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NEMESIS

Némésis – Remettons le monde à l’endroit Essai paru le 11 octobre 2017

L'AUTEUR

Découvrez la biographie de Bertrand Thébault

Salons et dédicaces

Salons et dédicaces

Bonjour à toutes et à tous,

Activité qui alterne succès et échecs, l’organisation de la promotion d’un nouveau livre est harassante lorsque vous êtes seul dans cette tâche terriblement chronophage. Mais avec patience et pugnacité, les choses prennent forme petit et à petit. Je vous livre donc le dernier état de ce programme et espère voir certains d’entre vous venir à ma rencontre aux divers endroits où je vais dans les semaines et mois à venir vous parler de mon dernier livre, mais aussi de ceux qui l’ont précédé.

A court terme, mes activités de promotion d’AUTOUR D’UN LIVRE Bienvenue chez Némésis Volume II sont les suivantes :

– octobre 2023 : 

Dédicace le samedi 28 de 15H00 à 18H00, magasin Super U, 18 avenue du 19 mars, 18100 VIERZON. 

novembre 2023 : 

Salon des Livres de Dourdan le samedi 18 de 11H00 à 18H00 et le dimanche 19 de 10H00 à 18H00, Salle des Fêtes, rue d’Orsonville, 91410 DOURDAN ;

Dédicace le samedi 25 de 15H00 à 18H00, librairie Clément, 125 avenue de la République, 91230 MONTGERON ;

décembre 2023 : 

Dédicace le samedi 9 au magasin Espace-Temps de 10H30 à 18H30, ZAC St Pierre, rue Molière, 91520 EGLY ;

Et à moyen terme :

– janvier 2024 : 

Dédicace le jeudi 25 à l’Espace culturel Leclerc de 14H00 à 18H00, 93 route de Gençay, 86000 POITIERS ;

Dédicace le vendredi 26 à la librairie Page et Plume de 14H00 à 18H00, 4 place de la Motte, 87000 LIMOGES ;

Dédicace le samedi 27 à la librairie Marbot de 14H00 à 18H00, 17 cours Montaigne, 24000 PÉRIGUEUX ;

– février 2024 : 

Dédicace le samedi 10 de 10H00 à 18H00, magasin CULTURA, rue Bronislaw Geremek, 89000 AUXERRE ;

– mars 2024 : 

Salon des Auteurs locaux le samedi 2 de 11H00 à 18H00, médiathèque du Carré d’Art, 2 rue des Bois, 91230 MONTGERON ; 

Dédicace le samedi 23 de 10H00 à 18H00 à FNAC Nemours, rue Joseph-Marie Jacquard, Centre commercial Les Coquelicots ZAC des Hauteurs du Loing, 77140 NEMOURS ;

– avril 2024 : rien pour l’instant ;

– mai 2024 : Dédicace le samedi 4 de 10H00 à 18H00, magasin CULTURA, ZAC du Carré & Allée Trait Union, 77127 LIEUSAINT. 

Quelques nouvelles

Quelques nouvelles

Bonjour à toutes et à tous,

Vous allez penser que j’ai quasiment abandonné l’écriture sur ce blog ! IL N’EN EST RIEN !

J’ai simplement été très occupé depuis juin dernier par la publication de mon deuxième recueil de chroniques, puis par cette activité chronophage et extrêmement laborieuse de lancement d’une campagne de promotion pour ce nouveau livre ; accordez-moi le droit d’avoir passé également du temps en compagnie de ma proche famille au cours de cette période estivale.

Il est probable que je ne vais pas avoir le temps de commenter à nouveau l’actualité à court et moyen terme sur le blog, car je vais essayer de conjuguer mes activités de promotion avec la poursuite de l’écriture d’un deuxième essai, soit d’un quatrième livre qui est en souffrance depuis de longs mois. À moins que nous soyons à nouveau confinés… 

Mais je prendrai dans tous les cas le temps de répondre aux commentaires, quelle qu’en soit la teneur, que vous pourriez me faire sur le nouveau livre, ce qui veut dire que c’est autant à vous qu’à moi de faire vivre ce blog !  

Pour l’heure, je vous donne ci-après le programme de mes prochaines rencontres :

Samedi 28 octobre 2023 : dédicace au rayon librairie du SuperU de Vierzon à partir de 14H30.

Adresse : 18 avenue du 19 mars 1962, 18100 VIERZON.

Samedi et dimanche 18 et 19 novembre 2023 : Salon des Livres et des Auteurs, Dourdan. Ouverture au public de 11H00 à 18H00 le samedi et de 10H00 à 18H00 le dimanche. 

Adresse : rue d’Orsonville, Salle des fêtes, 91410 DOURDAN. 

Samedi 25 novembre 2023 : dédicace librairie Clément (« Le Petit Poucet ») à partir de 15H00.

Adresse : 127 avenue de la République, 91230 MONTGERON.

Et plus loin dans le calendrier en attendant de nouveaux rendez-vous :

Samedi 2 mars 2024 : 5ème édition du Salon des Auteurs locaux

Ouverture au public de 11H00 à 18H00. Entrée gratuite. 

Adresse : Médiathèque du Carré d’Art, 2 rue des Bois 91230 MONTGERON.

Et surtout, n’oubliez pas de commander AUTOUR D’UN LIVRE Bienvenue chez Némésis Volume II (320 pages, 20 €), de le lire et enfin de me dire tout le mal que vous en pensez sur ce blog !

À bientôt, 

Bertrand THEBAULT

Annonce importante!

Annonce importante!

AUTOUR D’UN LIVRE Bienvenue chez Némésis Volume II, chroniques, 320 pages, éditions Amalthée, sort en librairie le 6 septembre 2023.   

De graves atteintes à l’intégrité de notre environnement naturel, une augmentation inquiétante de la température de la marmite terrestre, une population mondiale déjà trop nombreuse et qui poursuit sa croissance, des conflits de toutes sortes qui se développent ou s’annoncent à travers la planète, tout cela est visible, audible, et affecte de plus en plus notre vie au quotidien.

Mais constater, puis déplorer ad nauseam tous les obstacles qui contrarient notre aspiration au bien-être ne suffit pas. Avec obstination, nous devons résister puis renverser ces obstacles et pour cela, il nous faut d’abord comprendre l’origine des dérèglements que nous observons : qui ou quoi en est responsable, depuis quand, et comment tout cela est-il arrivé ? 

Portant un regard singulier sur l’actualité des deux dernières années, ce deuxième recueil de chroniques nous incite à préciser le diagnostic de certains dysfonctionnements des sociétés humaines, tout comme le faisait le précédent volume publié en décembre 2020 sous les mêmes titre et sous-titre, mais l’un et l’autre nous renvoient également à NÉMÉSIS Remettons le monde à l’endroit, un essai publié en octobre 2017 qui nous offre des analyses originales, voire radicales, des mécanismes qui sont à l’œuvre dans le monde d’incertitudes dans lequel nous sommes plongés, bien malgré nous,le temps d’une vie… 

Pour plus d’informations sur ce nouveau livre et les précédents, ou un premier contact, vous pouvez vous rendre sur le site de mon éditeur : http://www.editions-amalthee.com

ou me contacter sur ce blog!

A bientôt et bonnes lectures,

            Bertrand THÉBAULT

Offenses et offensive

Offenses et offensive

Notes: vous trouverez des renvois numérotés de (1) à (7) à des notes qui ont été regroupées en toute fin de ce texte

Quelques-uns d’entre vous se sont peut-être étonnés de mon inconstance dans la publication de chroniques sur ce blog au cours des six derniers mois. Cette inconstance ne signifie en aucun cas une perte soudaine d’intérêt pour une actualité qui est foisonnante, tant au plan national qu’international. D’une part un problème tendineux ayant nécessité une intervention chirurgicale qui m’a immobilisé le bras droit pendant de longues semaines, d’autre part j’ai osé aborder ici un sujet à la fois complexe et clivant qui m’aura pris beaucoup de temps : devant le choix qui s’offrait à moi, l’agression de la Russie envers l’Ukraine s’est naturellement imposée comme un sujet majeur, d’autant que les conséquences qu’elle entraîne servent aussi de révélateur à toute une série de problèmes qui étaient sous-jacents ou faisaient depuis longtemps déjà l’objet de nombreux débats dans la sphère médiatico-politique. J’ai donc pensé qu’il serait intéressant de vous proposer une mise en perspective des tenants et aboutissants de ce conflit, sans prétendre bien sûr faire ici un travail approfondi d’historien puisque historien je ne suis pas et ne serai jamais, me contentant d’être un observateur aussi attentif que possible !

La guerre en Ukraine confirme une nouvelle fois qu’il est extrêmement difficile d’empêcher une puissance dotée de l’arme nucléaire d’intervenir militairement contre des États ne disposant que d’armes conventionnelles. Les puissances nucléaires de la planète bénéficient de la sorte d’une relative impunité et d’une grande liberté d’action vis à vis des instances internationales, ce qui a pu être constaté à maintes reprises, aussi bien du côté des États-Unis que du côté de l’ex–URSS et aujourd’hui de la Russie : citons pêle-mêle le Vietnam, l’Afghanistan, l’Irak, la Serbie, la Libye, avec l’implication de la France pour ces deux derniers pays, la Syrie et bien sûr l’Ukraine, sans parler d’interventions plus limitées en Amérique du Sud, au Moyen-Orient, et en Afrique où là encore, la France est profondément impliquée. La dissuasion nucléaire offre donc une certaine protection à ceux qui en sont les détenteurs tout en leur laissant la liberté de faire la guerre aux autres, sauf si des accords de défense existent entre une puissance nucléaire et un pays tiers ou à l’intérieur d’une organisation comme celle de l’OTAN. Dans ce cas précis, en vertu de l’article 5 du traité, si la Russie décidait par exemple d’attaquer la Pologne ou les États baltes, cela reviendrait à une déclaration de guerre visant tous les États membres de l’OTAN, à commencer bien sûr par les États-Unis, situation potentiellement apocalyptique puisqu’elle mettrait face à face les États du monde disposant du plus large stock d’armement nucléaire. Notons à cet égard qu’en faisant comprendre qu’il ne s’interdirait pas de faire un usage limité du feu nucléaire contre l’Ukraine, Vladimir Poutine remet en question le principe de dissuasion puisqu’il envisagerait de l’utiliser désormais comme un armement conventionnel comme le firent d’ailleurs les États-Unis à deux reprises en 1945 lors des bombardements d’Hiroshima et de Nagasaki. Mais les conséquences terrifiantes de ces bombardements conduisirent à ce principe de dissuasion qui est de décourager toute agression contre tout ou partie du territoire national du détenteur de l’arme absolue ou contre les territoires de ses alliés. La dissuasion a donc pour rôle primordial, au moins théorique, d’éviter la guerre entre ceux qui possèdent l’arme ultime, sans pour autant exclure toute probabilité qu’elle puisse être utilisée dans une situation désespérée, une fois épuisées toutes les tentatives de conciliation, avec pour résultat final la disparition probable de notre civilisation. 

Voilà donc votre serviteur qui, une fois de plus, joue les intrus en se livrant à des réflexions et des analyses sur un sujet d’une très grande complexité, à caractère diplomatique et militaire, pour lequel il n’a reçu aucune formation sérieuse validée par un titre ou un diplôme ! Pourtant, dans ce domaine comme dans bien d’autres, tout citoyen est fondé à s’interroger et à tenter de comprendre les événements qui se déroulent autour de lui sur la planète et qui le concernent ou le concerneront, de près ou de loin. À défaut d’être des acteurs importants de la marche du monde, ayons au moins la satisfaction de ne pas être de simples spectateurs qui n’auraient pas vraiment compris l’enchaînement du film à épisodes auquel nous assistons.

Alors foin de ces scrupules de béotien et revenons à notre actualité dominée par des bruits de bottes et de bombes avec cette situation paradoxale que les humains peuvent engloutir des milliards dans la guerre tout en se demandant comment ils vont payer leurs factures de gaz et d’électricité pour se chauffer au cours de l’hiver ou en se montrant incapables d’imposer et de financer des constructions anti sismiques là où elles seraient pourtant indispensables…

Évidemment le paradoxe n’est qu’apparent dès lors que l’on a compris que l’humanité reste très divisée, friande de concurrence et de compétition, plutôt que de coordination et de coopération dans de nombreux domaines, en particulier dans un secteur aussi vital que l’énergie. Vital plus que partout ailleurs dans les pays industrialisés dont tous les systèmes de production et les modes de consommation sont particulièrement énergivores et restent largement dépendants des énergies fossiles. Or celles-ci ont le fâcheux inconvénient d’être très inégalement réparties à la surface du globe. Ceux qui sont privés de ces ressources vont donc mettre en œuvre toutes sortes de stratégies pour être approvisionnés à hauteur de leurs besoins. Mais ceux qui les possèdent, comme la Russie, vont pouvoir utiliser l’exportation de ces énergies fossiles pour financer leur effort de guerre et comme moyen de chantage vis-à-vis de ceux dont l’économie repose sur la possibilité d’importer ces énergies. De ce point de vue, il n’est pas superflu de dérouler rapidement la toile de fond mondiale sur laquelle a surgi le fracas des bombes en Ukraine.   

Les besoins énergétiques n’ont cessé de s’accroître avec le temps, notamment à partir de la fin de la Seconde Guerre mondiale quand l’Europe et le Japon ont dû reconstruire leur économie avec l’aide massive des États-Unis en suivant grosso modo le modèle de développement de ce pays : économie de marché organisée autour de la civilisation de l’automobile et de l’idée que la consommation des biens innombrables que propose le système productiviste capitaliste est un élément important du bien-être, voire du bonheur des individus. Bien sûr, nul ne contestera que nombre de produits de l’industrie ont considérablement amélioré les conditions de vie de chacun, que ce soit dans le cadre professionnel ou familial. Mais le consumérisme, dynamisé par les milliards de la publicité, a conduit à tous les excès. Au sommet de la pyramide de la consommation, les ultra-riches donnent l’exemple, installant cette « compétition ostentatoire » dénoncée par Noam Chomsky : ainsi, l’année 2022 a vu les avions d’affaires atteindre des records de ventes et d’heures de vol tandis que le marché du luxe restait des plus florissants et que les perspectives du tourisme spatial sont des plus prometteuses, certains ultra-riches allant même décidé de s’offrir un voyage autour de la lune ! Situation qui risque d’aggraver encore ce résultat hallucinant : les 10% les plus riches émettent 50% du CO2 mondial. 

Or il se pourrait que la fête touche à sa fin : l’accumulation inouïe de richesses entre les mains de quelques milliardaires et leur train de vie de tous les excès font penser au bouquet final d’un feu d’artifices. Le système capitaliste qui n’a jamais tenu compte de la finitude des ressources de la planète et peine encore à croire en la réalité du changement climatique[1] voit sa viabilité sérieusement compromise par ces deux facteurs. Si le premier est une donnée incontournable, il est en revanche très clair que le modèle de développement promu par le capitalisme aura été un contributeur majeur à la catastrophe climatique qui se déroule sous nos yeux, mais aussi à toutes sortes de conflits régionaux et de violences contre des populations civiles victimes de prédateurs dans les pays en développement. 

Comment expliquer l’aveuglement des dirigeants de la planète et de tous ceux qui ont été ou sont encore les fervents promoteurs de ce modèle de développement ? 

Que les détenteurs du pouvoir, les acteurs de la vie économique et les intellectuels n’aient pas perçu les limites des ressources naturelles lorsque la population mondiale augmentait très lentement, comptant moins d’un milliard d’habitants à la fin du XVIIIe siècle, cela peut se comprendre. D’ailleurs la nature n’était-elle pas considérée comme une source inépuisable de richesse à la disposition de l’espèce humaine ? Bien sûr, elle était parfois capricieuse et pouvait donner de mauvaises récoltes provoquant disettes et jacqueries, mais les dominants d’alors n’étaient évidemment pas les premiers affectés. Rappelons que les Européens, quant à eux, s’étaient donné les moyens d’accéder aux fabuleuses richesses des autres continents en y colonisant d’immenses territoires, un peu comme si la planète terre était aujourd’hui entourée d’autres planètes assez facilement accessibles et offrant quantité de matières premières pour alimenter notre système de production. Mais il n’en est rien et il n’en sera jamais rien : l’humanité continuera longtemps encore à transformer les produits de la nature, mais ceux-ci ne viendront jamais de l’espace extraterrestre en dehors de quelques cailloux ! 

Dans ces conditions, l’élémentaire bon sens aurait dû conduire à la conclusion évidente, compte tenu de la croissance de type exponentiel de la population mondiale et de ses besoins, qu’un changement de paradigme s’imposait pour remplacer progressivement le modèle économique capitaliste qui prospère sur le consumérisme et le gaspillage. En effet, au tournant des années 1950, où la population mondiale était estimée à 2,6 milliards d’habitants, la courbe de croissance s’était déjà incurvée vers le haut pour atteindre plus de 2% dans les années 1960. Si un tel rythme avait été maintenu au niveau mondial, en 2023 nous aurions été près de 11 milliards d’habitants, soit 3 milliards de plus qu’actuellement. Par ailleurs, les croissances économique et démographique vont connaître des évolutions contraires dans les pays développés et dans les pays en développement : dans les premiers, la croissance économique soutenue de l’après-guerre va provoquer une forte élévation du niveau de vie, mais va aussi bientôt s’accompagner d’un ralentissement de la croissance démographique ; dans les seconds, la croissance économique sera généralement très lente, maintenant les populations dans la pauvreté, mais la croissance démographique ne ralentira pas, bien au contraire, notamment en Afrique où nous pouvions constater sur l’année 2015 une croissance moyenne de la population de 2,7%. À titre de comparaison, certains pays européens affichent des croissances naturelles très négatives comme l’Italie et l’Espagne avec des taux de fécondité qui étaient en 2019 de 1,23 et 1,27 respectivement, contre 1,84 pour la France qui reste championne d’Europe dans cette catégorie[2].

Tout cela démontre l’absurdité de la situation dans laquelle l’humanité a été conduite depuis plus de 50 ans par ceux qui ont exercé des responsabilités à des niveaux élevés.

D’un côté, les pays développés, assimilés ici aux pays de l’OCDE, qui totalisent environ 1,37 milliard d’habitants, soit 17% de la population mondiale, mais ont accumulé plus de 75% de sa richesse, laquelle continue à s’accroître pour une population qui n’augmente plus, quand elle n’est pas en déclin dans certains États, et là où elle arrive à se maintenir c’est très souvent grâce à l’immigration de ressortissants des pays les plus pauvres de la planète.

De l’autre côté, les pays en développement qui recèlent assez souvent et paradoxalement d’importantes ressources minières ou en énergies fossiles dans leur sous-sol, mais n’en tirent que peu d’avantages car ce sont essentiellement les pays développés qui exploitent et consomment ces ressources.

Selon l’OCDE, « le fait que les bénéfices de la croissance économique n’aient pas été équitablement distribués et que la crise économique n’ait fait que creuser le fossé entre riches et pauvres est une vision largement partagée ». Cette phrase est un simple constat fondé sur des données et observations qui crèvent les yeux. Faut-il rappeler que de telles évolutions ne sont pas le fruit du hasard, ce qui est d’ailleurs vrai dans tous les domaines de l’activité humaine ? À l’exception des jeux de hasard bien sûr, mais leur existence reste néanmoins une invention tout à fait humaine ! Guerre ou paix, pauvreté ou abondance, dictature ou démocratie, régressions ou progrès sont autant de situations opposées qui résultent de comportements des dominants ayant entraîné les dominés dans des processus désastreux ou au contraire bénéfiques pour l’humanité. À cet égard, nous devons nous interroger sur les raisons essentielles qui ont conduit aux désordres du monde d’aujourd’hui, et plus spécifiquement à l’état de guerre qui s’est installé sur les marches orientales de l’Europe et pourrait être l’étincelle provoquant un nouveau conflit mondial dantesque.

J’ai osé dire dans une précédente chronique datant du 1er février 2022 que les grandes inégalités de richesse que souligne l’OCDE, tant à l’intérieur des nations qu’entre les nations, ont été et restent à l’origine de la plupart des maux de l’humanité. Il faudrait donc encore compléter le constat de l’OCDE en évoquant les conséquences terribles de ces inégalités. À l’intérieur des nations, inutiles de toutes les rappeler : la confiscation par une minorité dominante d’une large partie de la richesse produite conduit à une insuffisance des moyens indispensables à la fourniture de services publics de qualité et à des salaires qui plongent une proportion importante des populations dans la pauvreté. Mais il faut aussi souligner cette autre conséquence qui nous est moins visible du fait de son éloignement, à savoir le fossé qui sépare les pays développés des pays en voie de développement ; pour faire court, ceux du Nord de ceux du Sud. Au Nord, la survie du système consumériste dépend de la capacité des États à trouver des sources d’approvisionnement en énergies fossiles et en matières premières ; au Sud, c’est la survie même des populations qui est en jeu et dépend de leur capacité à s’alimenter en produisant pour elles-mêmes ou en important de la nourriture, quand elles ne doivent pas compter sur les programmes d’aide alimentaire comme le PAM (Programme Alimentaire Mondial des Nations-Unies). Au Nord, les compromissions résultant d’une politique qui se veut « pragmatique » sont la règle quand il s’agit d’obtenir pétrole, gaz ou uranium auprès de pays dont les gouvernements sont peu respectueux des droits humains, que ce soit au Moyen-Orient, en Russie ou en Afrique ; au Sud, la corruption et le détournement par les dirigeants politiques locaux des aides ou des revenus dégagés par l’exportation de ces ressources naturelles privent les populations des moyens nécessaires à leur développement. Cette situation de pillage et de corruption s’est poursuivie au-delà de la fin de la période coloniale jusqu’à nos jours, de nombreux auteurs l’ayant largement documentée comme l’Étatsunien Raymond W. Baker dans Le talon d’Achille du capitalisme : l’argent sale et comment renouveler le système d’économie de marché (al TERRE, 2007). 

            En ce qui concerne « l’opération spéciale » de l’armée russe en Ukraine, nous pouvons constater sans surprise qu’aux effets dramatiques de la guerre sur la population de ce pays et sur ses infrastructures, viennent se greffer de lourdes conséquences sur l’approvisionnement énergétique de l’Europe mais aussi alimentaire de certains pays du Sud. Au bout du compte, ce conflit qui reste pourtant localisé, fait sentir ses effets sur presque toutes les régions de la planète, d’abord les pays riches à cause de leur boulimie énergétique ainsi que les pays asiatiques en forte croissance (Chine, Inde, Bengladesh, sud-est asiatique, etc.), ensuite les pays pauvres importateurs de céréales d’Ukraine. Dans la seconde partie de cette chronique nous allons tenter de montrer qu’il y a eu des causes multiples à l’irruption de cette guerre que le président de la Russie se refuse à nommer ainsi. Mais si la personnalité de Vladimir Poutine est sans aucun doute le facteur déclenchant de ce conflit, en est-elle pour autant la cause fondamentale ? La question fait débat au sein du monde politique, intellectuel et médiatique ; notons toutefois qu’une majorité de responsables ou de commentateurs du clan occidental tend à rejeter toute la responsabilité du conflit sur le président russe.

            L’analyse que je livre ci-après, une fois de plus, n’est pas celle d’un pair de la phratrie des universitaires, chercheurs ou spécialistes dûment patentés. Il leur serait sans doute facile d’en contester les éléments présentés si d’aventure certains d’entre eux tombaient sur cette longue chronique ! Ou de confirmer au contraire la pertinence de certaines réflexions, sait-on jamais ? J’aimerais d’entrée de jeu indiquer que je puise mon raisonnement dans un secteur que je connais bien : celui de l’aéronautique, et plus spécifiquement des enquêtes qui sont menées sur les accidents d’avions civils. Ces enquêtes sont parfois très longues du fait d’éléments factuels insuffisants, mais aussi du fait des interactions subtiles ou complexes entre différents acteurs et facteurs qui peuvent conduire à l’accident. Le Britannique James Reason a proposé un diagramme qui porte son nom et dans lequel les protections mises en place pour parer aux erreurs humaines se schématisent selon une succession de boucliers présentant des trous qui sont autant de points faibles dans un système de gestion de la sécurité et au travers desquels pourront se propager certains types d’erreurs. Si d’aventure les erreurs commises se propagent de bouclier en bouclier sans être détectées et corrigées, cela veut dire que nous avons une série de trous dans ces boucliers qui sont alignés ; l’accident pourra alors se produire. Dans le cas d’un accident d’avion, il sera par exemple établi que tout a commencé par le défaut de conception d’un équipement essentiel pour la sécurité et qui n’a pas été pris en compte de manière satisfaisante par les responsables de la sécurité des vols, ce qui inclut la formation des pilotes qui, par exemple, n’auront pas été entraînés correctement à un incident tel que le givrage du tube de Pitot[3] qui indique la vitesse de l’avion par rapport à l’air ; la réaction inappropriée de l’équipage, ultime bouclier dans le dispositif de Reason, aura alors conduit à une catastrophe aérienne.   

            Cette digression relative à la sécurité aérienne peut s’appliquer à d’autres secteurs d’activité ; l’étude de James Reason avait d’ailleurs comme but initial de formaliser les processus de sécurité visant à prévenir les erreurs humaines en milieu hospitalier. Le point fondamental de cette approche est de conduire des analyses de risques ou des enquêtes sur des incidents ou accidents qui ne se focalisent pas uniquement sur l’action qui a produit l’évènement en temps réel, mais plutôt sur la compréhension du processus particulier qui a conduit en amont à cet alignement fatal de trous dans la série des boucliers du diagramme de Reason. De ce point de vue, Vladimir Poutine serait-il le commandant qui n’a pas su gérer correctement les dysfonctionnements intérieurs et les conditions extérieures adverses qui ont affecté le vaisseau Russie au fil du temps, ses réactions inappropriées ayant conduit à la catastrophe en cours ? 

Comme on peut maintenant s’y attendre compte tenu de cette longue digression et des éléments déjà présentés, la suite de cette chronique va tenter de percevoir quels sont les éléments qui ont pu au cours des dernières décennies créer un contexte ayant conduit Vladimir Poutine à estimer qu’il était dans l’intérêt de la Russie de lancer une agression contre l’Ukraine. Et comme les inégalités de richesse sont à l’origine de la plupart des problèmes actuels de ce monde, force est de constater que la volonté d’étendre le système qui permet à ces inégalités de prospérer plus que jamais a constitué jusqu’à nos jours le fondement de la diplomatie du « monde libre » héritée de l’époque de la Guerre froide. Que l’Occident ait saisi l’opportunité de la dislocation du bloc soviétique pour étendre l’emprise géographique du modèle capitaliste néolibéral, cela ne fait donc aucun doute, mais ne l’a-t-il pas fait d’une manière trop arrogante vis-à-vis de ceux qui ont dominé et incarné le pouvoir central de l’ex-URSS, à savoir les Russes ? Incidemment, on pourrait s’interroger sur l’impact qu’ont pu avoir sur le déclenchement de la Première Guerre mondiale les inégalités sans précédent qui avaient été atteintes au sein des populations européennes au tout début du XXe siècle (voir notamment Thomas Piketty Le capital au XXIe siècle, Seuil, 2013), l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand d’Autriche à Sarajevo n’ayant été que l’étincelle qui aurait mis le feu aux poudres. Quant à la Seconde Guerre mondiale, il est stupéfiant qu’il ait fallu attendre l’invasion de la Pologne en 1939 pour que la France et le Royaume-Uni réagissent à l’expansionnisme des pays de l’Axe, et notamment de l’Allemagne nazie qui avait dès 1938 annexé l’Autriche et la région tchécoslovaque des Sudètes, sans parler du non-respect de certaines clauses du traité de Versailles par les Allemands dès 1920. Il faut dire aussi que ce traité a été dès le départ considéré par les vaincus comme une humiliation, les conséquences des exigences exorbitantes des vainqueurs se trouvant par ailleurs aggravées par la crise de 1929 ; Hitler et le fascisme ont pu alors prospérer sur ce terreau de chômage, d’hyperinflation et de privations pour la population allemande. Assez paradoxalement, la rigueur des vainqueurs à Versailles le 28 juin 1919 s’est transformée en coupable mansuétude à l’égard de l’Allemagne nazie à Münich le 30 septembre 1938, le Britannique Chamberlain et le Français Daladier ayant ce jour-là cosigné aux côtés de Hitler et Mussolini un accord que Churchill avait ainsi résumé :« Ils ont accepté le déshonneur pour avoir la paix. Ils auront le déshonneur et la guerre ».

Comment ne pas voir dans la crise russo-ukrainienne et les rapports qu’entretiennent les États-Unis et l’Europe avec la Russie de Poutine quelques similitudes avec ce qui a conduit à la Seconde Guerre mondiale ? 

Les similitudes, elles sont d’abord dans les transformations profondes relatives aux frontières : le dépeçage de la Prusse et de l’ancien empire austro-hongrois inscrit en 1919 dans le Traité de Versailles évoque aujourd’hui le démantèlement de l’empire soviétique en décembre 1991 qui a conduit avec un minimum de violence à l’indépendance des républiques socialistes soviétiques situées à la périphérie de la Russie. Ce furent plus de 5 millions de km2 – près de dix fois la superficie de l’Hexagone – qui se séparèrent de la Fédération de Russie sur un total initial de 22,4 millions, mais aussi et surtout, celle-ci ne conserva que la moitié des 293 millions d’habitants de l’ex-URSS !  L’amputation de territoire la plus douloureuse sera sans aucun doute celle de l’Ukraine dont la capitale Kiev a été au Xe siècle le berceau des identités russe et ukrainienne, ce qui fera dire à Vladimir Poutine que « Russes et Ukrainiens ne forment qu’un peuple, un tout uni ». Mais l’Ukraine constituait aussi le « sujet » le plus peuplé, le plus riche et le plus développé des autres républiques ayant accédé à leur indépendance. Ajoutons encore la dissolution du pacte de Varsovie le 1er juillet 1991 et la fin de la subordination des pays d’Europe centrale et orientale à l’URSS, la RDA (Allemagne de l’Est) ayant été rattachée dès le 3 octobre 1990 à la RFA. 

Plutôt que d’évoquer ici le concept littéraire de « l’âme russe » qu’il est difficile de définir et qui est peut-être autant la conséquence que la cause des évènements tragiques qui ont jalonné l’histoire tourmentée de ce peuple depuis un siècle, il vaudrait mieux, dans le contexte des quarante dernières années, évoquer le ressenti, ou plutôt le ressentiment du peuple russe et de ses dirigeants devant la terrible déconvenue qu’a pu constituer l’effondrement du régime soviétique et de l’empire qui avait été construit pour devenir, face aux États-Unis, l’autre grande puissance capable notamment de devancer sa rivale dans la conquête de l’espace et de faire jeu égal en matière d’armement nucléaire. C’est pourquoi, alors que l’Occident encensait Mikhaïl Gorbatchev en lui décernant le prix Nobel de la Paix le 17 octobre 1990 – date anniversaire de la Révolution soviétique ! – de nombreux citoyens russes ne l’ont pas entendu ainsi, voyant en l’homme de la Glasnost et de la Pérestroïka le fossoyeur du vaste ensemble auquel ils avaient appartenu. Cette population éduquée et consciente d’appartenir à un territoire gigantesque aux ressources naturelles tellement abondantes qu’elles pouvaient paraître inépuisables, a sans doute éprouvé une profonde frustration au terme d’un processus de 70 ans qui, non seulement ne leur a pas apporté le niveau de bien-être annoncé, mais s’est conclu par un véritable effondrement de cette union hors normes de territoires et de peuples, ainsi que du système politique qui l’avait engendrée. Naturellement, la frustration est surtout du côté du peuple ayant dominé ce territoire immense, donc le peuple russe ; les citoyens des autres républiques qui ont accédé du jour au lendemain à leur indépendance ont pu au contraire savourer ce moment-là, même si c’était pour retomber, pour certains d’entre eux, dans une nouvelle tyrannie et si les minorités russes de ces nouveaux États indépendants ont pu vivre très mal de se voir soudain séparées de leur pays d’origine, problème qui a bien sûr contribué à alimenter notamment le différend russo-ukrainien. 

Ceux qui ont eu l’occasion d’entretenir quelques relations avec des Russes ont pu souvent noter la haute idée qu’ils ont d’eux-mêmes et de la place que tient encore leur immense pays dans le concert des nations. C’est pourquoi cette fierté, qui n’a en soi rien de condamnable, peut les amener à soutenir leurs dirigeants lorsque ceux-ci réagissent, même de manière contestable vis-à-vis du droit international, à des décisions hostiles, ou considérées comme telles, de la part d’autres pays. Ainsi les dirigeants soviétiques, puis russes, de Mikhaïl Gorbatchev à Vladimir Poutine en passant par Boris Eltsine ont-ils pu nourrir une animosité partagée par le peuple russe à l’égard de l’OTAN et des États qui composent cette organisation, principalement les États-Unis et la plupart des États de l’Union Européenne. Les points de vue divergent en ce qui concerne les « engagements » qu’auraient pris certains membres de l’OTAN à partir de 1991, les États-Unis en premier lieu, sur le devenir de cette organisation créée le 4 avril 1949 à Washington dans le but de protéger l’Europe de l’Ouest d’une agression éventuelle de l’Union soviétique. Suite à l’intégration de la République fédérale allemande à l’OTAN en 1954, les Soviétiques réagiront le 14 mai 1955 par la création du Pacte de Varsovie auquel participeront les pays de l’Europe de l’Est aux côtés de l’URSS. Pour la Russie, la dissolution de ce Pacte en 1991 aurait dû être suivie de celle de l’OTAN, puisque la fin de la Guerre froide ne justifiait plus le maintien de ces deux organisations de défense. Or les pays membres de l’OTAN, non seulement ne mirent pas fin à son existence, mais n’eurent de cesse d’encourager, et en tout cas d’accueillir favorablement, de nouvelles adhésions parmi les pays de l’Europe de l’Est !

Pourtant, de nombreux mémorandums relatant les discussions qui se déroulèrent de 1989 à 1991 entre dirigeants occidentaux et soviétiques semblent indiquer que les États-Unis étaient disposés à dissoudre l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, ou à tout le moins, à ne pas envisager son expansion, comme l’indiquent les extraits qui suivent provenant de copies de documents originaux trouvés notamment sur le site « Les Crises » qui se présente comme un « espace d’autodéfense intellectuelle »… Ainsi peut-on lire dans un mémorandum d’entretien daté du 9 février 1990 ce que le Secrétaire d’État James Baker déclare à son homologue soviétique Edouard Chevardnadze : « Il devrait évidemment y avoir des garanties blindées (iron-clad guarantees) que les attributions ou les forces de l’OTAN ne progresseraient pas vers l’Est ». Le même jour, dans des extraits de sa conversation avec Mikhail Gorbatchev, James Baker confirme que « pas un pouce de présence militaire de l’OTAN ne s’étendra en direction de l’Est ». Gorbatchev avait répondu « Il va sans dire que l’élargissement de la zone de l’OTAN n’est pas acceptable ». Le lendemain, le Chancelier Helmut Kohl déclare à Gorbatchev : « Nous pensons que l’OTAN ne devrait pas étendre son champ d’action » (should not expand its scope). Notons que cette « garantie » ne concernait pas l’Allemagne réunifiée, l’URSS ayant accepté que les forces de l’OTAN se déploient dans l’ex-RDA dans le cadre d’un traité signé en septembre 1990. En juillet 1991, Manfred Wörner, Secrétaire général de l’OTAN déclarera à Boris Eltsine que le Conseil de l’organisation et lui-même sont opposés à l’élargissement de l’OTAN (13 des 16 États membres soutenaient ce point de vue). 

Mais ces promesses, qui pour être verbales n’en étaient pas moins des engagements moraux ayant laissé des traces écrites, vont bientôt se déliter avec l’arrivée au pouvoir de nouveaux dirigeants à l’Ouest, à commencer par celle de Bill Clinton. Les Russes auront-ils vent de plans du Département d’État envisageant l’expansion de l’OTAN à partir de 1993 ? Toujours est-il que le 15 septembre de la même année, Boris Eltsine adresse un télégramme à Bill Clinton pour lui rappeler que l’accord de 1990 signé à propos de l’Allemagne de l’Est excluait une expansion de l’OTAN vers les pays de l’Est qui n’inclurait pas la Russie (une possibilité d’intégration de la Russie à l’OTAN avait été envisagée !). Clinton rassurera complètement Eltsine en lui annonçant un « partenariat pour la paix » ; mais dans le même temps, l’élaboration de plans d’expansion de l’OTAN se poursuit. En novembre 1993, Eltsine écrit à Clinton que si les projets de l’OTAN se concrétisaient, cela conduirait la Russie à prendre des « mesures défensives »(countermeasures) et amplifierait les sentiments hostiles à l’Occident dans la population russe. Cette duplicité des États-Unis irritera au plus haut point le président Eltsine qui exprimera sa colère à Budapest en décembre 1994 au cours de la réunion au sommet de la CSCE (Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe). Boris Eltsine conclut son intervention en soulignant que « pour la première fois de son histoire, notre continent a une réelle chance de trouver l’unité. La manquer, c’est oublier les leçons du passé et remettre en question l’avenir lui-même. »  

C’est en vain, et pour cause, que Bill Clinton essaiera en 1995 de convaincre Boris Eltsine que l’expansion « graduelle, continue, à un rythme mesuré » de l’OTAN n’affaiblira pas la sécurité de la Russie ou ne divisera pas à nouveau l’Europe. En effet, ce discours est en totale contradiction avec les garanties occidentales du début des années 90 et est perçu par Boris Eltsine à la fois comme une trahison et une humiliation. Il note que la France, dont la parole est portée par François Mitterrand, s’oppose à cette politique d’expansion de l’OTAN, tandis que le Chancelier Helmut Kohl et le Premier ministre britannique John Major sont eux « sous l’influence » des États-Unis. 

C’est en 1995 que la vraie nature et les vrais objectifs de l’OTAN, autrement dit des États-Unis, vont éclater, c’est bien le cas de le dire, au grand jour avec l’opération Deliberate Force dirigée contre la République serbe de Bosnie, historiquement et politiquement proche de la Russie. L’organisation n’était donc pas purement défensive puisque les bombardements intenses menés par l’OTAN avec la participation d’avions français visaient un État qui n’avait agressé aucun des pays membres de l’Alliance.

L’intervention dans les Balkans marquera la soumission des Européens à la volonté des États-Unis et confirmera le poids considérable du lobby militaro-industriel étatsunien qui aura poussé Bill Clinton à élargir l’OTAN vers l’Est, trahissant ainsi les promesses qu’il avait faites à la Russie. En septembre 1995, Boris Eltsine déclarera que l’expansion de l’OTAN « signifiera une conflagration de guerre à travers toute l’Europe ». Un quart de siècle plus tard, les faits lui donneront raison et en effet, deux blocs militaires se sont reconstitués comme à l’époque de la guerre froide, reléguant les perspectives de paix qu’avait fait naître la CSCE, devenue OSCE, au rang d’utopie. Rappelons que la Conférence sur la Sécurité et la Coopération en Europe avait eu pour objet durant la période de la Guerre froide comprise entre 1973 et 1991 d’offrir un cadre de discussions entre l’Est et l’Ouest sur la sécurité en Europe, les droits de l’homme et la coopération entre les États membres. A compter de la signature de la « Charte de Paris pour une nouvelle Europe » en novembre 1990, la CSCE va se muer progressivement en une véritable institution permanente pour devenir l’OSCE en 1994 au sommet de Budapest (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe). On notera que la diplomatie soviétique était très favorable à cette institution vue comme un organe de coexistence pacifique qui pourrait conduire à un pacte de sécurité collective, rendant inutiles les deux systèmes de défense antagonistes de l’OTAN et du Pacte de Varsovie. Mais les Occidentaux ont toujours refusé un tel projet. 

Ainsi peut-on comprendre que la duplicité des dirigeants étatsuniens à l’égard de leurs homologues de l’URSS puis de la Russie résultait d’une pression considérable du complexe militaro-industriel qui voulait préserver des opportunités de ventes substantielles d’armements aux pays européens. Or non seulement les marchands d’armes des États-Unis se sont opposés à la dissolution de l’OTAN, mais leur appétit étant sans limite, ils ont usé de tout leur pouvoir pour que cette organisation étende ses frontières jusqu’à celles de la Russie. Du même coup, avec la persistance de l’OTAN, tout projet de défense européenne devenait en quelque sorte superflu. 

L’évolution récente des acquisitions d’avions de combat en Europe indique sans ambiguïté que les faucons de l’industrie de l’armement aux États-Unis ont remporté le gros lot en amenant la majorité des États européens à s’équiper avec du matériel développé et essentiellement produit outre-Atlantique, abandonnant la portion congrue du marché européen à trois industriels : le Français Dassault, le Suédois Gripen et Airbus. Ainsi voit-on se multiplier des acquisitions allant du F16 d’occasion au F35 flambant neuf de Lockheed Martin, appareil jugé le plus performant dans sa catégorie et capable de porter éventuellement une charge nucléaire qui serait évidemment fournie par les États-Unis. Les derniers à avoir pris la décision d’acquérir le F35 en Europe sont les Allemands pour un total de 35 unités. Ce choix est fondé sur des critères à la fois économiques et stratégiques, l’Allemagne tenant de son côté à protéger son lucratif marché d’automobiles de haut de gamme en Amérique du Nord. Mais pour l’ensemble des pays européens adeptes des armements produits par l’Oncle Sam, les questions de compatibilités techniques et opérationnelles requises par l’intégration de ces pays dans l’OTAN demeurent un critère de choix dont les stratèges de cette organisation ne manquent pas de souligner l’importance. D’ailleurs, de son côté, le Canada vient de passer début janvier 2023 une commande de 88 F35, ce qui porte à 17 le nombre de pays de l’Alliance atlantique à avoir choisi cet avion et le système d’armes qui va avec. Pour information, au prix unitaire de 150 millions de dollars, ce seul marché du F35 se monte à des dizaines de milliards de dollars pour les États-Unis. En comparaison, Dassault n’a vendu en Europe ses Rafale qu’à l’armée de l’air française, à la Grèce et à la Croatie… pas de quoi constituer une Europe de la défense. 

En définitive, l’industrie de l’armement des États-Unis continue à profiter des conflits sur le Vieux Continent (hier les Balkans, aujourd’hui l’Ukraine) et de l’absence d’une stratégie de défense européenne, ce qui permet à cette industrie d’assurer sa prospérité comme elle l’a fait au cours des deux conflits mondiaux du XXe siècle. Notons au passage que ces conflits ont constitué des opportunités déterminantes ayant permis aux États-Unis d’accéder au rang de première puissance mondiale. Cela montre que la production intensive de matériels militaires peut avoir un effet d’entraînement sur toute l’économie du fait des nombreux emplois ainsi créés, ce qui favorise la consommation de biens et services et donc la croissance du PIB. Notons par ailleurs que les améliorations et innovations dont bénéficient les matériels militaires concernent souvent des technologies dites « grises » ou « duales » pouvant avoir des retombées au bénéfice des produits à usage civil. Ce processus est tout à fait notoire dans la construction aéronautique, les aéronefs civils pouvant tirer profit de certaines technologies innovantes introduites sur les aéronefs militaires dans des domaines aussi variés que les matériaux, l’aérodynamique, la propulsion ou encore l’électronique et l’informatique embarquées. Pour illustrer le développement sans précédent du secteur militaro-industriel entre 1940 et 1945 aux États-Unis, voici quelques chiffres qui donnent le tournis : production de 3,6 millions de véhicules militaires dont un million de camions et plus de 600 000 des célèbres Jeep devenues le véhicule à tout faire des armées alliées, ces productions ayant d’ailleurs conduit à interrompre provisoirement la production de véhicules civils à compter de janvier 1942 ; il faut y ajouter encore la production de 300 000 avions et 85 000 chars d’assaut sans compter les unités navales pour l’US Navy et le volume ahurissant de munitions de toutes sortes, jusques et y compris les bombes nucléaires d’Hiroshima et Nagasaki! 

Soyons lucides : en s’assurant une solide présence militaire en Europe avec l’extension de l’OTAN, les États-Unis renforcent du même coup la supériorité absolue de leur industrie d’armement et maintiennent ainsi les États européens dans une situation de dépendance aux plans diplomatique et stratégique, mais aussi économique. Nous sommes en 2023 et l’Europe n’est pas capable de décider ce que firent les États-Unis en 1917 sous la présidence de Woodrow Wilson, à savoir se doter des moyens de production de tous les types d’armements sous la coordination du War Industries Board ; à l’époque en effet, les États-Unis devaient encore se fournir auprès de la France pour leur armement, artillerie notamment, et auprès du Royaume-Uni pour le transport maritime. 

Au plan économique, le nouveau développement de l’Alliance atlantique et de « l’économie de guerre » étasunienne poursuivie après la période de la Guerre froide devait aller de pair avec un autre projet d’envergure du monde occidental dont les dirigeants étaient acquis au capitalisme néolibéral et faisaient preuve d’une certaine complaisance à l’égard de sa manifestation la plus brutale, à savoir celle promue par les adeptes de la thérapie de choc chère à l’école de Chicago emmenée par l’économiste Milton Friedman (voir Naomi Klein : La Stratégie du choc – La montée d’un capitalisme du désastre, Actes Sud, 2013). Cette thérapie avait été expérimentée dans toute sa sauvagerie au Chili après le coup d’État militaire du général Pinochet contre le Président Allende le 11 septembre 1971. Fondée sur un État au rôle strictement cantonné à ses fonctions régaliennes, donnant la primauté à la main invisible du marché pour régler tous les problèmes, imposant la privatisation à marche forcée de tout ce qui pouvait être marchandisé et générer des profits, prescrivant un régime d’austérité insupportable à la population, une telle stratégie ne pouvait être mise en œuvre sans recourir à un régime de terreur, ce que connu le Chili où furent commis des crimes innombrables sous forme d’arrestations arbitraires, d’enlèvements, de tortures et d’exécutions sommaires d’opposants, ou supposés tels, à cette politique mortifère. Comme on le sait, l’Amérique du sud était depuis des décennies le terrain de jeu préféré des États-Unis et de la CIA engagés dans une lutte sans merci contre les mouvements progressistes soupçonnés d’être, au même titre que le régime cubain, des avant-gardes du communisme soviétique. Avec l’effondrement de l’URSS, une nouvelle région du monde se présentait pour expérimenter la thérapie de choc, à savoir les pays de l’ancien bloc de l’Est, y compris la Russie. En effet, la majorité des dirigeants occidentaux considéraient, et beaucoup le considèrent encore, qu’avec la chute de l’Union soviétique, le monde était parvenu à « la fin de l’Histoire ». Dès lors, seul allait subsister, à quelques exceptions près, le modèle capitaliste néolibéral. Ainsi que l’affirmaient les plus chauds partisans de ce système tels que Ronald Reagan et Margaret Thatcher, il n’y avait pas d’alternative à ce modèle et à son économie de marché, théorie intellectuellement stérilisante et connue sous l’acronyme anglais TINA pour There Is No Alternative

Ainsi, les gouvernements occidentaux, États-Unis en tête, envisageaient-ils d’amener les nouveaux dirigeants de la Russie et de l’Europe ex-communiste à adopter le modèle de société promu par les « Chicago Boys ». A cette fin, la stratégie du choc devait être mise en œuvre. Mais un certain Mikhaïl Gorbatchev, tout adulé qu’il était, même aux États-Unis où la presse lui avait donné le surnom amical de Gorby sans doute pour avoir contribué au démantèlement de l’URSS, posait un sérieux problème eu égard à sa vision du devenir de la Russie. Rendez-vous compte : il avait commencé à introduire plus de démocratie en libérant la presse, en accordant le droit de grève, en créant une Cour constitutionnelle indépendante et en organisant des élections libres pour élire les membres du Parlement et des conseils locaux ainsi que le Président de l’URSS. Gorbatchev sera ainsi largement élu pour un mandat de cinq ans par le Congrès des députés du Peuple de l’Union soviétique en 1990 (Parlement monocaméral de 2250 membres) avec 72,9% de voix. Cette élection se serait faite au suffrage universel direct à partir de 1995 si l’URSS n’avait pas disparu entre temps… 

Or, comme on l’a vu, la mise en œuvre d’une thérapie de choc ne peut se faire qu’avec un pouvoir fort, pour ne pas dire une dictature. Mais non content d’apporter enfin la démocratie, au plan économique et social, Gorby proposait un compromis entre l’économie libérale et l’économie administrée : tout en libéralisant graduellement le marché, l’État devait garder le contrôle sur certaines industries essentielles et mettre en place un système efficace de protection sociale. En d’autres termes se profilait clairement le développement d’une troisième voie, démocratique et à mi-chemin entre le communisme et le capitalisme néolibéral dans la sphère économique et sociale. Pour les ayatollahs du TINA, cela était inacceptable !  Invité par John Major au G7[4] de 1991 à Londres, Mikhaïl Gorbatchev sera averti par les dirigeants occidentaux qu’il devait sans attendre mettre en œuvre la thérapie de choc. Mais comment le prix Nobel de la paix pouvait-il se transformer en un autre Pinochet, lui qui défendait une évolution très progressive vers l’économie de marché dans le cadre d’institutions démocratiques. Par ailleurs, comment pouvait-il accepter de voir l’URSS traitée comme un État sud-américain ou n’importe quel PED par le FMI et la Banque mondiale, deux organismes qui défendaient depuis leur création les intérêts du gouvernement des États-Unis en s’ingérant dans la politique des États « bénéficiaires de leur aide » (voir Éric Toussaint : Banque mondiale – Une histoire critique, Syllepse, 2021) ? 

Il reviendra donc à Boris Eltsine, président de la Russie, de se soumettre au diktat occidental. Par ailleurs, c’est surtout lui, plus que Gorbatchev, qui va précipiter la dissolution de l’URSS en acceptant dès janvier 1991 la déclaration d’indépendance des États baltes, Estonie, Lettonie et Lituanie. En juin Eltsine est élu président de la fédération de Russie après une campagne durant laquelle la propagande n’aura sans doute pas beaucoup contribué à éclairer l’électorat russe sur la nature des réformes que ce candidat entendait entreprendre. Il se rend alors aux États-Unis où on lui rappellera, comme à Gorbatchev lors du G7 de Londres en juillet, qu’une aide de l’Occident à la Russie ne saurait être envisagée sans la thérapie de choc. 

Mais le 19 août 1991, des putschistes communistes conservateurs tentent de se débarrasser de Gorbatchev, soupçonné de vouloir supprimer le PCUS (Parti communiste de l’Union soviétique), et envahissent Moscou avec des blindés. En l’absence de Gorbatchev parti en vacances en Crimée, Eltsine s’oppose avec succès à cette tentative de coup d’État, debout sur un tank depuis lequel il demande à la foule de résister. Il parviendra à remplacer par ses partisans tous les ministres du gouvernement soviétique, communistes conservateurs et complices avérés de la tentative de ce coup d’État. Dans les jours qui suivent, il dissout le PCUS et le Soviet suprême de la Russie, tandis que s’auto-dissout le Congrès des députés du Peuple de l’URSS qui avait élu Gorbatchev Président de l’Union l’année d’avant ! Avec la déclaration d’indépendance de l’Ukraine en décembre, Eltsine acte la disparition de l’Union soviétique et propose de créer la Communauté des États indépendants (CEI) lors de la signature de l’accord de Minsk le 8 décembre 1991, accord qui annule par ailleurs le traité de 1922, texte fondateur de l’Union soviétique. Le 26 décembre, le Soviet suprême de l’Union soviétique et le Soviet des Républiques du Soviet suprême de l’Union soviétique signent le protocole d’Alma-Ata qui officialise la création de la CEI et le démantèlement de l’URSS. Devant ce qui était devenu inévitable, Mikhaïl Gorbatchev n’avait plus d’autre choix que de démissionner de ses fonctions devenues sans objet, ce qu’il fit dès le 25 décembre 1991.  

Ainsi la voie est libre pour engager sans attendre la désastreuse thérapie de choc. Fin 1991, Eltsine demande au Parlement russe de lui accorder des pouvoirs spéciaux pour redresser l’économie, ce qui fut fait en reconnaissance des citoyens russes de sa réaction contre la tentative de coup d’État du mois d’août. Il va d’abord libérer les prix, ce qui provoquera aussitôt une inflation à trois, puis à quatre chiffres[5] et, par ricochet, l’effondrement des cours du rouble et de l’épargne, mais aussi l’aggravation de la pauvreté, les salaires et les pensions ne suivant pas l’évolution exponentielle de l’inflation et ne permettant qu’à une minorité d’acheter les produits qui commençaient à arriver en quantité depuis l’Occident. Quant aux immenses ressources naturelles et aux actifs du pays, ils vont non pas être privatisés sous forme d’une répartition démocratique entre les citoyens de l’ex-URSS, mais littéralement confisqués par une minorité d’apparatchiks. Pour introduire les réformes de l’école de Chicago, le nouveau Pinochet compte sur le zèle de son Premier ministre, Egor Gaïdar et sur Iouri Skokov chargé des questions de défense et de répression. Cependant, les conséquences pour la population sont tellement désastreuses que le Parlement russe vote le limogeage d’Egor Gaïdar qui sera remplacé par Viktor Tchernomyrdine. De fait, Eltsine est en conflit larvé avec le Parlement russe qui s’oppose à la politique d’austérité exigée par le FMI, si bien que les députés vont lui refuser la prolongation de ses pouvoirs spéciaux en mars 1993 de même que la tenue d’un référendum visant à renforcer son statut de nouveau tsar ! Pire encore, le Parlement menace de le destituer mais y renonce finalement eu égard à la popularité du président confirmée par un référendum qui lui donne étonnamment 58% d’opinions favorables en avril 1993. Ce résultat va l’encourager à dissoudre le Parlement dans lequel siègent trop de députés communistes à son goût. 

C’est à ce moment-là que la violence nécessaire à la mise en œuvre de la thérapie de choc va se déchaîner. En effet, le Parlement vote finalement la destitution d’Eltsine, lequel en ordonne alors l’assaut avec la bénédiction de Bill Clinton. Les militaires et les forces spéciales tirent sur la foule. La presse estime le massacre à 1500 morts, soit dix fois le chiffre officiel de 150 morts. État d’urgence, presse jugulée, arrestations massives d’opposants et de migrants en situation illégale, toute la violence d’une dictature se déchaîne. Pourtant, l’image d’Eltsine en Occident restera celle d’un président progressiste, Bill Clinton allant même jusqu’à déclarer sans sourciller qu’il était « sincèrement engagé en faveur de la liberté et de la démocratie ». Mais ce qui comptait le plus pour le locataire de la Maison blanche, c’était cet ajout : « sincèrement engagé en faveur de la réforme », sous-entendu de la réforme libérale version thérapie de choc et à son cortège de souffrances pour la population russe : pauvreté, chômage, difficultés d’accès aux soins, augmentation de l’alcoolisme et de la mortalité. Dans ces conditions, la popularité d’Eltsine finira par décliner, ce qui rend particulièrement suspect le résultat de l’élection présidentielle d’avril 1996 où il obtient encore 53,8% des voix au second tour devant le candidat communiste arrivé en tête au premier tour… Il faut dire que Bill Clinton, toujours lui, aura usé de toute son influence, pour ne pas dire de son pouvoir, pour que la Banque mondiale accorde avant l’élection un prêt de 10,2 milliards de dollars à la Russie, sans compter l’assistance de conseillers étatsuniens auprès du gouvernement russe en techniques de communication et propagande électorale !

Cependant, les souffrances infligées par la thérapie de choc au peuple russe sont telles que la popularité de Boris Eltsine atteindra fin 1996 son étiage le plus bas, avec seulement 10% de satisfaits. « L’aide » de l’Occident à la Russie n’a donc rien fait de mieux que de tuer dans l‘œuf la démocratie qui avait fait ses premiers pas sous Gorbatchev, de brader les ressources et le patrimoine de l’ex-URSS pour les confier à quelques oligarques, de généraliser la corruption, de contracter le PIB de 50% entre 1992 et 1998, d’enfoncer dans la misère des millions de Russes et de diminuer leur espérance de vie de cinq années entre 1991 et 1994 (selon une étude de « The Lancet »). Ces résultats sont en parfaite cohérence avec ceux observés dans les pays où la Banque mondiale et le FMI interviennent en veillant à protéger les intérêts et les objectifs politiques des États-Unis. 

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Essayons maintenant de synthétiser les éléments évoqués dans cette note pour voir s’ils pourraient nous permettre de répondre à une double question : 1) toutes choses égales par ailleurs, la guerre en Ukraine aurait-elle pu être évitée si la Russie n’avait pas été dirigée par un Poutine, ou bien 2) l’aurait-elle été également, même avec Poutine, si l’Occident avait pris des décisions conformes aux attentes des dirigeants et de la population russes au moment de la dislocation de l’URSS en 1991 ? L’enchaînement des évènements entre 1985 et décembre 1999, date de l’accession au pouvoir de Vladimir Poutine suite à la démission de Boris Eltsine, semble apporter quelques éléments de réponse.

Tout d’abord, il faut bien reconnaître que la chute de l’empire soviétique était inscrite dans ses propres textes fondateurs, qu’elle s’est par ailleurs produite dans la plus grande confusion et a infligé aux populations de l’ex-URSS des souffrances de toutes sortes, ce qui inclut sans doute la frustration de ne plus appartenir à ce qui était du temps de la Guerre froide l’autre grande puissance face aux États-Unis d’Amérique.

Chute annoncée en effet puisque la constitution soviétique dans ses évolutions successives de 1923, 1936 et 1977 disposait que les peuples des républiques de l’Union pouvaient de plein droit revendiquer leur indépendance. Dès le début de son existence, le ver était donc dans le fruit, de sorte que seul un régime totalitaire a pu durant 70 ans préserver un semblant d’unité de ce territoire aux dimensions extravagantes et dans lequel les populations avaient de longue-date développé des cultures d’une grande diversité, aux plans linguistiques, religieux, artistiques et sociétaux. Il apparaît donc que les premiers efforts de démocratisation décidés par Gorbatchev ont pu être perçus par les républiques constitutives de l’URSS comme autant de signaux encourageants pour actionner les mécanismes institutionnels d’accès à l’indépendance.   

Comme on a pu l’entrevoir dans ce document, la plus grande confusion a présidé au processus de décomposition et d’affaiblissement du pouvoir central, ce qui a pu également encourager les républiques périphériques de la Russie à affirmer leur volonté de sécession, d’autant que celle-ci n’était pas anticonstitutionnelle ! D’ailleurs à partir de 1985, à l’exception de la Tchétchénie en 1994 et 1999, le pouvoir moscovite n’a pas fait preuve d’une grande combativité pour entraver cette marche vers l’indépendance des anciennes républiques soviétiques, pas plus d’ailleurs que pour entraver le mouvement de libération des pays d’Europe centrale et orientale du joug de l’URSS.

Pour ce qui est des souffrances, la responsabilité semble partagée entre l’incapacité de l’économie dirigée de l’URSS à fournir les produits et services nécessaires au bien-être des populations, et la prétention des Occidentaux de vouloir régler les problèmes de l’ancienne Union soviétique et de ses anciens vassaux européens par un passage brutal à l’économie – et à l’idéologie pourrait-on dire – de marché au moyen de la sinistre thérapie de choc. Cette thérapie aura en particulier comme conséquence de faire tomber les richesses de l’ex-URSS, industrielles et naturelles, entre les mains des oligarques et de créer une économie mafieuse rongée par la corruption. 

Mais l’action des États-Unis et de ses alliés n’aura pas eu pour effet que d’enfoncer un peu plus l’économie de la Russie et de miner sa démocratie balbutiante, elle aura également contribué à modifier complètement l’équilibre des forces qui avait prévalu durant la période de la Guerre froide. En effet depuis 1991, année de dissolution du Pacte de Varsovie, les pays membres de l’OTAN n’ont cessé de trahir leur parole et de renforcer méthodiquement leur alliance en l’élargissant jusqu’à l’amener aux frontières même de la Russie avec l’adhésion des États baltes en 2004. De plus, en manifestant son désir d’adhérer à l’Union européenne, l’Ukraine a clairement indiqué que la Russie n’était plus son partenaire privilégié au plan économique, ce qui n’était pas une bonne nouvelle pour Moscou quand on sait que l’Ukraine a été la deuxième république la plus riche et la plus développée après la Russie du temps de l’URSS. Mais plus grave encore pour la Russie de Vladimir Poutine, l’Ukraine ne cache pas qu’elle rejoindrait volontiers l’Alliance atlantique, indiquant cette fois qu’elle tourne également le dos à la Russie aux plans stratégique et militaire. 

Comme nous l’avons signalé, les États-Unis ont une nouvelle fois réussi à vendre leurs armements à la plupart des pays européens alors que les industriels du Vieux Continent ont montré depuis longtemps qu’ils sont en mesure de produire tout ce qui serait nécessaire à la création d’une défense européenne. Mais il n’est pas question pour le lobby militaro-industriel des États-Unis qu’un tel marché lui échappe !    

Ainsi, tous les ingrédients ont été peu à peu réunis pour créer chez beaucoup de Russes un fort ressentiment à l’égard de l’Occident perçu comme une coalition qui a, depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, combattu sans relâche le communisme à travers le monde, et en premier lieu sa version dénaturée mise en œuvre en Union soviétique. Cet Occident dominé par les États-Unis s’est très vite réjoui de l’effondrement de l’URSS, non pas parce qu’un régime totalitaire avait dû abandonner le pouvoir, mais parce que l’idéologie néolibérale allait enfin pouvoir régner sans partage. Dès lors, il fallait de toute urgence battre le fer quand il était chaud et profiter de la faiblesse de l’économie de type soviétique en provoquant son extinction définitive avec la thérapie de choc dont l’objectif était d’opérer un basculement rapide de la Russie vers l’économie de marché en s’inspirant du processus chilien de 1973.

            C’est ainsi que les « pays occidentaux » ont perçu les anciennes républiques du bloc soviétique, à commencer par la Russie elle-même, comme les vaincus d’une guerre, mais une Guerre froide, qui avait duré 70 ans. Et les vaincus ont été traités de manière irrespectueuse, la Russie devant obéir aux diktats des États-Unis qui, avec le soutien de leurs alliés et du FMI, l’ont menacée de ne pas lui octroyer les prêts de la Banque mondiale si elle n’adoptait pas la stratégie d’une transition rapide vers un modèle de société néolibérale. Irrespect encore, mais aussi provocation, avec les mensonges proférés par les Occidentaux sur une promesse de non-expansion de l’OTAN, voire de sa disparition, après la dissolution du Pacte de Varsovie. L’action des États membres de l’Union européenne a été de son côté expansionniste au détriment de la Russie, les anciens PECO[6] membres du COMECON[7] étant invités à se rapprocher de l’Union puis à la rejoindre, ainsi que les trois États baltes qui avaient fait partie de l’ex-URSS, au même titre que l’Ukraine.

            A ce stade de la réflexion, il est envisageable de tenter une réponse aux deux questions posées au début de cette synthèse un peu longue. 

            Avant de répondre à ces deux questions, on peut affirmer sans trop de risques, puisque les faits le démontrent, qu’avec un Poutine au pouvoir, et sans changement de comportement de la part des Occidentaux, il devenait de plus en plus probable qu’une offensive militaire de la Russie allait être engagée compte tenu des offenses et des humiliations que ce pays a pu ressentir depuis plus de trente ans et du conflit larvé qui se poursuivait dans le Donbass depuis 2014. Bien que la Russie post-soviétique ne soit pas la démocratie qu’elle aurait pu être, il ne fait guère de doute qu’une telle longévité de Poutine au pouvoir n’aurait sans doute pas été possible si la population russe n’avait pas été réceptive aux messages nationalistes du nouveau tsar, et si elle a été ainsi réceptive, la politique des dirigeants occidentaux et les messages véhiculés par nos médias ont dû largement y contribuer depuis 30 ans. Mais il va de soi que ces tentatives « d’explications » ne doivent pas être perçues ici comme des circonstances atténuantes à la violence de l’agression du maître du Kremlin. 

Première question : toutes choses égales par ailleurs, la guerre en Ukraine aurait-elle pu être évitée si la Russie n’avait pas été dirigée par un Poutine ?

                        Que se serait-il passé si au lieu de Poutine, Eltsine avait transmis le pouvoir à un autre Gorbatchev ? Nous avons vu que les États-Unis et leurs alliés avaient tout fait pour empêcher le programme de Gorbatchev de se réaliser, l’idée d’une troisième voie démocratique entre capitalisme néolibéral et communisme leur étant insupportable. Il y a donc tout lieu de penser que le même scénario de déstabilisation aurait été rejoué par les Occidentaux, mais on a vu que la popularité d’Eltsine en 1996 avait chuté au plus bas avec 10% de satisfaits. Si son successeur avait voulu restaurer la démocratie et reprendre la marche vers une économie du « troisième type », abandonnant la politique d’austérité du FMI que seul un régime autoritaire peut mettre en œuvre, alors qu’aurait fait l’Occident capitaliste, les États-Unis en tête, pour tenter d’imposer malgré tout son idéologie ? Il n’est pas exclu qu’auraient été prises des sanctions comparables à celles qui ont été prises contre la Russie depuis la tentative d’invasion de l’Ukraine ! Et que la Russie aurait répliqué de la même manière en fermant le robinet du gaz et du pétrole à l’Europe !  Mais que penser alors de la position de l’Ukraine ? N’aurait-elle pas estimé qu’une Russie en marche vers la démocratie, respectueuse des frontières, riche de ses ressources naturelles et d’une population éduquée, était après tout un partenaire plus « naturel » que l’Union européenne et qu’aurait pu être engagée avec la Russie une coopération dans l’esprit des orientations de l’OSCE et de la Conférence sur la sécurité et la coopération (ex-CSCE) d’Helsinki qui en avait fixé les principes et les objectifs dès 1975 ? 

Deuxième question : ou bien la guerre aurait-elle été également évitée, même avec Poutine, si l’Occident avait pris des décisions conformes aux attentes des dirigeants et de la population russes au moment de la dislocation de l’URSS en 1991 ?

              Il est relativement facile au terme de cette analyse de percevoir ce qu’il n’aurait pas fallu faire pour éviter la situation de guerre dans laquelle nous sommes entrés depuis plus d’un an sur la frontière orientale de l’Europe : 1) que les États-Unis aient accepté de dissoudre l’OTAN en 1991 dès lors que le Pacte de Varsovie avait lui-même cessé d’exister, à tout le moins, de limiter le périmètre de l’Alliance à ce qu’il était en 1991, 2) que l’Union européenne ait engagé avec la Russie une politique de coopération économique tournant le dos à la thérapie de choc, de sécurité et de développement humain selon les orientations de l’OSCE dont le rôle et les pouvoirs auraient été renforcés. En d’autres termes, avoir commencé à dessiner les contours d’une « Europe de l’Atlantique à l’Oural » ! Dans de telles circonstances, quelles justifications Vladimir Poutine aurait-il pu mettre en avant pour partir à l’assaut de l’Ukraine et quelles raisons auraient pu conduire le peuple russe à éprouver de l’hostilité à l’égard des Occidentaux ? Si la partie russe n’avait pas eu à faire aux Occidentaux les lourds reproches que l’on connait, le petit César du Kremlin n’aurait sans doute pas eu le soutien de son peuple pour franchir le Rubicon.

            Il n’est jamais trop tard pour réparer certaines erreurs. Aujourd’hui, les faucons de tout bord font entendre leurs voix et leurs canons au point de rendre inaudible les discours de raison qui encouragent une solution de règlement diplomatique de la guerre en Ukraine. Ne serait-il pas temps pour les membres de l’Alliance atlantique comme pour les deux belligérants de faire preuve de contrition en reconnaissant que des erreurs et des fautes ont été commises de part et d’autre depuis la chute de l’URSS, ce qui serait un grand pas vers un processus de paix durable ? Oui, certaines de ces erreurs peuvent encore être réparées. 

Puisque les États-Unis et leurs alliés déclarent qu’ils n’ont aucune intention de menacer militairement la Russie, il faudrait alors arrêter d’ouvrir en grand la porte de l’OTAN aux candidatures posées par la Suède, et surtout par la Finlande et l’Ukraine qui ont des frontières avec la Russie, autrement dit mettre un coup d’arrêt à cette politique d’encerclement. Une autre concession à la Russie pourrait être faite en ce qui concerne la Crimée au nom du réalisme : son annexion remonte à 2014, ce qui a provoqué une réaction plutôt modérée des États-Unis et de l’Europe hormis des sanctions contre la Russie sans conséquences significatives ; il paraît donc maintenant difficile d’envisager que le Kremlin accepte de la rattacher à nouveau à l’Ukraine comme l’avait fait Khrouchtchev en 1954 (mais l’Ukraine faisait alors partie de l’URSS). Notons que si la dissolution de l’OTAN peut être aujourd’hui perçue comme une proposition difficile à relancer eu égard au conflit en cours, le général de Gaulle avait pour sa part pu justifier en 1966 de quitter le commandement intégré de cette alliance compte tenu des changements géopolitiques intervenus depuis sa création en 1949 et, pour la France, de son entrée dans le club restreint des puissance nucléaires. Rappelons une fois encore ici que l’objet de cette alliance était à l’issue de la Seconde guerre mondiale d’assurer la défense et la sécurité de l’Europe face à l’Union soviétique. Comment dès lors comprendre que Nicolas Sarkozy, censé appartenir à la famille gaulliste, ait pu décider en 2009 de réintégrer le commandement de l’OTAN alors que le plus spectaculaire des changements géopolitiques dans la seconde moitié du XXe siècle s’était produit dix-huit ans plus tôt avec l’effondrement de l’URSS ? Comment une décision aussi à contre temps de l’Histoire a-t-elle été perçue en Russie ? Ses dirigeants, et notamment Poutine, ne pouvaient-ils pas y voir une marque supplémentaire de défiance d’un grand pays européen à l’égard de la Russie ?  

En contrepartie des concessions ci-dessus qui pourraient être faites à la partie russe, celle-ci devrait reconnaître l’appartenance irrévocable des « républiques séparatistes » du Donbass (Donetsk et Louhansk) à l’Ukraine, quitte à leur donner une certaine autonomie. L’inviolabilité des frontières est une autre condition devant être gravée dans le marbre, non seulement pour les frontières de l’Ukraine, mais aussi pour celles de tous les États nés de la scission des anciennes républiques soviétiques situées à la périphérie de la Russie, comme la Moldavie, la Géorgie et l’Azerbaïdjan. Quant aux États baltes, étant passés sous le parapluie de l’OTAN (au moins tant que subsistera cette organisation anachronique !), leur intégrité ne saurait être remise en cause. 

Mais il ne suffira pas de trouver un premier accord permettant de mettre fin aux hostilités et un retrait des forces russes d’Ukraine en veillant à ce qu’il n’y ait surtout ni vaincu, ni vainqueur : il faudra également tracer de nouvelles perspectives de coopération avec la Russie en vue de constituer un grand bloc économique et stratégique autour de l’Union européenne et de la Russie, un bloc capable de faire jeu égal avec les deux superpuissances que sont les États-Unis et la Chine en ce début de XXIe siècle. Encore faudrait-il, ayant rappelé à dessein dans ce document ses conséquences pour l’état du monde en termes d’inégalités, de pauvreté et de dégradation sévère de notre environnement, que ce troisième bloc adopte une tout autre approche du développement que l’approche capitaliste néolibérale dont la pérennité ne peut être assurée sans poursuite du consumérisme le plus destructeur, donc sans croissance illimitée de l’économie. De Gaulle, encore lui, parlait de « protectorat américain » sur l’Europe. Cela continue peu ou prou, notamment grâce à la domination des États-Unis dans le domaine militaire, laquelle n’est pas sans rapport avec la domination économique. Tant que l’OTAN existera et que l’Europe n’aura pas construit une politique de défense et une diplomatie vraiment indépendantes des États-Unis, elle ne pourra pas accéder au statut de grande puissance. 

Rien n’est plus dangereux qu’un monde bipolaire ! Ce serait l’une des raisons pour laquelle les psychologues ont recommandé que les équipages qui sont partis en 1969 à la conquête de la lune comportent trois astronautes. Le rôle du troisième larron est en effet fondamental pour le règlement des conflits éventuels entre les deux autres, surtout tant que le pouvoir de médiation de l’ONU est limité par le droit de véto des membres du Conseil de Sécurité.    

Pour en finir avec cette guerre absurde et son cortège de souffrances, chacun doit d’abord faire preuve d’humilité, de modération et d’écoute de l’autre. Cette approche permettra la reprise du dialogue et le retour de la diplomatie, loin des invectives et des défis que chacun se lance actuellement et qui sont relayés par les grands médias, d’un côté comme de l’autre.


[1] Citons par exemple le cas du Texas State Board of Education qui a fait en mars 2023 la recommandation effarante et plus proche de l’injonction aux directeurs d’écoles d’utiliser des manuels scolaires qui « soulignent le côté positif des carburants fossiles » (to highlight the positive side of fossil fuels). Cet organisme officiel du gouvernement texan conteste clairement la réalité du changement climatique ! 

[2] Malgré une baisse continue de ce taux depuis 2010 où il était encore à 2,03. Rappelons que pour maintenir le niveau de sa population, hors solde migratoire, le taux de fécondité d’un pays doit être de 2,1 enfants par femme en âge de procréer.

[3] Le tube de Pitot, du nom de son inventeur, comporte un petit orifice orienté vers l’avant de l’avion, ce qui permet à l’air d’y pénétrer avec une vitesse qui dépend de la vitesse de déplacement de l’avion par rapport à la masse d’air ; la pression de l’air dans le tube de Pitot est traduite et étalonnée en vitesse au moyen d’une capsule qui se déforme plus ou moins sous l’effet de cette pression. Pour éviter l’obstruction de l’orifice du tube de Pitot par accumulation de givre, celui-ci est réchauffé par une résistance électrique.  

[4] Le G7 comprend les États-Unis, le Canada, le Royaume-Uni, la France, l’Allemagne, l’Italie et le Japon. 

[5] 800% en 1993, puis plus de 1000% en 1994 (source : Inflation.eu)

[6] Pays d’Europe centrale et orientale.

[7] COMECON acronyme anglais pour COuncil for Mutual ECONomic Assistance, en français Conseil d’Assistance économique mutuelle, CAEM : organisme de coopération économique adapté au modèle soviétique de planification de la production. Autour de l’URSS, il réunissait les PECO, mais aussi la Mongolie, le Viêt Nam et Cuba. 

Annonce

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Je vous attendrai au salon du Printemps des Livres qui se tiendra le samedi 25 mars de 14H à 19H et le dimanche 26 mars de 10H à 18H 2023 à la salle des fêtes de Lamotte Beuvron dans le Loir et Cher. 

Ce sera bien sûr l’occasion de découvrir cette charmante petite ville que baignent le Beuvron et le canal de la Sauldre ainsi que la région de forêts et de lacs qui l’entoure, j’ai nommé la Sologne.

Mais surtout, ce sera l’occasion de redécouvrir deux ouvrages qui abordent les questions de fond qui ont occupé ou occupent encore l’espace politique et médiatique depuis deux ans : la fin de l’épidémie du Covid, la crise climatique, depuis un an, la guerre en Ukraine et depuis quelques mois, le projet scélérat de réforme des retraites. Le tout, par des analyses qui sortent des sentiers battus et amènent lectrices et lecteurs à prendre de la distance par rapport aux messages formatés et simplifiés à l’extrême que délivrent les médias dominants… 

NÉMÉSIS Remettons le monde à l’endroit

(Essai, 412 p. éd. Amalthée)

Vous avez l’esprit curieux ? Les « pourquoi » des « comment » vous intéressent ? Vous vous questionnez sur le monde dans lequel vous vivez et sur son avenir ? Enfin, vous aimeriez trouver des propositions qui bousculent toutes ces approches qui ne proposent que des changements à la marge d’un modèle de société auquel il n’y aurait pas d’alternative ?

Alors entrez dans NÉMÉSIS et laissez-vous guider dans l’essai de Bertrand THÉBAULT. Peut-être aurez-vous à la fin de votre lecture une petite idée de ce que l’on pourrait faire pour remettre le monde à l’endroit !

                        AUTOUR D’UN LIVRE Bienvenue chez Némésis

(Chroniques, 190 p. éd. Amalthée)

Ce deuxième livre est arrivé de manière tout aussi inattendue que le coronavirus. Il établit en effet le lien étroit qui existe entre les problématiques développées dans le premier livre et les effets délétères de la mondialisation sur notre capacité à affronter la pandémie. Les chroniques qu’il contient ont donc été pour la plupart écrites pendant le premier confinement pour alimenter le blog mis en ligne par Amalthée à l’occasion de la parution de NÉMÉSIS en 2017. C’est alors que l’auteur a eu l’idée originale de publier une compilation de ce blog qui contient également des avis éclairants de lectrices et lecteurs sur le premier livre. 

                                               L’auteur 

Si ses livres sortent résolument des sentiers battus, le parcours de l’auteur n’est lui-même pas banal : né dans la campagne berrichonne tout près de Bourges, Bertrand THÉBAULT fut guidé très jeune par son frère aîné vers la porte de l’ascenseur social pour devenir ingénieur dans l’aéronautique civile où il effectuera une longue carrière à l’issue de laquelle il exercera un mandat diplomatique dans une institution des Nations-Unies. Plus littéraire que matheux, cet ingénieur des Ponts nous livre une écriture dans un français fluide, à la portée de tous et aux tonalités parfois poétiques…

Des livres dans l’air du temps à lire de toute urgence !    

http://editions-amalthee.com/blog/bertrand-thebault

Temps de travail rémunéré

<strong>Temps de travail rémunéré</strong>

J’avais longuement abordé ce thème dans l’essai publié en octobre 2017 sous le titre de NÉMÉSIS Remettons le monde à l’endroit. La nouvelle provocation du gouvernement de la droite macroniste à propos de notre système de retraite m’amène à rappeler ma perception du problème que j’avais développée il y a six ans.  

Les critères adoptés dans notre système de retraite pour calculer les droits à pension concernent le temps passé en emploi décompté en trimestres et l’âge minimal à partir duquel les pensions peuvent être liquidées ; ce temps passé et cet âge minimal peuvent être modulés en fonction de divers facteurs comme la pénibilité, la naissance d’un enfant, l’âge d’entrée dans la vie professionnelle, etc. Quoi qu’il en soit, l’application de ces critères détermine le temps total en « activité » pris en considération pour déterminer le montant de la pension de retraite. Notons au passage que l’expression souvent utilisée de temps passé au « travail » n’est pas satisfaisante pour parler du seul travail effectué contre rémunération, car chacun d’entre nous fournit également une quantité significative de travail non rémunéré, lequel n’entre évidemment pas dans le calcul du PIB… 

Aujourd’hui, les Français se mobilisent massivement pour éviter un nouveau report de leur âge de départ à la retraite et le problème occupe une place majeure dans la sphère médiatico-politique. Mais comment peut-on rationnellement se focaliser sur ce problème en oubliant que le temps de travail rémunéré au cours d’une vie dépend aussi de deux autres facteurs que sont la durée hebdomadaire du travail et le nombre de jours fériés et de congés payés ? Concrètement, c’est bien la combinaison de ces trois facteurs qui détermine le nombre total d’heures de travail rémunéré au cours d’une carrière professionnelle. Comme je l’avais déjà indiqué dans NÉMÉSIS, ce total, estimé à 120 000 heures au début du XXème siècle, a été diminué par deux de nos jours, mais cette baisse massive du temps de travail en emploi n’a pas conduit à une baisse de la richesse produite, bien au contraire, car la productivité moyenne par heure de travail entre 1890 et 2012 ayant augmenté de 2,46% l’an (source INSEE), la richesse ainsi produite par heure aura été multipliée par 19,4 en 122 ans tandis que la population française, passée de 40 à 65 millions d’habitants, n’aura été multipliée que par 1,64 ! 

La réduction historique du temps de travail à 60 000 heures a donc été obtenue grâce à une réduction hebdomadaire de ce temps, aux congés payés et au passage à 60 ans de l’âge de départ à la retraite dans le régime général. Cela a été possible comme on vient de le rappeler grâce aux gains de productivité tout en permettant une élévation considérable du niveau de vie moyen de la population. Autrement dit, il paraîtrait judicieux de traiter la question du temps de travail rémunéré de manière globale. Dès lors, deux options sont envisageables : celle des dominants qui cherchent à augmenter la durée du travail pour accroître leurs profits, option à rebours de la tendance lourde de réduction du temps de travail observée depuis plus d’un siècle, et celle des militants du progrès humain qui cherchent à accroître le temps libre pour tous ainsi que l’espérance de vie, notamment pour  les catégories les plus défavorisées.

Dans ces conditions, diverses combinaisons pourraient être considérées. En posant R pour retraite, C pour congés et jours fériés et H pour durée hebdomadaire du travail, nous obtenons les sept possibilités suivantes pour modifier dans un sens ou dans l’autre la durée du travail rémunéré : C, H, R, C+H, C+R, H+R, C+H+R. Mais cette approche requiert de calculer le temps de travail rémunéré non pas en cumul de trimestres, mais en cumul d’heures sur la carrière de chacun. Il est alors évident que la notion d’âge de départ à la retraite n’a plus beaucoup de sens si la durée totale de travail rémunéré calculée en heures peut être le résultat de rythmes de travail différenciés – mais n’est-ce pas déjà le cas en pratique ? – selon les modulations qui pourraient être convenues sur les trois paramètres considérés : travailler plus intensivement afin d’avancer l’âge de départ en retraite, ou au contraire travailler à un rythme moins soutenu, mais prolonger sa carrière de quelques années supplémentaires. 

Des exemples de ces variantes existent chez nos voisins européens, par exemple en Hollande où la semaine de quatre jours est très répandue, ce qui conduit à une durée moyenne hebdomadaire de travail inférieure à 30 heures et à un total annuel de 1357 heures contre 1661 heures en France sur la base des 35 heures qui sont d’ailleurs très souvent dépassées (voir le Monde du 05 02 2016) ; pas étonnant donc que l’âge légal de départ à la  retraite de nos amis hollandais soit fixé à 67 ans, mais ce chiffre est un leurre car les possibilités de départ anticipé sont très nombreuses. Par exemple, l’âge moyen réel de départ à la retraite en 2008 était de 62,8 ans pour les femmes et 63,7 ans pour les hommes. Ce n’est donc pas seulement le temps total de travail qui est important, mais aussi la manière dont il est réparti au cours de la carrière, cette répartition pouvant être, autant que faire se peut, laissée au choix des personnes. 

Il va de soi que le temps total d’heures de travail qui donnerait droit à une retraite pleine doit être minoré dans le cas des professions qui présentent des niveaux de pénibilité susceptibles de provoquer prématurément des problèmes de santé physique ou mentale. Mais j’engage à nouveau les lecteurs de ce billet à prendre connaissance des analyses et propositions développées dans le chapitre V de NÉMÉSIS car vous découvrirez qu’il est intellectuellement stérile de n’envisager, comme c’est le cas actuellement, un système de retraite que sous forme de répartition, de capitalisation ou de combinaison de ces deux options. Ce qui est proposé dans mon essai change radicalement le mode de financement ainsi que les modalités de liquidation des retraites comme on a pu en avoir un aperçu dans ce qui précède.

A bientôt sur ce blog pour échanger et nourrir la réflexion sur le problème majeur de société et de progrès humain qu’est le temps de travail rémunéré,

Bertrand 

Vœux 2023

Vœux 2023

Bonjour,

Celles et ceux qui ont lu NÉMÉSIS reconnaîtront peut-être le premier paragraphe de cette carte de vœux : il provient de la conclusion de cet ouvrage dont je ne renie aucune des analyses ou des propositions depuis l’achèvement du manuscrit qui remonte à plus de six ans, en décembre 2016. 

Pour des raisons personnelles, j’ai été un peu absent sur ce blog au cours du dernier trimestre 2022, mais j’ai désormais repris le cours normal de mes activités et vous promets de l’alimenter très prochainement et très généreusement!

De plus, j’espère avoir le temps, le courage et l’inspiration pour publier en 2023 deux ouvrages en chantier, un nouveau recueil de chroniques et un nouvel essai qui parlera d’un sujet tout à la fois éternel et d’une brûlante actualité.

Pour l’heure je vous souhaite à toutes et à tous le meilleur pour cette nouvelle année!

Cordialement, amicalement ou affectueusement, c’est selon

        oh! j’allais oublier… « et lisez-moi bien sûr »!

            Bertrand

La Commission européenne se félicite des résultats des accords de libre-échange (ALE)

La Commission européenne se félicite des résultats des accords de libre-échange (ALE)

Il serait surprenant que les experts en tout genre qui œuvrent à la Commission européenne n’aient pas été recrutés sur la base de critères rigoureux afin de s’assurer qu’ils possèdent bien toutes les compétences requises pour faire des propositions ou prendre des décisions parfaitement cohérentes et en toute chose, frappées au coin du bon sens ! 

Si tel est le cas, alors il faudrait que quelques-uns d’entre eux se portent volontaires pour éclairer les citoyens ordinaires que nous sommes. Pour ma part, la lecture du dernier rapport de la Commission sur les ALE en date du 11 octobre 2022 me plonge dans la plus grande confusion.

La Commission se félicite en effet de la croissance des échanges que les ALE ont permise, notamment au niveau des exportations de l’Union qui ont atteint en 2021 un record historique de 1000 milliards d’€ sans préciser l’évolution de nos importations. Accroître les échanges, cela signifie en toute logique augmenter le niveau d’interdépendance entre les États parties des ALE. Or, si des sources d’approvisionnement diversifiées et résilientes sont en effet indispensables pour des matières premières telles que minerais et énergies fossiles, l’accroissement général des échanges ne peut qu’augmenter la quantité de produits finis, semi-finis ou de simples composants provenant de pays hors UE qui nous sont également indispensables, notamment en situation de crise sanitaire comme on l’a vu avec le Covid, mais comme on le voit tout autant aujourd’hui dans de nombreux secteurs d’activité. Chercher à accroître les échanges va donc à l’encontre de la nécessité de faire revenir en Europe des productions qui renforceraient justement notre résilience en cas de ruptures ou de dysfonctionnements des chaînes d’approvisionnement actuelles. D’ailleurs, nous trouvons par exemple dans les derniers documents de la Commission une initiative louable pour lancer un programme de travail visant à constituer une alliance européenne de l’industrie du photovoltaïque solaire (Commission kicks off work on a European Solar Photovoltaic Industry Alliance). Mais ce qui est bon pour l’exploitation de l’énergie solaire ne l’est-il pas pour bien d’autres secteurs de l’industrie ?

Quelle est donc exactement la stratégie commerciale dont parle ce dernier rapport ? On comprend qu’il s’agit d’amplifier les interdépendances en multipliant et en élargissant les accords de libre-échange plutôt que de limiter sur le long terme ces accords à l’échange de produits complémentaires et non concurrents. Tout ce que les uns savent faire et bien faire, pourquoi donc aller le chercher chez les autres si ce n’est pour accroître les profits en utilisant une main-d’œuvre bon marché, fût-elle située à l’autre bout du monde.

La Commission prétend également mener une politique environnementale exemplaire avec son European Green Deal. Cette prétention est pourtant incompatible avec l’intensification des échanges, et plus généralement avec l’idée de croissance, puisqu’elle s’accompagne inévitablement d’un supplément de consommation d’énergie pour le transport des marchandises, donc d’une augmentation des émissions de GES, mais aussi de bien d’autres effets délétères pour l’environnement et la santé ! Dans sa note d’auto satisfaction la Commission se garde bien évidemment d’évoquer ces aspects-là du problème.

Mais au fond, négocier des accords commerciaux et déterminer ce qui est bon ou mauvais pour les Européens, d’un point de vue néolibéral bien sûr, c’est-à-dire pour les entreprises et le commerce, ce sont-là des affaires affreusement compliquées ; alors pourquoi consacrer du temps en pure perte à essayer de les expliquer aux citoyens ordinaires, ou pire encore, à solliciter leur avis, et ne parlons pas de leur accord ! D’ailleurs, je suis la preuve vivante de cette incapacité à entrevoir la complexité des mécanismes qui sont à l’œuvre pour celles et ceux qui ne font pas partie du cercle des initiés en charge de ces très importantes questions… 

À moins qu’ils ne comprennent pas eux-mêmes ce qu’ils font. Ou bien encore que tout en étant conscients de l’inanité de cette politique, ils s’y tiennent envers et contre toute raison pour assurer aussi longtemps que possible la survie de l’ordre économique néolibéral.

Bertrand

https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/MEX_22_6106

Le « progrès humain » en moins de 3 minutes

Le « progrès humain » en moins de 3 minutes
  1. 18ème Siècle, chez nous, en France

Monarchie et pouvoir absolu du monarque reposent sur la noblesse et le clergé. Le peuple, qui n’a pas droit au chapitre et vit misérablement, s’empare de la Bastille le 14 juillet 1789.

2. 19ème Siècle

Les dominants – anciens et nouveaux – essaient de reprendre le pouvoir au peuple. Première révolution industrielle : la bourgeoisie capitaliste asservit le peuple ouvrier.

3. 20ème Siècle

Les humains deviennent de la chair à canons. 

Les régimes soviétique et nazi font jeu égal en matière de terrorisme d’État.

Fin de la Seconde Guerre mondiale : le commerce sans entraves et la loi du marché deviennent la doxa du capitalisme libéral. Ambroise Croizat met en place la Sécurité sociale tandis que le programme du CNR devient une référence pour les forces progressistes.

4. 21ème Siècle

Le système capitaliste financiarisé et globalisé poursuit son exploitation des potentiels humains et naturels. La crise environnementale et climatique s’amplifie alors que les inégalités atteignent des niveaux records : loin de modérer leur ardeur consumériste et de prendre des mesures radicales pour remettre le monde à l’endroit, les dominants accroissent au contraire tous leurs excès écocides en dépit de discours hypocrites sur l’écologie et de mesurettes qui ne règlent rien. Le pouvoir incite le peuple à la sobriété alors qu’il devrait d’abord s’adresser à lui-même et aux 10% les plus riches émetteurs de 50% du CO2 !  

Conclusion :

Une politique attentive à la protection de notre environnement, de nos ressources naturelles et respectueuse du potentiel humain est incompatible avec le maintien en l’état d’un système capitaliste qui pérenniserait des inégalités humainement et moralement inacceptables, à commencer par l’inégalité la plus intolérable de toutes, celle qui prive quelques milliards d’êtres humains de la longévité qui a pu être atteinte par une partie de la population des pays développés.   

Le 21ème siècle devrait ainsi se fixer trois objectifs de progrès : 1) mettre fin au système capitaliste – ou ce qui revient au même, en contrôler et sanctionner tous les excès, 2) lutter contre le réchauffement climatique et la dégradation accélérée de notre biotope, 3) enfin permettre à tous de bénéficier de la meilleure espérance de vie…

Bertrand

Une mine de réflexions

Une mine de réflexions

Une fois n’est pas coutume, je vais écrire cette chronique à partir d’un entretien qui a été accordé par une scientifique à une chaîne YouTube. Il s’agit de la géologue spécialiste des questions minières, Aurore Stéphant, interrogée sur Thinkerview, chaîne très particulière qui a pour habitude d’interviewer longuement des personnalités plus ou moins connues du grand public et venant de bords très divers, politiquement parlant. Je suis en revanche incapable de dire quels objectifs cette chaîne poursuit, mais qu’importe, l’essentiel est d’écouter ce que disent les invités et d’en tirer ensuite les conclusions ou les enseignements que l’on veut.

Au risque de me répéter, je voudrais d’abord rappeler une évidence dont beaucoup de personnes, notamment parmi notre classe dirigeante, semblent ne pas avoir clairement pris conscience ou qu’elles affectent d’ignorer : en dehors de la pensée, les humains ne produisent rien, ils ne font que transformer ce que leur fournit mère nature. Il est vrai que cette réalité est fort peu intuitive. En effet, l’image que l’on se fait de la nature est fort éloignée du monde matériel et technologique dans lequel nous sommes plongés. Les étapes de la transformation d’un produit naturel sont parfois tellement nombreuses qu’il est impossible en fin de processus de reconnaître sa présence dans les objets que nous achetons. Pire encore, si comme le fait remarquer Aurore Stéphant, il est difficile d’imaginer que pas moins de 52 éléments du tableau de Mendeleïev entrent dans la fabrication d’un smartphone, alors il est encore plus difficile de prendre conscience des conséquences sur l’environnement et la santé de l’extraction et des transformations successives de ces éléments. Plus nous fabriquons d’objets, plus nous augmentons nos prélèvements sur la nature, même si nous parvenons à recycler une partie des objets obsolescents pour en fabriquer de nouveaux.        

Depuis qu’il existe en tant que système économique et social, le capitalisme, car c’est bien de lui dont il s’agit, a toujours eu comme unique boussole l’accumulation de richesses au profit d’une minorité, donc au détriment du plus grand nombre, mais aussi au détriment de la nature. Il lui a donc toujours fallu inventer sans fin de nouveaux produits qui doivent être fabriqués au moindre coût afin de dégager des profits substantiels, ce moindre coût étant obtenu à la fois en exploitant sans vergogne le potentiel humain et en prélevant sans discernement les ressources naturelles comme si elles étaient inépuisables. J’ai décrit dans NEMESIS Remettons le monde à l’endroit comment l’offre marchande a permis aux capitalistes européens, au travers d’innovations certes utiles pour le confort et le bien-être des populations dans les premières décennies qui ont suivi la fin de la Seconde Guerre mondiale, mais ensuite grâce à une publicité onéreuse et envahissante qui a fait vendre des produits à l’utilité de plus en plus contestable et à la durée de vie de plus en plus courte, non seulement de maintenir, mais d’augmenter de manière exponentielle la quantité de marchandises et de prestations offertes aux consommateurs sans que ces derniers soient invités à exprimer leurs besoins réels. Ce phénomène a sans doute atteint son apogée avec une poignée d’individus tous d’origine étatsunienne devenus rapidement milliardaires en imposant à la planète entière un mode de vie désormais fondé sur les « Technologies de l’Information et de la Communication » (TIC) au point de générer pour des centaines de millions d’individus, voire quelques milliards, une véritable dépendance aux écrans qui touche pratiquement toutes les générations. 

C’est finalement ce changement radical de civilisation que dénonce Aurore Stéphant compte tenu des dégâts qu’il induit sur notre biotope et notre santé, mais je crois qu’il faut aussi dénoncer le processus anti-démocratique avec lequel il nous a été imposé au travers de la publicité qui n’est, ni plus ni moins, que la version soft de la propagande du système capitaliste ; d’ailleurs, il faut bien reconnaître que les États-Unis, centre du monde de ce système, sont depuis longtemps passés maîtres en matière de soft power ! Plus grave encore, ou au moins tout aussi grave que tout ce qui vient d’être dit, le capitalisme contemporain a atteint des niveaux records de concentration de la richesse, et ces milliardaires, qui ont si peu gagné et tant volé ce qu’ils possèdent, ont un mode de vie qui incite à cette compétition ostentatoire que dénonce Noam Chomsky, compétition qui pousse à l’hyper consommation, laquelle conduit à l’écocide, lequel finira peut-être par « l’anthropocide » ! 

Bertrand