Accueil > Actualités > Interview avec Julien Bry – Dauphiné Libéré le 25 juin 2024

Sommaire

  • Interview avec Julien Bry – Dauphiné Libéré le 25 juin 2024

    « Une porte qui claque peut me ramener en Afghanistan »

    Caporal-chef dans l’armée de terre, Julien Bry a été témoin d’un attentat suicide en 2012 lors d’une opération en Afghanistan. À 37 ans, encore atteint de troubles de stress post-traumatique, l’ex-militaire se reconstruit en licence lettres modernes à Valence.

    Pouvez-vous raconter votre parcours militaire ?

    « Je suis originaire de Decize, dans la Nièvre. À 18 ans, je m’engage dans l’armée de terre. Esprit de camaraderie, notion d’engagement… j’en tombe amoureux. Depuis le 92e régiment d’infanterie de Clermont-Ferrand où j’exerce, je suis envoyé en Afghanistan en 2012, à Nijrab, près de la Green zone. Quand on m’annonce que je vais sur le terrain, je me dis “ça y est, tu vas faire ton métier, tu vas aller au contact d’un ennemi tyrannique !”. »

    C’est là que tout a basculé ?

    « Vie au camp, patrouilles… les journées se succèdent. Je suis opérateur tourelle dans un véhicule blindé du combat de l’infanterie, une révolution technologique à l’époque. J’utilise l’imagerie thermique. Les talibans nous surnomment d’ailleurs “Le diable de la vallée”. Le 9 juin, jour d’anniversaire de mon père, on est envoyé en observation dans un village du district de Nijrab, où des civils donnent des cadeaux aux habitants. La radio annonce la présence d’un suicide bomber [NDLR kamikaze]. Dans le hublot, j’aperçois quelqu’un courir. Instantanément, un nuage de fumée. Il y a une espèce de silence. Tout semble figé. Je me souviens de ce père afghan avec un enfant sur le dos, qui rampe vers le médecin militaire et du corps d’un camarade. Il respire sous un camion, puis cesse de respirer. »

    Que s’est-il passé ensuite ?

    « Pendant le reste de l’opération, je me comporte comme si tout est normal. Puis je rentre en France. Plusieurs mois passent. C’est quand je repars au Mali, dans le cadre de l’opération Serval, que certaines choses ressurgissent. Un jour, pendant que nous discutons et rigolons avec des enfants maliens, j’entends une nouvelle fois le mot “suicide bomber” à la radio. Je perds pied. Je pointe le groupe d’enfants. L’un d’eux me fait coucou. Je me dis, “qu’est-ce que tu es en train de faire ?”. Plus tard, dans un lit de camp, sous morphine, j’entends pour la première fois un docteur me parler sérieusement de “trouble de stress post-traumatique”. On me rapatrie en France, à l’hôpital des armées du Val-de-Grâce, où je peux consulter. Là-bas, je souffre de crises d’angoisse inédites. C’est l’électrochoc. Je suis ensuite accompagné par une psychothérapeute à Clermont-Ferrand. On me prescrit également un traitement à base de neuroleptiques, antidépresseurs et anxiolytiques. »

    Plus de 10 ans après, avez-vous toujours des séquelles ?

    « Entre guillemets, j’ai eu de la chance, car on m’a détecté le trouble de stress post-traumatique. Je n’ai pas eu d’autres choix que me soigner. Mais ce n’est pas quelque chose qu’on laisse derrière soi. Encore aujourd’hui, un feu d’artifice, un enfant qui tire avec un jouet, une porte qui claque, ça peut me ramener là-bas. Et je ne parle pas des répercussions sur la vie personnelle. »

    Vous avez écrit un livre, Le regard vide, publié en 2020 et proposé à Cultura Valence. Que pouvez-vous en dire ?

    « C’est un peu un témoignage de ce qu’il s’est passé. Ce livre, j’ai mis du temps à le terminer, mais il m’a fait du bien. J’espère aussi que ça pourra aider d’autres militaires, policiers ou pompiers à aller consulter sans honte un médecin après un accident. »

    Un virage à 180 degrés aussi caractérisé par des études en licence de lettres modernes à Valence. Comment envisagez-vous la suite ?

    « Depuis ce qu’il s’est passé en Afrique et en Afghanistan, j’ai un rapport aux enfants qui a changé. J’aimerais obtenir mon master pour devenir CPE, pour les aider à se relever de la meilleure façon possible quand ils chutent. »

    par  Tristan Bonhoure