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Le bon sens est la chose la mieux partagée

jean-paul Decrock

“Le bon sens est la chose la mieux partagée” écrivait Descartes. L’amour est pourtant un défi au bon sens. Et nous sommes nombreux à le partager. Mais dans un couple, il y a toujours l’un des deux qui aime plus que l’autre. Parfois même l’un des partenaires n’éprouve aucun sentiment. Se servant de l’illusion créée voire de la naïveté de son partenaire pour atteindre des buts plus terre-à-terre. Satisfaire un besoin d’indépendance financière voire de détenir une position sociale dominante. Bien entendu, on n’a que faire des moyens utilisés pour atteindre les objectifs visés. Ces « opportunistes » sont des êtres déshumanises. Dans cette catégorie, nous placerons celles que nous appelons les « Veuves Noires ». Elles n’ont aucun scrupule pour se servir de leurs charmes quitte à éliminer physiquement ou à détruire moralement leurs proies.

Dans l’enquête menée par nos inamovibles investigateurs Declercq et Le Pendu, nous ferons connaissance avec l’une d’entre elles : Jeanne O’Connell. Nous nous apercevrons toutefois que ces « Veuves Noires » sont  parfois victimes de leurs propres traquenards. A semer la désolation on récolte souvent des colères aveugles capables de réduire à néant les objectifs visés par ces « drôles de femmes ». On bute dans ces passionnés qui ne peuvent accepter d’être mis à l’écart. On en paye alors le prix fort.

Extrait de « Une veuve noire chez les ch’timis »

CHAPITRE PREMIER
JEANNE ET ADRIAN

Jeanne O’Connell montait d’un pas alerte la côte de l’Arsenal. Celle qui menait à sa demeure perdue dans le bois des Écureuils.

— On parle d’arsenal et d’écureuils. De nos jours, il n’y a plus de dépôt d’armes et de munitions ; et quant aux « squirrels », leur nombre se réduit. La cause ? Cette déforestation agressive afin de laisser place aux labours.

À ses côtés gambadait Adrian, son petit chien. Un pedigree que lui avait confié l’un de ses anciens amants. Ce « Cavalier King Charles Spaniel » avait le poil noir et blanc auréolé de quelques arcs de rousseur. Et le regard continuellement empli d’inquiétudes.

À la vue de la maison, Adrian s’élança pour rejoindre le pas de porte. Il s’allongea sur l’une des marches de l’entrée et attendit sa maîtresse. L’œil coquin. Il se délectait à l’avance de la douceur de son panier et de la pâtée qui lui serait servie.

— Sacripant ! lui murmura Jeanne. Tu ne penses qu’à ton bien-être ! et de lui caresser le museau.

Puis elle tourna la clef dans la serrure. Le chien courut immédiatement vers la cuisine et monta sur l’un des bancs entourant la petite table recouverte d’une nappe de carreaux rouges et blancs. Adrian attendait son repas du soir. Jeanne lui apporta sa ration, et dès lors, on perçut les mouvements saccadés de son appendice buccal lapant l’assiette. Puis, une fois repu, le chien se dirigea vers le salon pour y retrouver son panier. Jeanne pendant ce temps-là ranimait le feu. Très rapidement une onde de chaleur se répandit dans la salle qui était également bien fournie en radiateurs électriques. Il faisait bon chez Mme O’Connell.

Cette demeure lui avait été léguée par testament. Le donateur était celui qui lui avait confié son chien. Le regretté Brian mort d’un cancer. Jeanne avait « fréquenté » cet Anglais lors de son séjour en Irlande. Une liaison qui avait fait grand bruit. Brian dut rompre, et fut contraint de quitter le Royaume-Uni. Il rejoignit la France. Dans sa prime jeunesse, il avait séjourné dans une localité du Pas-de-Calais dénommée « Bonne-Adresse ». Près de Lens. Il y revint et acheta cette gentilhommière dont Jeanne avait hérité.

Certaines langues prétendaient que ce « rosbif » avait dans sa jeunesse eut le béguin pour une fille du village. Aussi était-il venu la rejoindre mais la dulcinée avait disparu et personne ne savait où son destin l’avait emmenée. Jeanne connaissait ces racontars mais elle les avait rangés dans le fond d’un tiroir. Notre Irlandaise – à la demande de Brian – avait posé ses valises dans cette bourgade. Son ex-amant était condamné par la médecine et il avait souhaité que Jeanne le rejoigne pour l’assister dans ses derniers moments. Son arrivée fut remarquée. Que voulez-vous ! Les habitants d’une bourgade n’ont pas beaucoup de distractions ; et voir une Irlandaise débarquer chez ce malade de British apportait son lot habituel de questions.

— Qui est-elle ? demandait-on au maire du village.

— Je n’en sais rien ! et ce n’est pas mon affaire ! répondait Paul Demange ; et d’ajouter : Elle est venue dans notre village pour prendre du repos et se consacrer à son métier. Elle est écrivain ! Et surtout prendre soin de son ancienne connaissance. Enfin c’est ce qu’elle m’a dit.

Jeanne avait perçu cette « soif nauséabonde de savoir ». Elle n’en avait que faire. Mais elle réalisa qu’elle serait forcée de se dévoiler, et cela, afin de garder sa tranquillité. Pratiquante – sans être une grenouille de bénitier – elle décida d’utiliser le curé pour colporter quelques révélations. Le prêtre avait un nom bien de ch’nord : Étienne Declercq.

Ce grand maigre portait fréquemment la même soutane. Rongée par les mites. Son père avait été « gueule noire ». Dans la région de Nœux-les-Mines. Ville dont est originaire notre célèbre footeux Raymond Kopa. Le premier français à recevoir le « Ballon d’or » et à avoir joué au Real de Madrid (de 1956 à 1959) avec les fameux Puskas, Di Stefano et Gento.

Étienne – dans sa cinquantaine – perdait ses cheveux. Les quelques fils gris restants se courbaient au gré des courants d’air. Assez souvent, il se couvrait d’un béret un peu trop large. Ce qui lui permettait non seulement de cacher sa calvitie mais aussi le décollement de l’une de ses oreilles. Il avait le regard accueillant. Un nez court et une bouche en « cul-de-poule » qui s’entrouvrait sur une dentition en perdition. Il lui manquait des canines, et les incisives avaient jauni avec le temps et le manque d’entretien. De grandes mains battaient la mesure des mots acheminés par une voix douce et fluide. Il savait convaincre et son cœur était toujours ouvert à la misère d’autrui. On le voyait souvent trottiner par tous les temps. Se rendant auprès de ses malades et assistant les mourants dans leur passage vers l’au-delà.

Malgré sa laideur, il était aimé. On lui pardonnait aussi son penchant pour la « divine bouteille ».

« Notre Étienne a bien le droit de s’oublier dans quelques verres. Il en voit et en entend tellement que l’on peut comprendre son besoin d’ôter la soutane. Il est homme avant d’être abbé » disait-on.

Et notre ecclésiastique avait retrouvé sur place son ami d’enfance : un bistrotier ! Paul Demange. Une bonne occasion pour étancher ses soifs.