27 Fév 2015

Préface de Guillaume Moingeon

Le sujet de ce roman, l’esclavagisme, n’est pas évident à aborder, tant il exacerbe encore certains sentiments à fleur de peau.
« Les vagues enchaînées » nous entraînent dans un tourbillon du passé au présent, avec violence et magie, et de manière fantastique, mêlent les vies des différents personnages, noirs, blancs, métis, avec en toile de fond l’esclavage et la condition de l’homme noir de l’époque.
Il n’est pas anormal que certains descendants d’esclaves soient sensibles au sort tragique de leurs aïeux, victimes d’un véritable crime contre l’humanité, mais il est surtout normal de pardonner et aussi de ne pas oublier cette époque tragique de l’histoire ­africano-européenne, et américaine, puisque c’est là-bas que cette main-d’œuvre à bon marché était achetée et mise au travail. Et n’oublions pas que parfois, ce sont des Africains qui vendaient leurs frères aux négriers d’Europe.
Les Européens aussi ont subi l’esclavagisme jadis, en Grèce et dans la Rome antique, et bien plus tard encore, au Moyen-âge où les seigneurs avaient droit de vie et de mort sur leurs serfs. Plus récemment, jusqu’au début du XXe siècle, nos grands-mères bretonnes (ou d’autres régions, bien sûr), étaient exploitées dès 12 ou 13 ans comme bonnes à tout faire, dans les fermes, les presbytères, les manoirs… Elles trimaient 6 ou 7 jours par semaine, de l’aube au crépuscule, sans salaire, juste nourries et très mal logées.
Tout cela appartient au passé, heureusement. L’esclavagisme est devenu assez rare et n’affecte plus que quelques pays d’Asie et du Moyen-Orient. Ce qui est encore trop, bien évidemment.
Lorsque Rémy Pulvar m’a proposé son roman, que j’ai trouvé très intéressant et bien écrit, j’ai souri, car je suis surtout écrivain, mais aussi… nègre littéraire ! Bien que ma peau soit blanche, puisque je suis mi-Breton, mi-Bourguignon. Ce terme n’est ­aucunement péjoratif ni raciste en littérature. Pourtant, il est en lien direct avec l’esclavagisme.
Au XVIIe siècle, le terme de « nègre » désigne un homme que l’on fait travailler très durement et sans respect. Un homme qui « trime comme un nègre », que ce soit aux champs ou ailleurs. C’est de cette fonction servile, dans laquelle l’exploité n’a droit à aucune reconnaissance, que découle, par analogie, au milieu du XVIIIe siècle, le sens d’auxiliaire discret effectuant le travail intellectuel d’un commanditaire qui s’en attribue le profit. Rapidement, la dimension « intellectuelle » se résume uniquement à l’écriture.
On considère que le terme de nègre en littérature a été inventé par l’écrivain Alexandre Dumas père. Ce n’est pas faux mais pour être précis, c’est Eugène de Mirecourt qui a vraiment lancé le terme dans son pamphlet sur Dumas, en 1845. Eugène de Mirecourt a présenté Alexandre Dumas comme une « manufacture à écriture », ce qui était péjoratif à ses yeux, et il a expliqué cette prolixité par le fait que : « Dumas, c’est un mulâtre qui a des nègres ». Par nègres, de Mirecourt désignait explicitement des auteurs écrivant pour Dumas et ne recevant aucune considération en retour. Il est en effet de notoriété publique qu’Alexandre Dumas traitait ses collaborateurs avec un certain mépris.
Parce qu’il était un peu noir et très provocateur, Alexandre Dumas aimait à dire qu’il faisait trimer Maquet et les autres comme des nègres, dans son ombre.
Le mot « nègre » dérange parfois le grand public à cause de sa connotation raciste, alors on le place entre guillemets et on l’accole à l’adjectif « littéraire », nègre littéraire, ou on utilise des substitutions comme écrivain privé, écrivain sous-traitant, rewriter, etc.
Dans le cas de Rémy Pulvar, je n’ai pas été son nègre, puisque je signe cette préface et apparaît donc au grand jour, comme un écrivain de profession, séduit par ce livre. Un ouvrage agréable et instructif, qui ne peut qu’aider à cautériser cette plaie. Il invite à réfléchir, il distrait… un roman à la fois fantastique et historique que je vous laisse à présent découvrir, en espérant que vous y ­trouverez le même intérêt que celui que j’ai pris à le lire.

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