Quoi de plus anxiogène que d’entendre jour et nuit sur les chaînes de radio et de télévision la litanie des chiffres indiquant la progression du nombre de cas infectés par le Covid19 et du nombre de décès qu’il provoque ! Sans oublier les conséquences économiques, la menace du chômage partiel ou total et la perspective de voir ses revenus encore amputés quand ils sont déjà trop faibles. Et pour finir, l’incertitude totale sur la durée de cette crise sanitaire, économique et bientôt sociale.

Pourtant, ne devrions-nous pas mettre une situation aussi exceptionnelle en perspective, prendre du recul pour que l’arbre coronavirus ne nous cache pas l’immense forêt de la souffrance au quotidien de centaines de millions d’êtres humains dont le temps de vie est amputé de cinq ans, dix ans, voire plus, à cause d’un état de santé dégradé par de dures conditions de travail et par une qualité de vie médiocre liée à la faiblesse des revenus. Ajoutons que les conséquences sanitaires du changement climatique et de la pollution sont également autrement plus désastreuses que celles d’un virus de la grippe (sauf à remonter jusqu’à la Grippe espagnole) : selon l’INSERM, lors de la canicule de l’été 2003 le chiffre de surmortalité s’est élevé à 19 490 pour la France, à plus de 20 000 en Italie et à quelque 70 000 pour toute l’Europe ; quant à la pollution aux particules fines, elle serait à l’origine chaque année de 48000 morts prématurées rien que pour la France.

Loin de moi l’idée qu’il ne faille pas apporter toute l’attention requise pour endiguer la progression d’une maladie infectieuse comme le coronavirus, mais quand nos sociétés vont-elles enfin s’attaquer aux principales causes de ces morts prématurées qui constituent la pire forme d’inégalité quand elles trouvent une correspondance aveuglante avec les inégalités de revenus entre individus et de richesse entre les nations du monde ? Sur la période 2009-2013, l’INSEE indique qu’entre les individus hommes sans diplôme et ceux qui ont suivi des études après le baccalauréat, l’écart moyen d’espérance de vie à 35 ans est de 7,5 années ; pour les femmes, cet écart est de 4,2 années. Et il ne s’agit là que de moyenne ; dans cette période de résistance de la population aux attaques menées par le pouvoir en place contre notre régime de retraite, des exemples encore plus dramatiques ont été mis en lumière par certains médias comme la surmortalité particulièrement élevée des égoutiers parisiens qui conduirait, selon certaines sources, à une diminution de 17 années de leur longévité par rapport au reste de la population.

Loin de remédier à ces inégalités, tout ce que les dominants entreprennent contribue au contraire à les accentuer : partage des richesse de plus en plus inégalitaire entre les ultra-riches et le reste de la population, saccage systématique des ressources naturelles et de l’environnement, systèmes de santé au bord de la rupture, accélération de la division mondiale du travail avec de nouveaux accords de libre-échange qui entraînent un accroissement des émissions de GES et de polluants, et pour finir, dégradation continue de notre système de retraite imposant des départs de plus en plus tardifs de la vie dite « active ».

Pour conclure ce billet, je me contenterai de donner un court extrait de mon essai (p.387) :

« Parmi toutes les violences qui s’exercent dans ce monde, il en est une qui est silencieuse comme le temps qui passe, mais inacceptable : c’est celle qui consiste à réduire injustement pour des millions d’êtres humains cette chose si précieuse qu’est le temps libre en bonne santé. »

Bertrand