos frais de voyage pendant un mois. Les conditions seront spartiates : au pied du mont Olympe, nous dormons dans un camping à la belle étoile. La voiture tombe en panne en Grèce, nous obligeant à effectuer le retour en auto-stop avec un accident assez grave en Yougoslavie. Mais ce premier voyage hors des frontières de l’Hexagone restera inoubliable, avec la première traversée des Alpes et de plusieurs pays, la première découverte de la mer et de ses plages !  

J’ai vingt-quatre ans, marié et père d’un premier enfant. Les séjours au village natal sont désormais de plus en plus courts et de moins en moins fréquents. Le confort de la maison des parents s’est à nouveau amélioré : une chaudière au fuel a été installée dans la cave ; exit la vieille cuisinière dont la place est maintenant occupée par la petite gazinière, laquelle a libéré assez de place pour installer cet équipement de première importance : une machine à laver le linge. Une nouvelle vie a commencé pour ma mère !  

Premier choc pétrolier.  

Les Trente Glorieuses touchent à leur fin. Giscard devient Président de la République en 1974 pour un septennat qui verra des progrès d’ordre sociétal avec la légalisation de l’avortement, mais aussi une progression du chômage qui contribuera sans doute à sa défaite en 1981. Dès lors, l’idéologie ultralibérale des Thatcher et Reagan va conduire au saccage de la planète. A la fin des années 80, les idéologues de l’École de Chicago considèrent que la messe est dite : l’Histoire est finie, il n’y a plus d’alternative au pouvoir des marchés et de la finance. Circulez, il n’y a rien à voir!

Mais quels enseignements faudrait-il tirer des aperçus que j’ai donnés sur la jeunesse d’un Boomer très particulier ? 

D’abord, personne ne pourra contester que le bilan environnemental de cette jeunesse-là constituerait aujourd’hui une performance hors de portée en termes d’économies d’énergie et de frugalité dans les habitudes de consommation ! Si ce mode de vie avait perduré, la question du réchauffement climatique ne serait pas à l’ordre du jour, pas plus que l’épuisement des ressources naturelles. Quant aux concepts tels que l’écologie et la protection de l’environnement, ils émergeaient très timidement dans la société et le monde politique avec, en 1974, la présence de René Dumont comme premier candidat écologique à une élection présidentielle sous la Vème République. 

La biographie en pointillés que j’ai fournie montre néanmoins qu’entre le début des années cinquante et le début des années soixante-dix, des améliorations des conditions de travail et du confort domestique étaient apparues : le camion qui déposait une grande benne pour recueillir le grain évitait le portage de lourds sacs, l’adduction d’eau, le chauffage central et le lave-linge rendaient la vie plus agréable et allégeaient considérablement les tâches ménagères. Mais chaque amélioration enregistrée conduisait aussi à mobiliser plus de matières premières et plus d’énergies fossiles. 

Pouvions-nous alors imaginer un instant qu’une fois les besoins essentiels satisfaits, la société marquerait le pas et ne ferait évoluer que très lentement les équipements et infrastructures existants, ou introduirait peu de nouveaux produits à l’utilité plus marginale ? 

Cette hypothèse était évidemment des plus improbables compte tenu des puissants facteurs qui poussaient à la fuite en avant engagée depuis un demi-siècle, sachant que les Européens dans leur ensemble ont subi de surcroît l’influence des Nord-Américains dont le mode de vie dans les années de l’après-guerre était déjà largement marqué par un recours massif aux innovations technologiques et à une consommation d’énergie sans limite. Les facteurs auxquels je pense sont de trois ordres :

  1. Les progrès techniques obtenus dans de nombreux domaines, dont certains étaient des retombées des programmes de recherche et développement sans précédent qu’avait demandé la conduite de la guerre contre l’Allemagne et le Japon. Citons par exemple les avancées fantastiques accomplies dans le secteur de l’aviation militaire, ce qui permettra au transport aérien civil de se développer très rapidement. Tous les sauts technologiques obtenus en quelques années iront désormais irriguer de nombreux secteurs de l’industrie des biens d’équipements. Il est certain que le Plan Marshall a également contribué à accélérer l’introduction de la « mécanisation » d’un grand nombre d’activités au sein de l’Europe occidentale dans les années cinquante. 
  2. La nécessité pour le monde capitaliste d’assurer une croissance continue de la production et des profits ; aux États-Unis, il fallait bien compenser l’effondrement du haut niveau des activités liées à l’effort de guerre une fois la paix revenue. J’ai souligné dans NEMESIS comment le monde marchand fera ensuite preuve d’inventivité pour que la production et les ventes se maintiennent à un niveau élevé malgré un taux d’équipement des ménages couvrant largement les besoins essentiels ou de plus en plus accessoires, l’ultime trouvaille étant l’obsolescence programmée. 
  3. Le faible prix de l’énergie qui permettait à la fois de mécaniser les moyens de production aussi bien dans l’agriculture que dans l’industrie, d’utiliser sans restriction le pétrole pour améliorer les performances des moyens de transport et de proposer aux ménages toute une série d’équipements améliorant leur confort, mais consommant de plus en plus d’électricité et d’énergies fossiles.

A ce stade de la réflexion, il semblerait donc que le procès intenté aux Baby Boomers soit quelque peu injuste. En effet, les trois facteurs évoqués ci-dessus ne sont pas spécifiques d’une génération, mais d’un contexte historique, scientifique, technologique et capitalistique. Il faut avant tout ne pas se tromper de cible : les orientations majeures prises par les sociétés humaines dans la deuxième moitié du XXème siècle ne sont pas les conséquences d’une volonté partagée des peuples, mais celles d’une minorité de dominants au large éventail générationnel. En effet, que ce soit dans nos démocraties ou dans les systèmes totalitaires, jamais les choix fondamentaux et essentiels pour le bien-être des populations n’ont été mis en débat et encore moins mis aux voix ! 

Cette situation perdure en ce début de XXIème siècle, et ce, malgré le rôle qu’ont pris les réseaux sociaux et les organisations de la société civile. Si l’on s’en tient au seul exemple de la France, a-t-on jamais invité le peuple à débattre et à trancher sur des sujets aussi importants pour notre sécurité et notre bien-être que la nucléarisation massive de notre pays, que le développement d’une agriculture intensive en moyens mécaniques et chimiques, qu’une politique de délocalisation à grande échelle de nos entreprises dans les pays-usines à bas coûts, que l’absence de politique d’aménagement du territoire qui conduit à des transhumances quotidiennes de millions de personnes entre domicile et lieu de travail, qu’une construction européenne incohérente qui met les travailleurs des pays les plus riches de l’Union en compétition avec ceux des pays les plus pauvres, qu’une libéralisation incontrôlée du transport aérien qui conduit à banaliser les voyages en avion, etc. ? 

Bien sûr, ceux qui ne veulent pas renverser la table vous diront que les consommateurs sont responsables de ce qu’ils font et de ce qu’ils consomment. Voilà un argument fort discutable : si ce qui était proposé par les marchands dans la période des Trente Glorieuses correspondait effectivement à la satisfaction de besoins pour plus de confort et de qualité de vie, très vite, l’offre a dérivé vers des produits nouveaux dont l’utilisation avait des effets de plus en plus marginaux sur le confort au quotidien. Les marchands des quatre dernières décennies ont donc réussi à implanter la société du gadget et du produit éphémère ou à usage unique. Au cours de cette période, les gaspillages astronomiques de matières premières et d’énergie ont donc atteint des niveaux insupportables pour l’environnement et les ressources limitées de la planète. 

Et qui a décidé que la civilisation « moderne » devrait être entièrement organisée sur une utilisation à très grande échelle des technologies du numérique pénétrant jusque dans les replis les plus intimes de la vie de chaque citoyen ? Réponse : une poignée d’individus, tous de nationalité étatsunienne, très jeunes pour certains. Aucun roi, aucun empereur, aucun souverain aussi puissant qu’il ait pu être n’avait réussi par le passé à imposer sa vision du monde à la planète entière. Mais il faut noter que la prise de pouvoir par ces quelques individus n’a pas été remise en question par les politiciens adeptes du libéralisme ; bien au contraire, ils ont constamment encouragé ce déluge de technologies numériques, réduisant avec enthousiasme les effectifs des services publics pour transférer aux citoyens des tâches administratives effectuées sur des outils informatiques personnels devenus quasi indispensables ! Tant pis si les TIC consomment autant d’énergie que le transport aérien ; d’ailleurs, s’il est maintenant question de décarboner ce secteur et d’en limiter la croissance, rien de tel avec les TIC ! Voilà un bel exemple de mode de vie qui a été imposé aux habitants de la planète sans que la moindre résistance ait été opposée. 

Dans les années 60, personne n’était obligé d’acheter une voiture, un lave-linge, la télévision, de faire installer une salle de bain ou une ligne téléphonique ; aujourd’hui, quelques illuminés étatsuniens vous obligent sans avoir à vous le dire à posséder un téléphone « intelligent » ou « à la mode » (smart !), et si vous êtes étudiant en ces temps de Covid, à disposer d’un ordinateur portable pour suivre des cours ou passer des examens à distance…  

J’en reste là, car cette longue note devient accablante pour les jeunes générations… pardon, pour celles et ceux d’entre nous qui dominent le monde actuel, ou pour tous à la fois ! 

Bertrand  

Sous la courbe en cloche (Partie III et fin)

Sous la courbe en cloche (Partie III et fin)

Troisième et dernière partie de cette série d’articles à lire bien sûr dans l’ordre!

Sous la courbe en cloche (Partie III et fin)

En se plaçant dans une perspective historique, nous pourrions affirmer cette évidence que les sociétés ont toujours été dirigées par une minorité qui se situait le plus souvent à l’extrémité obscure de la courbe en cloche. L’humanité des XXème et XXIème siècle n’a donc pas changé. En revanche, la technologie a fait des bons de géant : dans l’armement, cela a permis à quelques va-t-en-guerre de déclencher deux conflits mondiaux, le dernier s’étant clôturé par le feu d’artifice apocalyptique de deux explosions nucléaires ; quant aux performances de plus en plus époustouflantes des circuits électroniques utilisant l’effet transistor, elles ont également permis des explosions, a priori moins dangereuses que la bombe, dans les capacités de stockage et la rapidité de traitement de l’information, le débit des systèmes de communications à distance permettant de transmettre des volumes impressionnants de données, de sons et d’images, le tout avec des circuits de plus en plus miniaturisés et d’un coût accessible à une grande partie de la population. Enfin, la technologie spatiale a permis de mettre en orbite un nombre sans cesse croissant de satellites qui apportent une multitude de services : prévisions météorologiques, systèmes de navigation d’une précision inégalée, télécommunications, observation de la Terre, etc. 

Aux plus déterminés à conquérir fortune et pouvoir, ces progrès techniques stupéfiants ont donc fourni des outils d’une puissance longtemps inimaginable et leur ont permis de dominer le monde sans avoir à mobiliser le premier GI. Un temps porté par l’industrie cinématographique et Disney, le soft power de l’Empire étatsunien a donc vu sa puissance décuplée avec les TIC et une poignée d’individus déterminés à en exploiter toutes les ressources. Comptant sur la fascination de millions de consommateurs pour la technologie qui leur était proposée, l’introduction d’équipements et de logiciels applicatifs de plus en plus sophistiqués s’est faite en douceur, insidieusement. Les « bénéficiaires » et la société en général ont réalisé bien trop tard que ces nouvelles utilisations d’une technologie en progrès constant, imaginées et mises en œuvre par quelques inconnus, allaient imposer des changements profonds dans l’organisation de la société, affectant notamment les relations humaines en les dématérialisant à outrance, privant les citoyens des relations qu’ils avaient l’habitude d’entretenir avec des personnes bien réelles pour leurs démarches administratives, leurs achats ou leurs loisirs. L’accès à la culture utilise les mêmes procédures « distancielles » que pour commander et se faire livrer à domicile n’importe quel produit qui se trouve sur les étagères des entrepôts géants d’Amazon, tandis que les cinémas et les salles de spectacles se vident peu à peu. 

Ainsi, partout dans le monde, la société s’atomise chaque jour un peu plus par la volonté d’individus qui ne se soucieront jamais de démocratie tant que leur gouvernement les laissera entièrement libres de mener leurs affaires et n’imposera pas trop lourdement leurs profits astronomiques. Diviser pour régner ! Ou atomiser pour affaiblir ! De ce point de vue, les GAFAM auront rendu un sacré service aux dictateurs de la planète, mais aussi à des dirigeants démocratiquement élus qui ne souhaitent pas trop s’embarrasser de longs débats avec les représentants de la société civile, voire avec les représentants élus de la nation ! Quant aux réseaux sociaux, ils peuvent certes permettre de rassembler un million de personnes pour signer une pétition, mais combien seront-elles pour manifester dans la rue ? Or, malgré l’impact relatif que peuvent avoir les innombrables pétitions signées chaque jour qui passe, jamais elles n’intéresseront autant les médias et n’inquiéteront autant le pouvoir que des manifestations qui rassemblent des foules nombreuses ou se poursuivent pendant des mois comme ce fut le cas avec les Gilets jaunes. En France tout particulièrement, il va sans dire que la répression féroce des manifestations et la pandémie du coronavirus qui impose des semaines de confinement n’auront fait qu’amplifier cette tendance à l’isolement des individus. 

Chacun pour soi, chacun chez soi. De toute manière, c’est vrai, on marche sur la tête, mais qu’y pouvons-nous ? « Ils » ont le pouvoir. L’autre conséquence à laquelle a certainement contribué le succès des GAFAM aura été de multiplier le nombre d’« aquabonistes » sous la partie centrale de la courbe en cloche. Là se serrent des millions d’individus résignés qui ne participent même plus à cette action minimaliste de la vie publique qui consiste de temps en temps à aller glisser un bulletin de vote dans une urne. Voilà qui ne fait que renforcer la minorité dominante qui n’aurait plus besoin pour se maintenir au pouvoir que du soutien de ceux, minoritaires également, qui se situent du même côté obscur de la courbe en cloche. 

Mais me direz-vous encore, pourquoi ceux qui se situent du côté lumineux de cette courbe ne réussissent-ils pas également à conquérir le pouvoir et à s’y maintenir ? Émettons deux hypothèses. La première pourrait être qu’ils ont une plus faible propension à vouloir exercer toute forme de pouvoir. Ils veulent le bien de l’humanité, mais attendent que cette humanité, d’un même élan, s’empare du pouvoir pour combattre les inégalités et éradiquer la pauvreté, comme tenta de le faire la Commune en 1871 ; en somme que le peuple prenne le pouvoir pour le peuple puisqu’il est a priori le mieux placé pour décider de ce qui est bon ou mauvais pour lui. Mais l’autre raison pourrait être plus importante d’un point de vue pratique : les individus qui se trouvent dans cette queue de distribution n’ont pas non plus comme objectif de se constituer des fortunes extravagantes. De ce fait, ils se privent, si l’on peut dire, de moyens essentiels pour faire connaître et partager leur idéal aux indécis, aux résignés et à tous les « aquabonistes ».

Ces hypothèses conduisent à une contradiction : pour en sortir, il faudrait d’abord avoir été du côté obscur de la courbe et, ayant amassé de gigantesques fortunes au détriment des humains et de la nature, les utiliser ensuite pour promouvoir un projet de société qui s’opposerait justement à la possibilité de constituer indûment de telles fortunes… Autrement dit, les Bill Gates, Jeff Bezos, Mark Zuckerberg et consorts devraient basculer du jour au lendemain du côté lumineux de la courbe, rachetant par exemple les plus grands médias pour faire adhérer les populations non pas au dogme ultra libéral, mais à un nouveau projet de société dans lequel la respectabilité ne serait plus attachée à la fortune et au pouvoir personnel, mais à des vertus comme l’entraide, la compassion, le don de soi et le respect dû à chaque être humain, mais aussi à la vie en général ; en somme, un parcours personnel des plus improbables chez ces milliardaires et qui évoque plutôt celui du prince Siddhartha Gautama, plus connu sous le nom de Bouddha.

Nous voilà donc rendus, au terme de ces quelques épisodes de remue-méninges, à une situation plutôt désespérante : pour l’heure, ce sont les ultra riches qui détiennent le pouvoir dans toutes ses dimensions, celle d’organiser à leur main les chaînes de production afin de maximiser leurs profits, celle d’imposer à la planète les modes de consommation qui assurent une croissance permanente de leurs chiffres d’affaires, celle de soustraire une large part de leurs profits à l’impôt, celle de continuer à détruire notre environnement et enfin, mais ce n’est pas la moindre, celle de contrôler les esprits grâce à leur mainmise sur les grands médias… 

Pour terminer malgré tout cette longue analyse par une note d’espoir, posons que si nous sommes de plus en plus nombreux à avoir compris la nature et la difficulté du problème posé, alors nous aurons fait un premier pas dans la bonne direction, celle qui permettra de trouver le bon chemin pour remettre le monde à l’endroit. Qui n’a pas entendu un jour son prof de maths déclarer qu’un problème était résolu à 50% dès lors que l’on avait parfaitement compris son énoncé ?

Fin provisoire…

Bertrand Thébault

Sous la courbe en cloche (Partie II)

Sous la courbe en cloche (Partie II)

Il est indispensable d’avoir lu d’abord la partie I avant d’entamer cette lecture.

Sous la courbe en cloche (Partie II)

Tout le monde aura compris que l’objectif de ce discours est de souligner le fait incontestable que le destin des sociétés et du monde est entre les mains de ceux qui appartiennent aux « queues de distribution » de la courbe en cloche et que leur action peut refléter des comportements qui visent deux sortes d’objectifs antagoniques : agir pour le bien ou agir pour le mal. 

Autrement dit, la marche de l’humanité ressemble à la marche d’une armée : elle ne s’oriente ni ne se dirige selon des choix faits individuellement ; ses mouvements sont guidés par quelques-uns, parfois par un seul, et la multitude est entraînée, souvent à son corps défendant, vers un destin qui sera enviable ou désastreux. Mais me direz-vous, il y a des circonstances, dans les régimes les plus démocratiques, où c’est bien la majorité qui fixe les orientations de la société ! A y regarder de plus près, dans le passé comme en ce début de XXIème siècle, il est difficile de considérer que notre mode de vie et l’organisation de la société reflètent une volonté commune, y compris dans nos démocraties, tellement elles sont imparfaites. 

Prenons par exemple les choix de développement qui ont été faits dans le monde occidental, puis dans le monde entier, depuis la fin des années 70 : celui d’une économie mondialisée qui place le commerce et la finance au-dessus de toutes les autres priorités. Existe-t-il un seul gouvernement au monde qui ait consulté, après les avoir dûment informés, ses concitoyens sur la pertinence d’un tel choix ? A ma connaissance, aucun ! Pourtant, ce choix d’une économie ultra-libérale est extrêmement lourd de conséquences pour les habitants des pays développés, avec des délocalisations d’entreprises vers des pays-usines à bas coûts qui provoquent des licenciements massifs, la précarité de nombreux travailleurs confrontés à la concurrence de millions de chômeurs, une stagnation du pouvoir d’achat, des pertes de recettes fiscales qui creusent les déficits publics et conduisent à des mesures d’austérité affectant la disponibilité et la qualité des services publics, la dégradation de l’environnement et ses effets délétères sur la santé, etc. 

Nous pourrions prendre bien d’autres exemples aussi essentiels pour la sécurité et le bien-être des populations : quelles sources d’énergie, quelle agriculture, quel système de santé, quel aménagement du territoire, quelle politique de l’environnement, quelle fiscalité faudrait-il adopter ? A deux reprises en France, il y avait bien eu un semblant de volonté de consulter le peuple sur deux sujets majeurs : le projet de traité constitutionnel européen et l’appel à une Convention citoyenne sur le climat. Tout le monde connaît la suite : le « non » au projet de traité a été jeté au panier et les propositions de la CCC ont été presque toutes ignorées, preuves s’il en fallait du manque total de respect qu’ont de nombreux dirigeants à l’égard de leurs concitoyens. 

Les évolutions constatées au cours des dix dernières années ne vont pas dans le sens d’une amélioration de nos malheureuses démocraties, bien au contraire, puisque notre mode de vie d’aujourd’hui est sournoisement organisé par quelques individus. Ils se placent à l’extrémité de la courbe de Gauss et constituent la nomenklatura de ceux qui ont tout : le pouvoir et la fortune. Ils ont tout parce qu’ils représentent cette infime minorité dont l’avidité, l’égoïsme et le besoin de dominer sont dans les gènes. Dépourvus de compassion, même s’ils la simulent parfois – et ils se font alors appeler « milliardaires philanthropes ! » – ils ont réussi en exploitant les progrès de la technologie ainsi que les potentiels naturels et humains, tout en manœuvrant pour échapper à l’impôt, à se constituer des empires oligopolistiques qui s’étendent à tous les continents et s’insinuent profondément dans notre vie privée. 

J’ai bien sûr nommé les GAFAM. Nous devons prendre conscience de cette situation sans précédent dans l’histoire du monde : une poignée d’individus, tous étatsuniens, ont réussi avec la complicité de leur gouvernement, à nous faire adopter un mode de vie qui leur aura permis d’amasser en une ou deux décennies des fortunes inouïes et de détenir beaucoup plus de pouvoir que la plupart des gouvernements de la planète ! Désormais, personne ne saurait passer à travers les mailles de plus en plus serrées de cette immense toile qui enferme la population mondiale. Pourtant, comme dans bien d’autres domaines que nous avons cités, aucun dirigeant, quelle que soit son appartenance politique ou sa zone géographique, n’a vraiment cherché à freiner l’ascension fulgurante de ces quelques individus et encore moins à consulter sa population sur les dangers que tant de pouvoir concentré en si peu de mains pouvait représenter pour la démocratie et l’indépendance des peuples. Tout au plus pouvons-nous voir certains médias fournir quelques informations sur les performances commerciales et financières de ces géants à la croissance exponentielle, et évoquer de temps à autre des préoccupations sur notre totale dépendance à leurs prestations fondées sur les technologies de l’information et de la communication (TIC). Notons incidemment que la pandémie du coronavirus n’a fait qu’accélérer cette dépendance et permis du même coup à ces entreprises de se développer encore plus vite et d’accroître encore plus leur emprise sur les populations de la planète. 

(À suivre)

Bertrand

Sous la courbe en cloche (Partie I)

Sous la courbe en cloche (Partie I)

Les trois textes postés à quelques jours d’intervalle sur ce blog s’enchaînent et portent tous le même titre « Sous la courbe en cloche » ; ils sont donc à lire dans l’ordre : Partie I, Partie II et Partie III. Le graphique montré ici aidera ceux qui ne sont pas familiarisés avec la représentation d’une distribution « gaussienne » à la compréhension des développements qui vont suivre. Cette courbe représente les valeurs constatées dans la taille des Français, hommes et femmes confondus.

Prenez un groupe de quelques centaines d’individus, mettons des hommes d’âge adulte ; l’expérience donnerait un résultat similaire avec des femmes. Passez-les un à un sous la toise et portez chaque valeur relevée sur un graphique : l’axe horizontal des abscisses représentant l’échelle des tailles, à chaque mesure, vous mettez une croix au-dessus de la taille trouvée. Peu à peu, vous allez voir se dessiner un graphique dans lequel les tailles les plus souvent trouvées se situeront par exemple autour de 1,75m. Plus vous vous éloignerez de cette valeur, moins il y aura d’individus concernés : aux deux extrêmes, à gauche et à droite de 1,75 m, il y aura très peu d’individus parmi les plus petits ou parmi les plus grands. La forme de la courbe ainsi obtenue évoque celle d’une cloche. Cette répartition statistique se retrouverait de la même manière si on avait fait passer ce groupe d’hommes sur une balance : leurs poids se répartiraient également selon cette courbe en cloche que l’on appelle plus doctement courbe de Gauss, du nom du mathématicien, physicien et astronome allemand qui en a fourni l’équation.

Au-delà des mesures physiques que nous venons d’envisager – la taille et le poids – il serait également possible de faire ce genre d’expérience sur les performances intellectuelles d’un groupe de personnes, mais cette fois sans séparer les hommes et les femmes : la mesure de leur QI donnerait également une courbe en cloche avec des valeurs variant typiquement de 55 à 145, le plus grand nombre d’individus se situant autour de 100. Soulignons le fait que les résultats expérimentaux évoqués se présentent selon une distribution d’allure gaussienne, mais ne peuvent suivre la perfection de la courbe mathématique qui comporte un nombre infini de points alors que nos échantillons se limitent à quelques centaines ou quelques milliers de mesures. 

Ces résultats illustrent la diversité des caractéristiques physiques et intellectuelles des humains, mais aussi que la distribution statistique de ces paramètres révèle une donnée constante du vivant : chaque espèce se développe autour d’une moyenne avec une dispersion de valeurs bien représentée par une courbe de Gauss. C’est pourquoi on ne trouvera pas dans les résultats d’expériences comme celles suggérées ci-dessus, par exemple un grand nombre d’individus qui mesureraient 1,25m ou 1,95m et une minorité qui mesureraient 1,75m.

Dans ces conditions, ne serions-nous pas fondés à penser que les caractères psychologiques et moraux pourraient suivre une telle loi ? 

Nous savons, grâce au chercheur italien Giacomo Rizzalatti, que le cerveau possède dans sa zone frontale des neurones dits miroirs qui permettent de s’identifier à quelqu’un d’autre et de ressentir ce qu’il ressent, autrement dit qui sont le siège de l’empathie. Cette capacité à prendre conscience de ce que vit et ressent une autre personne n’est à l’évidence pas uniformément partagée et l’on pourrait supposer que la tendance des humains à éprouver de l’empathie suive également une loi de Gauss ; sur l’axe des abscisses, nous pourrions avoir des degrés d’empathie évoluant ainsi entre des valeurs très basses et des valeurs très élevées.

L’absence quasi complète d’empathie correspondrait à une incapacité à percevoir l’état psychique et physique d’autrui, autrement dit à l’apathie la plus totale, soit un niveau d’indifférence qui s’apparenterait à certains symptômes de l’autisme ; au contraire, une empathie très développée impliquerait une identification forte et spontanée à la situation d’une autre personne. Entre ces deux extrêmes, tous les degrés de l’empathie s’organiseraient autour d’une valeur centrale, sorte d’état moyen dans lequel, sans être absente, l’empathie n’est pas spontanée : un stimulus particulier pourrait l’éveiller, par exemple la présentation d’un reportage poignant sur les conditions de vie d’une population confrontée aux malheurs de la guerre. Mais cette activation de l’empathie retomberait assez vite car les individus concernés n’ont pas de propension particulière à diriger naturellement leurs pensées vers les problèmes des autres.

La situation se complique lorsqu’il faut envisager les comportements associés à ces divers niveaux d’empathie. 

Une empathie très développée ne s’accompagne pas forcément de compassion, bien que nous ayons tendance à associer les deux phénomènes : ainsi, le sadique trouve-t-il le plus grand plaisir à commettre des crimes parce qu’il a pris pleinement conscience des douleurs qu’il inflige à ses victimes ; tandis que l’être animé de compassion recevra comme une gratification morale le fait d’avoir réussi à soulager la souffrance qu’il a ressentie chez les autres. Selon les réactions qu’elle induit, une forte empathie pourrait donc être « négative » ou « positive ». 

Quant aux individus à l’empathie « moyenne », ils pourront présenter des comportements très variés : plus faciles à manipuler, ils pourront aussi bien être entraînés sur la pente obscure de la courbe en cloche que sur la pente lumineuse, les uns basculant dans la violence ordinaire, et les autres dans l’aide aux personnes en difficultés, mais dans l’un et l’autre cas, ils n’éprouveront pas d’émotions très marquées ; ce sont des gens qui ne veulent pas d’histoires, et pour éviter d’en avoir, ils se soumettront à l’autorité et feront ce qui leur est demandé avec plus ou moins de conviction.  

Ainsi, à l’indifférence totale jusqu’à l’empathie la plus profonde, nous pourrions associer des comportements minoritaires qui peuvent s’orienter spontanément vers le mal absolu ou vers le bien le plus édifiant, tandis que l’immense majorité glissera plus ou moins, selon les circonstances et le rôle exercé par la minorité la plus influente, soit vers le côté obscur, soit vers le côté lumineux de l’humanité. Là encore, nous pourrons sans aucun doute retrouver une distribution gaussienne de tous ces comportements, du plus odieux au plus admirable. L’Histoire nous montre cependant qu’en cas de crise majeure – guerre, révolution, famine… – la minorité « agissante » a su, plus souvent qu’il n’aurait fallu, entraîner une partie de la majorité « silencieuse » dans des aventures tragiques : massacres, génocide, guerre, dictature, collaboration avec l’ennemi, tandis que les exemples opposés ont été beaucoup plus rares quand ils ont conduit à plus de liberté, plus de démocratie, plus de respect des droits humains avec des figures comme celles du Mahatma Gandhi, de Nelson Mandela, de Martin Luther King ou encore des résistants contre la barbarie nazie. 

(À suivre)

Bertrand