Visiteuses et visiteurs de salons littéraires ou clients de librairies où j’étais invité pour une dédicace de mon essai, combien d’entre vous venus bavarder avec moi se sont gentiment moqués de ce sous-titre « Remettons le monde à l’endroit » en me faisant remarquer qu’il y avait du travail pour parvenir à ce résultat ! Je dois reconnaître que cette remarque de bon sens se trouve malheureusement validée par les décisions prises au cours des deux dernières années par la Commission européenne dont la politique n’est rien d’autre que le reflet du consensus des chefs de gouvernement européens en faveur d’une économie d’orientation néolibérale qui donne la prééminence à la liberté de commercer ou d’investir ici et là sans contreparties en termes de droits humains, de conditions de travail, de protection sociale, de normes sanitaires proscrivant la présence de résidus toxiques dans nos aliments, ou soupçonnés de l’être par application du principe de précaution, et enfin de protection de l’environnement dans toutes ses composantes. Inutile d’examiner tous ces accords de libre-échange (ALE) qui ont été passés entre l’Union européenne et le Canada (CETA), le Japon (JEFTA) et Singapour.  

Je vais me contenter d’évoquer un peu plus longuement le nouvel ALE passé tout récemment entre l’Union européenne et le Vietnam. Signé le 30 juin 2019 à Hanoï, cet accord a été soumis le 12 février 2020 au vote du Parlement européen (PE) sans que ces évènements ne fassent les titres des journaux ou d’annonces dans les radios et les télévisions. Pourtant, faut-il répéter que l’accumulation de tels accords, rédigés de manière encore plus permissive que dans le cadre de l’OMC, supprimant par exemple la quasi-totalité des droits de douane, ont un impact considérable sur notre emploi (délocalisations, licenciements, précarité, stagnation des salaires), notre consommation, y compris notre alimentation, et plus largement sur l’environnement puisque ces accords vont générer encore plus de trafics maritime, routier et aérien, donc plus de pollution et plus d’émission de GES (Gaz à effet de serre). Il faut encore dire que le Vietnam n’est pas une démocratie, les droits de l’homme y sont bafoués, les conditions d’emploi très dures et les salaires indigents. Nombre d’organisations de la société civile ont tenté d’attirer l’attention de la Commission puis des députés du PE sur les conséquences de ce nouvel ALE. En vain !

Par 401 voix pour, 192 voix contre et 40 abstentions, les députés européens ont donné massivement leur aval à cet accord ! Notons également que le même jour, le PE a voté en faveur du financement de 55 projets gaziers en Europe. Est-ce ainsi que les dirigeants européens et le PE ont l’intention de concrétiser la profonde mutation écologique annoncée avec le « Green Deal » ?

Je voudrais tout de même terminer par une information qui laisse quelque espoir et m’incite à penser qu’il ne faut pas renoncer à remettre le monde à l’endroit. Dans le vote précité, les députés français se sont prononcés sur l’accord avec le Vietnam par 27 voix contre, 25 pour et 2 abstentions (je pourrai donner à ceux qui le souhaitent la répartition des votes par famille politique). Donc, si tous les pays européens avaient voté comme la France, ce nouvel accord avec le Vietnam aurait été rejeté ! Pour ce long billet, j’ai donc choisi un extrait de mon essai qui se veut résolument optimiste (p256) :

Toutefois, il n’est pas déraisonnable de penser qu’un projet de transformation de la société qui tourne résolument le dos au capitalisme financier et promeut un mode de développement soucieux de solidarité, de redistribution équitable des richesses et de protection de l’environnement, corresponde mieux à la culture gréco-latine qu’à la culture anglo-saxonne dans laquelle on peut englober l’Allemagne. Il n’est pas à cet égard inintéressant de noter que l’année 2015 avait commencé avec une belle victoire de la gauche en Grèce, pays méditerranéen entre tous. Il est donc plus probable qu’un tel tournant soit pris par la France ou l’Italie plutôt que par l’Allemagne. Si l’un de ces deux pays latins avait en plus le soutien de deux ou trois autres pays du pourtour méditerranéen comme la Grèce, l’Espagne et le Portugal, un effet de contagion pourrait naître parmi les autres peuples européens où l’on commencerait à percevoir qu’un modèle de développement radicalement différent est possible, bref, qu’un monde nouveau est non seulement accessible, mais que son avènement est indispensable à la reprise du développement humain.

 Bertrand