Guillaume Apollinaire est mort il y cent ans – le 9 novembre 1918 exactement – non pas de sa blessure de guerre, mais de la grippe espagnole. Il évoquait le monde dans lequel il a trop brièvement vécu avec un talent éblouissant. Parmi les centaines de poèmes qu’il a composés – je dis composés et non écrits, car la poésie est une musique faite de mots – figure ce court poème dans lequel il parle de l’automne qui a « fait mourir l’été » et de ces « deux silhouettes grises » qui s’en vont lentement dans le brouillard.

En ce début du mois de décembre, l’été est bien mort et enterré et les dernières feuilles ont été ramassées dans mon jardin. Oubliées les longues journées d’un été sans fin baignées de soleil mais sans qu’une seule goutte de pluie ne vienne les rafraîchir. La grisaille et l’air humide se sont installés, la nature s’est endormie et le manque de lumière incite à la mélancolie.

Pourtant, ce ne sont pas des silhouettes grises qui apparaissent dans les brumes matinales, mais une multitude colorée comme si les premières jonquilles étaient déjà écloses alors que nous ne sommes qu’aux portes de l’hiver. Et de ce va et vient coloré qui gagne nos villes et nos campagnes monte une clameur faite de cris, de chants et de protestations qui nous indiquent que ce ne sont pas des fleurs, mais bien des humains qui colorent cet automne improbable.

Et lorsque l’on s’approche pour mieux entendre leurs paroles, on comprend alors qu’ils doivent être les messagers de Némésis et que, ulcérée par l’arrogance de ces humains qui vivent dans la plus extrême opulence, la déesse s’est levée en brandissant son glaive et a décidé que l’heure était venue de leur infliger un châtiment mérité.

Bertrand Thébault